Lot Essay
LE KOTA WILLIAM RUBIN : UNE GENEALOGIE ARISTOCRATIQUE
Pierre Amrouche
A notre époque, si férue de pédigrées, le kota Rubin apparaît comme l’archétype de l’objet historicisé, de par ses propriétaires successifs connus et fameux, et de par les lieux tous autant d’exception où il fut exposé. Le premier heureux possesseur fut Georges de Miré (1890-1965), suivi par Helena Rubinstein (1870-1965), puis par David Lloyd Kreeger (1909-1990), et enfin par William Rubin (1927-2006), tous quatre collectionneurs d’exception ayant marqué leur temps par leurs choix et par leurs actions. De même, trois expositions historiques ont montré le reliquaire kota : l’exposition d’art africain et océanien de la Galerie Pigalle en 1930, African Negro Art à New York en 1935, et enfin l’exceptionnelle exposition de New York 1984 - Le Primitivisme dans l’art du 20e siecle, organisée par William Rubin. En allant plus loin dans les détails qui importent aux collectionneurs et apportent à un objet comme celui-ci un supplément de qualité, notons que le kota a été photographié en 35 à New York par Walker Evans après l’exposition African Negro Art, et qu’il est soclé par Inagaki le prince des socleurs !
Comme c’est le cas pour beaucoup de chefs-d’oeuvre historiques, l’origine première de ce magnifique objet reste un mystère, sa
perfection pourrait presque nous faire croire qu’il est descendu du ciel, envoyé par quelque dieu des arts, qu’il n’est pas d’essence humaine ! En effet, si nous suivons sans problème sa généalogie de 1930 à nos jours, connaissant non seulement l’identité de ceux qui eurent l’honneur de le posséder quelques temps - nous ne sommes que locataires de ces pièces - mais encore connaissant aussi sa valeur vénale à maintes reprises, lors des ventes publiques où il fut cédé par exemple, en revanche antérieurement à Georges de Miré, son premier propriétaire identifié officiel, rien ne nous indique à ce jour où et à qui ce Kota fut acheté. Pas plus que nous ne savons à qui de Miré acheta ses autres pièces gabonaises fameuses ! La seule chose que nous supposons, c’est que de Miré en fit sans doute l’acquisition après 1923, date de l’exposition du Pavillon de Marsan, où il prêta des objets, mais pas de figure de reliquaire kota. En revanche, l’objet est bien présent sous le numéro 186 page 16 du catalogue, prêté à son nom, à l’exposition de la Galerie Pigalle en 1930 où furent réunis tant d’objets majeurs, de Miré en prêtant pour sa part 39 sur 425. Artiste et photographe, cousin du peintre Roger de la Fresnaye, qui fit plusieurs portraits de lui dont l’un est au Metropolitan, il fut sans doute un des collectionneurs de l’époque ayant le goût le plus ferme, orienté sur des pièces de toute première qualité et construites - comme son kota - très loin des pièces esthétisantes d’approche facile. De Miré aimait l’art frontal qui synthétise un style, une culture : l’art fang et l’art kota, par exemple, les deux grands foyers artistiques de l’Afrique Equatoriale.
Ayant fait de mauvaises affaires, il se trouva contraint de vendre sa collection de 112 objets d’art africain en 1931 à Paris par le
commissaire-priseur Alphonse Bellier assisté de Charles Ratton et de Louis Carré comme experts. Le catalogue, luxueux pour l’époque, est préfacé par Georges-Henri Rivière, Sous-Directeur du musée d’Ethnographie du Trocadéro ; dans son introduction il affirme : «… on aura rarement vu à l’Hôtel Drouot, dans le domaine de l’art primitif, autant de beauté digne de tant de science. ». Bien que n’étant pas reproduit au catalogue l’objet, n°57, n’échappa pas à l’oeil avisé d’Helena Rubinstein qui en fit l’acquisition.
Il est inutile de présenter la grande Helena Rubinstein, sa réussite exceptionnelle, surtout pour une femme à cette époque : elle est l’affirmation brillante de son intuition géniale dans tous les domaines sur lesquels elle a porté son regard. Comme femme d’affaire et comme collectionneuse, son approche de la culture est unique. Aidée des conseils avisés du sculpteur Jacob Epstein,
collectionneur encyclopédique, de Charles Ratton, à la fois l’expert et l’antiquaire le plus compétent du 20e siècle et grand collectionneur, et de F.H.Lem qui, lui, constitua l’ensemble des sculptures soudanaises, Helena Rubinstein a réuni une collection
d’art primitif hors norme. La lecture du catalogue de la vente de 1966 réunissant 261 objets chez Parke-Bernet à New York, après son décès, donne le vertige. Le Kota y figure p.160 et 161. Lors de cette vente mémorable, le Kota fut acheté par un couple d’amateurs d’art de Washington, les Kreeger, qui y firent aussi d’autres achats de qualité, les lots 190 et 191, deux masques du Gabon. David Lloyd Kreeger, grand patron de la compagnie d’assurance des fonctionnaires du gouvernement américain Geico, était venu assez tard à la collection, à l’âge de 43 ans. Mais il rattrapa le temps perdu et fit avec son épouse Carmen une collection d’art de plus de 300 pièces, tableaux impressionnistes et modernes, sculptures et art tribal qui furent bientôt réunis dans un superbe bâtiment construit par les architectes Philip Johnson et Richard Foster à Washington, le Kreeger Museum. David Lloyd Kreeger a déclaré : « Je n’ai jamais acheté d’art pour investir, j’ai acheté par passion et j’ai eu de la chance. ». Sa réputation de collectionneur était internationale et sa philanthropie s’est exercée dans de nombreux domaines, tout particulièrement dans la musique ; il a créé en 1980 le Washington Opera dont il fut le premier président ; curieusement les Kreeger ne conservèrent pas le Kota Rubinstein qui était pourtant incontestablement le fleuron de leur ensemble tribal, ils l’échangèrent contre un tableau avec le fameux marchand d’art Richard Feigen. Une preuve, s’il en fallait, que leurs achats reposaient sur des coups de coeur.
