Lot Essay
L’entreprise familiale Seligmann, établie à la fin du XIXème siècle, devint rapidement un créateur de tendance central sur la scène artistique française, avec une réputation et une portée internationale. Ses clients venaient des plus hauts échelons de la société. Divisés en deux entreprises en 1912, les deux prospérèrent. En 1932, Jean A Seligmann prit la place de son père à la tête de la galerie, qui prit aussi son nom, comme à la Place Vendôme 23.
Mais avec l’occupation de Paris par les forces allemandes en mai 1940, la famille et l’entreprise Seligmann attirèrent l’attention avare et prédatrice des agences nazies habilitées à dépouiller les entreprises juives de leurs actifs. Au cours de l’été de la même année, Jean A. Seligmann et Cie fut pris en charge par un administrateur nommé par le ‘Commissariat aux affaires Juives’ pour liquider les actifs de la galerie.
Le 29 mars 1941, Jean Albert Seligmann fut arrêté par la Wehrmacht allemande pour espionnage, en raison de ses fréquents voyages à l’étranger avant la guerre, et emprisonné à la prison Cherche-Midi. Le 15 décembre 1941, il fut pris en otage au Fort Mont-Valerien en représailles contre des attaques de la Résistance française.
Après la guerre, la famille Seligmann tenta activement de récupérer ses actifs et d’enregistrer ses pertes auprès de la Commission de Récupération Artistique française, plusieurs centaines des anciens biens de la galerie ont été dispersés et n’ont pas été retrouvés.
Le buste actuel représentant une femme artiste, Madame Constance-Marie Charpentier (1767-1819) est un buste de la plus haute importance, réalisé par l'un des plus grands sculpteurs français de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle, dans une période de grands bouleversements politiques.
Jeunesse et Formation
Joseph Chinard naquit à Lyon le 12 février 1756. Issu d’une famille de maître fabriquant d’étoffes d’or d’argent et de soie, ses parents le destinaient à l’état ecclésiastique. Il trompa vite leurs attentes, montrant très jeune de grandes dispositions pour la sculpture. En 1770 il fut admis à l’Ecole royale de dessin de Lyon, dirigée par le peintre Donat Nonotte (1708-1785) puis continua sa formation dans l’atelier du sculpteur lyonnais Barthélémy Blaise (1738-1819). On pense qu’il lui emprunta une certaine douceur et amabilité du trait.
En 1772, âgé de seize ans, Chinard obtint sa première commande importante de la ville de Lyon. Il fut chargé de restaurer une partie de la façade de l’hôtel de ville. Le succès de ce travail lui valut à la suite, de nouvelles commandes. En 1780, l’église Saint-Paul lui commanda quatre figures d’évangélistes en pierre, puis l’année suivante un Saint Paul et un Saint Sacerdos.
Succès romain
En 1784, Jean-Marie Lafond, ancien procureur du Roi au bureau des finances, l’un des principaux mécènes de Chinard, acquitta à l’avance un certain nombre de travaux destinés à financer un séjour de quatre ans à Rome afin de compléter la formation artistique du sculpteur. Il étudia l'art classique et exécuta de nombreuses sculptures en marbre après l'antique.
Par l'intermédiaire de sa future épouse, Antoinette Perret, il expose au Salon des Arts de Lyon en 1786 un buste de vestale d'après l'antique et une tête d’amour en marbre blanc. Il obtient cette même année avec Persée délivrant Andromède le premier prix de l’Académie de Saint-Luc.
Période révolutionnaire
En 1788, Chinard revint à Lyon. Son succès romain et l’exposition de ses œuvres au Salon des Arts de Lyon lui conférèrent un prestige nouveau lui donnant accès aux cercles des personnalités en vue. Il fréquenta notamment le milieu politique et artistique lyonnais.
Le bouleversement de la Révolution française, provoqua de profonds changements institutionnels et sociopolitiques. La situation des artistes et des mécènes devint particulièrement instable. Mais grâce à sa réputation de portraitiste, Chinard parvint à survivre en un temps où la plupart des sculpteurs ne pouvaient plus vivre de leur art.
