FRANCESCO GUARDI (VENISE 1712-1793)
FRANCESCO GUARDI (VENISE 1712-1793)

La place Saint-Marc avec la basilique et le campanile

Details
FRANCESCO GUARDI (VENISE 1712-1793)
La place Saint-Marc avec la basilique et le campanile
huile sur toile
69,8 x 101,9 cm. (27 ½ x 40 1/8 in.)
Provenance
Collection Léon Gauchez (1825-1907), Paris ; vente Christie’s, Londres, 29 juin 1889, lot 159 ; où acquis 380 guineas par Rochefort.
Acquis sur le marché parisien en 1892, puis par descendance collection de la vicomtesse de Courval ; collection de la princesse de Poix ; collection Diane de Castellane jusqu’aux propriétaires actuels.
Literature
R. Pallucchini, ‘Il settecento veneziano al Orangerie’, dans Arte Veneta, 1971, p. 330, avec une datation après 1760.
L. Rossi Bortolatto, L’opera completa di Francesco Guardi, Milan, 1974, p. 93, no. 87, avec une datation vers 1770-80, ill. p. 94.
A. Morassi, Guardi i Dipinti, Venise, 1984, t. I, p. 373, no. 330, avec une datation vers 1770-80 et t. II, ill. fig. 358.
D. Succi, Francesco Guardi itinéraire d’une aventure artistique, Milan, 1993, p. 184, ill. fig. 190, avec une datation vers 1780.
Exhibited
Paris, Orangerie des Tuileries, Venise au XVIIIe siècle, peintures, dessins et gravures des collections françaises, 21 septembre-29 novembre 1971, cat. expo., p. 71, no. 68, ill.
Further details
F. GUARDI, PIAZZA SAN MARCO, WITH THE BASILICA AND THE CAMPANILE, OIL ON CANVAS