Avec William Rubin, qui l’obtient de Richard Feigen vers 1980, le Kota Rubinstein change de patronyme devenant le Kota Rubin. Il achève ainsi son odyssée du XXe siècle, et par quelle apothéose ! William Rubin fut non seulement le grand directeur du Moma de New York sur lequel il exerça son magister intransigeant et visionnaire, il fut encore un collectionneur de peinture et d’art tribal de tout premier plan et le maître d’oeuvre de la plus riche et brillante exposition Le Primitivisme dans l’art du 20e siècle, à New York en 1984. Tous ceux qui eurent le bonheur d’y assister ont gardé un souvenir ébloui de cette grande messe, où l’art du XXe siècle sous toutes ses formes communiait avec l’art tribal enfin sorti du carcan ethnographique ; ce n’était que justice que cet événement ait lieu à New York, ville phare des avant-gardes où déjà en 1914 Alfred Stieglitz et Marius de Zayas avaient donné leur place, avec l’art moderne, aux artistes sauvages.
Si Rubin ne fut pas l’inventeur du Primitivisme comme concept, il en fut certainement l’exégète au plus haut niveau de connaissance et de perspicacité, allant beaucoup plus loin que Robert Goldwater dont l’ouvrage de 1938 Primitivism in Modern
Painting ouvrait la voie sans en achever le parcours. Sans doute, son intérêt pour ce sujet fondamental de l’histoire de l’art du
20e siècle fut initié dès ses premières rencontres avec Picasso et son oeuvre. Ces rencontres qui orientèrent définitivement sa vie lui ouvrirent en même temps le vaste champ de l’art tribal si étroitement lié à toute la créativité des artistes modernes, volens nolens, et tout particulièrement à Picasso. Qui n’a pas vu Les Demoiselles d’Avignon n’a jamais vu d’objet nègre, pourrait-
on dire tant les visages des cinq personnages suffiraient à assoir une recherche en paternité. Rien que par eux-mêmes, ils étayent la théorie primitiviste dont William Rubin fut le maître incontestable. La singularité de William Rubin comme collectionneur d’art tribal réside dans sa recherche approfondie sur les objets, les sources, les significations, les influences voire les confluences. En cela, son approche va bien au-delà des simples, mais respectables, considérations esthétiques et jubilatoires. Ce qui, sauf erreur, fut l’attitude des possesseurs du Kota avant lui.
En devenant le Kota Rubin, cet objet a acquis non seulement un nom prestigieux, mais aussi une pensée et une existence propre, il est capable de se tenir droit devant les grands artistes du siècle dernier, de Matisse à Picasso et à Brancusi. Enfanté par la nuit tropicale, il a été érigé au rang de chef-d’oeuvre de l’art mondial.
Non content d’avoir cette généalogie aristocratique, puisqu’elle se compose des quatre meilleurs collectionneurs de son temps, le Kota Rubin s’est épanoui lors de trois prestigieuses expositions : Exposition d’Art Africain et d’Art Océanie, Galerie Pigalle, en 1930 à Paris, African Negro Art à New York en 1935, et enfin à la somptueuse Le Primitivisme dans l’Art du 20e Siècle,
à New York en 1984.
GALERIE PIGALLE
L’exposition de la galerie Pigalle annonce la future et proche suprématie de Charles Ratton sur son rival dans le domaine des arts primitifs, Paul Guillaume, dont l’intérêt pour les arts sauvages décline. Assisté de Tristan Tzara et Pierre Loeb, Ratton sélectionnera un ensemble de 425 objets, dont 288 africains (Paudrat, 1987, p.163), parmi ceux-ci un grand nombre figure toujours au rang des grands chefs-d’oeuvre de l’art, le Pahouin Derain, la tête Pahouine d’Ascher, le Habbé de Madame Hein ; et bien d’autres encore, non reproduits au catalogue, comme le Kota alors propriété de Georges de Miré. La liste des prêteurs est impressionnante, ils sont 45, dont le Musée d’Ethnographie du Trocadéro. L’introduction au catalogue est révélatrice des changements d’opinion sur les arts primitifs. Elle annonce l’ouverture du corpus de l’art tribal à des régions peu connues des collectionneurs, comme le Cameroun, et des découvertes archéologiques aussi, prévoyant un grand avenir à la recherche de l’histoire des civilisations africaines anciennes. Auparavant, certains affirmaient que le sous-sol de l’Afrique Noire était vide, notre époque sait qu’il n’en est rien, preuves à l’appui. L’Afrique est entrée dans l’histoire depuis des millénaires !
