Lot Essay
Le gardien de reliques aux sept visages est la cinquième effigie connue d’une rarissime série. Les sept visages lui confèrent un pouvoir de surveillance tout azimut. L’apparition de cette pièce maîtresse de la statuaire Fang est un véritable événement.
Pour les Fang, les personnages gardant les reliques sont considérés comme étant à la fois des enfants et des hommes âgés. Nombre de sculptures présentent des traits infantiles, identifiés ici par des yeux stylisés, ronds, évoquant leur regard grand ouvert. Dans la pensée fang, les nouveaux-nés sont en outre particulièrement prochaines des ancêtres, l'enfant se séparant progressivement du monde des aïeux en devenant par le rituel (notamment initiatique) et par le temps, un adulte.
Effigie FANG à visages multiples
Par Louis Perrois
Les têtes Fang, añgokh-nlô-byeri
On sait que les Fang de l’Afrique équatoriale (Sud Cameroun, Guinée Equatoriale et Nord Gabon), de religion animiste, pratiquaient autrefois un culte des ancêtres, connu sous le nom de byeri, qui les a conduit à sculpter des représentations symboliques des défunts sous la forme de statuettes de bois (eyema-byeri) mais aussi de têtes seules. Ces têtes de bois sont appelées plus précisément añgokh-nlo-byeri (litt.= « tête entière de l’ancêtre » / par opposition aux fragments de crânes qui sont conservés dans les reliquaires). Celles-ci sont plus rares que les statues en pied et souvent d'une grande qualité de finition. Certaines effigies, le plus souvent de petite taille (# 20 à 30 cm), comportent des visages multiples, disposés en cercle, sous un tenon où était fixé un bouquet de plumes.
Ces sculptures rituelles avaient une double fonction : évoquer visuellement les ancêtres lignagers et « garder » magiquement les reliques humaines conservées dans les coffres cylindriques en écorce cousue dont chaque chef de famille était dépositaire. Les statues étaient exhibées comme des marionnettes lors des rituels d’initiation des jeunes gens (melan).
Les têtes seules añgokh-nlo-byeri, certaines de taille relativement imposante (comme celles conservées au MET de New York ou au MEN de Neuchâtel en Suisse), demeuraient cachées dans la case du chef de lignage. Tout comme les fragments de crânes humains, elles étaient périodiquement enduites d'huile de palme, de sang sacrificiel et de poudre de ba (mélange d'huile et de bois de padouk pulvérisé, cet enduit rouge étant, comme les plumes de perroquet de même couleur, le signe du sacré).
Chez les Ntumu du Nord-Gabon et du Rio Muni, comme chez les Betsi de l’Ogooué, les têtes seules et les statues ont co-existé dès avant le 19ème siècle, lors des déplacements migratoires qui ont mené les Beti-Fang des confins da la Centrafrique jusqu’à la côte atlantique.
On notera que la pratique sculpturale des représentations à plusieurs visages associés (janus ou visages multiples, têtes ou bustes) s’est développée au début du 20ème siècle chez les Fang, avec simultanément des masques-heaumes polychromes de la danse ngontang (« la femme blanche ») dont la fonction était de préserver l’ordre social en identifiant les individus de comportement déviant (au plan coutumier ou religieux – magiciens maléfiques). Il est ainsi possible que ces effigies d’ancêtres à plusieurs visages, souvent de petite taille, aient eu un rôle similaire associant une fonction de protection des reliques familiales à celle de reconnaître les personnes malfaisantes (adeptes de la sorcellerie, porteuses d’évus – principal signe de la magie noire, qu’on ne pouvait retrouver que par les autopsies rituelles).
Une effigie à 7 visages
La sculpture à visages multiples de l’ancienne collection Schindler de New York, est de petite taille, 26 cm, avec un cou cylindrique massif qui a permis au sculpteur de « placer » les visages, côte à côte, en cercle autour de l’axe de la pièce. On connaît quelques spécimens de ce type bien particulier de représentation, dont certains collectés dès les années 20-30, mais ils sont rares.
Les visages sont caractéristiques de la facture épurée des Ntumu, avec un grand front légèrement bombé, une face en cœur se déployant à partir des orbites creuses, selon des joues curvilignes, aboutissant à une bouche stylisée, très étirée vers l’avant. Les yeux sont faits de clous de laiton (certains sont manquants). Le contour des joues et l’axe central du front sont finement gravés d’un motif linéaire. On remarquera la courbure très marquée des joues d’où surgit le nez.
Parmi les spécimens connus, la facture de l’effigie « Schindler » est d’une exceptionnelle qualité de finition qui atteste du talent sûr d'un maître-sculpteur, un ngengang. Pour tailler un tel objet, il fallait être initié, non seulement au maniement des outils, mais aussi à la manipulation des forces occultes que ce travail bien spécial impliquait. Comme ailleurs en Afrique, les notions de « beauté » (dans l’apparence des formes) et de « bonté » (comme qualité morale) étaient étroitement liées. Sculpter l'image d'un mort était en effet un acte rituel en soi.
La patine brunâtre est épaisse et satinée.
Le cou est enfoncé dans une sorte de gaine d’écorce cousue, qui est peut-être ce qui reste d’un reliquaire initial (nsekh-byeri). Au sommet de la sculpture, les coiffes en bonnet s’articulent harmonieusement avec un large tenon vertical percé (cet orifice permettait d’attacher un bouquet de plumes d’aigle ou de touraco).