Brought to you by

Mathilde Bensard
Mathilde Bensard

Lot Essay

Ce chef d’œuvre méconnu de Guardi dans sa maturité, impressionnant par ses dimensions et exceptionnel par sa virtuosité technique, constitue un apogée dans la longue série des vues de la place Saint-Marc peintes par cet artiste.
La place Saint-Marc, qui était au XVIIIe siècle tout comme aujourd’hui le principal espace public de Venise, est représentée vers l’est, avec au fond la façade de la basilique, délimitée à gauche par la Tour de l’Horloge et les Procuratie Nuove et à droite par le Campanile, le palais des Doges vu à l’arrière-plan de la Piazzetta et les Procuratie Vecchie. Ainsi que les ombres du premier plan le montrent, le point de vue adopté est proche du perron de l’église San Geminiano, détruite au début du XIXe siècle, qui bordait la place à l’est, en son centre. Une lumière d’après–midi enflamme la façade la basilique, illuminant les mosaïques sous les arcades et les fameuses statues équestres antiques, en cuivre.
Dans les nombreuses vues de ce même lieu représenté le matin (voir Morassi, op.cit., nos 317 et 320-2), les personnages sont principalement des hommes et des enfants, promeneurs nonchalants. Plus tard dans la journée apparaissent des femmes élégantes. Ici trois d’entre elles, en crinolines et coiffes emplumées, se retrouvent dans d’autres « vues de la fin de l’après-midi ». Notre version est par ailleurs la seule où les ombres projetées sur les Procuratie Vecchie depuis les bâtiments occidentaux de la place sont si basses : elles atteignent la quatorzième baie (depuis l’est) de ce bâtiment alors que dans les autres variantes jusqu’à vingt-quatre de ces baies sont montrées en plein soleil. Guardi était, bien sûr, un génie dans le traitement de l’ombre et de la lumière : il semble qu’il ait ici, de plus, souhaité évoquer l’atmosphère particulière propre à l’hiver ou au tout début du printemps, avec une lumière pure et timide et des rehauts de rose sur les bords de nuages. Une brise légère agite les tentes devant la basilique.
Peu de tableaux expriment mieux les talents de coloriste de Guardi. Les nuances subtiles des costumes sont reprises dans d’autres détails et motifs, qui furent sans aucun doute exécutés au moment même où l’artiste peignait ces costumes. Le rouge assourdi du fonctionnaire vu de dos, au premier plan à gauche, se retrouve sur la casquette de l’homme sur la droite alors que le trait de brun chaud, en haut du campanile, fait écho aux pans restés dans l’ombre de la façade occidentale du palais des Doges. Le ciel a la teinte exacte de la robe d’une femme sur la droite et correspond aussi aux auvents des Procuratie et aux tissus dressés devant les baraques du campanile. Le jaune du fond des mosaïques évoque celui du manteau d’un homme à gauche de cette dame, et est repris sur la soutache du tricorne et la veste de deux hommes plus à droite. On retrouve cette même teinte sur plusieurs petits personnages à côté du campanile. La robe rose de la femme vue de dos, dans l’ombre des Procuratie Nuove, reflète quant à lui celui du nuage à droite du campanile de même que certains détails tout juste esquissés des mosaïques.
Guardi a peint au moins vingt-huit représentations de la place Saint-Marc vue de l’ouest, mais seuls deux de ses tableaux de la maturité ont des dimensions plus imposantes que le nôtre : le premier, une vue prise le matin de 72 par 119 cm., est aujourd’hui conservé à la National Gallery à Londres, le second, de 84 par 128 cm., est dans la collection Hickox (voir Morassi, op. cit, respectivement nos 322 et 326). Morassi, qui admire la tonalité argentée (‘tonalita argentea’) et l’état de conservation exceptionnel (‘ottima conservazione’) date ce tableau des années 1770-80 : une datation vers 1780 ou un peu plus tard parait plausible. Certaines variantes, plus petites, de ce même sujet appartiennent à des séries de quatre tableaux (voir Morassi, op. cit., nos 315, 320 et 321) et six autres furent achetés en paire avec un pendant. Parmi les trois versions les plus importantes, seul le tableau de la collection Hickox eut jadis un pendant. Notre tableau semble en revanche avoir été conçu en œuvre « autonome » n’ayant jamais fait partie d’une paire. Il est proche, tant en date qu’en dimensions, de deux chefs d’œuvre qui au contraire, furent conçus ensemble et le sont encore aujourd’hui : le Palais des doges vu depuis le Bacino et le Bassin de San Giorgio Maggiore, conservés au musée Camondo à Paris (Morassi, nos 394 et 420).
La place Saint-Marc avec la basilique et le campanile appartint, durant la seconde moitié du XIXe siècle, au critique et marchand d’art Léon Gauchez. Ami d’Auguste Rodin et de Camille Claudel, Gauchez fut aussi, sous le pseudonyme de Paul Leroi, le directeur de la revue L’Art qui appartenait au baron Nathaniel de Rothschild. Que ce tableau ait été acheté en 1892, par des amateurs français exigeants, en l’occurrence la famille des propriétaires actuels, ne doit pas être une surprise : il possède toutes les qualités qui correspondent au goût français. De très nombreuses vedute de Guardi, parmi les plus belles et représentant les sites les plus importants –non seulement la place Saint-Marc mais aussi le Rialto, San Giorgio Maggiore ou le Palais des Doges pris depuis le Bacino-, se trouvèrent ainsi en France au XIXe siècle : on peut alors penser que les peintres français de l’époque, et notamment, au sein du groupe impressionniste, Monet lui-même, furent sensibles aux recherches, en terme de lumière et d’atmosphère, de ce peintre qui aima tant la ville où il vécut toute sa vie.