AFRICAN NEGRO ART
La véritable présentation au monde de l’Art Nègre du Kota sera African Negro Art. Et, signe tangible du changement de regard des collectionneurs et conservateurs : lors de cette prestigieuse exposition, il est enfin reproduit au catalogue, faisant partie, comble des honneurs, des happy few photographiés par Walker Evans pour son Portfolio ! Ce mythique Portfolio, étudié avec brio par Virginia-Lee Webb, dans son ouvrage Perfect Documents, Walker Evans And African Art, 1935, publié en 2000 à New York pour l’exposition homonyme au MET. Lors de cette exposition de 1935, la première en son genre dans un grand musée d’art moderne, on montrait enfin au public américain l’art africain comme de l’art - sans plumes, sans tamtam - sans aucun folklore péjoratif, et cela par la volonté expresse d’Alfred Barr (1902-1981) le directeur du Museum of Modern Art de New York, ce que souligne Virginia-Lee Webb dans son ouvrage cité plus haut. Barr chargea Sweeney et Goldwater avec le concours de Charles Ratton de réunir les six cent trois objets de l’exposition provenant des USA et de l’Europe. L’exposition, sur un mode réduit, fut présentée dans différentes villes américaines, son but éducatif était ainsi affirmé. Le Kota fera partie de cette sélection (Webb, 2000, p.25). African Negro Art fut aussi la consécration incontestée de Charles Ratton qui en sera le premier prêteur avec les pièces majeures de son importante Collection ; Paul Guillaume décédé en 1934 d’une péritonite, ce fut son épouse Domenica Guillaume qui envoya 34 objets libellés « The Paul Guillaume Collection » (Paudrat, 1987, p.162, 164) une ultime façon de rappeler la place prépondérante que Guillaume tenait dans ce domaine avant l’arrivée de Ratton.
LE PRIMITIVISME DANS L’ART DU XXe SIECLE
L’exposition organisée par William Rubin terminera le cycle des grandes expositions d’art tribal du XXe siècle, il y exposera preuves à l’appui - les illustrations sont innombrables – le bienfondé de sa théorie primitiviste. Cette magnifique exposition fleuve de 1984 survit de nos jours à travers son imposant catalogue véritable bible sur le sujet. Le Kota y est reproduit page 268
de l’édition française dans l’article intitulé « Picasso », rédigé par Rubin lui-même. Le nombre de contributeurs prestigieux, 19, et les articles et artistes étudiés, font penser que le sujet est épuisé. Cependant, il est possible que l’ouverture d’archives inconnues nous apporte encore aujourd’hui et demain d’autres informations sur l’influence des artistes primitifs sur l’art contemporain passé ou futur. La voie tracée par Rubin est infinie.
LE KOTA WILLIAM RUBIN, UNE ICÔNE DE L’ART AFRICAIN
Louis Perrois
Depuis la fameuse exposition African Negro Art du Museum of Modern Art de New York en 1935, une époque où l’œuvre appartenait déjà à Helena Rubinstein, cette imposante figure de reliquaire Kota est l’une des plus emblématiques expressions de l’art des peuples de l’Afrique équatoriale. Elle a d’ailleurs été exposée et publiée à de nombreuses reprises. Rapportées en Occident par des administrateurs, des missionnaires ou des courtiers en produits tropicaux « coureurs de brousse », ces effigies de bois décorées de plaquettes de cuivre étaient en lien avec le culte des ancêtres familiaux et surmontaient des paniers-reliquaires contenant les reliques des notables des
communautés. On les appelait « mbulungulu » c’est-à-dire « le panier avec une figure ». Chez les Kota du Haut-Ogooué, les termes ngulu, nguru et nyelu signifient la forme ou l’aspect de quelque chose ou de quelqu’un ; tandis que le terme mbulu désigne un panier de vannerie ou parfois de feuilles entrelacées. Au XIXe siècle, il y avait d’innombrables effigies de ce type (de variantes formelles différentes, cf. Perrois, Kota, 2012, p. 54-79) dans les villages de la haute vallée de l’Ogooué et ses alentours, tant au nord vers Okondja et Mékambo, qu’au sud, vers Zanaga, Sibiti et Mossendjo au Congo (cf. Kota 2012 ibid., p. 6).
