Lot Essay
Rares aujourd'hui sont les occasions de découvertes aussi surprenantes et aussi marquantes que celle de ce tableau. A travers la réapparition d'un tableau, un nom resté célèbre dans l'histoire de la peinture française, le nom de Charles Le Brun, auquel on lie immédiatement ceux de Louis XIV et de Versailles, est associé au nom d'un lieu mythique de Paris, le Ritz, qui résonne dans le monde entier comme un symbole de prestige et de luxe. C'est à la perspicacité de Joseph Friedman, conseiller artistique du Ritz, et de sa collègue Wanda Tymowska, que l'on doit cette révélation magistrale, à eux qui ont su comprendre son importance et découvrir l'identité de son auteur. Il trônait dans la célèbre suite qui porte le nom de celle qui l'habita si longtemps, Coco Chanel.
Daté de 1647, le Sacrifice de Polyxène du Ritz constitue une redécouverte majeure dans le catalogue de l'oeuvre peint de Charles Le Brun (1619-1690) et un témoignage inédit pour comprendre l'évolution de son art à un moment-clef de sa carrière. Les recherches actuelles n'ont pu préciser l'identité du commanditaire de l'oeuvre, ni les conditions exactes de son exécution. Fut-elle commandée pour l'Hôtel de Gramont racheté par Bitaud de Vaillé en 1705 et devenu le Ritz à la fin du XIXe siècle ? Si ce n'est pas le cas, sa date d'entrée au Ritz n'est pas plus établie.
Au printemps 1646, Le Brun est rentré d'un séjour de trois ans à Rome durant lequel il a parachevé sa formation de peintre en copiant abondamment aussi bien les artistes modernes, de Raphaël à Guido Reni, que les vestiges de l'antiquité. Fasciné par l'art des anciens, il s'applique surtout, selon l'un de ses biographes, Desportes, "à bien en observer les différents usages [...], leurs exercice de paix et de guerre, leurs spectacles, leurs combats, leurs triomphes, sans oublier leurs édifices et les règles de leur architecture" (Desportes, Vie des Premiers Peintres du Roi, 1752, t. I, p. 11). Il a également mis à profit son séjour romain pour se rapprocher de Nicolas Poussin, alors référence incontestée pour tout peintre français, dont il s'inspire et qu'il imite parfois au point de leurrer les spectateurs de ses tableaux.
A son retour à Paris, c'est un jeune artiste en plein essor et au style pictural renouvelé qui s'apprête à vivre une année faste. Au soutien répété et confirmé du chancelier Séguier, son appui et mécène de toujours, viennent s'ajouter de nouveaux commanditaires. Il reçoit ainsi en cette année 1647 la première commande prestigieuse d'un May pour Notre-Dame de Paris, le Martyre de saint André, symbole de sa reconnaissance auprès du monde artistique français. En 1648, il sera l'un des douze membres fondateurs de l'Académie royale de peinture et de sculpture.
1647 est aussi très probablement l'année durant laquelle Charles Le Brun exécute sur commande des Jésuites Le Supplice de Mézence, roi d'Etrurie, peint pour leur collège de Clermont, rue Saint-Jacques à Paris, tableau aujourd'hui disparu mais connu par une copie ancienne et par trois dessins préparatoires conservés au Louvre (B. Gady, Charles Le Brun. Liens sociaux et production artistique, 2011, fig. 130 p. 224). Le Sacrifice de Polyxène partage avec cette oeuvre une parenté évidente, que ce soit par son format en hauteur et ses dimensions sans doute proches (la taille du Supplice de Mézence n'est pas précisément connue, mais les figures qui y sont représentées sont, nous dit Nivelon, "de grandeur naturelle"), mais également par son sens de la composition et de la narration d'une grande lisibilité que Le Brun a héritée de Poussin.
