Lot Essay
Cette oeuvre est accompagnée d'un certificat d'authenticité du Comité Nicolas de Staël.
«Ses gris ont été le premier signe d’un univers propre, le ton de son ralliement à lui-même. D’un gris à un autre, il est maître de tous les écarts, de tous les rapports. Si la peinture est avant tout l’expression des rapports de la nature des choses, avec prodigieux gris, n’est-ce pas bien près d’un des buts suprêmes de la peinture ?
Gris royaux, gris sans lacune, gris des chefs-d’œuvre, autant que la substance de cette peinture, son beurre, tous le réel, la fleur, l’essence de ses sensations quotidiennes, sa somptueuse rareté. » (« Voir Nicolas de Staël », Pierre Lecuire, 1953).
1953 fut pour Nicolas de Staël une année magnifiquement féconde, riche en bouleversements d’ordre pictural et en évènements et voyages déterminants dus à son succès grandissant. Suite à l’exposition personnelle à Londres chez Matthiesen Ltd. en 1952, qui a apporté au peintre une notoriété́ pour lui encore inconnue avec des articles élogieux de critiques d’art, et l’entrée de Les Toits (1952) dans la collection du Musée national d’art moderne à Paris, c’est l’exposition new-yorkaise aux Knoedler Galleries en mars 1953, qui confirme sa reconnaissance internationale. Les critiques d’art américains voient en lui l’artiste français le plus doué́ de sa génération. Toutefois, Staël, arrivé à New York pour assister à l’exposition, se sent plutôt rebuté par la vie américaine, il éprouve le besoin de trouver calme et inspiration et se hâte de rentrer en France.
A son retour à Paris, son ami René Char l’incite à redécouvrir la Provence et lui conseille une ancienne magnanerie à louer dans le village de Lagnes, dans les environs d'Avignon. Dans cet espace aux grandes pièces abandonnées, qui deviendra son atelier pour l’été 1953, Staël s’abandonne enfin à la peinture avec toute l’intensité que lui offre ce nouvel environnement. Il trouve lors de ce séjour en Provence un nouveau souffle, un "paradis tout simplement avec des horizons sans limites" (Lettre à Jacques Dubourg, Lagnes, 13 juillet 1953). C’est dans ce cadre inspirant qu’il réalise Paysage au nuage. Dans ses notes, Germain Viatte met l’accent sur l’importance qu’eut ce mois de juillet passé dans la lumière du Midi sur le développement de la vision de l’artiste: «Il peint de nombreux paysages… qui témoignent de recherches variées, lumineuses, avec quelque prédilection, au détriment de la couleur pure, pour les pâtes épaisses nourries de «fonds de pots», reste coagulés de peinture qui diffusent les lueurs d’aube». Ce procédé de « récupération » lui permet d’obtenir des gris colorés parmi les plus subtils qu’un peintre puisse espérer.
Paysage au nuage, dont la palette vibre d’une multitude de nuances de gris, offre une illustration fulgurante de la maîtrise de la couleur de Staël. Ici, la pâte épaisse joue avec des tonalités de fer pommelé, illuminées par le contraste franc d’un bleu pur et d’un jaune clair, et réchauffées par quelques accents vermillon, couleurs qui réapparaîtront seulement un mois plus tard dans les tableaux d’Agrigente. Staël utilise ici principalement le couteau, avec lequel il lisse la matière, de manière plus ou moins soutenue selon l’endroit. Ainsi, le ciel, qu’il veut à la fois léger et dense, est travaillé́ de manière presque uniforme, avec quelques rainures qui laissent supposer une épaisseur et font ressortir des couches sous-jacentes de tonalités plus vives. Le calme du paysage n’est perturbé que par un nuage sombre, dense et menaçant, qui flotte au milieu. Il provoque un choc chromatique chez le spectateur, auquel fait écho le noir du sol rugueux et grumeleux. Staël aime ce noir qui pour lui est une couleur universel, comme l’amour, la vie, la mort.