Compte tenu de sa typologie (représentation à plusieurs visages), de sa morphologie, de son état de conservation et de sa patine, cette effigie fang doit très probablement dater du début du 20ème siècle.
Pour les Fang, les personnages gardant les reliques sont considérés comme étant à la fois des enfants et des hommes âgés. Nombre de sculptures présentent des traits infantiles, identifiés ici par des yeux stylisés, ronds, évoquant leur regard grand ouvert. Dans la pensée fang, les nouveaux-nés sont en outre particulièrement prochaines des ancêtres, l'enfant se séparant progressivement du monde des aïeux en devenant par le rituel (notamment initiatique) et par le temps, un adulte.
Effigie FANG à visages multiples
Par Louis Perrois
Les têtes Fang, añgokh-nlô-byeri
On sait que les Fang de l’Afrique équatoriale (Sud Cameroun, Guinée Equatoriale et Nord Gabon), de religion animiste, pratiquaient autrefois un culte des ancêtres, connu sous le nom de byeri, qui les a conduit à sculpter des représentations symboliques des défunts sous la forme de statuettes de bois (eyema-byeri) mais aussi de têtes seules. Ces têtes de bois sont appelées plus précisément añgokh-nlo-byeri (litt.= « tête entière de l’ancêtre » / par opposition aux fragments de crânes qui sont conservés dans les reliquaires). Celles-ci sont plus rares que les statues en pied et souvent d'une grande qualité de finition. Certaines effigies, le plus souvent de petite taille (# 20 à 30 cm), comportent des visages multiples, disposés en cercle, sous un tenon où était fixé un bouquet de plumes.
Ces sculptures rituelles avaient une double fonction : évoquer visuellement les ancêtres lignagers et « garder » magiquement les reliques humaines conservées dans les coffres cylindriques en écorce cousue dont chaque chef de famille était dépositaire. Les statues étaient exhibées comme des marionnettes lors des rituels d’initiation des jeunes gens (melan).
Les têtes seules añgokh-nlo-byeri, certaines de taille relativement imposante (comme celles conservées au MET de New York ou au MEN de Neuchâtel en Suisse), demeuraient cachées dans la case du chef de lignage. Tout comme les fragments de crânes humains, elles étaient périodiquement enduites d'huile de palme, de sang sacrificiel et de poudre de ba (mélange d'huile et de bois de padouk pulvérisé, cet enduit rouge étant, comme les plumes de perroquet de même couleur, le signe du sacré).
Chez les Ntumu du Nord-Gabon et du Rio Muni, comme chez les Betsi de l’Ogooué, les têtes seules et les statues ont co-existé dès avant le 19ème siècle, lors des déplacements migratoires qui ont mené les Beti-Fang des confins da la Centrafrique jusqu’à la côte atlantique.
On notera que la pratique sculpturale des représentations à plusieurs visages associés (janus ou visages multiples, têtes ou bustes) s’est développée au début du 20ème siècle chez les Fang, avec simultanément des masques-heaumes polychromes de la danse ngontang (« la femme blanche ») dont la fonction était de préserver l’ordre social en identifiant les individus de comportement déviant (au plan coutumier ou religieux – magiciens maléfiques). Il est ainsi possible que ces effigies d’ancêtres à plusieurs visages, souvent de petite taille, aient eu un rôle similaire associant une fonction de protection des reliques familiales à celle de reconnaître les personnes malfaisantes (adeptes de la sorcellerie, porteuses d’évus – principal signe de la magie noire, qu’on ne pouvait retrouver que par les autopsies rituelles).
Une effigie à 7 visages
La sculpture à visages multiples de l’ancienne collection Schindler de New York, est de petite taille, 26 cm, avec un cou cylindrique massif qui a permis au sculpteur de « placer » les visages, côte à côte, en cercle autour de l’axe de la pièce. On connaît quelques spécimens de ce type bien particulier de représentation, dont certains collectés dès les années 20-30, mais ils sont rares.
Les visages sont caractéristiques de la facture épurée des Ntumu, avec un grand front légèrement bombé, une face en cœur se déployant à partir des orbites creuses, selon des joues curvilignes, aboutissant à une bouche stylisée, très étirée vers l’avant. Les yeux sont faits de clous de laiton (certains sont manquants). Le contour des joues et l’axe central du front sont finement gravés d’un motif linéaire. On remarquera la courbure très marquée des joues d’où surgit le nez.
Parmi les spécimens connus, la facture de l’effigie « Schindler » est d’une exceptionnelle qualité de finition qui atteste du talent sûr d'un maître-sculpteur, un ngengang. Pour tailler un tel objet, il fallait être initié, non seulement au maniement des outils, mais aussi à la manipulation des forces occultes que ce travail bien spécial impliquait. Comme ailleurs en Afrique, les notions de « beauté » (dans l’apparence des formes) et de « bonté » (comme qualité morale) étaient étroitement liées. Sculpter l'image d'un mort était en effet un acte rituel en soi.
La patine brunâtre est épaisse et satinée.
Le cou est enfoncé dans une sorte de gaine d’écorce cousue, qui est peut-être ce qui reste d’un reliquaire initial (nsekh-byeri). Au sommet de la sculpture, les coiffes en bonnet s’articulent harmonieusement avec un large tenon vertical percé (cet orifice permettait d’attacher un bouquet de plumes d’aigle ou de touraco).
Compte tenu de sa typologie (représentation à plusieurs visages), de sa morphologie, de son état de conservation et de sa patine, cette effigie fang doit très probablement dater du début du 20ème siècle.