Lot Essay
Exceptionnelle par sa provenance et par la qualité de sa sculpture, la voyeuse de Madame Elisabeth est un témoin unique d’un goût à la pointe de la mode durant les dernières heures de l’Ancien Régime. La dernière en mains privées est ici présentée.
MADAME ELISABETH, SŒUR DU ROI, ET SON CHÂTEAU DE MONTREUIL
Elisabeth Philippe Marie Hélène de France, dite « Madame Elisabeth », fille du dauphin Louis et petite-fille de Louis XV, nait le 3 mai 1764. 1778 est une date importante pour la jeune princesse, elle marque la fin de son éducation par sa gouvernante, la princesse de Guéméné. Elle « prend sa Maison ». Le choix d’une résidence s’impose. Suite à des revers de fortune en 1782 le prince de Guéméné contraint de vendre son domaine de Montreuil. Louis XVI l’achète en 1783 et l’affecte alors à sa sœur.
C’est en 1772 le prince et la princesse de Guéméné ont fait l’acquisition de parcelles afin de constituer, à quelques centaines de mètres du château de Versailles, un domaine de plaisance. Quatre années plus tard, ils enrichissent la propriété d'une maison en partie du XVIIe siècle qu’ils modifient et agrandissent.
« On arrive à Montreuil (…). Ma sœur, vous êtes ici chez vous. Ce sera votre Trianon. Le Roi, qui se fait un plaisir de vous l'offrir, m'a laissé celui de vous le dire »
Marie-Antoinette à sa belle-sœur, Madame Elisabeth
(in A. de Beauchesne, La vie de Madame Elisabeth, sœur de Louis XVI, vol. 1, Paris, Plon, 1869, p. 218)
En 1783 Madame Elisabeth entre en possession d’une maison entièrement meublée par ses prédécesseurs. La princesse n’y dort pas et a obligation le soir venu de revenir au château de Versailles. A partir de ses 25 ans, Louis XVI l’autorise à y rester tant qu’elle voudra. En prévision de ces changements et également pour remplacer et compléter un ameublement quelque peu désuet et dans un état insatisfaisant, Marc-Antoine Thierry de Ville d’Avray, Intendant général des meubles de la Couronne, décide à la fin de l’année 1788 de confier à l’architecte Jean-Jacques Huvé (1742-1808) la restructuration du château. Il est alors décidé de faire livrer des meubles pour le château et la maison dite détachée. Ces meubles sont assortis aux tapisseries de la manufacture Oberkampf en toiles peintes et toiles de Jouy. Des objets sont livrés par les bronziers Pierre-Philippe Thomire et les Feuchère, par l’horloger Jean-Antoine Lépine, des meubles d’ébénisterie par Guillaume Beneman et Jacques Bircklé. Concernant la menuiserie, deux maîtres, fournisseurs habituels du Garde-Meuble, sont principalement choisis : Jean-Baptiste Boulard et Jean-Baptiste Claude Sené.
Jean-Baptiste Boulard (1725-1789) exécute ainsi plusieurs meubles dont vingt-quatre chaises et huit bergères dans des dimensions précises afin d’accueillir les tapisseries réalisées au point par Madame Elisabeth. Le musée du Louvre conserve une bergère et quatre chaises (musée du Louvre, don de Mademoiselle Lydie Chantrell en 1958, inv. OA 11730, et OA 9980 à 9984). Il réalise également plusieurs chaises avec un autre menuisier, Jean-Baptiste Claude Sené, pour la salle à manger du château. On retrouve ainsi ces chaises à entretoise dispersées entre le musée Carnavalet (ill. P. Verlet, Les meubles français du XVIIIe siècle, Paris, 1982, figs. 139 et 140) et des collections particulières (vente Paris, Palais Galliera, 7 décembre 1976).
JEAN-BAPTISTE CLAUDE SENE, UN MENUISIER REMARQUABLE
Autre célèbre menuisier du Garde-Meuble, Jean-Baptiste Claude Sené (1747-1803) répond donc également à la commande de l’ameublement de Montreuil.
Fils de Claude Ier Sené, il est le plus célèbre d’une dynastie de menuisiers et le plus important créateur, avec Georges Jacob, de sièges durant le règne de Louis XVI. Installé au Gros Chapelet rue de Cléry, il fournit le Garde-Meuble royal à partir de 1785, supplantant progressivement Boulard. Les livraisons royales vont affluer. Le Roi et la Reine lui commandent de nombreux meubles pour leurs résidences : Versailles, Compiègne, Fontainebleau, ou encore Saint-Cloud. Toute la famille royale fait aussi appel à son atelier. On trouve ainsi de nombreuses livraisons pour le comte d’Artois ou des princes du Sang tels que le prince de Condé ou le duc de Penthièvre.
Elaborant à la fois des meubles courants et exceptionnels, ses créations sont toujours d’une qualité irréprochable. Parmi les plus belles livraisons du menuisier, il faut compter l’ensemble réalisé en 1788 pour Marie-Antoinette au palais de Saint-Cloud conservé entre le musée du Louvre, le château de Fontainebleau et le Metropolitan Museum de New York.
Pour Montreuil, plusieurs rares meubles sont conservés. On compte ainsi plusieurs bergères à la Reine, chaises et voyeuses pour le Salon de compagnie (deux bergères sont au musée du Louvre, inv. OA 11164 et 11165 ; une dans l’ancienne collection Cartier, vente Sotheby’s, Monte-Carlo, 25 novembre 1979 ; une chaise au château de Versailles, inv. V 5190). On dénombre aussi, issues de la commande d’avril 1789, deux bergères et six chaises pour le service de Madame Elisabeth et recouvertes, comme les sièges précités de Boulard, d’une tapisserie au point exécutée par la sœur du roi (musée du Louvre, inv. OA 9972 à 9979).
LES VOYEUSES DU SALON TURC, DES CHEFS-D’ŒUVRE DE SCULPTURE
Le développement d’espaces de jeu au sein des intérieurs permet l’émergence de nouvelles formes de meubles au XVIIIe siècle. Des sièges pour spectateurs font leur apparition telle que la voyeuse. Les voyeuses, également appelées voyelles par Lalonde et l’Encyclopédie, apparaissent au début du XVIIIe siècle. Ces chaises ont la particularité d’avoir un dossier muni d’un accoudoir garni parfois nommé « plateau » afin d’observer le jeu en étant assis face au dossier (H. Lefuel, Georges Jacob, Paris, p. 313). Première possibilité, l’assise basse permet de s’y installer à califourchon. Elle peut aussi être plus basse afin de s’y positionner à genoux et révèle alors un usage plutôt féminin. C’est à ce dernier type de siège que correspond notre voyeuse livrée par Sené. En effet, le mémoire de Sené de 1789 spécifie bien une « voyeuse à genouil » et celui du sculpteur Régnier une voyeuse « à genouillère ».