L’austérité de Paysage au nuage suggère que Staël fait ici une synthèse entre les impressions de la réalité et l’abstraction qui ouvre des voies infinies à son expression. Cela lui permet aussi de donner une dimension atemporelle et métaphysique à cette œuvre. Combinaison de contraires et d’extrêmes, foisonnant, en perpétuelle métamorphose, le nuage est de toute évidence la métaphore même du vivant et a inspiré des nombreux peintres à travers les siècles: de William Turner à Gerhard Richer, en passant par René Magritte, comme l’illustre Les idées claires (1958). Parlant de ses recherches picturales et des sensations qui l’animent, Staël se confie à sa sœur: «J’ai besoin d’élever mes débats à une altitude unique, ne fût-ce que pour les donner en toute humilité, et cela implique beaucoup de familiarité avec tout ce qui se passe dans le ciel, va-et-vient des nuages, ombres, lumière, composition fantastique, toute simple, des éléments» (Lettre à Olga de Staël, 19 août 1951).
“His greys were the first sign of his own universe, setting the tone for his discovery of his own style. From one grey to another, he is the master of all the hues, of all the relationships. If painting is above all the expression of the connection between the nature of things, don’t these prodigious greys bring us closer to one of the supreme goals of painting?
Royal grey, uninterrupted grey, masterpiece grey, as the substance of his painting, its butter, everything that is real, the flower, the essence of his daily experiences, its sumptuous rarity”
(Voir Nicolas de Staël, Pierre Lecuire, 1953).
For Nicolas de Staël, 1953 was a wonderfully fruitful year, rich in pictorial upheavals and decisive events and travels, due to his growing success. Following his one-man show at Matthiesen Ltd, London, in 1952, which brought the painter the fame, until then unfamiliar to him, and laudatory articles by art critics, and the inclusion of Les Toits (1952) in the collection of the Musée national d’art moderne in Paris, it was the exhibition at the Knoedler Galleries, New York, in March 1953 which confirms his international recognition. American art critics describe him as the most gifted French painter of his generation. However, Staël, who came to New York to attend the exhibition, feels repelled by American life and, aspiring for calm and inspiration, hurries back to France.
On his return to Paris, his friend René Clair encourages him to rediscover Provence and recommends renting an old silkworm nursery in the village of Lagnes near Avignon. This space, with its large empty rooms, would become Stael’s studio for the summer of 1953, where he can finally devote himself to painting with all the intensity that this new environment offers to him. During this stay in Provence he feels he can breathe again in this “paradise, simple and with infinite horizons” (letter to Jacques Dubourg, Lagnes, 13 July 1953). It is in this inspiring context that he paints Paysage au nuage [Landscape with cloud]. Germain Viatte’s notes emphasise how decisive this month of July, spent under the light of the South of France, was for the development of the artist’s vision: “he paints numerous landscapes… which bear witness to varied and luminous investigations, with some predilection, to the detriment of pure colour, for thick impasto dredged from the ‘bottoms of pots’, the coagulated remains of paint which emit their dawn-like glow”. In spite of its barbaric side, this “recuperation” process allows him to obtain some of the subtlest greys an artist can hope to achieve.
The palette of Paysage au nuage vibrates with countless shades of grey, thus providing a brilliant illustration of Staël’s mastery of colour. Here, the thick impasto plays with tones of dappled iron, illuminated by the contrasting pure blue and pale yellow and warmed up by a few touches of vermilion, the colours that were to reappear only a month later in Staël’s paintings of Agrigente. Here, Staël principally uses a knife to smooth paint steadily or sporadically, depending on the place to which it is applied. Thus, the sky, which he wanted to look both light and dense, is worked almost uniformly, with a few grooves to suggest thickness, highlighting the underlying layers of more vivid tones. The only thing that disturbs this peaceful scene is a dark cloud, dense and threatening, floating in the middle. He gives the viewer a chromatic shock, echoed by the black colour of the rough and gritty ground. Indeed, Staël liked the black colour a lot, which he believed to be a universal colour, standing for love, life and death.
The austerity of Paysage au nuage suggests that what Staël offers here is a synthesis between the impressions of reality and abstraction, the latter opening infinite ways for expression. It also enables him to give this painting a timeless and metaphysical dimension. As an abundant combination of contraries and extremes, in state of perpetual metamorphosis, clouds are clearly the very metaphor of life and, over the centuries, have inspired a number of painters from William Turner to Gerhard Richter and René Magritte, as illustrated in his Les idées claires (1958). When speaking about his pictorial research and the feelings which inspired him, Staël confessed to his sister: “I need to intensify my arguments, to raise them to unheard-of heights, so as to show them in all their humility, and this implies being very familiar with everything that happens in the sky, the movements of clouds, shadows, light, and quite simply, the fantastic composition of the elements” (Letter to Olga de Staël, 19 August 1951).