Deuxième séjour à Rome mouvementé
En 1791, à la demande de la famille Van Risamburgh, il retourna à Rome et exécuta deux groupes allégoriques destinés à servir de bases à des candélabres. Il produit alors deux œuvres en terre cuite, Apollon terrassant la Religion et Jupiter foudroyant l’aristocratie, reçues par le Vatican comme subversives. La délicate entreprise de Chinard se solda par un emprisonnement. Ses œuvres furent jugées injurieuses à l’égard de la religion. Il fut incarcéré dans la nuit du 22 au 23 septembre 1792 et emprisonné au fort Saint-Ange. Une fois la nouvelle de son arrestation parvenue à Lyon, l’opinion publique, les milieux artistiques dont le peintre Jacques-Louis David, furent émues et s’emparèrent de l’affaire. Chinard fut libéré deux mois plus tard, le 13 novembre 1792 (Maral, op. cit., p. 85).
Retour à Lyon soldé par un second emprisonnement
Chinard revint à Lyon et fut accueilli en triomphe par ses pairs et par les autorités municipales. Il épousa les nouvelles idées et s’engagea politiquement pour mieux servir ses intérêts d’artiste. Il devint l’artiste officiel de la Commune de Lyon. Les œuvres de cette période ont malheureusement presque toutes disparues, en dehors de quelques-unes qui ont été conservées. Parmi celles-ci figure un modèle de la Liberté et l’Egalité qui devait servir à remplacer le Louis XIV de la façade de l’hôtel de ville. Cette œuvre valut au sculpteur de nouveaux ennuis. En effet, un geste de la Liberté fut interprété de manière négative par le comédien Dorfeuille qui accusa Chinard d’avoir représenté « la Liberté se mettant une couronne sur les f….. »..
Après avoir été emprisonné à Rome en tant que révolutionnaire, Chinard fut donc de nouveau arrêté à Lyon en octobre 1793, mais cette fois-ci pour cause de modérantisme et tendances contre-révolutionnaire.
Heureusement, Chinard ne s’en tint pas là. Il se procura de la terre pour modeler, dans sa cellule, l’Innocence se réfugiant au sein de la Justice qu’il fit parvenir à ses juges. La rumeur se propagea qu’il dut son acquittement à cette œuvre symbolique. Mais plusieurs personnalités politiques intercédèrent alors en sa faveur et il fut finalement déclaré innocent le 28 février 1794.
Portraitiste officiel de la famille impériale
Libéré, il reprit son travail, sculpta de nombreux bustes et médailles et devint le grand décorateur des fêtes républicaines célébrées à Lyon. Marqué par son emprisonnement, son style devint plus sévère, et il multiplia les sujets guerriers adaptés aux préoccupations de l’époque.
C’est en 1795 que Chinard se rendit pour la première fois à Paris, pour faire connaître l’installation de son atelier à Lyon et recueillir des aides destinées à créer une école de sculpture gratuite. Il cultiva ses relations politiques et promut sa réputation de portraitistes, en offrant des œuvres à nombres de mécènes potentiels. Ses médaillons furent particulièrement populaires, souvent reproduits, ils furent une source de revenu conséquente.
En 1796, il adressa une lettre au général Bonaparte pour lui demander une indemnisation suite à son arrestation de Rome et s’attirer ses faveurs : « La générosité accompagne la valeur ; vous savez vaincre et respecter les arts ; je suis artiste ; vous pouvez m’être utile, et je réclame vos bon offices » (Brinkerink, op. cit., p. 287). Napoléon, qui appréciait le talent de Chinard, répondit favorablement à la requête de l’artiste, lui accorda une indemnité de 1000 livres et débuta les commandes : « Je serais toujours fort aise de trouver l’occasion de faire quelque chose qui vous soit utile et de vous témoigner l’estime qui est due aux hommes de talent qui honorent leur pays » (Penha-Longa, op. cit., p.10). Chinard devint le portraitiste officiel de la famille Bonaparte et réalisa de nombreux bustes de la famille impériale. Napoléon, Joséphine, Eugène de Beauharnais, la princesse Augusta de Bavière, Julia Clary, les princesses Zénaïde et Charlotte, Elisa Bonaparte et le prince Bacciocchi posèrent tous pour l’artiste (Lami, op. cit., p. 197). On lui commanda également des bustes de généraux morts au combat ou bien des objets décoratifs qui peuplèrent les jardins et les palais impériaux.