Sont commandée le 4 août 1789 à Sené pour le Salon turc deux sultanes, deux fauteuils « en gondole » et quatre voyeuses. Deux voyeuses « pour être assis » et deux autres « pour être à genouils ». Ce sont finalement quatre voyeuses à genoux qui sont livrées par Sené pour le Salon turc de Madame Elisabeth, très certainement après le départ de la famille royale pour les Tuileries. Celle ici présentée est la dernière en mains privées. En effet, on retrouve l’une des voyeuses dans la collection Moreau-Nélaton avant son legs au musée des Arts décoratifs en 1927, musée où elle se trouve toujours aujourd’hui exposée (inv. 25890). On retrouve les deux autres au sein d’une des collections les plus intéressantes du début du XXe siècle : elles sont acquises par le comte Moïse de Camondo pour intégrer l’écrin que constitue son fabuleux hôtel de la rue de Monceau. Elles sont, comme depuis leur achat par le comte en 1909 au marchand Baudouin, exposées dans le Grand Bureau du rez-de-chaussée haut de son hôtel (inv. CAM 70.1 et 2).
Cette livraison est une œuvre de collaboration argumentant l’organisation parfaite et la répartition des tâches dans les ateliers et au sein des diverses corporations durant l’Ancien Régime. Jean-Baptiste Claude Sené est le menuisier, « maître d’œuvre » de cet ensemble. Il faut lui ajouter le concours d’Alexandre Régnier, un sculpteur que l’on retrouve fréquemment pour les ouvrages de Sené. Il s’agit d’ailleurs de Régnier qui nous donne la meilleure description de ces sièges dans son mémoire du 4 août 1789 :
« N°89 – Quatre voyeuse à double postes au dossier, et festons de perles entrelasséz sur les cottés des pied de derrière et aux face des pied de derriere et aux face des pied de devant, et azuré sur les cotté, avec pied de mouton et fleurons, et des coquilles en gaudron et fleurons au pourtour des sieges, des perles autour des plateaux, et des croissans dans les caze »
Après la sculpture sur bois de hêtre de Régnier est intervenu Louis-François Chatard. Ce dernier peint les bois en blanc verni rechampi gris. Le château de Montreuil est en effet considéré comme une résidence de campagne. Les couleurs sobres s’imposent et l’ameublement conserve une apparente simplicité. Notre exemplaire a conservé cette exceptionnelle polychromie révélant la grande finesse de la sculpture de Régnier. Enfin, le tapissier Claude-François Capin garnit les sièges et les recouvre, d’après l’inventaire révolutionnaire de 1790, de « toile de Jouy dessin de fleurs et Palmiers vers sur fond blanc ». Ce sont ces motifs qui ont été restitués en 2009 sur la couverture de la voyeuse du musée des Arts décoratifs. Le dernier intervenant est un autre tapissier, Nau, qui appose un taffetas d’Angleterre derrière les dossiers et également en festons sous l’assise (d’où les traces de clous, sous les traverses de l’assise de notre modèle). Chaque chaise est revenue à 89 livres 10 sols sans les tissus. Rappelons une chaise à la sculpture très proche mais avec de légères différences ayant fait partie de la collection Lagerfeld (vente Christie’s, Monaco, 28 avril 2000, lot 53).
LES TURQUERIES, TEMOINS D'AMENAGEMENTS A LA POINTE DU GOUT
« L’une des pièces les plus étonnantes du mobilier de Madame Elisabeth devait être assurément son Salon turc »
Pierre Verlet
(in « Chaises voyeuses de Madame Elisabeth à Montreuil », B.S.H.A.F [1737], Paris, 1938)
Madame Elisabeth répond au goût du jour. Elle n’est pas la première à se faire aménager un salon turc. La princesse de Guéméné en avait d’ailleurs un à Montreuil avant elle.
Nôtre voyeuse présente une sculpture particulière comme de double postes, des festons de perles, des coquilles et des croissants. Il fallait ajouter certains éléments aujourd’hui lacunaires tels que les drapés et la couverture à motif de palmier pour donner un aspect qui se voulait évocateur d’un ailleurs. Les pieds en sabre étaient également rares à cette date. Ils semblent avoir été inventé en 1777 par Georges Jacob pour le comte d’Artois au Temple. Il est d’ailleurs intéressant de noter que c’est au comte d’Artois, frère de Madame Elisabeth et de Louis XVI, que l’on doit plusieurs boudoirs turcs. Il s’en fit réaliser un à Versailles en 1776, répondant ainsi à une mode en partie diffusée par les contes orientaux et notamment, la même année, la pièce Mustapha et Zéangir de Sébastien de Chamfort qui racontait la vie de Soliman le Magnifique et les beautés de l’Empire ottoman. Marie-Antoinette reprend l’idée à Versailles puis à Fontainebleau en 1777 sur des plans de son architecte Richard Mique. Artois se fait également aménager entre temps, en 1776, un nouveau boudoir turc pour son Palais du Temple qu’il fait en partie meubler par Georges Jacob et dont les sièges sont conservés au musée du Louvre (inv. OA 9986 à 9992). Artois s’en refait faire un à Versailles en 1781.
Tous ces lieux évoquent un Orient rêvé où turbans, plumes, croissants, boucliers et cassolettes fumantes s’entremêlent avec des boiseries peintes renvoient elles aussi à un Empire inaccessible.
On trouve également un style qui sévit à la fin des années 1780 et dont notre voyeuse se revendique en partie : le goût étrusque. Ce sont les pieds de biche, élément antiquisant, qui nous prouvent à nouveau cette vision toute européenne et rêvée d’un imaginaire, cette fois-ci antique. Des dessins aquarellés de Jean-Démosthène Dugourc (1749-1825) conservés au musée des Arts décoratifs tendent à prouver que le dessinateur aurait donné des modèles pour le boudoir turc de Madame Elisabeth. On y devine, notamment sur un projet de lit de repos, des pieds de biche similaires à ceux sculpté par Sené pour les voyeuses (album Grognard, Dugourc et Meunier, inv. CD 2727). Concernant le goût à l’étrusque, notons que celui-ci se développe en France à la fin du règne de Louis XVI et que les sièges dessinés par Hubert Robert et livrés par Georges Jacob pour la laiterie du château de Rambouillet en 1787 sont une des plus belles illustrations de cette tendance dans les arts décoratifs (musée des châteaux de Versailles et de Trianon, inv. V 888 à 894, T 1771 à 1773, VMB 14347).
DISPERSION DU MOBILIER DU CHÂTEAU DE MONTREUIL
C’est à Montreuil que Madame Elisabeth apprend la montée sur Versailles des foules parisiennes le 5 octobre 1789. Installée aux Tuileries avec la famille royale le lendemain, elle bénéficie d’un appartement, comme la princesse de Lamballe, dans le pavillon de Flore. En octobre 1792 elle s’installe au Temple. Elle est jugée et guillotinée le 10 mai 1794, plus d’un an après son frère.