«Ses gris ont été le premier signe d’un univers propre, le ton de son ralliement à lui-même. D’un gris à un autre, il est maître de tous les écarts, de tous les rapports. Si la peinture est avant tout l’expression des rapports de la nature des choses, avec prodigieux gris, n’est-ce pas bien près d’un des buts suprêmes de la peinture ?
Gris royaux, gris sans lacune, gris des chefs-d’œuvre, autant que la substance de cette peinture, son beurre, tous le réel, la fleur, l’essence de ses sensations quotidiennes, sa somptueuse rareté. » (« Voir Nicolas de Staël », Pierre Lecuire, 1953).
1953 fut pour Nicolas de Staël une année magnifiquement féconde, riche en bouleversements d’ordre pictural et en évènements et voyages déterminants dus à son succès grandissant. Suite à l’exposition personnelle à Londres chez Matthiesen Ltd. en 1952, qui a apporté au peintre une notoriété́ pour lui encore inconnue avec des articles élogieux de critiques d’art, et l’entrée de Les Toits (1952) dans la collection du Musée national d’art moderne à Paris, c’est l’exposition new-yorkaise aux Knoedler Galleries en mars 1953, qui confirme sa reconnaissance internationale. Les critiques d’art américains voient en lui l’artiste français le plus doué́ de sa génération. Toutefois, Staël, arrivé à New York pour assister à l’exposition, se sent plutôt rebuté par la vie américaine, il éprouve le besoin de trouver calme et inspiration et se hâte de rentrer en France.
A son retour à Paris, son ami René Char l’incite à redécouvrir la Provence et lui conseille une ancienne magnanerie à louer dans le village de Lagnes, dans les environs d'Avignon. Dans cet espace aux grandes pièces abandonnées, qui deviendra son atelier pour l’été 1953, Staël s’abandonne enfin à la peinture avec toute l’intensité que lui offre ce nouvel environnement. Il trouve lors de ce séjour en Provence un nouveau souffle, un "paradis tout simplement avec des horizons sans limites" (Lettre à Jacques Dubourg, Lagnes, 13 juillet 1953). C’est dans ce cadre inspirant qu’il réalise Paysage au nuage. Dans ses notes, Germain Viatte met l’accent sur l’importance qu’eut ce mois de juillet passé dans la lumière du Midi sur le développement de la vision de l’artiste: «Il peint de nombreux paysages… qui témoignent de recherches variées, lumineuses, avec quelque prédilection, au détriment de la couleur pure, pour les pâtes épaisses nourries de «fonds de pots», reste coagulés de peinture qui diffusent les lueurs d’aube». Ce procédé de « récupération » lui permet d’obtenir des gris colorés parmi les plus subtils qu’un peintre puisse espérer.
Paysage au nuage, dont la palette vibre d’une multitude de nuances de gris, offre une illustration fulgurante de la maîtrise de la couleur de Staël. Ici, la pâte épaisse joue avec des tonalités de fer pommelé, illuminées par le contraste franc d’un bleu pur et d’un jaune clair, et réchauffées par quelques accents vermillon, couleurs qui réapparaîtront seulement un mois plus tard dans les tableaux d’Agrigente. Staël utilise ici principalement le couteau, avec lequel il lisse la matière, de manière plus ou moins soutenue selon l’endroit. Ainsi, le ciel, qu’il veut à la fois léger et dense, est travaillé́ de manière presque uniforme, avec quelques rainures qui laissent supposer une épaisseur et font ressortir des couches sous-jacentes de tonalités plus vives. Le calme du paysage n’est perturbé que par un nuage sombre, dense et menaçant, qui flotte au milieu. Il provoque un choc chromatique chez le spectateur, auquel fait écho le noir du sol rugueux et grumeleux. Staël aime ce noir qui pour lui est une couleur universel, comme l’amour, la vie, la mort.