La consécration
En 1800, il fut reçu membre de l’Athénée, plus connu sous le nom de l’académie de Lyon et devint membre d’autres académies, Carrare, Grenoble, Lucques et Piombino. Grand ami de la famille Récamier, Il eut maintes occasions de venir à Paris séjourner chez eux entre 1802 et 1808. C’est durant cette période parisienne qu’il réalisa son célèbre buste de Madame Récamier, qui avait déjà posé pour lui en 1795. Il fut également nommé en 1807 professeur de la classe de sculpture de l’Ecole des Beaux-Arts de Lyon. Jean-Baptiste Dumas (1784-1849) écrivit à propos du sculpteur dans sa notice académique : « Pygmalion nouveau quand son démon l’inspire, Chinard frappe le marbre et le marbre respire », ces vers illustrent une qualité propre à Chinard de donner expression et mouvement de vie à ses sculptures en faisant preuve d’inventivité et d’originalité (Dumas, op. cit., p.12).
Le buste en marbre présenté ici représente probablement Madame Constance-Marie Charpentier (1767-1819), née Blondelu, artiste-peintre, et a vraisemblablement été exécutée au cours de la première décennie du XIXe siècle. Il faisait autrefois partie de la célèbre collection du comte de Penha-Longa, qui possédait probablement le plus grand groupe d'œuvres de l'artiste.
Constance-Marie Charpentier, naquit à Paris le 4 avril 1767 dans la famille Bondelu. Ses dispositions artistiques précoces l’amenèrent à intégrer l’école de dessin de Johann Georg Willie (1715-1808), en 1777 jusqu’en 1784. C’est durant ses différentes visites aux salons de 1781 et 1783, qu’elle rencontra et admira les œuvres de David, qui la décidèrent à suivre son enseignement et à intégrer son atelier à partir en 1787. Elle y côtoya de nombreux artistes tel que François Gérard, et y rencontra très certainement Chinard.
À partir de 1795 elle exposa aux salons régulièrement jusqu’en 1819. Plus d’une soixantaine de ses œuvres y furent ainsi présentées. Elle obtint même, en 1799, un prix d’encouragement pour ses tableaux représentants des scènes de genre, intitulés « La veuve d’une journée » et «La veuve d’une année ». En 1814, Constance reçut une médaille d’or couronnant son œuvre et reconnaissant la portée de son talent. Cette distinction rare pour une femme consacra l’artiste et lui donna accès au cercle restreint des artistes reconnus de son époque. C’est par son travail sur les scènes de genres à la fois sentimentales et moralisantes, qu’elle acquit de son vivant la réputation d’être une des meilleures portraitistes de son temps.
Cette œuvre donne d’abord l’impression générale d’une présence féminine à la fois charmante, sereine et concentrée. C’est par le contraste entre la posture hiératique et la douceur des courbes que l’artiste parvient à produire l’effet d’une plénitude. Le travail sur la chevelure est particulièrement sophistiqué, ensemble touffu de boucles courtes qui tombent délicatement sur le front et les tempes, réalisant néanmoins un ensemble symétrique qui donne le sentiment d’une tête bien posée.
Le charmant décolleté rappelle la poitrine de la gardienne sous un tissu délicatement plié, caractéristique du style raffiné de Chinard. Cette sensualité contraste avec l'effet de rectitude donné au caractère de la personne qui suit. Il est accentué par la taille haute et le galon brodé de la robe. Le beau travail de la draperie joue sur un effet de transparence caractéristique du travail du sculpteur. La draperie retombe sur le devant du socle, formant une transition subtile qui conduit naturellement l’œil à la base ornée des attributs classiques de l’art du peintre.
Chinard immortalise cette femme, artiste, saisie dans l’instant suspendu de sa création où elle se détermine le pas suivant qu’elle va accomplir, comme le confirme la présence du pinceau qu’elle tient dans sa main droite. Chinard réussit à fixer finement dans le marbre une subtile dynamique des lignes qui traduisent une discrète et élégante sensualité.
Le caractère à la fois doux et réaliste de ses bustes allie les nouvelles tendances du néoclassicisme à des traditions héritées du XVIIIe siècle.
Chinard travailla jusqu'à la fin de sa vie, exposant encore des sculptures dans les Salons jusqu'en 1812. Il mourut à Lyon le 20 juin 1813, laissant de nombreux projets inachevés. Au cours de sa longue carrière, Chinard a produit un nombre impressionnant de bustes. Portraitiste très talentueux, il a constamment exploité, au cours des périodes souvent tumultueuses de sa vie, la scène politico-artistique où il était le centre d'un réseau d'influence au sein duquel de fervents admirateurs et de fidèles mécènes se bousculaient.