The Piazza San Marco, in the eighteenth century as now the great public space of Venice, is shown looking east towards the façade of the Basilica of San Marco, with to the left the Torre dell’ Orologio and the Procuratie Nuove and to the right the Campanile, the Palazzo Ducale, seen across the Piazzetta, and the Procuratie Vecchie.
As the fall of the shadows in the foreground indicates, the viewpoint is close to the front of the now-demolished church of San Geminiano at the west end of the piazza: afternoon light ignites the façade of the Basilica, catching the colors of the mosaics within the arches and the celebrated golden horses. In Guardi’s several other views of the piazza in morning light (see for example Morassi, nos. 317 and 320-2), this is largely populated by men and children, and no ladies of high fashion are as yet abroad. Here Guardi shows three ladies in crinolines and with plumed headdresses, counterparts of whom are introduced in other pictures showing the piazza by afternoon light. In none of the other published variants of the view does Guardi show the shadow cast on the Procuratie Vecchie by the buildings at the west end of the piazza: here this shadow extends to the fourteenth bay from the east, while in other treatments of the view as many as twenty-four bays (Morassi, nos. 326, 329 and 334) are shown in unobstructed sunlight. Guardi had of course a genius for the manipulation of light and shade, but in this picture he clearly intended to evoke the subtle atmosphere of winter, or early spring, as light begins to drain from the sky and clouds are touched with pink. A gentle breeze has caught the awnings of the five stalls before the Basilica.
Few pictures better express Guardi’s subtlety as a colorist: his palette is restrained and the pale hues of the most prominent costumes are brilliantly echoed in other passages, some of which were no doubt executed at the moment that the painter worked on the figures in question. The restrained red of the official seen from behind to the left of the center foreground is taken up in the cap of a man on the right; while the reddish brown streak high on the campanile is in turn answered by that of the shaded section of the west front of the Ducal Palace. The sky is echoed in the pale blue of the dress of the lady on the right, which in turn is matched in the furled awnings of the Procuratie and one section of the covering of the booth by the campanile; while the yellow of the ground of the mosaics is matched in the coat of the man on her left, in the frogging of the tricorn of a gentleman and the jacket of a man further to the right, as well as in several figures near the campanile. The pink of the lady seen from the back in the shadow of the Procuratie Nuove on the left reflects that of the cloud to the right of the campanile and was also used for a few of the lightly sketched figures in the mosaics.
While Guardi painted at least twenty-eight views of the piazza from the west, only two of his mature period are larger: the earlier morning example in the National Gallery, London (Morassi, no. 322 ; 72 x 119 cm.); and the picture from the Hickox collection, New York (Morassi, no. 326; 84 x 128 cm.). Morassi referred to the silvery tone (‘tonalità argentea’) and exceptional state of preservation (‘ottima conservazione’) of this picture and dated it to 1770-80: a date about 1780 or soon thereafter seems plausible. Some of Guardi’s smaller variants of the subject belonged to sets of four (Morassi, nos. 315, 320 and 321) and six of the others were bought as components of pairs: but, with the exception of the Hickox picture, none of the larger examples had a pendant. This canvas seems clearly to have been intended to be self-suficient: no hypothetical pendant of similar dimensions is recorded. The picture must, however, be closely contemporary with a pair of masterpieces of much the same, for Guardi rather unusual, size (68 x 101 cm.): the Ducal Palace from the Bacino and the Bacino with San Giorgio Maggiore in the Musée Camondo, Paris (Morassi, nos. 394 and 420), which are persuasively dated about 1780 by Morassi.
That the picture is first recorded in the ownership of a French connoisseur is not surprising. It exemplifies the qualities that appealed particularly to French taste. That so many of Guardi’s finest works were in France in the nineteenth century, including numerous variants of key Venetian views - among them not only the Piazza, but also the Ducal Palace from the Bacino, San Giorgio Maggiore and the Rialto - makes one wonder whether French artists of the period, not least Monet, were aware of his practice of subtly reinterpreting the light and atmosphere of his adopted city.

More from Boniface de Castellane & Anna Gould: "A way of life"

View All
View All