Les scellés ont été posés le 5 octobre 1792 sur les portes du château de Montreuil. Ils sont levés le 25 février 1794 afin d’organiser la vente aux enchères des meubles. L’ensemble du mobilier du château est vendu aux enchères en 1794, à l’instar de notre voyeuse qui passera de mains en mains jusqu’à ce que les ascendants de la famille actuelle l’achètent durant la première moitié du XXe siècle. Les murs de Montreuil abriteront suite à la Révolution un hôpital militaire puis une manufacture d’horlogerie. Vendu en 1802, le terrain est morcelé et il faut attendre l’action de Salomon Stern en 1879 pour voir l’ensemble se recomposer.
Dernière voyeuse en mains privées issue d’un des ensembles les plus prestigieux de la fin du règne de Louis XVI, notre chaise est un des ultimes chefs-d’œuvre de menuiserie livré pour la famille royale sous l’Ancien Régime.
Exceptional by virtue of its provenance and the outstanding quality of its carving, the voyeuse of Madame Elisabeth illustrates the latest and most innovative fashion in the last few years of the Ancien Régime. It is the last one of four executed for Louis XVI’s sister which remains in private hands.
MADAME ELISABETH, SISTER OF THE KING, AND HER CHÂTEAU DE MONTREUIL
Elisabeth Philippe Marie Hélène de France, dite ‘Madame Elisabeth’, daughter of the dauphin Louis and grand-daughter of Louis XV, was born on 3 May 1764. 1778 was an important year for the young princess, as it marked the end of her tutelage by the princesse de Guéméné, as gouvernante. The choice of a residence for Madame Elizabeth was impending and the estate of Montreuil became the obvious choice. The prince de Guéméné who owned the estate had indeed encountered financial difficulties in 1782 and was forced to sell the property. Louis XVI acquired the estate in 1783 and allocated it to his sister, Madame Elisabeth.
The château de Montreuil was built on several plots acquired in 1772 by the prince and princesse de Guéméné, with a view to build a domaine de plaisance a few hundred meters away from the château de Versailles. Four years later, the couple proceeded to add a house partly dating from the 17th century which they enlarged and refurbished.
« On arrive à Montreuil (…). Ma sœur, vous êtes ici chez vous. Ce sera votre Trianon. Le Roi, qui se fait un plaisir de vous l'offrir, m'a laissé celui de vous le dire »
Marie-Antoinette to her sister-in-law, Madame Elisabeth
(in A. de Beauchesne, La vie de Madame Elisabeth, sœur de Louis XVI, vol. 1, Paris, 1869, p. 218).
In 1783, Madame Elisabeth moved into the château which had been fully furnished by her predecessors. The princess was not allowed to pass the night at the château however, and was required by the King to return to Versailles in the evening. Madame Elizabeth was eventually allowed to stay at the château as she saw fit when she turned twenty-five. In anticipation of her permanent move to the château and the need to complete and renew its furnishings now slightly outdated, Marc-Antoine Thierry de Ville d’Avray, Intendant général des meubles de la Couronne, appointed the architect Jean-Jacques Huvé (1742-1808) at the end of 1788 to refurbish the château.
Furniture and objets d’art were then supplied to furnish the château and the detached house which formed part of the domain. The furniture was carefully chosen and covered with a view to match the painted toiles and toiles de Jouy executed by the Oberkampf Manufacture. Objects were delivered by the bronziers Pierre-Philippe Thomire, the Feuchère family and the clockmaker Jean-Antoine Lépine, whilst furniture was supplied by the ébénistes Guillaume Beneman and Jacques Bircklé, and the menuisiers Jean-Baptiste Boulard and Jean-Baptiste Claude Sené, both fournisseurs to the Garde-Meuble. Jean-Baptiste Boulard (1725-1789) executed many seats for Montreuil amongst which a set of twenty-four chairs and eight bergères of specific dimensions to accommodate tapisseries au point woven by Madame Elisabeth. A bergère and four chairs from the latter set are now in the Musée du Louvre (bequest of Lydie Chantrell en 1958, inv. OA 11730, and OA 9980 to 9984). Boulard also collaborated with the equally celebrated menuisier Jean-Baptiste Claude Sené, for the delivery of several chairs with stretchers for the salle à manger of the château de Montreuil. The latter set is now dispersed between the Musée Carnavalet (ill. P. Verlet, Les meubles français du XVIIIe siècle, Paris, 1982, figs. 139 and 140) and several private collections (Palais Galliera, Paris, 7 December 1976).
JEAN-BAPTISTE CLAUDE SENE, A BRILLIANT MENUISIER
Son of Claude I Sené, Jean-Baptiste (1747-1803) became the most celebrated menuisier of the Sené dynasty and arguably the most creative seat-maker of the reign of Louis XVI, with fellow artist Georges Jacob. His atelier, the ‘Gros Chapelet’ rue de Cléry, supplied seats to the Garde-Meuble from 1785 onwards, progressively supplanting Boulard. With many a Royal commission, the King and Queen resorted to the talented menuisier to furnish the royal residences of Versailles, Compiègne, Fontainebleau, and Saint-Cloud. Not limited to the Sovereign, all members of the Royal family - amongst whom the comte d’Artois or princes du Sang such as the prince de Condé or the duc de Penthièvre - commissioned seats from the foremost menuisier.
Sené produced both meubles courants and exceptional pieces, all of which shared the same impeccable quality of execution. The suite of seat furniture delivered in 1778 to Marie-Antoinette at the palais de Saint-Cloud (now divided between the Musée du Louvre, the château de Fontainebleau and the Metropolitan Museum of Art in New York) undoubtedly ranks amongst Sené’s chefs-d’œuvre. Several outstanding pieces supplied to Madame Elizabeth at Montreuil – such as several bergères à la Reine, chairs and voyeuses executed for the Salon de compagnie - are now also in institutional collections. These include two bergères now in the Musée du Louvre (inv. OA 11164 and 11165); a third bergère formerly in the Collection Cartier, sold Sotheby’s, Monte-Carlo, 25 November 1979; and a chair now at the château de Versailles (inv. V 5190). Two bergères and six chairs delivered to Madame Elisabeth’s château in April 1789 and covered - similarly to the above mentioned seats by Boulard - in a tapisserie au point executed by the King’s sister, are now in the Musée du Louvre (inv. OA 9972 to 9979).
LES VOYEUSES FROM THE SALON TURC : SCULPTURAL CHEFS-D’ŒUVRE
The gradual importance of games in 18th century France and the development of spaces specifically designed to that end, led to the creation of new types of seats and other furniture, amongst which the voyeuse : a seat of a new genre destined for the viewer’s exclusive use. The voyeuses, also called ‘voyelles’ by Lalonde and the authors of the Encyclopédie, first appeared in the early 18th century. Such seats featured a backrest fitted with an armrest, often described as a ‘plateau’, and designed to allow the viewer to observe a game whilst seated facing the chair back (H. Lefuel, Georges Jacob, Paris, p. 313). Two types of voyeuse existed : one with a low seat on which the viewer sat astride, and another with a slightly lower seat on which he or she could kneel, which suggests a more feminine use. The present voyeuse delivered by Sené belongs to the latter type, as evidenced by the menuisier’s records of 1789 which described a ‘voyeuse à genouil’ and by that of the sculpteur Régnier which referred to a voyeuse ‘à genouillère’.