Mais avec l’occupation de Paris par les forces allemandes en mai 1940, la famille et l’entreprise Seligmann attirèrent l’attention avare et prédatrice des agences nazies habilitées à dépouiller les entreprises juives de leurs actifs. Au cours de l’été de la même année, Jean A. Seligmann et Cie fut pris en charge par un administrateur nommé par le ‘Commissariat aux affaires Juives’ pour liquider les actifs de la galerie.
Le 29 mars 1941, Jean Albert Seligmann fut arrêté par la Wehrmacht allemande pour espionnage, en raison de ses fréquents voyages à l’étranger avant la guerre, et emprisonné à la prison Cherche-Midi. Le 15 décembre 1941, il fut pris en otage au Fort Mont-Valerien en représailles contre des attaques de la Résistance française.
Après la guerre, la famille Seligmann tenta activement de récupérer ses actifs et d’enregistrer ses pertes auprès de la Commission de Récupération Artistique française, plusieurs centaines des anciens biens de la galerie ont été dispersés et n’ont pas été retrouvés.
Le buste actuel représentant une femme artiste, Madame Constance-Marie Charpentier (1767-1819) est un buste de la plus haute importance, réalisé par l'un des plus grands sculpteurs français de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle, dans une période de grands bouleversements politiques.
Jeunesse et Formation
Joseph Chinard naquit à Lyon le 12 février 1756. Issu d’une famille de maître fabriquant d’étoffes d’or d’argent et de soie, ses parents le destinaient à l’état ecclésiastique. Il trompa vite leurs attentes, montrant très jeune de grandes dispositions pour la sculpture. En 1770 il fut admis à l’Ecole royale de dessin de Lyon, dirigée par le peintre Donat Nonotte (1708-1785) puis continua sa formation dans l’atelier du sculpteur lyonnais Barthélémy Blaise (1738-1819). On pense qu’il lui emprunta une certaine douceur et amabilité du trait.
En 1772, âgé de seize ans, Chinard obtint sa première commande importante de la ville de Lyon. Il fut chargé de restaurer une partie de la façade de l’hôtel de ville. Le succès de ce travail lui valut à la suite, de nouvelles commandes. En 1780, l’église Saint-Paul lui commanda quatre figures d’évangélistes en pierre, puis l’année suivante un Saint Paul et un Saint Sacerdos.
Succès romain
En 1784, Jean-Marie Lafond, ancien procureur du Roi au bureau des finances, l’un des principaux mécènes de Chinard, acquitta à l’avance un certain nombre de travaux destinés à financer un séjour de quatre ans à Rome afin de compléter la formation artistique du sculpteur. Il étudia l'art classique et exécuta de nombreuses sculptures en marbre après l'antique.
Par l'intermédiaire de sa future épouse, Antoinette Perret, il expose au Salon des Arts de Lyon en 1786 un buste de vestale d'après l'antique et une tête d’amour en marbre blanc. Il obtient cette même année avec Persée délivrant Andromède le premier prix de l’Académie de Saint-Luc.
Période révolutionnaire
En 1788, Chinard revint à Lyon. Son succès romain et l’exposition de ses œuvres au Salon des Arts de Lyon lui conférèrent un prestige nouveau lui donnant accès aux cercles des personnalités en vue. Il fréquenta notamment le milieu politique et artistique lyonnais.
Le bouleversement de la Révolution française, provoqua de profonds changements institutionnels et sociopolitiques. La situation des artistes et des mécènes devint particulièrement instable. Mais grâce à sa réputation de portraitiste, Chinard parvint à survivre en un temps où la plupart des sculpteurs ne pouvaient plus vivre de leur art.
Deuxième séjour à Rome mouvementé
En 1791, à la demande de la famille Van Risamburgh, il retourna à Rome et exécuta deux groupes allégoriques destinés à servir de bases à des candélabres. Il produit alors deux œuvres en terre cuite, Apollon terrassant la Religion et Jupiter foudroyant l’aristocratie, reçues par le Vatican comme subversives. La délicate entreprise de Chinard se solda par un emprisonnement. Ses œuvres furent jugées injurieuses à l’égard de la religion. Il fut incarcéré dans la nuit du 22 au 23 septembre 1792 et emprisonné au fort Saint-Ange. Une fois la nouvelle de son arrestation parvenue à Lyon, l’opinion publique, les milieux artistiques dont le peintre Jacques-Louis David, furent émues et s’emparèrent de l’affaire. Chinard fut libéré deux mois plus tard, le 13 novembre 1792 (Maral, op. cit., p. 85).