Le sujet du présent tableau, le sacrifice de Polyxène aux mânes d'Achille, est tiré des Métamorphoses d'Ovide, même s'il prend primitivement sa source dans les récits homériques de la Guerre de Troie. Charles Le Brun y dépeint, en s'inspirant très directement - presque littéralement - du texte d'Ovide, la mise à mort, à la demande du fantôme d'Achille, de Polyxène, fille du roi Priam et de la reine Hécube, telle qu'elle est relatée dans le passage suivant (Ovide, Les Métamorphoses, XIII, 439-480) :
"Les Grecs, obéissant à l'ombre impitoyable, arrachent des bras de sa mère Polyxène, dernière consolation qui restait à sa douleur. Cette princesse, que son courage élève au-dessus de son sexe et de son malheur, est conduite en victime sur la tombe d'Achille. Digne fille des rois, elle arrive à cet autel barbare, et voyant les funestes apprêts du sacrifice, Néoptolème debout, qui tient le couteau sacré, et attache sur elle ses regards : " Répands, dit-elle, ce sang illustre et pur : que rien ne t'arrête ; plonge le fer dans ma gorge ou dans mon sein (et en même temps elle présente l'une et l'autre). Polyxène craint moins la mort que l'esclavage. Mais aucune divinité ne peut être apaisée par ce sacrifice inhumain. Je voudrais seulement que ma mère trompée put ignorer ma mort. Ma mère trouble seule la joie que m'offre le trépas; et cependant, ce n'est pas ma mort qui doit l'affliger, c'est sa vie [...].
Polyxène se tait : le peuple ne peut retenir ses pleurs, elle retient les siens. Le sacrificateur lui- même est attendri, et plonge à regret le couteau dans le sein qui s'offre à ses coups. La victime chancelle et tombe ; et son front conserve encore une noble fierté. En tombant, elle songeait à ranger ses vêtements, et ce dernier soin est le triomphe de la pudeur. "
Dans le Sacrifice de Polyxène, Le Brun engage tous les protagonistes dans un drame qui suit avec rigueur le récit du poète. La jeune vierge que l'on apprête à immoler, sa mère Hécube qui la retient dans un geste d'une expressivité marquante, le prêtre barbu qui préside au bon déroulement du rituel, Néoptolème enfin, qui lève furieusement la dague sacrificielle avant de la plonger dans le sein de sa victime. Cette fidélité de Le Brun au texte d'Ovide se retrouve jusque dans le repentir dans la robe de Polyxène dont il est dit qu'au moment de sa mort elle s'appliquait encore à "ranger ses vêtements" qui découvrent ici impudiquement sa poitrine.
Charles Le Brun a ici pleinement assimilé les influences reçues lors de son séjour romain. L'antique d'abord, dont Nivelon disait que le peintre avait "copié tous les vestiges qu'il avait eus sous les yeux à Rome", et qui se manifeste dans les détails de l'aiguière, du trépied ou du sarcophage d'Achille, décoré de strigiles et du clipeus montrant le profil du héros, et surmonté d'un acrotère représentant un masque de théâtre grimaçant. De même, le modèle du coffret que porte le petit camille, l'aide du grand prêtre, est tiré d'un dessin que Le Brun avait exécuté d'après l'antique pendant son séjour à Rome (Fig. 1). Ce coffret était destiné à contenir l'encens que le sacrificateur allait utiliser pendant le rite (ce dessin conservé à la Bibliothèque nationale de France, a été publié par Stéphane Loire dans la Gazette des Beaux-Arts en 2000 (no.136)).
L'autre influence majeure est celle de Nicolas Poussin et de son classicisme austère et puissant. Moins marqué par le lyrisme baroque vouétisant qui était celui des oeuvres exécutées avant et pendant le séjour italien, le tableau, tout comme ses contemporains le Martyre de saint André et le Supplice de Mézence, tend désormais vers ce classicisme plus sévère et plus viril qui sera celui des années à venir. Restreignant le nombre de figures, les entraînant dans un ballet grave et silencieux, Le Brun opte pour une composition d'une cohérence et d'une unité qui se concentre sur l'action. C'est sans doute cet équilibre réussi entre la tension du drame et cette retenue sans emphase qui impose la toile comme un incontestable chef-d'oeuvre.