L’austérité de Paysage au nuage suggère que Staël fait ici une synthèse entre les impressions de la réalité et l’abstraction qui ouvre des voies infinies à son expression. Cela lui permet aussi de donner une dimension atemporelle et métaphysique à cette œuvre. Combinaison de contraires et d’extrêmes, foisonnant, en perpétuelle métamorphose, le nuage est de toute évidence la métaphore même du vivant et a inspiré des nombreux peintres à travers les siècles: de William Turner à Gerhard Richer, en passant par René Magritte, comme l’illustre Les idées claires (1958). Parlant de ses recherches picturales et des sensations qui l’animent, Staël se confie à sa sœur: «J’ai besoin d’élever mes débats à une altitude unique, ne fût-ce que pour les donner en toute humilité, et cela implique beaucoup de familiarité avec tout ce qui se passe dans le ciel, va-et-vient des nuages, ombres, lumière, composition fantastique, toute simple, des éléments» (Lettre à Olga de Staël, 19 août 1951).
“His greys were the first sign of his own universe, setting the tone for his discovery of his own style. From one grey to another, he is the master of all the hues, of all the relationships. If painting is above all the expression of the connection between the nature of things, don’t these prodigious greys bring us closer to one of the supreme goals of painting?
Royal grey, uninterrupted grey, masterpiece grey, as the substance of his painting, its butter, everything that is real, the flower, the essence of his daily experiences, its sumptuous rarity”
(Voir Nicolas de Staël, Pierre Lecuire, 1953).
For Nicolas de Staël, 1953 was a wonderfully fruitful year, rich in pictorial upheavals and decisive events and travels, due to his growing success. Following his one-man show at Matthiesen Ltd, London, in 1952, which brought the painter the fame, until then unfamiliar to him, and laudatory articles by art critics, and the inclusion of Les Toits (1952) in the collection of the Musée national d’art moderne in Paris, it was the exhibition at the Knoedler Galleries, New York, in March 1953 which confirms his international recognition. American art critics describe him as the most gifted French painter of his generation. However, Staël, who came to New York to attend the exhibition, feels repelled by American life and, aspiring for calm and inspiration, hurries back to France.
On his return to Paris, his friend René Clair encourages him to rediscover Provence and recommends renting an old silkworm nursery in the village of Lagnes near Avignon. This space, with its large empty rooms, would become Stael’s studio for the summer of 1953, where he can finally devote himself to painting with all the intensity that this new environment offers to him. During this stay in Provence he feels he can breathe again in this “paradise, simple and with infinite horizons” (letter to Jacques Dubourg, Lagnes, 13 July 1953). It is in this inspiring context that he paints Paysage au nuage [Landscape with cloud]. Germain Viatte’s notes emphasise how decisive this month of July, spent under the light of the South of France, was for the development of the artist’s vision: “he paints numerous landscapes… which bear witness to varied and luminous investigations, with some predilection, to the detriment of pure colour, for thick impasto dredged from the ‘bottoms of pots’, the coagulated remains of paint which emit their dawn-like glow”. In spite of its barbaric side, this “recuperation” process allows him to obtain some of the subtlest greys an artist can hope to achieve.
The palette of Paysage au nuage vibrates with countless shades of grey, thus providing a brilliant illustration of Staël’s mastery of colour. Here, the thick impasto plays with tones of dappled iron, illuminated by the contrasting pure blue and pale yellow and warmed up by a few touches of vermilion, the colours that were to reappear only a month later in Staël’s paintings of Agrigente. Here, Staël principally uses a knife to smooth paint steadily or sporadically, depending on the place to which it is applied. Thus, the sky, which he wanted to look both light and dense, is worked almost uniformly, with a few grooves to suggest thickness, highlighting the underlying layers of more vivid tones. The only thing that disturbs this peaceful scene is a dark cloud, dense and threatening, floating in the middle. He gives the viewer a chromatic shock, echoed by the black colour of the rough and gritty ground. Indeed, Staël liked the black colour a lot, which he believed to be a universal colour, standing for love, life and death.
The austerity of Paysage au nuage suggests that what Staël offers here is a synthesis between the impressions of reality and abstraction, the latter opening infinite ways for expression. It also enables him to give this painting a timeless and metaphysical dimension. As an abundant combination of contraries and extremes, in state of perpetual metamorphosis, clouds are clearly the very metaphor of life and, over the centuries, have inspired a number of painters from William Turner to Gerhard Richter and René Magritte, as illustrated in his Les idées claires (1958). When speaking about his pictorial research and the feelings which inspired him, Staël confessed to his sister: “I need to intensify my arguments, to raise them to unheard-of heights, so as to show them in all their humility, and this implies being very familiar with everything that happens in the sky, the movements of clouds, shadows, light, and quite simply, the fantastic composition of the elements” (Letter to Olga de Staël, 19 August 1951).