Retour à Lyon soldé par un second emprisonnement
Chinard revint à Lyon et fut accueilli en triomphe par ses pairs et par les autorités municipales. Il épousa les nouvelles idées et s’engagea politiquement pour mieux servir ses intérêts d’artiste. Il devint l’artiste officiel de la Commune de Lyon. Les œuvres de cette période ont malheureusement presque toutes disparues, en dehors de quelques-unes qui ont été conservées. Parmi celles-ci figure un modèle de la Liberté et l’Egalité qui devait servir à remplacer le Louis XIV de la façade de l’hôtel de ville. Cette œuvre valut au sculpteur de nouveaux ennuis. En effet, un geste de la Liberté fut interprété de manière négative par le comédien Dorfeuille qui accusa Chinard d’avoir représenté « la Liberté se mettant une couronne sur les f….. »..
Après avoir été emprisonné à Rome en tant que révolutionnaire, Chinard fut donc de nouveau arrêté à Lyon en octobre 1793, mais cette fois-ci pour cause de modérantisme et tendances contre-révolutionnaire.
Heureusement, Chinard ne s’en tint pas là. Il se procura de la terre pour modeler, dans sa cellule, l’Innocence se réfugiant au sein de la Justice qu’il fit parvenir à ses juges. La rumeur se propagea qu’il dut son acquittement à cette œuvre symbolique. Mais plusieurs personnalités politiques intercédèrent alors en sa faveur et il fut finalement déclaré innocent le 28 février 1794.
Portraitiste officiel de la famille impériale
Libéré, il reprit son travail, sculpta de nombreux bustes et médailles et devint le grand décorateur des fêtes républicaines célébrées à Lyon. Marqué par son emprisonnement, son style devint plus sévère, et il multiplia les sujets guerriers adaptés aux préoccupations de l’époque.
C’est en 1795 que Chinard se rendit pour la première fois à Paris, pour faire connaître l’installation de son atelier à Lyon et recueillir des aides destinées à créer une école de sculpture gratuite. Il cultiva ses relations politiques et promut sa réputation de portraitistes, en offrant des œuvres à nombres de mécènes potentiels. Ses médaillons furent particulièrement populaires, souvent reproduits, ils furent une source de revenu conséquente.
En 1796, il adressa une lettre au général Bonaparte pour lui demander une indemnisation suite à son arrestation de Rome et s’attirer ses faveurs : « La générosité accompagne la valeur ; vous savez vaincre et respecter les arts ; je suis artiste ; vous pouvez m’être utile, et je réclame vos bon offices » (Brinkerink, op. cit., p. 287). Napoléon, qui appréciait le talent de Chinard, répondit favorablement à la requête de l’artiste, lui accorda une indemnité de 1000 livres et débuta les commandes : « Je serais toujours fort aise de trouver l’occasion de faire quelque chose qui vous soit utile et de vous témoigner l’estime qui est due aux hommes de talent qui honorent leur pays » (Penha-Longa, op. cit., p.10). Chinard devint le portraitiste officiel de la famille Bonaparte et réalisa de nombreux bustes de la famille impériale. Napoléon, Joséphine, Eugène de Beauharnais, la princesse Augusta de Bavière, Julia Clary, les princesses Zénaïde et Charlotte, Elisa Bonaparte et le prince Bacciocchi posèrent tous pour l’artiste (Lami, op. cit., p. 197). On lui commanda également des bustes de généraux morts au combat ou bien des objets décoratifs qui peuplèrent les jardins et les palais impériaux.