Le Sacrifice de Polyxène, s'il nous éclaire sur une période mal connue de l'activité de Le Brun, garde cependant sa part de mystère. Sa provenance ancienne comme son histoire récente nous sont inconnues. Compte-tenu de son importance notoire, il ne fait cependant que peu de doutes qu'à plus ou moins long terme de nouvelles données viennent déterminer plus précisément son historique et l'identité de son commanditaire. Seuls éléments susceptibles peut-être d'aider à rétablir l'origine de l'oeuvre, sa perspective surprenante, prise da sotto in su, et le traitement légèrement moins détaillé de la partie haute du tableau qui contraste avec la superbe aiguière d'or du premier plan, laisseraient penser que l'oeuvre était destinée à être placée assez haut, vraisemblablement au-dessus d'une cheminée.
A l'orée de la carrière d'un peintre qui allait donner à l'école française de peinture une impulsion nouvelle et considérable, Charles Le Brun offre dans le Sacrifice de Polyxène l'image d'un artiste désormais accompli et au-delà, délivre, par ce sens du drame qui mêle avec profondeur et élégance la retenue et la passion, un exemple magistral d'illustration du classicisme français.
Occasionally, the biggest surprises are hiding in plain sight: The Sacrifice of Polyxena by Charles Le Brun, an artist whose name evokes the world of Louis XIV and Versailles, was recognized only recently by the Ritz's art adviser Joseph Friedman and his fellow consultant Wanda Tymowska, on prominent display in the Coco Chanel suite of the most opulent and celebrated hotel in the world, the legendary Hotel Ritz in Paris.
Dated 1647, Le Brun's Sacrifice of Polyxena constitutes a major and fascinating rediscovery and provides a key to understanding the evolution of Le Brun's art at a turning point of his career. Was it commissioned to adorn the Hôtel de Gramont which later became the Ritz towards the end of the XIXth century? No documents has been found in the hotel archives relating to the acquisition of this painting.
In the Spring of 1646, Le Brun came back from a three year sojourn in Rome during which time he carefully studied the great Renaissance and contemporary artists including Raphaël or Guido Reni as well as the antiquities of Ancient Rome. Fascinated by Imperial Rome, his biographer Desportes relates that he 'observed their different habits their exercises of war and peace, their spectacles, their combats, their triumphs as well as their buildings and rules of architecture' (Desportes, Vie des premiers peintres du Roi, 1752, I, p. 11). During his stay Le Brun was deeply inspired by Nicolas Poussin, then the absolute reference point for any French painter, and he would assimilate his his influence to the extent that some contemporaries would confuse their work.
Upon his return to Paris, the young artist was commissioned to paint The Martyrdom of Saint Andrew for Notre-Dame de Paris. This prestigious commission was a significant mark of recognition by the French art world. In 1648, Le Brun became one of the founders of the Academy. During these years, Le Brun also painted The Torture of Mezence, King of Etruria, for the College of the Jesuits in rue Saint-Jacques in Paris. This lost painting is now only known through an old copy and three preparatory drawings in the Louvre (B. Gady, L'Ascension de Charles Le Brun. Liens sociaux et production artistique, 2011, fig. 130, p. 224). The Sacrifice of Polyxena compares closely with that painting and shares the same vertical format and dimensions (the size of the Torture is not known but Nivelon tells us that the figures are 'life-size') and the same sense of rigorous construction and legibility inherited from Poussin.
The subject of the present picture is taken from Ovid's Metamorphoses. It shows the sacrifice, ordered by Achille's ghost, of Polyxena, daughter of King Priam and Queen Hecube, during the Trojan War. Le Brun has taken his inspiration directly - and almost literally - from the following passage (Ovide, Metamorphoses, book XIII, 439-490):
"The old friends of Achilles all obeyed his unforgiving shade; and instantly the noble and unhappy virgin-brave, more like a man than woman-was torn from her mother's bosom, cherished more by her, since widowed and alone. And then they led the virgin as a sacrifice from there up to the cruel altar. When the maid observed the savage rites prepared for her, and when she noticed Neoptolemus stand by her with his cruel sword in hand, his fixed eyes on her countenance; she said:-"Do not delay my generous gift of blood, with no resistance thrust the ready steel into my throat or breast!" And then she laid both throat and bosom bare. "Polyxena would never wish to live in slavery. And such rites win no favor from a god. Only I fondly wish my mother might not know that I have died. My love of her takes from my joy in death and gives me fear [...]After she said these words, the people could no more restrain their tears; but no one saw her shed one tear. Even the priest himself, reluctantly and weeping, drove the steel into her proffered breast. On failing knees she sank down to the earth; but still maintained a countenance undaunted to the last: and, even unto death, it was her care to cover all that ought to be concealed, and save the value of chaste modesty."