Le ngulu de William Rubin est particulièrement imposant tant en hauteur, 66 cm, qu’en largeur, 40 cm, et combine, au plan stylistique, un schéma classique des Kota Obamba à coiffe en cimier transverse en croissant et des coques latérales arrondies, avec un visage très stylisé de forme « foliacée » en amande, de relief curviligne en « cupule », dont les seuls détails anatomiques sont un bourrelet longitudinal figurant le nez et des yeux en cabochons cloutés, de facture Kota Shamaye. On comprend qu’une telle composition, plus graphique que sculpturale, ait pu séduire d’emblée les amateurs des avant-gardes occidentales des années 1920.
Cette figure de reliquaire peut être comparée à un ngulu « historique » collecté par Attilio Pecile et Giacomo di Brazza dans le cadre de la « Mission de l’Ouest Africain » dans les années 1880 et conservé ensuite au Musée d’Ethnographie du Trocadéro à Paris (MQB, ref. Inv. 71.1884.37.22, H = 40 cm). On y retrouve notamment un visage de forme « foliacée » à bourrelet axial (mais plus étroit que celui du spécimen de William Rubin), seulement agrémenté d’yeux en relief, traités à même la plaque du visage. D’après les carnets de notes et les croquis d’itinéraires de G. di Brazza, cet objet aurait été trouvé chez les Kota Ndumu (alors appelés « Ondumbo » par les explorateurs) mais non loin de la région des Kota Shamaye de la rive droite du fleuve.
Les Kota Ndumu ont été longtemps les « frères-ennemis » des Obamba de la région de Masuku-Franceville. Les ayant précédés de peu dans une migration nord-sud provenant du bassin de la Sangha au XVIIIe siècle, ces deux peuples se comprennent sans interprète, un indice important de leurs racines communes. D’ailleurs, les Obamba et les Ndumu, de même tradition matrilinéaire, se mariaient fréquemment entre eux. Mais étant trop souvent l’objet de razzias d’esclaves et de vols de bétail de la part de leurs turbulents voisins et parfois beaux-frères, les Ndumu ont toujours été méfiants envers les Obamba. Finalement, c’est Brazza et ses compagnons, qui par des contacts avec les uns et les autres dans toute la zone du Haut-Ogooué (aux confins du Gabon et du Congo actuels) et une politique volontariste d’apaisement intertribal (évidemment favorable aux échanges commerciaux), brisèrent défnitivement l’expansion Mbété-Obamba au Gabon à la fn du XIXe siècle. Leur domination latente sur l’ensemble de la région du Haut-Ogooué depuis plus d’un siècle s’acheva dans une ultime confrontation qui eut lieu près du village de Mamvubu, sur la rive droite de la Passa (région de Masuku-Franceville). On peut comprendre que de ces contacts anciens, des emprunts d’ordre symbolique (et donc peu à peu stylistique) aient pu avoir lieu au cours des siècles et que les effigies ancestrales des uns et des autres en aient gardé des traces tant dans les formes globales que dans le détail des décors.
D’autres figures Kota assez semblables d’aspect à visage « foliacé », en amande ovalisée, ayant appartenu à diverses collections (Guerre, Kamer, Fourquet, Valluet, etc.), constituent une variante stylistique remarquable (cf. Perrois, 1979, Arts du Gabon, pp. 174-175) avec des coiffes plus ou moins amples - certaines en simple tenon vertical et d’autres en croissant transverse à bords rabattus (ancienne collection Pierre Vérité, catalogue juin 2006, n° 198, sans piétement, 43 cm) voire en double croissant (ancienne collection W. Mestach, 61 cm, pendentifs horizontaux brisés). On peut considérer que ce schéma étonnamment stylisé et quasiment abstrait, se situe à la limite des Kota du nord (Mahongwe et surtout Shamaye) et des Kota du sud (Obamba, Wumbu, Ndumu), empruntant aussi bien aux premiers un graphisme épuré à l’extrême quasi « cubiste » (avec un visage en amande), qu’aux seconds, une structure classique, avec la coiffe en croissant et le piétement en losange évidé. Un autre détail, commun à toutes ces effigies, est celui des appendices horizontaux situés à la base de la face, qu’on peut interpréter comme étant des boucles d’oreilles ? Sur le Kota William Rubin, ces appendices sont décorés d’un motif en croisillons et percés à leurs extrémités, ce qui a certainement permis d’y suspendre des chaînettes ou des colliers. Au revers, sans placage de métal, un motif en bas-relief de forme losangique marque l’effigie, en rappel de l’ouverture du piétement. Dans tout le Gabon oriental le losange, décliné soit en motif gravé soit en aplat sculpté, est un rappel symbolique du sexe féminin, source de toute vie. On retrouve ce même signe, traité en frise, dans le décor central du croissant de la coiffe, qui était un sceau d’identification clanique.
Le mbulu-ngulu de William Rubin, dans sa majestueuse stature et la facture si étonnamment abstraite de son visage en amande, témoigne de l’imaginaire sans entrave des initiés Kota, preuve s’il en fallait de la subtile spiritualité de ces peuples de l’Afrique équatoriale, exprimée ici avec tant de maîtrise sculpturale.
