TILBURY DEMONTABLE ET SES MALLES DE TRANSPORT
TILBURY DEMONTABLE ET SES MALLES DE TRANSPORT

LIVRES EN 1910 PAR LA MAISON LOUIS VUITTON ET LA MAISON MOREL-GRÜMMER POUR BLANCHE DE CLERMONT-TONNERRE

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TILBURY DEMONTABLE ET SES MALLES DE TRANSPORT
LIVRES EN 1910 PAR LA MAISON LOUIS VUITTON ET LA MAISON MOREL-GRÜMMER POUR BLANCHE DE CLERMONT-TONNERRE
Le tilbury en noyer verni, bois relaqué jaune et noir, les ferrures en métal, muni à l'avant de deux lanternes amovibles en tôle laquée noir signées V. Morel, le tilbury portant une plaquette "MAISON. MOREL M. GRÜMMER FABRIQUE DE VOITURES 26, RUE CAMBACéRèS PARIS", l'assise de la banquette cannée, garnie de cuir vert, l'essieu à graisse, pliable et à fusées démontables, les roues à bandage de fer, les brancards légèrement cintrés, avec trois malles de rangement en toile enduite rouge, baguettes en bois, ferrures en métal laqué noir, les côtés munis de poignées en cordage, les serrures inscrites "[...]1. RUE SCRIBE LOUIS VUITTON [...]", l'intérieur à compartiments et plateaux amovibles, numérotées 147966, 174764, 174765, la plus petite avec la marque V.V 9 ; l'axe des roues raccourci, la capote manquante
Tilbury:
Hauteur : 164 cm. (64½ in.) ; Largeur : 125,5 cm. (49½ in.) ; Profondeur : 277 cm. (109 in.) ; Diamètre des roues : 120 cm. (47¼ in.)
Deux malles:
Hauteur : 57,5 cm. (22¾ in.) ; Largeur : 112 cm. (44 in.) ; Profondeur : 33 cm. (13 in.)
Une malle:
Hauteur : 36,5 cm. (14¼ in.) ; Largeur : 95 cm. (37½ in.) ; Profondeur : 41 cm. (16¼ in.)
Literature
BIBLIOGRAPHIE (TILBURY):
Monelle Hayot "L'invitation au voyage", L'Oeil, no. 382, mai 1987, p. 61.
"L'Objet extraordinaire", Equus International, no. 1, 1988, p. 82. Jean-Louis Libourel, Voitures hippomobiles. Vocabulaire typologique et technique, Editions du Patrimoine, Paris, 2005, p. 180.
Paul-Grard Pasols, Louis Vuitton, Editions de La Martinière, Paris, 2005, p. 470.
Pierre Léonforte et Eric Pujalet-Plaà, 100 malles de légende. Louis Vuitton, Editions de la Martinière, Paris, 2010, pp. 116-119.
Jean-Louis Libourel, "Les voitures et les femmes", La Lettre de l'Association Française d'Attelage, no. 94, mars 2012, p. 7.
Jean-Louis Libourel, "Le donne e le carrozze", Notiziario del Gruppo Italiano Attacchi, 2012, no. 1, p. 15.

BIBLIOGRAPHIE (BLANCHE DE CLERMONT-TONERRE):
Jean Villemer, "Les fêtes persanes de la saison dernière", L'Illustration, no. 3622, 27 juillet 1912, pp. 59-62.
Elisabeth de Gramont, Mémoires. II. Les marronniers en fleurs, Grasset, Paris, 1929.
Gabriel-Louis Pringué, 30 ans de dîners en ville, Lacurne, Paris, 2012, p. 75-77, 216-219.
Exhibited
"Bon Voyage. Designs for Travel", New York, Cooper-Hewitt Museum, 1985, p. 82-83.
"L'invitation au voyage. Autour de la Donation Louis Vuitton", Paris, Musée des Arts décoratifs, 18 mai-30 août 1987 (hors catalogue).
Further details
A COLLAPSIBLE TILBURY AND ITS TRUNKS, BY MAISON LOUIS VUITTON AND MAISON MOREL-GRÛMMER, COMMISSIONNED CIRCA 1910 BY BLANCHE DE CLERMONT-TONNERRE

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Mathilde Fennebresque
Mathilde Fennebresque

Lot Essay


Fruit de la rencontre de deux destins d'exception -une cliente pour le moins excentrique, Blanche de Clermont-Tonnerre- et un génial chef d'entreprise -Georges Vuitton (fils de Louis)- cet exceptionnel tilbury démontable et les malles destinées à son transport ont été réalisés à l'aube du XXe siècle pour une femme au destin singulier, amie de Buffalo Bill et du Shah d'Iran. Il est une des pièces les plus rares et les plus importantes jamais réalisées par les maisons Vuitton et Morel.