The painter faithfully followed Ovid's text, filling the background with Achille's tomb and opposing the calm attitude of priest on the left side with the more animated group on the right hand side showing the resigned Polyxena, her mother Hecube trying desperately to prevent her daughter's destiny from being fulfilled, and Neoptolem raising the fatal sword. Le Brun's careful consideration of Ovid's text also probably explains the pentiment in Polyxena's dress, which was first shown covering her breast and which he then chose to remove, better reflecting the moment as described by Ovid.
There is a strong antiquarian feel to the composition. Nivelon relates that during his Roman stay, Le Brun copied "every vestige that came into his sight in Rome", here evident in the details of the vase, tripod and the ornamented sarcophagus. The little casket held by the young Camillus, assistant to the priest, is from a drawing that Le Brun executed after the Antique (Fig. 1). This casket would have held the incense for the sacrifice (this drawing as well as all the other Roman drawings have been published by Stphane Loire in the Gazette des Beaux-Arts in 2000, no. 136).
The other major influence evident in this painting is the austere clacissism of Nicolas Poussin, with whom Le Brun made the trip to Rome in 1642. The lyrical Baroque style of Le Brun's works up to and including his Italian stay is tempered here by a new, tougher and more masculine style, also evident in the contemporary Martyrdom of St. Andrew. By restraining the number of figures participating in this grave and silent spectacle, Le Brun creates a coherent and unified composition with the main focus on the action. It is this successful balance between the tension of the noble drama and overall restraint which makes this canvas one of the artist's indisputable masterpieces.
The Sacrifice of Polyxena sheds a fascinating light on a relatively unknown part of Lebrun's career. However part of it remains a mystery. No one has yet been able to discover its original destination, but its clear importance is likely to one day lead to more information on its origin and the identuty of the patron who commissioned it. We can already deduce a certain amount, for example, the perspective seen da sotto in su, and the less detailed treatment of the upper part of the canvas contrasting with the very precise and wonderfully painted urn in the foreground indicate that the canvas was originally conceived to be placed relatively high in the room, maybe over a fireplace.
Painted by a young artist who would soon initiate a new direction of considerable importance to French art, Charles Le Brun's Sacrifice of Polyxena with its perfect balance of drama, elegance, passion, intensity and restraint, is a masterful illustration of French classicism.
Daté de 1647, le Sacrifice de Polyxène du Ritz constitue une redécouverte majeure dans le catalogue de l'oeuvre peint de Charles Le Brun (1619-1690) et un témoignage inédit pour comprendre l'évolution de son art à un moment-clef de sa carrière. Les recherches actuelles n'ont pu préciser l'identité du commanditaire de l'oeuvre, ni les conditions exactes de son exécution. Fut-elle commandée pour l'Hôtel de Gramont racheté par Bitaud de Vaillé en 1705 et devenu le Ritz à la fin du XIXe siècle ? Si ce n'est pas le cas, sa date d'entrée au Ritz n'est pas plus établie.
Au printemps 1646, Le Brun est rentré d'un séjour de trois ans à Rome durant lequel il a parachevé sa formation de peintre en copiant abondamment aussi bien les artistes modernes, de Raphaël à Guido Reni, que les vestiges de l'antiquité. Fasciné par l'art des anciens, il s'applique surtout, selon l'un de ses biographes, Desportes, "à bien en observer les différents usages [...], leurs exercice de paix et de guerre, leurs spectacles, leurs combats, leurs triomphes, sans oublier leurs édifices et les règles de leur architecture" (Desportes, Vie des Premiers Peintres du Roi, 1752, t. I, p. 11). Il a également mis à profit son séjour romain pour se rapprocher de Nicolas Poussin, alors référence incontestée pour tout peintre français, dont il s'inspire et qu'il imite parfois au point de leurrer les spectateurs de ses tableaux.