La consécration
En 1800, il fut reçu membre de l’Athénée, plus connu sous le nom de l’académie de Lyon et devint membre d’autres académies, Carrare, Grenoble, Lucques et Piombino. Grand ami de la famille Récamier, Il eut maintes occasions de venir à Paris séjourner chez eux entre 1802 et 1808. C’est durant cette période parisienne qu’il réalisa son célèbre buste de Madame Récamier, qui avait déjà posé pour lui en 1795. Il fut également nommé en 1807 professeur de la classe de sculpture de l’Ecole des Beaux-Arts de Lyon. Jean-Baptiste Dumas (1784-1849) écrivit à propos du sculpteur dans sa notice académique : « Pygmalion nouveau quand son démon l’inspire, Chinard frappe le marbre et le marbre respire », ces vers illustrent une qualité propre à Chinard de donner expression et mouvement de vie à ses sculptures en faisant preuve d’inventivité et d’originalité (Dumas, op. cit., p.12).
Le buste en marbre présenté ici représente probablement Madame Constance-Marie Charpentier (1767-1819), née Blondelu, artiste-peintre, et a vraisemblablement été exécutée au cours de la première décennie du XIXe siècle. Il faisait autrefois partie de la célèbre collection du comte de Penha-Longa, qui possédait probablement le plus grand groupe d'œuvres de l'artiste.
Constance-Marie Charpentier, naquit à Paris le 4 avril 1767 dans la famille Bondelu. Ses dispositions artistiques précoces l’amenèrent à intégrer l’école de dessin de Johann Georg Willie (1715-1808), en 1777 jusqu’en 1784. C’est durant ses différentes visites aux salons de 1781 et 1783, qu’elle rencontra et admira les œuvres de David, qui la décidèrent à suivre son enseignement et à intégrer son atelier à partir en 1787. Elle y côtoya de nombreux artistes tel que François Gérard, et y rencontra très certainement Chinard.
À partir de 1795 elle exposa aux salons régulièrement jusqu’en 1819. Plus d’une soixantaine de ses œuvres y furent ainsi présentées. Elle obtint même, en 1799, un prix d’encouragement pour ses tableaux représentants des scènes de genre, intitulés « La veuve d’une journée » et «La veuve d’une année ». En 1814, Constance reçut une médaille d’or couronnant son œuvre et reconnaissant la portée de son talent. Cette distinction rare pour une femme consacra l’artiste et lui donna accès au cercle restreint des artistes reconnus de son époque. C’est par son travail sur les scènes de genres à la fois sentimentales et moralisantes, qu’elle acquit de son vivant la réputation d’être une des meilleures portraitistes de son temps.
Cette œuvre donne d’abord l’impression générale d’une présence féminine à la fois charmante, sereine et concentrée. C’est par le contraste entre la posture hiératique et la douceur des courbes que l’artiste parvient à produire l’effet d’une plénitude. Le travail sur la chevelure est particulièrement sophistiqué, ensemble touffu de boucles courtes qui tombent délicatement sur le front et les tempes, réalisant néanmoins un ensemble symétrique qui donne le sentiment d’une tête bien posée.
Le charmant décolleté rappelle la poitrine de la gardienne sous un tissu délicatement plié, caractéristique du style raffiné de Chinard. Cette sensualité contraste avec l'effet de rectitude donné au caractère de la personne qui suit. Il est accentué par la taille haute et le galon brodé de la robe. Le beau travail de la draperie joue sur un effet de transparence caractéristique du travail du sculpteur. La draperie retombe sur le devant du socle, formant une transition subtile qui conduit naturellement l’œil à la base ornée des attributs classiques de l’art du peintre.
Chinard immortalise cette femme, artiste, saisie dans l’instant suspendu de sa création où elle se détermine le pas suivant qu’elle va accomplir, comme le confirme la présence du pinceau qu’elle tient dans sa main droite. Chinard réussit à fixer finement dans le marbre une subtile dynamique des lignes qui traduisent une discrète et élégante sensualité.
Le caractère à la fois doux et réaliste de ses bustes allie les nouvelles tendances du néoclassicisme à des traditions héritées du XVIIIe siècle.
Chinard travailla jusqu'à la fin de sa vie, exposant encore des sculptures dans les Salons jusqu'en 1812. Il mourut à Lyon le 20 juin 1813, laissant de nombreux projets inachevés. Au cours de sa longue carrière, Chinard a produit un nombre impressionnant de bustes. Portraitiste très talentueux, il a constamment exploité, au cours des périodes souvent tumultueuses de sa vie, la scène politico-artistique où il était le centre d'un réseau d'influence au sein duquel de fervents admirateurs et de fidèles mécènes se bousculaient.