Ce tilbury se distingue en tout premier lieu par sa caractéristique primordiale : il se démonte. Cette spécificité apparait comme rarissime et peut-être même unique dans l'histoire des voitures hippomobiles. Elle était essentielle pour sa commanditaire, Marie Louise Blanche de Clermont-Tonnerre (1856-1944). Celle-ci aurait pu mener une vie des plus classiques, comme celle que semblait tracer son mariage, en 1878, avec Raoul Chandon de Briailles (1850-1908), qui dirige la prestigieuse maison de champagne éponyme.

Mais Blanche de Clermont-Tonnerre choisit de sillonner le globe avec une inclinaison toute particulière pour les contrées peu accessibles ou même dangereuses. Il faut dire qu'elle a toujours nourri une fascination pour les aventuriers et les explorateurs. Ainsi, lorsque Buffalo Bill (1846-1917) visite Paris, elle s'entretient régulièrement avec lui et donne même plusieurs diners pour lui.

Sa contemporaine Elisabeth de Gramont l'a bien cernée et la décrit ainsi dans ses Mémoires (cf. Bibliographie) : " Je ne peux pas dire que Blanche de Clermont-Tonnerre voyage, elle habite la planète et elle s'ennuie à Paris dans cette ville où il faut dormir dans des lits, manger à table et lire les journaux au lieu de causer directement avec les rois et les présidents ". Blanche voyage en Inde, en Chine, en Sibérie, en Irak Parmi toutes ces destinations, sa terre de prédilection est sans nul doute la Perse ; Boni de Castellane la surnommera d'ailleurs la Comtesse Persane.

Les contrées qu'explore Blanche de Clermont-Tonnerre sont souvent dépourvues de moyens de transport efficaces, sans même mentionner les routes ou les pistes. Elle résume elle-même les difficultés : " En France vous traversez les rivières sur des ponts, mais en Perse on s'attache une grosse outre sous chaque bras et on se lance dans le courant, qui en tourbillonnant vous jette à l'autre rive ".

Pour simplifier ses déplacements dans ces terres hostiles, elle fait concevoir ce singulier tilbury, dont les caractéristiques sont particulièrement étudiées. Un seul cheval ou autre équidé suffit à le conduire. Très maniable, il est aussi confortable que possible, notamment grâce à sa suspension à ressorts droits. En outre, et c'est là son principal intérêt, il se démonte très facilement ; ses éléments trouvent alors place dans les trois malles et dans deux grandes housses -aujourd'hui manquantes-. Les malles sont dotées non pas des poignées que l'on trouve habituellement sur les malles Vuitton mais de grandes boucles en cordes ; ces dernières permettent aux malles d'être portées au moyen de longues perches. Afin d'être démontable, la structure du tilbury est grandement simplifiée. Pour l'occasion elle a d être totalement revue et réinventée ; malgré son apparente simplicité, elle est d'une vraie technicité.


Le tilbury lui-même est l'uvre de la prestigieuse maison V. Morel. Fondée en 1845, cette dernière est rachetée par Antoine Joseph Grümmer en 1880. Dans son numéro de juillet 1869, Le Cocher français souligne : " Parmi les plus anciennes maisons qui se distinguent le plus dans la carrosserie de luxe, je placerai celle de M. Morel. L'originalité et le bon got des formes tout entières sacrifiées au confortable ont placé cette maison en première ligne ". Les voitures de la maison Morel se caractérisent, comme le rappelle Le Figaro du 24 octobre 1878 par " la pureté irréprochable des formes, la grâce de l'ensemble, et le bon got de la tonalité générale ". On ne s'étonnera donc pas des Grands prix obtenus aux Expositions Universelles de Paris de 1889 et de 1900. En 1910, au moment de la commande de Blanche de Clermont-Tonnerre, la maison Morel est installée rue Cambacérès à Paris et connaît son heure de gloire. Décrite par la presse de l'époque comme " maison de premier ordre ", la maison Morel se concentre sur la production d'attelages d'exception et collabore avec les plus grandes maisons de l'époque à l'exemple d'Hermès pour les cuirs, de Lécluse pour les bronzes et naturellement de Vuitton pour les malles.
Lorsqu'elle réalise cette commande exceptionnelle et singulière pour la fougueuse exploratrice, la maison Vuitton a déjà un demi-siècle d'expérience. Elle avait été créée en 1854 par le malletier Louis Vuitton qui après près de deux décennies chez le layetier-emballeur-malletier Maréchal ouvre son propre atelier non loin de la place Vendôme. En 1892, à la mort de Louis Vuitton, son fils Georges lui succède à la tête de l'entreprise.
Lorsqu'elle exécute cette commande spéciale, la maison Vuitton connaît un développement particulièrement rapide : les ateliers d'Asnières -où ont été réalisées les présentes malles- ont vu leurs effectifs passer de 100 employés en 1910 à 225 en 1914. Les présentes malles sont caractéristiques des malles plates que développe Louis Vuitton et qui remplacent les malles aux couvercles bombés qui avaient jusqu'alors les faveurs des voyageurs. Une des malles présente un habile jeu de plateau coulissant et compartimenté permettant de disposer et protéger les luxueuses lanternes du tilbury.