A son retour à Paris, c'est un jeune artiste en plein essor et au style pictural renouvelé qui s'apprête à vivre une année faste. Au soutien répété et confirmé du chancelier Séguier, son appui et mécène de toujours, viennent s'ajouter de nouveaux commanditaires. Il reçoit ainsi en cette année 1647 la première commande prestigieuse d'un May pour Notre-Dame de Paris, le Martyre de saint André, symbole de sa reconnaissance auprès du monde artistique français. En 1648, il sera l'un des douze membres fondateurs de l'Académie royale de peinture et de sculpture.
1647 est aussi très probablement l'année durant laquelle Charles Le Brun exécute sur commande des Jésuites Le Supplice de Mézence, roi d'Etrurie, peint pour leur collège de Clermont, rue Saint-Jacques à Paris, tableau aujourd'hui disparu mais connu par une copie ancienne et par trois dessins préparatoires conservés au Louvre (B. Gady, Charles Le Brun. Liens sociaux et production artistique, 2011, fig. 130 p. 224). Le Sacrifice de Polyxène partage avec cette oeuvre une parenté évidente, que ce soit par son format en hauteur et ses dimensions sans doute proches (la taille du Supplice de Mézence n'est pas précisément connue, mais les figures qui y sont représentées sont, nous dit Nivelon, "de grandeur naturelle"), mais également par son sens de la composition et de la narration d'une grande lisibilité que Le Brun a héritée de Poussin.
Le sujet du présent tableau, le sacrifice de Polyxène aux mânes d'Achille, est tiré des Métamorphoses d'Ovide, même s'il prend primitivement sa source dans les récits homériques de la Guerre de Troie. Charles Le Brun y dépeint, en s'inspirant très directement - presque littéralement - du texte d'Ovide, la mise à mort, à la demande du fantôme d'Achille, de Polyxène, fille du roi Priam et de la reine Hécube, telle qu'elle est relatée dans le passage suivant (Ovide, Les Métamorphoses, XIII, 439-480) :
"Les Grecs, obéissant à l'ombre impitoyable, arrachent des bras de sa mère Polyxène, dernière consolation qui restait à sa douleur. Cette princesse, que son courage élève au-dessus de son sexe et de son malheur, est conduite en victime sur la tombe d'Achille. Digne fille des rois, elle arrive à cet autel barbare, et voyant les funestes apprêts du sacrifice, Néoptolème debout, qui tient le couteau sacré, et attache sur elle ses regards : " Répands, dit-elle, ce sang illustre et pur : que rien ne t'arrête ; plonge le fer dans ma gorge ou dans mon sein (et en même temps elle présente l'une et l'autre). Polyxène craint moins la mort que l'esclavage. Mais aucune divinité ne peut être apaisée par ce sacrifice inhumain. Je voudrais seulement que ma mère trompée put ignorer ma mort. Ma mère trouble seule la joie que m'offre le trépas; et cependant, ce n'est pas ma mort qui doit l'affliger, c'est sa vie [...].
Polyxène se tait : le peuple ne peut retenir ses pleurs, elle retient les siens. Le sacrificateur lui- même est attendri, et plonge à regret le couteau dans le sein qui s'offre à ses coups. La victime chancelle et tombe ; et son front conserve encore une noble fierté. En tombant, elle songeait à ranger ses vêtements, et ce dernier soin est le triomphe de la pudeur. "
Dans le Sacrifice de Polyxène, Le Brun engage tous les protagonistes dans un drame qui suit avec rigueur le récit du poète. La jeune vierge que l'on apprête à immoler, sa mère Hécube qui la retient dans un geste d'une expressivité marquante, le prêtre barbu qui préside au bon déroulement du rituel, Néoptolème enfin, qui lève furieusement la dague sacrificielle avant de la plonger dans le sein de sa victime. Cette fidélité de Le Brun au texte d'Ovide se retrouve jusque dans le repentir dans la robe de Polyxène dont il est dit qu'au moment de sa mort elle s'appliquait encore à "ranger ses vêtements" qui découvrent ici impudiquement sa poitrine.