On 4 August 1789, two sultanes, two fauteuils ‘en gondole’ and four voyeuses were commissioned from Sené for the Salon turc : two ‘pour être assis’ and another two ‘pour être à genouils’. Four voyeuses ‘à genoux’ were eventually supplied by Sené for the Salon turc of Madame Elisabeth, most certainly after the Royal family left for the Tuileries. The voyeuse offered here is the last of the four to remain in private hands. One of the four voyeuses was formerly in the collection Moreau-Nélaton until bequeathed to the Musée des Arts décoratifs in 1927 where it remains to this day (inv. 25890). Two further voyeuses now form part of the collections of the Musée Nissim de Camondo, one of the most fascinating collections of the early 20th century. Both voyeuses were acquired by the comte Moïse de Camondo for his sumptuous hôtel rue Monceau in Paris and remain - ever since their acquisition from the marchand Baudouin in 1909 – located in the Grand Bureau of the raised ground floor of his hôtel (inv. CAM 70.1 and 2).
The delivery of these four voyeuses to Madame Elizabeth represents the fruit of a collaboration between several talented craftsmen of varying specialties. It shows the perfect organisation and rigorous allocation of tasks within the different workshops, in accordance with the strict guild regulations of the Ancien Régime. Jean-Baptiste Claude Sené was the ‘maître d’œuvre’ orchestrating the whole ensemble. The second artist involved in the production of these seats was Alexandre Régnier, the sculpteur who carved the four voyeuses discussed here and who described them rather specifically in his records of 4 August 1789 :
‘N°89 – Quatre voyeuse à double postes au dossier, et festons de perles entrelasséz sur les cottés des pied de derrière et aux face des pied de derriere et aux face des pied de devant, et azuré sur les cotté, avec pied de mouton et fleurons, et des coquilles en gaudron et fleurons au pourtour des sieges, des perles autour des plateaux, et des croissans dans les caze’
After Régnier, it was Louis-François Chatard who intervened on such seats by decorating the beautifully-carved timbers with a white varnish ‘rechampi’ in grey. As the château de Montreuil was a countryside residence, sober colours and simpler furnishings were de rigueur. The exceptional original polychromy is still visible on the voyeuse here offered and highlights the extremely fine carving by the sculpteur Régnier. The fourth artist to intervene was the tapissier or upholsterer, in this instance Claude-François Capin. According to the revolutionary inventory drawn up in 1790, Capin covered the seats with a ‘toile de Jouy dessin de fleurs et Palmiers vers sur fond blanc’, motifs which were restituted in 2009 to the cover of the voyeuse now in the Musée des Arts décoratifs.
A further contributor to such elaborate seats was the tapissier Nau who fitted a taffeta from England to the reverse of the backrail, and to the underside of the seat of each of the four chairs [this explains the traces of old tacking to the reverse of the seat of the present chair]. Each of the voyeuses were acquired at a cost of 89 livres and 10 sols which did not include the covering.
It is interesting to note that a related - albeit less ambitious - model, showing minimal variations to the carving, was formerly in the Lagerfeld Collection until sold Christie’s, Monaco, 28 April 2000, lot 53.
‘Les Turqueries’ : furnishings at the forefront of fashion
‘L’une des pièces les plus étonnantes du mobilier de Madame Elisabeth devait être assurément son Salon turc’
Pierre Verlet
(in ‘Chaises voyeuses de Madame Elisabeth à Montreuil’, B.S.H.A.F [1737], Paris, 1938).
Madame Elisabeth was at the forefront of fashion. Although the princesse de Guéméné had previously installed a salon turc at the château de Montreuil, Madame Elizabeth’s salon turc epitomised the nascent goût for the exotic. Distinctively carved with double postes, pearl festoons, shells and crescents, the present voyeuse originally featured additional elements such as draperies and palm tree decorated fabric to the seats. The use of saber legs was similarly quite novel at the time and is thought to have been invented in 1777 by Georges Jacob for the comte d’Artois at the Temple. The latter, brother to Madame Elisabeth and Louis XVI, had commissioned boudoirs turcs for his various residences : for Versailles in 1776, for the Palais du Temple the same year (partly furnished by the menuisier Georges Jacob, the seats now in the Musée du Louvre, inv. OA 9986 to 9992) and again for Versailles in 1781.
The nascent goût for the exotic had been popularised by the then fashionable oriental tales and plays such as Mustapha et Zéangir by Sébastien de Chamfort which recounted the life of Suleiman the Magnificent and the beauties and riches of the Ottoman Empire.
Marie-Antoinette also commissioned boudoirs turcs for her appartements at Versailles and Fontainebleau in 1777, to plans by the architect Richard Mique.
These boudoirs and salons turcs evoke the imaginary Orient where turbans, feathers, crescents, shields and flaming cassolettes mingled with delightfully painted boiseries.
A distinct style - the goût étrusque - flourished in the late 1780s and inspired the voyeuse here offered. The hoof foot motif featured on the present lot illustrates yet again the decisively European taste for the imaginary and a romanticised version of the antique. Watercolours by Jean-Démosthène Dugourc (1749-1825) now in the Musée des Arts décoratifs in Paris, seem to indicate that Dugourc provided drawings for Madame Elisabeth’s boudoir turc. Amongst these designs, features a drawing for a lit de repos with hoof feet closely related to those on the present voyeuse by Sené (album Grognard, Dugourc and Meunier, inv. CD 2727).
The Etruscan style flourished in France at the end of the reign of Louis XVI and the seats designed by Hubert Robert and supplied by Georges Jacob for the laiterie of the château de Rambouillet in 1787 are particularly representative of this fashionable style (Musée des châteaux de Versailles et de Trianon, inv. V 888 to 894, T 1771 to 1773, VMB 14347).
THE DISPERSAL OF THE FURNITURE FROM THE CHÂTEAU DE MONTREUIL
It is from her estate of Montreuil that Madame Elisabeth first heard that Parisian crowds were rushing to Versailles on 5 October 1789. The day after, Madame Elizabeth was moved to the Tuileries, along with the Royal family. Like the princesse de Lamballe, she had her an apartment in the pavillon de Flore. In October 1792, she was moved to the Temple, later sentenced and guillotined on 10 May 1794, more than a year after Louis XVI’s demise.
The château de Montreuil was sealed on 5 October 1792 and re-opened on 25 Feburary 1794 to allow for the public auction of the furniture. The entirety of the collection was sold publicly in 1794, as was the present voyeuse which passed from one collector to another until the ancestors of the current family acquired it in the first half of the 20th century. After the Revolution, the château de Montreuil became a military hospital before being turned into a horological manufacture. The estate was broken up prior to its sale in 1802 and it is only through the intervention of Salomon Stern in 1879 that the various parcels were once again reunited.