Pierre Amrouche
A notre époque, si férue de pédigrées, le kota Rubin apparaît comme l’archétype de l’objet historicisé, de par ses propriétaires successifs connus et fameux, et de par les lieux tous autant d’exception où il fut exposé. Le premier heureux possesseur fut Georges de Miré (1890-1965), suivi par Helena Rubinstein (1870-1965), puis par David Lloyd Kreeger (1909-1990), et enfin par William Rubin (1927-2006), tous quatre collectionneurs d’exception ayant marqué leur temps par leurs choix et par leurs actions. De même, trois expositions historiques ont montré le reliquaire kota : l’exposition d’art africain et océanien de la Galerie Pigalle en 1930, African Negro Art à New York en 1935, et enfin l’exceptionnelle exposition de New York 1984 - Le Primitivisme dans l’art du 20e siecle, organisée par William Rubin. En allant plus loin dans les détails qui importent aux collectionneurs et apportent à un objet comme celui-ci un supplément de qualité, notons que le kota a été photographié en 35 à New York par Walker Evans après l’exposition African Negro Art, et qu’il est soclé par Inagaki le prince des socleurs !
Comme c’est le cas pour beaucoup de chefs-d’oeuvre historiques, l’origine première de ce magnifique objet reste un mystère, sa
perfection pourrait presque nous faire croire qu’il est descendu du ciel, envoyé par quelque dieu des arts, qu’il n’est pas d’essence humaine ! En effet, si nous suivons sans problème sa généalogie de 1930 à nos jours, connaissant non seulement l’identité de ceux qui eurent l’honneur de le posséder quelques temps - nous ne sommes que locataires de ces pièces - mais encore connaissant aussi sa valeur vénale à maintes reprises, lors des ventes publiques où il fut cédé par exemple, en revanche antérieurement à Georges de Miré, son premier propriétaire identifié officiel, rien ne nous indique à ce jour où et à qui ce Kota fut acheté. Pas plus que nous ne savons à qui de Miré acheta ses autres pièces gabonaises fameuses ! La seule chose que nous supposons, c’est que de Miré en fit sans doute l’acquisition après 1923, date de l’exposition du Pavillon de Marsan, où il prêta des objets, mais pas de figure de reliquaire kota. En revanche, l’objet est bien présent sous le numéro 186 page 16 du catalogue, prêté à son nom, à l’exposition de la Galerie Pigalle en 1930 où furent réunis tant d’objets majeurs, de Miré en prêtant pour sa part 39 sur 425. Artiste et photographe, cousin du peintre Roger de la Fresnaye, qui fit plusieurs portraits de lui dont l’un est au Metropolitan, il fut sans doute un des collectionneurs de l’époque ayant le goût le plus ferme, orienté sur des pièces de toute première qualité et construites - comme son kota - très loin des pièces esthétisantes d’approche facile. De Miré aimait l’art frontal qui synthétise un style, une culture : l’art fang et l’art kota, par exemple, les deux grands foyers artistiques de l’Afrique Equatoriale.
Ayant fait de mauvaises affaires, il se trouva contraint de vendre sa collection de 112 objets d’art africain en 1931 à Paris par le
commissaire-priseur Alphonse Bellier assisté de Charles Ratton et de Louis Carré comme experts. Le catalogue, luxueux pour l’époque, est préfacé par Georges-Henri Rivière, Sous-Directeur du musée d’Ethnographie du Trocadéro ; dans son introduction il affirme : «… on aura rarement vu à l’Hôtel Drouot, dans le domaine de l’art primitif, autant de beauté digne de tant de science. ». Bien que n’étant pas reproduit au catalogue l’objet, n°57, n’échappa pas à l’oeil avisé d’Helena Rubinstein qui en fit l’acquisition.
Il est inutile de présenter la grande Helena Rubinstein, sa réussite exceptionnelle, surtout pour une femme à cette époque : elle est l’affirmation brillante de son intuition géniale dans tous les domaines sur lesquels elle a porté son regard. Comme femme d’affaire et comme collectionneuse, son approche de la culture est unique. Aidée des conseils avisés du sculpteur Jacob Epstein,
collectionneur encyclopédique, de Charles Ratton, à la fois l’expert et l’antiquaire le plus compétent du 20e siècle et grand collectionneur, et de F.H.Lem qui, lui, constitua l’ensemble des sculptures soudanaises, Helena Rubinstein a réuni une collection
d’art primitif hors norme. La lecture du catalogue de la vente de 1966 réunissant 261 objets chez Parke-Bernet à New York, après son décès, donne le vertige. Le Kota y figure p.160 et 161. Lors de cette vente mémorable, le Kota fut acheté par un couple d’amateurs d’art de Washington, les Kreeger, qui y firent aussi d’autres achats de qualité, les lots 190 et 191, deux masques du Gabon. David Lloyd Kreeger, grand patron de la compagnie d’assurance des fonctionnaires du gouvernement américain Geico, était venu assez tard à la collection, à l’âge de 43 ans. Mais il rattrapa le temps perdu et fit avec son épouse Carmen une collection d’art de plus de 300 pièces, tableaux impressionnistes et modernes, sculptures et art tribal qui furent bientôt réunis dans un superbe bâtiment construit par les architectes Philip Johnson et Richard Foster à Washington, le Kreeger Museum. David Lloyd Kreeger a déclaré : « Je n’ai jamais acheté d’art pour investir, j’ai acheté par passion et j’ai eu de la chance. ». Sa réputation de collectionneur était internationale et sa philanthropie s’est exercée dans de nombreux domaines, tout particulièrement dans la musique ; il a créé en 1980 le Washington Opera dont il fut le premier président ; curieusement les Kreeger ne conservèrent pas le Kota Rubinstein qui était pourtant incontestablement le fleuron de leur ensemble tribal, ils l’échangèrent contre un tableau avec le fameux marchand d’art Richard Feigen. Une preuve, s’il en fallait, que leurs achats reposaient sur des coups de coeur.