Charles Le Brun a ici pleinement assimilé les influences reçues lors de son séjour romain. L'antique d'abord, dont Nivelon disait que le peintre avait "copié tous les vestiges qu'il avait eus sous les yeux à Rome", et qui se manifeste dans les détails de l'aiguière, du trépied ou du sarcophage d'Achille, décoré de strigiles et du clipeus montrant le profil du héros, et surmonté d'un acrotère représentant un masque de théâtre grimaçant. De même, le modèle du coffret que porte le petit camille, l'aide du grand prêtre, est tiré d'un dessin que Le Brun avait exécuté d'après l'antique pendant son séjour à Rome (Fig. 1). Ce coffret était destiné à contenir l'encens que le sacrificateur allait utiliser pendant le rite (ce dessin conservé à la Bibliothèque nationale de France, a été publié par Stéphane Loire dans la Gazette des Beaux-Arts en 2000 (no.136)).
L'autre influence majeure est celle de Nicolas Poussin et de son classicisme austère et puissant. Moins marqué par le lyrisme baroque vouétisant qui était celui des oeuvres exécutées avant et pendant le séjour italien, le tableau, tout comme ses contemporains le Martyre de saint André et le Supplice de Mézence, tend désormais vers ce classicisme plus sévère et plus viril qui sera celui des années à venir. Restreignant le nombre de figures, les entraînant dans un ballet grave et silencieux, Le Brun opte pour une composition d'une cohérence et d'une unité qui se concentre sur l'action. C'est sans doute cet équilibre réussi entre la tension du drame et cette retenue sans emphase qui impose la toile comme un incontestable chef-d'oeuvre.
Le Sacrifice de Polyxène, s'il nous éclaire sur une période mal connue de l'activité de Le Brun, garde cependant sa part de mystère. Sa provenance ancienne comme son histoire récente nous sont inconnues. Compte-tenu de son importance notoire, il ne fait cependant que peu de doutes qu'à plus ou moins long terme de nouvelles données viennent déterminer plus précisément son historique et l'identité de son commanditaire. Seuls éléments susceptibles peut-être d'aider à rétablir l'origine de l'oeuvre, sa perspective surprenante, prise da sotto in su, et le traitement légèrement moins détaillé de la partie haute du tableau qui contraste avec la superbe aiguière d'or du premier plan, laisseraient penser que l'oeuvre était destinée à être placée assez haut, vraisemblablement au-dessus d'une cheminée.
A l'orée de la carrière d'un peintre qui allait donner à l'école française de peinture une impulsion nouvelle et considérable, Charles Le Brun offre dans le Sacrifice de Polyxène l'image d'un artiste désormais accompli et au-delà, délivre, par ce sens du drame qui mêle avec profondeur et élégance la retenue et la passion, un exemple magistral d'illustration du classicisme français.
Occasionally, the biggest surprises are hiding in plain sight: The Sacrifice of Polyxena by Charles Le Brun, an artist whose name evokes the world of Louis XIV and Versailles, was recognized only recently by the Ritz's art adviser Joseph Friedman and his fellow consultant Wanda Tymowska, on prominent display in the Coco Chanel suite of the most opulent and celebrated hotel in the world, the legendary Hotel Ritz in Paris.
Dated 1647, Le Brun's Sacrifice of Polyxena constitutes a major and fascinating rediscovery and provides a key to understanding the evolution of Le Brun's art at a turning point of his career. Was it commissioned to adorn the Hôtel de Gramont which later became the Ritz towards the end of the XIXth century? No documents has been found in the hotel archives relating to the acquisition of this painting.
In the Spring of 1646, Le Brun came back from a three year sojourn in Rome during which time he carefully studied the great Renaissance and contemporary artists including Raphaël or Guido Reni as well as the antiquities of Ancient Rome. Fascinated by Imperial Rome, his biographer Desportes relates that he 'observed their different habits their exercises of war and peace, their spectacles, their combats, their triumphs as well as their buildings and rules of architecture' (Desportes, Vie des premiers peintres du Roi, 1752, I, p. 11). During his stay Le Brun was deeply inspired by Nicolas Poussin, then the absolute reference point for any French painter, and he would assimilate his his influence to the extent that some contemporaries would confuse their work.