The only seat from one of the most celebrated suites of seat furniture from the end of Louis XVI’s reign, which remains in private hands to this day: the present voyeuse is one of the last chefs-d’œuvre of menuiserie supplied to the Royal family under the Ancien Régime.
MADAME ELISABETH, SŒUR DU ROI, ET SON CHÂTEAU DE MONTREUIL
Elisabeth Philippe Marie Hélène de France, dite « Madame Elisabeth », fille du dauphin Louis et petite-fille de Louis XV, nait le 3 mai 1764. 1778 est une date importante pour la jeune princesse, elle marque la fin de son éducation par sa gouvernante, la princesse de Guéméné. Elle « prend sa Maison ». Le choix d’une résidence s’impose. Suite à des revers de fortune en 1782 le prince de Guéméné contraint de vendre son domaine de Montreuil. Louis XVI l’achète en 1783 et l’affecte alors à sa sœur.
C’est en 1772 le prince et la princesse de Guéméné ont fait l’acquisition de parcelles afin de constituer, à quelques centaines de mètres du château de Versailles, un domaine de plaisance. Quatre années plus tard, ils enrichissent la propriété d'une maison en partie du XVIIe siècle qu’ils modifient et agrandissent.
« On arrive à Montreuil (…). Ma sœur, vous êtes ici chez vous. Ce sera votre Trianon. Le Roi, qui se fait un plaisir de vous l'offrir, m'a laissé celui de vous le dire »
Marie-Antoinette à sa belle-sœur, Madame Elisabeth
(in A. de Beauchesne, La vie de Madame Elisabeth, sœur de Louis XVI, vol. 1, Paris, Plon, 1869, p. 218)
En 1783 Madame Elisabeth entre en possession d’une maison entièrement meublée par ses prédécesseurs. La princesse n’y dort pas et a obligation le soir venu de revenir au château de Versailles. A partir de ses 25 ans, Louis XVI l’autorise à y rester tant qu’elle voudra. En prévision de ces changements et également pour remplacer et compléter un ameublement quelque peu désuet et dans un état insatisfaisant, Marc-Antoine Thierry de Ville d’Avray, Intendant général des meubles de la Couronne, décide à la fin de l’année 1788 de confier à l’architecte Jean-Jacques Huvé (1742-1808) la restructuration du château. Il est alors décidé de faire livrer des meubles pour le château et la maison dite détachée. Ces meubles sont assortis aux tapisseries de la manufacture Oberkampf en toiles peintes et toiles de Jouy. Des objets sont livrés par les bronziers Pierre-Philippe Thomire et les Feuchère, par l’horloger Jean-Antoine Lépine, des meubles d’ébénisterie par Guillaume Beneman et Jacques Bircklé. Concernant la menuiserie, deux maîtres, fournisseurs habituels du Garde-Meuble, sont principalement choisis : Jean-Baptiste Boulard et Jean-Baptiste Claude Sené.
Jean-Baptiste Boulard (1725-1789) exécute ainsi plusieurs meubles dont vingt-quatre chaises et huit bergères dans des dimensions précises afin d’accueillir les tapisseries réalisées au point par Madame Elisabeth. Le musée du Louvre conserve une bergère et quatre chaises (musée du Louvre, don de Mademoiselle Lydie Chantrell en 1958, inv. OA 11730, et OA 9980 à 9984). Il réalise également plusieurs chaises avec un autre menuisier, Jean-Baptiste Claude Sené, pour la salle à manger du château. On retrouve ainsi ces chaises à entretoise dispersées entre le musée Carnavalet (ill. P. Verlet, Les meubles français du XVIIIe siècle, Paris, 1982, figs. 139 et 140) et des collections particulières (vente Paris, Palais Galliera, 7 décembre 1976).
JEAN-BAPTISTE CLAUDE SENE, UN MENUISIER REMARQUABLE
Autre célèbre menuisier du Garde-Meuble, Jean-Baptiste Claude Sené (1747-1803) répond donc également à la commande de l’ameublement de Montreuil.
Fils de Claude Ier Sené, il est le plus célèbre d’une dynastie de menuisiers et le plus important créateur, avec Georges Jacob, de sièges durant le règne de Louis XVI. Installé au Gros Chapelet rue de Cléry, il fournit le Garde-Meuble royal à partir de 1785, supplantant progressivement Boulard. Les livraisons royales vont affluer. Le Roi et la Reine lui commandent de nombreux meubles pour leurs résidences : Versailles, Compiègne, Fontainebleau, ou encore Saint-Cloud. Toute la famille royale fait aussi appel à son atelier. On trouve ainsi de nombreuses livraisons pour le comte d’Artois ou des princes du Sang tels que le prince de Condé ou le duc de Penthièvre.
Elaborant à la fois des meubles courants et exceptionnels, ses créations sont toujours d’une qualité irréprochable. Parmi les plus belles livraisons du menuisier, il faut compter l’ensemble réalisé en 1788 pour Marie-Antoinette au palais de Saint-Cloud conservé entre le musée du Louvre, le château de Fontainebleau et le Metropolitan Museum de New York.
Pour Montreuil, plusieurs rares meubles sont conservés. On compte ainsi plusieurs bergères à la Reine, chaises et voyeuses pour le Salon de compagnie (deux bergères sont au musée du Louvre, inv. OA 11164 et 11165 ; une dans l’ancienne collection Cartier, vente Sotheby’s, Monte-Carlo, 25 novembre 1979 ; une chaise au château de Versailles, inv. V 5190). On dénombre aussi, issues de la commande d’avril 1789, deux bergères et six chaises pour le service de Madame Elisabeth et recouvertes, comme les sièges précités de Boulard, d’une tapisserie au point exécutée par la sœur du roi (musée du Louvre, inv. OA 9972 à 9979).
LES VOYEUSES DU SALON TURC, DES CHEFS-D’ŒUVRE DE SCULPTURE
Le développement d’espaces de jeu au sein des intérieurs permet l’émergence de nouvelles formes de meubles au XVIIIe siècle. Des sièges pour spectateurs font leur apparition telle que la voyeuse. Les voyeuses, également appelées voyelles par Lalonde et l’Encyclopédie, apparaissent au début du XVIIIe siècle. Ces chaises ont la particularité d’avoir un dossier muni d’un accoudoir garni parfois nommé « plateau » afin d’observer le jeu en étant assis face au dossier (H. Lefuel, Georges Jacob, Paris, p. 313). Première possibilité, l’assise basse permet de s’y installer à califourchon. Elle peut aussi être plus basse afin de s’y positionner à genoux et révèle alors un usage plutôt féminin. C’est à ce dernier type de siège que correspond notre voyeuse livrée par Sené. En effet, le mémoire de Sené de 1789 spécifie bien une « voyeuse à genouil » et celui du sculpteur Régnier une voyeuse « à genouillère ».