Le tilbury des maisons Morel et Vuitton donne à Blanche de Clermont-Tonnerre une grande liberté et une grande autonomie pour ses voyages. Il correspond particulièrement bien aux attentes de cette exploratrice atypique, qui n'est vraiment heureuse qu'en avançant sur les pistes mal tracées des déserts. De ses explorations, Blanche de Clermont-Tonnerre rapporte bibelots et souvenirs, parfois quelque peu excentriques. Ainsi, elle revient de Sibérie avec un ours polaire vivant Ce dernier est tellement menaçant et se plaît si peu dans son hôtel particulier que Blanche se résout à en faire cadeau au Jardin des Plantes (Gabriel-Louis Pringué, 30 ans de dîners en ville, Lacurne, Paris, 2012, p. 216).

Si Blanche de Clermont-Tonnerre n'aime rien tant que voyager seule afin de mieux échanger avec la population locale, elle se joint de temps en temps à des amis. Ainsi, elle se rend avec quelques proches en Inde où ils sont reçus chez le maharadjah de Kapurthala. Mais elle se montre plus beaucoup plus téméraire que ses compagnons de voyage. Elisabeth de Gramont rapporte : " Pendant que les amis de la princesse de Broglie jouaient au bride, Blanche tuait des tigres ".

Entre deux voyages en Chine ou en Perse, Blanche de Clermont-Tonnerre est une figure incontournable du Paris mondain. Elle est habillée par Paul Poiret, donne les dîners les plus courus et réside dans un somptueux hôtel particulier, place François Ier, qui avait été construit en 1880. Elle y entasse ses innombrables souvenirs de voyages. Mais le naturel reprend le dessus et comme le rappelle Elisabeth de Gramont, " Vite lassée de ses tapis orientaux et de ses vitrines où sommeillent les objets de Babylone, de Bagdad et de la Perse, Blanche repartait de nouveau pour Téhéran, Chiraz et la province de Lauristan ".

C'est dans son hôtel parisien que le 4 juin 1912, Blanche de Clermont-Tonnerre donne une des fêtes parisiennes mythiques du début du XXème siècle : le Bal de " la Mille et troisième nuit ". Aucune dépense n'est épargnée. La vaste cour de l'hôtel est couverte pour l'occasion et transformée en immense salle palatiale. Les murs disparaissent sous de spectaculaires décors éphémères inspirés de Persépolis que réalise le peintre Charles Amable, élève de William Bouguereau.

La fête se veut encore plus somptueuse que celle donnée quelques semaines auparavant par la marquise de Chabrillan, dans leur hôtel particulier de la rue Christophe Colomb. La fête donnée par Blanche de Clermont-Tonnerre est tout simplement inoubliable. Les réactions sont enthousiastes ; la grande-duchesse Wladimir résume bien l'émerveillement des invités : " J'ai assisté au couronnement de deux empereurs au Kremlin, aux plus belles fêtes de Saint-Petersbourg et d'autres cours, et je n'ai rien vu d'aussi beau ". L'Illustration du 27 juillet 1912 publie un long compte-rendu de la fête qu'illustrent -une nouveauté- des photographies en couleur, uvres des opérateurs de la maison Photo-Couleurs.

Dans ses Mémoires, Gabriel-Louis Pringué évoquera les festivités : " Trois cents invités (), parés des étoffes les plus éclatantes, évoquèrent tout l'Orient fabuleux et féerique en une vision de fantasmagorie quasi irréelle, avec les accessoires vivants : éléphants, chevaux et poneys arabes, tigres en cage, cygnes traînants des nacelles d'argent sur de provisoires rivières, paons gravissant les marches de terrasses enguirlandées de fleurs " (Gabriel-Louis Pringué, op. cit., p. 76). Le plus bel hommage est résumé par l'hebdomadaire Le Cri de Paris qui au lendemain de la fête souligna " Le shah fut ébloui. Il déclara lui-même qu'il n'avait jamais vu en Perse une aussi belle fête persane ".

L'extravagance du bal donné par Blanche de Clermont-Tonnerre démontre bien la richesse de sa personnalité, aussi à l'aise en aventurière dans les déserts perses qu'en figure incontournable de la haute société parisienne.

Le présent tilbury est resté dans la famille de Blanche de Clermont-Tonnerre jusqu'à nos jours. Il a été exposé au musée des Arts décoratifs à Paris en 1987 dans le cadre de l'exposition L'Invitation au voyage, autour de la Donation Louis Vuitton. Il constitue sans nul doute à la fois une des pièces maîtresse de l'Art de voyager et une des uvres les plus importantes et singulières de la maison Louis Vuitton.

Nous remercions MM. Yves Dauger, Jean-Louis Libourel et Patrick Magnaudeix de leur aide pour la rédaction de cette notice.

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