Avec William Rubin, qui l’obtient de Richard Feigen vers 1980, le Kota Rubinstein change de patronyme devenant le Kota Rubin. Il achève ainsi son odyssée du XXe siècle, et par quelle apothéose ! William Rubin fut non seulement le grand directeur du Moma de New York sur lequel il exerça son magister intransigeant et visionnaire, il fut encore un collectionneur de peinture et d’art tribal de tout premier plan et le maître d’oeuvre de la plus riche et brillante exposition Le Primitivisme dans l’art du 20e siècle, à New York en 1984. Tous ceux qui eurent le bonheur d’y assister ont gardé un souvenir ébloui de cette grande messe, où l’art du XXe siècle sous toutes ses formes communiait avec l’art tribal enfin sorti du carcan ethnographique ; ce n’était que justice que cet événement ait lieu à New York, ville phare des avant-gardes où déjà en 1914 Alfred Stieglitz et Marius de Zayas avaient donné leur place, avec l’art moderne, aux artistes sauvages.
Si Rubin ne fut pas l’inventeur du Primitivisme comme concept, il en fut certainement l’exégète au plus haut niveau de connaissance et de perspicacité, allant beaucoup plus loin que Robert Goldwater dont l’ouvrage de 1938 Primitivism in Modern
Painting ouvrait la voie sans en achever le parcours. Sans doute, son intérêt pour ce sujet fondamental de l’histoire de l’art du
20e siècle fut initié dès ses premières rencontres avec Picasso et son oeuvre. Ces rencontres qui orientèrent définitivement sa vie lui ouvrirent en même temps le vaste champ de l’art tribal si étroitement lié à toute la créativité des artistes modernes, volens nolens, et tout particulièrement à Picasso. Qui n’a pas vu Les Demoiselles d’Avignon n’a jamais vu d’objet nègre, pourrait-
on dire tant les visages des cinq personnages suffiraient à assoir une recherche en paternité. Rien que par eux-mêmes, ils étayent la théorie primitiviste dont William Rubin fut le maître incontestable. La singularité de William Rubin comme collectionneur d’art tribal réside dans sa recherche approfondie sur les objets, les sources, les significations, les influences voire les confluences. En cela, son approche va bien au-delà des simples, mais respectables, considérations esthétiques et jubilatoires. Ce qui, sauf erreur, fut l’attitude des possesseurs du Kota avant lui.
En devenant le Kota Rubin, cet objet a acquis non seulement un nom prestigieux, mais aussi une pensée et une existence propre, il est capable de se tenir droit devant les grands artistes du siècle dernier, de Matisse à Picasso et à Brancusi. Enfanté par la nuit tropicale, il a été érigé au rang de chef-d’oeuvre de l’art mondial.
Non content d’avoir cette généalogie aristocratique, puisqu’elle se compose des quatre meilleurs collectionneurs de son temps, le Kota Rubin s’est épanoui lors de trois prestigieuses expositions : Exposition d’Art Africain et d’Art Océanie, Galerie Pigalle, en 1930 à Paris, African Negro Art à New York en 1935, et enfin à la somptueuse Le Primitivisme dans l’Art du 20e Siècle,
à New York en 1984.
GALERIE PIGALLE
L’exposition de la galerie Pigalle annonce la future et proche suprématie de Charles Ratton sur son rival dans le domaine des arts primitifs, Paul Guillaume, dont l’intérêt pour les arts sauvages décline. Assisté de Tristan Tzara et Pierre Loeb, Ratton sélectionnera un ensemble de 425 objets, dont 288 africains (Paudrat, 1987, p.163), parmi ceux-ci un grand nombre figure toujours au rang des grands chefs-d’oeuvre de l’art, le Pahouin Derain, la tête Pahouine d’Ascher, le Habbé de Madame Hein ; et bien d’autres encore, non reproduits au catalogue, comme le Kota alors propriété de Georges de Miré. La liste des prêteurs est impressionnante, ils sont 45, dont le Musée d’Ethnographie du Trocadéro. L’introduction au catalogue est révélatrice des changements d’opinion sur les arts primitifs. Elle annonce l’ouverture du corpus de l’art tribal à des régions peu connues des collectionneurs, comme le Cameroun, et des découvertes archéologiques aussi, prévoyant un grand avenir à la recherche de l’histoire des civilisations africaines anciennes. Auparavant, certains affirmaient que le sous-sol de l’Afrique Noire était vide, notre époque sait qu’il n’en est rien, preuves à l’appui. L’Afrique est entrée dans l’histoire depuis des millénaires !