Sont commandée le 4 août 1789 à Sené pour le Salon turc deux sultanes, deux fauteuils « en gondole » et quatre voyeuses. Deux voyeuses « pour être assis » et deux autres « pour être à genouils ». Ce sont finalement quatre voyeuses à genoux qui sont livrées par Sené pour le Salon turc de Madame Elisabeth, très certainement après le départ de la famille royale pour les Tuileries. Celle ici présentée est la dernière en mains privées. En effet, on retrouve l’une des voyeuses dans la collection Moreau-Nélaton avant son legs au musée des Arts décoratifs en 1927, musée où elle se trouve toujours aujourd’hui exposée (inv. 25890). On retrouve les deux autres au sein d’une des collections les plus intéressantes du début du XXe siècle : elles sont acquises par le comte Moïse de Camondo pour intégrer l’écrin que constitue son fabuleux hôtel de la rue de Monceau. Elles sont, comme depuis leur achat par le comte en 1909 au marchand Baudouin, exposées dans le Grand Bureau du rez-de-chaussée haut de son hôtel (inv. CAM 70.1 et 2).
Cette livraison est une œuvre de collaboration argumentant l’organisation parfaite et la répartition des tâches dans les ateliers et au sein des diverses corporations durant l’Ancien Régime. Jean-Baptiste Claude Sené est le menuisier, « maître d’œuvre » de cet ensemble. Il faut lui ajouter le concours d’Alexandre Régnier, un sculpteur que l’on retrouve fréquemment pour les ouvrages de Sené. Il s’agit d’ailleurs de Régnier qui nous donne la meilleure description de ces sièges dans son mémoire du 4 août 1789 :
« N°89 – Quatre voyeuse à double postes au dossier, et festons de perles entrelasséz sur les cottés des pied de derrière et aux face des pied de derriere et aux face des pied de devant, et azuré sur les cotté, avec pied de mouton et fleurons, et des coquilles en gaudron et fleurons au pourtour des sieges, des perles autour des plateaux, et des croissans dans les caze »
Après la sculpture sur bois de hêtre de Régnier est intervenu Louis-François Chatard. Ce dernier peint les bois en blanc verni rechampi gris. Le château de Montreuil est en effet considéré comme une résidence de campagne. Les couleurs sobres s’imposent et l’ameublement conserve une apparente simplicité. Notre exemplaire a conservé cette exceptionnelle polychromie révélant la grande finesse de la sculpture de Régnier. Enfin, le tapissier Claude-François Capin garnit les sièges et les recouvre, d’après l’inventaire révolutionnaire de 1790, de « toile de Jouy dessin de fleurs et Palmiers vers sur fond blanc ». Ce sont ces motifs qui ont été restitués en 2009 sur la couverture de la voyeuse du musée des Arts décoratifs. Le dernier intervenant est un autre tapissier, Nau, qui appose un taffetas d’Angleterre derrière les dossiers et également en festons sous l’assise (d’où les traces de clous, sous les traverses de l’assise de notre modèle). Chaque chaise est revenue à 89 livres 10 sols sans les tissus. Rappelons une chaise à la sculpture très proche mais avec de légères différences ayant fait partie de la collection Lagerfeld (vente Christie’s, Monaco, 28 avril 2000, lot 53).
LES TURQUERIES, TEMOINS D'AMENAGEMENTS A LA POINTE DU GOUT
« L’une des pièces les plus étonnantes du mobilier de Madame Elisabeth devait être assurément son Salon turc »
Pierre Verlet
(in « Chaises voyeuses de Madame Elisabeth à Montreuil », B.S.H.A.F [1737], Paris, 1938)
Madame Elisabeth répond au goût du jour. Elle n’est pas la première à se faire aménager un salon turc. La princesse de Guéméné en avait d’ailleurs un à Montreuil avant elle.
Nôtre voyeuse présente une sculpture particulière comme de double postes, des festons de perles, des coquilles et des croissants. Il fallait ajouter certains éléments aujourd’hui lacunaires tels que les drapés et la couverture à motif de palmier pour donner un aspect qui se voulait évocateur d’un ailleurs. Les pieds en sabre étaient également rares à cette date. Ils semblent avoir été inventé en 1777 par Georges Jacob pour le comte d’Artois au Temple. Il est d’ailleurs intéressant de noter que c’est au comte d’Artois, frère de Madame Elisabeth et de Louis XVI, que l’on doit plusieurs boudoirs turcs. Il s’en fit réaliser un à Versailles en 1776, répondant ainsi à une mode en partie diffusée par les contes orientaux et notamment, la même année, la pièce Mustapha et Zéangir de Sébastien de Chamfort qui racontait la vie de Soliman le Magnifique et les beautés de l’Empire ottoman. Marie-Antoinette reprend l’idée à Versailles puis à Fontainebleau en 1777 sur des plans de son architecte Richard Mique. Artois se fait également aménager entre temps, en 1776, un nouveau boudoir turc pour son Palais du Temple qu’il fait en partie meubler par Georges Jacob et dont les sièges sont conservés au musée du Louvre (inv. OA 9986 à 9992). Artois s’en refait faire un à Versailles en 1781.
Tous ces lieux évoquent un Orient rêvé où turbans, plumes, croissants, boucliers et cassolettes fumantes s’entremêlent avec des boiseries peintes renvoient elles aussi à un Empire inaccessible.
On trouve également un style qui sévit à la fin des années 1780 et dont notre voyeuse se revendique en partie : le goût étrusque. Ce sont les pieds de biche, élément antiquisant, qui nous prouvent à nouveau cette vision toute européenne et rêvée d’un imaginaire, cette fois-ci antique. Des dessins aquarellés de Jean-Démosthène Dugourc (1749-1825) conservés au musée des Arts décoratifs tendent à prouver que le dessinateur aurait donné des modèles pour le boudoir turc de Madame Elisabeth. On y devine, notamment sur un projet de lit de repos, des pieds de biche similaires à ceux sculpté par Sené pour les voyeuses (album Grognard, Dugourc et Meunier, inv. CD 2727). Concernant le goût à l’étrusque, notons que celui-ci se développe en France à la fin du règne de Louis XVI et que les sièges dessinés par Hubert Robert et livrés par Georges Jacob pour la laiterie du château de Rambouillet en 1787 sont une des plus belles illustrations de cette tendance dans les arts décoratifs (musée des châteaux de Versailles et de Trianon, inv. V 888 à 894, T 1771 à 1773, VMB 14347).
DISPERSION DU MOBILIER DU CHÂTEAU DE MONTREUIL
C’est à Montreuil que Madame Elisabeth apprend la montée sur Versailles des foules parisiennes le 5 octobre 1789. Installée aux Tuileries avec la famille royale le lendemain, elle bénéficie d’un appartement, comme la princesse de Lamballe, dans le pavillon de Flore. En octobre 1792 elle s’installe au Temple. Elle est jugée et guillotinée le 10 mai 1794, plus d’un an après son frère.
Les scellés ont été posés le 5 octobre 1792 sur les portes du château de Montreuil. Ils sont levés le 25 février 1794 afin d’organiser la vente aux enchères des meubles. L’ensemble du mobilier du château est vendu aux enchères en 1794, à l’instar de notre voyeuse qui passera de mains en mains jusqu’à ce que les ascendants de la famille actuelle l’achètent durant la première moitié du XXe siècle. Les murs de Montreuil abriteront suite à la Révolution un hôpital militaire puis une manufacture d’horlogerie. Vendu en 1802, le terrain est morcelé et il faut attendre l’action de Salomon Stern en 1879 pour voir l’ensemble se recomposer.