Upon his return to Paris, the young artist was commissioned to paint The Martyrdom of Saint Andrew for Notre-Dame de Paris. This prestigious commission was a significant mark of recognition by the French art world. In 1648, Le Brun became one of the founders of the Academy. During these years, Le Brun also painted The Torture of Mezence, King of Etruria, for the College of the Jesuits in rue Saint-Jacques in Paris. This lost painting is now only known through an old copy and three preparatory drawings in the Louvre (B. Gady, L'Ascension de Charles Le Brun. Liens sociaux et production artistique, 2011, fig. 130, p. 224). The Sacrifice of Polyxena compares closely with that painting and shares the same vertical format and dimensions (the size of the Torture is not known but Nivelon tells us that the figures are 'life-size') and the same sense of rigorous construction and legibility inherited from Poussin.
The subject of the present picture is taken from Ovid's Metamorphoses. It shows the sacrifice, ordered by Achille's ghost, of Polyxena, daughter of King Priam and Queen Hecube, during the Trojan War. Le Brun has taken his inspiration directly - and almost literally - from the following passage (Ovide, Metamorphoses, book XIII, 439-490):
"The old friends of Achilles all obeyed his unforgiving shade; and instantly the noble and unhappy virgin-brave, more like a man than woman-was torn from her mother's bosom, cherished more by her, since widowed and alone. And then they led the virgin as a sacrifice from there up to the cruel altar. When the maid observed the savage rites prepared for her, and when she noticed Neoptolemus stand by her with his cruel sword in hand, his fixed eyes on her countenance; she said:-"Do not delay my generous gift of blood, with no resistance thrust the ready steel into my throat or breast!" And then she laid both throat and bosom bare. "Polyxena would never wish to live in slavery. And such rites win no favor from a god. Only I fondly wish my mother might not know that I have died. My love of her takes from my joy in death and gives me fear [...]After she said these words, the people could no more restrain their tears; but no one saw her shed one tear. Even the priest himself, reluctantly and weeping, drove the steel into her proffered breast. On failing knees she sank down to the earth; but still maintained a countenance undaunted to the last: and, even unto death, it was her care to cover all that ought to be concealed, and save the value of chaste modesty."
The painter faithfully followed Ovid's text, filling the background with Achille's tomb and opposing the calm attitude of priest on the left side with the more animated group on the right hand side showing the resigned Polyxena, her mother Hecube trying desperately to prevent her daughter's destiny from being fulfilled, and Neoptolem raising the fatal sword. Le Brun's careful consideration of Ovid's text also probably explains the pentiment in Polyxena's dress, which was first shown covering her breast and which he then chose to remove, better reflecting the moment as described by Ovid.
There is a strong antiquarian feel to the composition. Nivelon relates that during his Roman stay, Le Brun copied "every vestige that came into his sight in Rome", here evident in the details of the vase, tripod and the ornamented sarcophagus. The little casket held by the young Camillus, assistant to the priest, is from a drawing that Le Brun executed after the Antique (Fig. 1). This casket would have held the incense for the sacrifice (this drawing as well as all the other Roman drawings have been published by Stphane Loire in the Gazette des Beaux-Arts in 2000, no. 136).
The other major influence evident in this painting is the austere clacissism of Nicolas Poussin, with whom Le Brun made the trip to Rome in 1642. The lyrical Baroque style of Le Brun's works up to and including his Italian stay is tempered here by a new, tougher and more masculine style, also evident in the contemporary Martyrdom of St. Andrew. By restraining the number of figures participating in this grave and silent spectacle, Le Brun creates a coherent and unified composition with the main focus on the action. It is this successful balance between the tension of the noble drama and overall restraint which makes this canvas one of the artist's indisputable masterpieces.
The Sacrifice of Polyxena sheds a fascinating light on a relatively unknown part of Lebrun's career. However part of it remains a mystery. No one has yet been able to discover its original destination, but its clear importance is likely to one day lead to more information on its origin and the identuty of the patron who commissioned it. We can already deduce a certain amount, for example, the perspective seen da sotto in su, and the less detailed treatment of the upper part of the canvas contrasting with the very precise and wonderfully painted urn in the foreground indicate that the canvas was originally conceived to be placed relatively high in the room, maybe over a fireplace.
Painted by a young artist who would soon initiate a new direction of considerable importance to French art, Charles Le Brun's Sacrifice of Polyxena with its perfect balance of drama, elegance, passion, intensity and restraint, is a masterful illustration of French classicism.