AFRICAN NEGRO ART
La véritable présentation au monde de l’Art Nègre du Kota sera African Negro Art. Et, signe tangible du changement de regard des collectionneurs et conservateurs : lors de cette prestigieuse exposition, il est enfin reproduit au catalogue, faisant partie, comble des honneurs, des happy few photographiés par Walker Evans pour son Portfolio ! Ce mythique Portfolio, étudié avec brio par Virginia-Lee Webb, dans son ouvrage Perfect Documents, Walker Evans And African Art, 1935, publié en 2000 à New York pour l’exposition homonyme au MET. Lors de cette exposition de 1935, la première en son genre dans un grand musée d’art moderne, on montrait enfin au public américain l’art africain comme de l’art - sans plumes, sans tamtam - sans aucun folklore péjoratif, et cela par la volonté expresse d’Alfred Barr (1902-1981) le directeur du Museum of Modern Art de New York, ce que souligne Virginia-Lee Webb dans son ouvrage cité plus haut. Barr chargea Sweeney et Goldwater avec le concours de Charles Ratton de réunir les six cent trois objets de l’exposition provenant des USA et de l’Europe. L’exposition, sur un mode réduit, fut présentée dans différentes villes américaines, son but éducatif était ainsi affirmé. Le Kota fera partie de cette sélection (Webb, 2000, p.25). African Negro Art fut aussi la consécration incontestée de Charles Ratton qui en sera le premier prêteur avec les pièces majeures de son importante Collection ; Paul Guillaume décédé en 1934 d’une péritonite, ce fut son épouse Domenica Guillaume qui envoya 34 objets libellés « The Paul Guillaume Collection » (Paudrat, 1987, p.162, 164) une ultime façon de rappeler la place prépondérante que Guillaume tenait dans ce domaine avant l’arrivée de Ratton.
LE PRIMITIVISME DANS L’ART DU XXe SIECLE
L’exposition organisée par William Rubin terminera le cycle des grandes expositions d’art tribal du XXe siècle, il y exposera preuves à l’appui - les illustrations sont innombrables – le bienfondé de sa théorie primitiviste. Cette magnifique exposition fleuve de 1984 survit de nos jours à travers son imposant catalogue véritable bible sur le sujet. Le Kota y est reproduit page 268
de l’édition française dans l’article intitulé « Picasso », rédigé par Rubin lui-même. Le nombre de contributeurs prestigieux, 19, et les articles et artistes étudiés, font penser que le sujet est épuisé. Cependant, il est possible que l’ouverture d’archives inconnues nous apporte encore aujourd’hui et demain d’autres informations sur l’influence des artistes primitifs sur l’art contemporain passé ou futur. La voie tracée par Rubin est infinie.
LE KOTA WILLIAM RUBIN, UNE ICÔNE DE L’ART AFRICAIN
Louis Perrois
Depuis la fameuse exposition African Negro Art du Museum of Modern Art de New York en 1935, une époque où l’œuvre appartenait déjà à Helena Rubinstein, cette imposante figure de reliquaire Kota est l’une des plus emblématiques expressions de l’art des peuples de l’Afrique équatoriale. Elle a d’ailleurs été exposée et publiée à de nombreuses reprises. Rapportées en Occident par des administrateurs, des missionnaires ou des courtiers en produits tropicaux « coureurs de brousse », ces effigies de bois décorées de plaquettes de cuivre étaient en lien avec le culte des ancêtres familiaux et surmontaient des paniers-reliquaires contenant les reliques des notables des
communautés. On les appelait « mbulungulu » c’est-à-dire « le panier avec une figure ». Chez les Kota du Haut-Ogooué, les termes ngulu, nguru et nyelu signifient la forme ou l’aspect de quelque chose ou de quelqu’un ; tandis que le terme mbulu désigne un panier de vannerie ou parfois de feuilles entrelacées. Au XIXe siècle, il y avait d’innombrables effigies de ce type (de variantes formelles différentes, cf. Perrois, Kota, 2012, p. 54-79) dans les villages de la haute vallée de l’Ogooué et ses alentours, tant au nord vers Okondja et Mékambo, qu’au sud, vers Zanaga, Sibiti et Mossendjo au Congo (cf. Kota 2012 ibid., p. 6).