Dernière voyeuse en mains privées issue d’un des ensembles les plus prestigieux de la fin du règne de Louis XVI, notre chaise est un des ultimes chefs-d’œuvre de menuiserie livré pour la famille royale sous l’Ancien Régime.
Exceptional by virtue of its provenance and the outstanding quality of its carving, the voyeuse of Madame Elisabeth illustrates the latest and most innovative fashion in the last few years of the Ancien Régime. It is the last one of four executed for Louis XVI’s sister which remains in private hands.
MADAME ELISABETH, SISTER OF THE KING, AND HER CHÂTEAU DE MONTREUIL
Elisabeth Philippe Marie Hélène de France, dite ‘Madame Elisabeth’, daughter of the dauphin Louis and grand-daughter of Louis XV, was born on 3 May 1764. 1778 was an important year for the young princess, as it marked the end of her tutelage by the princesse de Guéméné, as gouvernante. The choice of a residence for Madame Elizabeth was impending and the estate of Montreuil became the obvious choice. The prince de Guéméné who owned the estate had indeed encountered financial difficulties in 1782 and was forced to sell the property. Louis XVI acquired the estate in 1783 and allocated it to his sister, Madame Elisabeth.
The château de Montreuil was built on several plots acquired in 1772 by the prince and princesse de Guéméné, with a view to build a domaine de plaisance a few hundred meters away from the château de Versailles. Four years later, the couple proceeded to add a house partly dating from the 17th century which they enlarged and refurbished.
« On arrive à Montreuil (…). Ma sœur, vous êtes ici chez vous. Ce sera votre Trianon. Le Roi, qui se fait un plaisir de vous l'offrir, m'a laissé celui de vous le dire »
Marie-Antoinette to her sister-in-law, Madame Elisabeth
(in A. de Beauchesne, La vie de Madame Elisabeth, sœur de Louis XVI, vol. 1, Paris, 1869, p. 218).
In 1783, Madame Elisabeth moved into the château which had been fully furnished by her predecessors. The princess was not allowed to pass the night at the château however, and was required by the King to return to Versailles in the evening. Madame Elizabeth was eventually allowed to stay at the château as she saw fit when she turned twenty-five. In anticipation of her permanent move to the château and the need to complete and renew its furnishings now slightly outdated, Marc-Antoine Thierry de Ville d’Avray, Intendant général des meubles de la Couronne, appointed the architect Jean-Jacques Huvé (1742-1808) at the end of 1788 to refurbish the château.
Furniture and objets d’art were then supplied to furnish the château and the detached house which formed part of the domain. The furniture was carefully chosen and covered with a view to match the painted toiles and toiles de Jouy executed by the Oberkampf Manufacture. Objects were delivered by the bronziers Pierre-Philippe Thomire, the Feuchère family and the clockmaker Jean-Antoine Lépine, whilst furniture was supplied by the ébénistes Guillaume Beneman and Jacques Bircklé, and the menuisiers Jean-Baptiste Boulard and Jean-Baptiste Claude Sené, both fournisseurs to the Garde-Meuble. Jean-Baptiste Boulard (1725-1789) executed many seats for Montreuil amongst which a set of twenty-four chairs and eight bergères of specific dimensions to accommodate tapisseries au point woven by Madame Elisabeth. A bergère and four chairs from the latter set are now in the Musée du Louvre (bequest of Lydie Chantrell en 1958, inv. OA 11730, and OA 9980 to 9984). Boulard also collaborated with the equally celebrated menuisier Jean-Baptiste Claude Sené, for the delivery of several chairs with stretchers for the salle à manger of the château de Montreuil. The latter set is now dispersed between the Musée Carnavalet (ill. P. Verlet, Les meubles français du XVIIIe siècle, Paris, 1982, figs. 139 and 140) and several private collections (Palais Galliera, Paris, 7 December 1976).
JEAN-BAPTISTE CLAUDE SENE, A BRILLIANT MENUISIER
Son of Claude I Sené, Jean-Baptiste (1747-1803) became the most celebrated menuisier of the Sené dynasty and arguably the most creative seat-maker of the reign of Louis XVI, with fellow artist Georges Jacob. His atelier, the ‘Gros Chapelet’ rue de Cléry, supplied seats to the Garde-Meuble from 1785 onwards, progressively supplanting Boulard. With many a Royal commission, the King and Queen resorted to the talented menuisier to furnish the royal residences of Versailles, Compiègne, Fontainebleau, and Saint-Cloud. Not limited to the Sovereign, all members of the Royal family - amongst whom the comte d’Artois or princes du Sang such as the prince de Condé or the duc de Penthièvre - commissioned seats from the foremost menuisier.
Sené produced both meubles courants and exceptional pieces, all of which shared the same impeccable quality of execution. The suite of seat furniture delivered in 1778 to Marie-Antoinette at the palais de Saint-Cloud (now divided between the Musée du Louvre, the château de Fontainebleau and the Metropolitan Museum of Art in New York) undoubtedly ranks amongst Sené’s chefs-d’œuvre. Several outstanding pieces supplied to Madame Elizabeth at Montreuil – such as several bergères à la Reine, chairs and voyeuses executed for the Salon de compagnie - are now also in institutional collections. These include two bergères now in the Musée du Louvre (inv. OA 11164 and 11165); a third bergère formerly in the Collection Cartier, sold Sotheby’s, Monte-Carlo, 25 November 1979; and a chair now at the château de Versailles (inv. V 5190). Two bergères and six chairs delivered to Madame Elisabeth’s château in April 1789 and covered - similarly to the above mentioned seats by Boulard - in a tapisserie au point executed by the King’s sister, are now in the Musée du Louvre (inv. OA 9972 to 9979).
LES VOYEUSES FROM THE SALON TURC : SCULPTURAL CHEFS-D’ŒUVRE
The gradual importance of games in 18th century France and the development of spaces specifically designed to that end, led to the creation of new types of seats and other furniture, amongst which the voyeuse : a seat of a new genre destined for the viewer’s exclusive use. The voyeuses, also called ‘voyelles’ by Lalonde and the authors of the Encyclopédie, first appeared in the early 18th century. Such seats featured a backrest fitted with an armrest, often described as a ‘plateau’, and designed to allow the viewer to observe a game whilst seated facing the chair back (H. Lefuel, Georges Jacob, Paris, p. 313). Two types of voyeuse existed : one with a low seat on which the viewer sat astride, and another with a slightly lower seat on which he or she could kneel, which suggests a more feminine use. The present voyeuse delivered by Sené belongs to the latter type, as evidenced by the menuisier’s records of 1789 which described a ‘voyeuse à genouil’ and by that of the sculpteur Régnier which referred to a voyeuse ‘à genouillère’.