Le ngulu de William Rubin est particulièrement imposant tant en hauteur, 66 cm, qu’en largeur, 40 cm, et combine, au plan stylistique, un schéma classique des Kota Obamba à coiffe en cimier transverse en croissant et des coques latérales arrondies, avec un visage très stylisé de forme « foliacée » en amande, de relief curviligne en « cupule », dont les seuls détails anatomiques sont un bourrelet longitudinal figurant le nez et des yeux en cabochons cloutés, de facture Kota Shamaye. On comprend qu’une telle composition, plus graphique que sculpturale, ait pu séduire d’emblée les amateurs des avant-gardes occidentales des années 1920.
Cette figure de reliquaire peut être comparée à un ngulu « historique » collecté par Attilio Pecile et Giacomo di Brazza dans le cadre de la « Mission de l’Ouest Africain » dans les années 1880 et conservé ensuite au Musée d’Ethnographie du Trocadéro à Paris (MQB, ref. Inv. 71.1884.37.22, H = 40 cm). On y retrouve notamment un visage de forme « foliacée » à bourrelet axial (mais plus étroit que celui du spécimen de William Rubin), seulement agrémenté d’yeux en relief, traités à même la plaque du visage. D’après les carnets de notes et les croquis d’itinéraires de G. di Brazza, cet objet aurait été trouvé chez les Kota Ndumu (alors appelés « Ondumbo » par les explorateurs) mais non loin de la région des Kota Shamaye de la rive droite du fleuve.
Les Kota Ndumu ont été longtemps les « frères-ennemis » des Obamba de la région de Masuku-Franceville. Les ayant précédés de peu dans une migration nord-sud provenant du bassin de la Sangha au XVIIIe siècle, ces deux peuples se comprennent sans interprète, un indice important de leurs racines communes. D’ailleurs, les Obamba et les Ndumu, de même tradition matrilinéaire, se mariaient fréquemment entre eux. Mais étant trop souvent l’objet de razzias d’esclaves et de vols de bétail de la part de leurs turbulents voisins et parfois beaux-frères, les Ndumu ont toujours été méfiants envers les Obamba. Finalement, c’est Brazza et ses compagnons, qui par des contacts avec les uns et les autres dans toute la zone du Haut-Ogooué (aux confins du Gabon et du Congo actuels) et une politique volontariste d’apaisement intertribal (évidemment favorable aux échanges commerciaux), brisèrent défnitivement l’expansion Mbété-Obamba au Gabon à la fn du XIXe siècle. Leur domination latente sur l’ensemble de la région du Haut-Ogooué depuis plus d’un siècle s’acheva dans une ultime confrontation qui eut lieu près du village de Mamvubu, sur la rive droite de la Passa (région de Masuku-Franceville). On peut comprendre que de ces contacts anciens, des emprunts d’ordre symbolique (et donc peu à peu stylistique) aient pu avoir lieu au cours des siècles et que les effigies ancestrales des uns et des autres en aient gardé des traces tant dans les formes globales que dans le détail des décors.
D’autres figures Kota assez semblables d’aspect à visage « foliacé », en amande ovalisée, ayant appartenu à diverses collections (Guerre, Kamer, Fourquet, Valluet, etc.), constituent une variante stylistique remarquable (cf. Perrois, 1979, Arts du Gabon, pp. 174-175) avec des coiffes plus ou moins amples - certaines en simple tenon vertical et d’autres en croissant transverse à bords rabattus (ancienne collection Pierre Vérité, catalogue juin 2006, n° 198, sans piétement, 43 cm) voire en double croissant (ancienne collection W. Mestach, 61 cm, pendentifs horizontaux brisés). On peut considérer que ce schéma étonnamment stylisé et quasiment abstrait, se situe à la limite des Kota du nord (Mahongwe et surtout Shamaye) et des Kota du sud (Obamba, Wumbu, Ndumu), empruntant aussi bien aux premiers un graphisme épuré à l’extrême quasi « cubiste » (avec un visage en amande), qu’aux seconds, une structure classique, avec la coiffe en croissant et le piétement en losange évidé. Un autre détail, commun à toutes ces effigies, est celui des appendices horizontaux situés à la base de la face, qu’on peut interpréter comme étant des boucles d’oreilles ? Sur le Kota William Rubin, ces appendices sont décorés d’un motif en croisillons et percés à leurs extrémités, ce qui a certainement permis d’y suspendre des chaînettes ou des colliers. Au revers, sans placage de métal, un motif en bas-relief de forme losangique marque l’effigie, en rappel de l’ouverture du piétement. Dans tout le Gabon oriental le losange, décliné soit en motif gravé soit en aplat sculpté, est un rappel symbolique du sexe féminin, source de toute vie. On retrouve ce même signe, traité en frise, dans le décor central du croissant de la coiffe, qui était un sceau d’identification clanique.
Le mbulu-ngulu de William Rubin, dans sa majestueuse stature et la facture si étonnamment abstraite de son visage en amande, témoigne de l’imaginaire sans entrave des initiés Kota, preuve s’il en fallait de la subtile spiritualité de ces peuples de l’Afrique équatoriale, exprimée ici avec tant de maîtrise sculpturale.