On 4 August 1789, two sultanes, two fauteuils ‘en gondole’ and four voyeuses were commissioned from Sené for the Salon turc : two ‘pour être assis’ and another two ‘pour être à genouils’. Four voyeuses ‘à genoux’ were eventually supplied by Sené for the Salon turc of Madame Elisabeth, most certainly after the Royal family left for the Tuileries. The voyeuse offered here is the last of the four to remain in private hands. One of the four voyeuses was formerly in the collection Moreau-Nélaton until bequeathed to the Musée des Arts décoratifs in 1927 where it remains to this day (inv. 25890). Two further voyeuses now form part of the collections of the Musée Nissim de Camondo, one of the most fascinating collections of the early 20th century. Both voyeuses were acquired by the comte Moïse de Camondo for his sumptuous hôtel rue Monceau in Paris and remain - ever since their acquisition from the marchand Baudouin in 1909 – located in the Grand Bureau of the raised ground floor of his hôtel (inv. CAM 70.1 and 2).
The delivery of these four voyeuses to Madame Elizabeth represents the fruit of a collaboration between several talented craftsmen of varying specialties. It shows the perfect organisation and rigorous allocation of tasks within the different workshops, in accordance with the strict guild regulations of the Ancien Régime. Jean-Baptiste Claude Sené was the ‘maître d’œuvre’ orchestrating the whole ensemble. The second artist involved in the production of these seats was Alexandre Régnier, the sculpteur who carved the four voyeuses discussed here and who described them rather specifically in his records of 4 August 1789 :
‘N°89 – Quatre voyeuse à double postes au dossier, et festons de perles entrelasséz sur les cottés des pied de derrière et aux face des pied de derriere et aux face des pied de devant, et azuré sur les cotté, avec pied de mouton et fleurons, et des coquilles en gaudron et fleurons au pourtour des sieges, des perles autour des plateaux, et des croissans dans les caze’
After Régnier, it was Louis-François Chatard who intervened on such seats by decorating the beautifully-carved timbers with a white varnish ‘rechampi’ in grey. As the château de Montreuil was a countryside residence, sober colours and simpler furnishings were de rigueur. The exceptional original polychromy is still visible on the voyeuse here offered and highlights the extremely fine carving by the sculpteur Régnier. The fourth artist to intervene was the tapissier or upholsterer, in this instance Claude-François Capin. According to the revolutionary inventory drawn up in 1790, Capin covered the seats with a ‘toile de Jouy dessin de fleurs et Palmiers vers sur fond blanc’, motifs which were restituted in 2009 to the cover of the voyeuse now in the Musée des Arts décoratifs.
A further contributor to such elaborate seats was the tapissier Nau who fitted a taffeta from England to the reverse of the backrail, and to the underside of the seat of each of the four chairs [this explains the traces of old tacking to the reverse of the seat of the present chair]. Each of the voyeuses were acquired at a cost of 89 livres and 10 sols which did not include the covering.
It is interesting to note that a related - albeit less ambitious - model, showing minimal variations to the carving, was formerly in the Lagerfeld Collection until sold Christie’s, Monaco, 28 April 2000, lot 53.
‘Les Turqueries’ : furnishings at the forefront of fashion
‘L’une des pièces les plus étonnantes du mobilier de Madame Elisabeth devait être assurément son Salon turc’
Pierre Verlet
(in ‘Chaises voyeuses de Madame Elisabeth à Montreuil’, B.S.H.A.F [1737], Paris, 1938).
Madame Elisabeth was at the forefront of fashion. Although the princesse de Guéméné had previously installed a salon turc at the château de Montreuil, Madame Elizabeth’s salon turc epitomised the nascent goût for the exotic. Distinctively carved with double postes, pearl festoons, shells and crescents, the present voyeuse originally featured additional elements such as draperies and palm tree decorated fabric to the seats. The use of saber legs was similarly quite novel at the time and is thought to have been invented in 1777 by Georges Jacob for the comte d’Artois at the Temple. The latter, brother to Madame Elisabeth and Louis XVI, had commissioned boudoirs turcs for his various residences : for Versailles in 1776, for the Palais du Temple the same year (partly furnished by the menuisier Georges Jacob, the seats now in the Musée du Louvre, inv. OA 9986 to 9992) and again for Versailles in 1781.
The nascent goût for the exotic had been popularised by the then fashionable oriental tales and plays such as Mustapha et Zéangir by Sébastien de Chamfort which recounted the life of Suleiman the Magnificent and the beauties and riches of the Ottoman Empire.
Marie-Antoinette also commissioned boudoirs turcs for her appartements at Versailles and Fontainebleau in 1777, to plans by the architect Richard Mique.
These boudoirs and salons turcs evoke the imaginary Orient where turbans, feathers, crescents, shields and flaming cassolettes mingled with delightfully painted boiseries.
A distinct style - the goût étrusque - flourished in the late 1780s and inspired the voyeuse here offered. The hoof foot motif featured on the present lot illustrates yet again the decisively European taste for the imaginary and a romanticised version of the antique. Watercolours by Jean-Démosthène Dugourc (1749-1825) now in the Musée des Arts décoratifs in Paris, seem to indicate that Dugourc provided drawings for Madame Elisabeth’s boudoir turc. Amongst these designs, features a drawing for a lit de repos with hoof feet closely related to those on the present voyeuse by Sené (album Grognard, Dugourc and Meunier, inv. CD 2727).
The Etruscan style flourished in France at the end of the reign of Louis XVI and the seats designed by Hubert Robert and supplied by Georges Jacob for the laiterie of the château de Rambouillet in 1787 are particularly representative of this fashionable style (Musée des châteaux de Versailles et de Trianon, inv. V 888 to 894, T 1771 to 1773, VMB 14347).
THE DISPERSAL OF THE FURNITURE FROM THE CHÂTEAU DE MONTREUIL
It is from her estate of Montreuil that Madame Elisabeth first heard that Parisian crowds were rushing to Versailles on 5 October 1789. The day after, Madame Elizabeth was moved to the Tuileries, along with the Royal family. Like the princesse de Lamballe, she had her an apartment in the pavillon de Flore. In October 1792, she was moved to the Temple, later sentenced and guillotined on 10 May 1794, more than a year after Louis XVI’s demise.
The château de Montreuil was sealed on 5 October 1792 and re-opened on 25 Feburary 1794 to allow for the public auction of the furniture. The entirety of the collection was sold publicly in 1794, as was the present voyeuse which passed from one collector to another until the ancestors of the current family acquired it in the first half of the 20th century. After the Revolution, the château de Montreuil became a military hospital before being turned into a horological manufacture. The estate was broken up prior to its sale in 1802 and it is only through the intervention of Salomon Stern in 1879 that the various parcels were once again reunited.
The only seat from one of the most celebrated suites of seat furniture from the end of Louis XVI’s reign, which remains in private hands to this day: the present voyeuse is one of the last chefs-d’œuvre of menuiserie supplied to the Royal family under the Ancien Régime.