![PROUST, Marcel (1871 - 1922). Dactylographie corrigé de l'incipit d'Un Amour de Swann. [1913]](https://www.christies.com/img/LotImages/2019/PAR/2019_PAR_18565_0137_002(proust_marcel_dactylographie_corrige_de_lincipit_dun_amour_de_swann_19045546).jpg?w=1)
![PROUST, Marcel (1871 - 1922). Dactylographie corrigé de l'incipit d'Un Amour de Swann. [1913]](https://www.christies.com/img/LotImages/2019/PAR/2019_PAR_18565_0137_003(proust_marcel_dactylographie_corrige_de_lincipit_dun_amour_de_swann_19045546).jpg?w=1)
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Details
PROUST, Marcel (1871 - 1922). Dactylographie corrigé de l'incipit d'Un Amour de Swann. [1913]
Exceptionnelle dactylographie corrigée donnant à voir l’un des premiers états d’un passage majeur de la Recherche : la sonate de Vinteuil et le premier baiser de Swann et Odette.
17 pp. (275 x 210 mm), sur 17 ff. avec un montage à la manière des placards au f. 5, le dernier f. est découpé sans atteinte au texte. Le premier f. est intitulé « Marcel Proust / Pages inédites. Un dîner chez M. et Mme Verdurin », sur un morceau de papier collé recouvrant le titre « Le temps perdu » dactylographié.
Sur 17 ff., cette dactylographie condense deux épisodes fondamentaux d’Un amour de Swann : le dîner chez les Verdurin où Swann ré-entend un motif musical pour la première fois depuis des années, et le premier baiser de Swann et Odette qui inventent à cette occasion l’expression « faire catleyas » pour « faire l’amour ». Proust fait de la réunion mondaine chez les Verdurin un théâtre où il met ici en scène pour la première fois dans la Recherche une galerie de personnages qui interviennent ensuite tout au long de l'œuvre. Les nombreuses corrections manuscrites nous donnent de précieux renseignements sur les hésitations de Proust sur leurs noms : si Forcheville est déjà défini dans son rôle de rival de Swann, Brichot parfois est ici encore "Brachot", Cottard apparaît à plusieurs reprises sous le nom de "Collard" et une amusante erreur de dactylographie non corrigée remplace le nom de Swann par "Suzanne" à la page 15. Menée d’une main de fer par Mme Verdurin, cette scène comique révèle, derrière les masques de l’hypocrisie mondaine que portent les invités, les rivalités et les enjeux d’influence disputés dans ce salon. Plusieurs lignes ensuite modifiées montrent à quel point Proust avaient initialement forcé les traits antipathiques du caractère de la redoutable Mme Verdurin, prête à tout pour forcer l'assiduité de ses invités :
"Je suis obligé d’aller voir vendredi à la campagne un de mes malades qui ne va pas très bien [...] Vous croyez que cela le rendrait beaucoup plus malade si vous n’y alliez pas. Qui sait vous le trouverez peut-être ensuite guéri" dit Madame Verdurin avec un égoïsme alarmé et féroce. Le petit pianiste, lui, dînait chez ses grands-parents "Ah! Vous vous croyez obligé aux dîners de famille comme en province, s’écrit-t-elle pour le prendre par l’amour-propre. Cela se fait peut-être encore à Stockolm [sic], mais plus à Paris." (p. 5)
Scène d’ouverture d’Un amour de Swann, ce passage est surtout la scène d’exposition d’un leitmotiv essentiel de la Recherche : le motif de l’andante de la sonate de Vinteuil. Cet élément déclencheur de réminiscence, au même titre que la célèbre madeleine, est ici encore un scherzo interprété par "le petit pianiste" Berget. Le nom de Vinteuil commence seulement à apparaître dans les marges à travers des additions manuscrites de l’auteur en regard des mentions biffées de "Berget". Plus qu’un simple changement de patronyme, Proust est en réalité en train d'opérer à une fusion entre deux personnages secondaires, le compositeur de la sonate Berget et le naturaliste de Combray, Vington. Ce changement majeur nous permet de dater cette dactylographie au début de l’année 1913. Proust est alors en train de développer une réflexion esthétique et morale sur la musique, qu’il développe également dans un autre volume, le Temps retrouvé, dont le premier brouillon est déjà rédigé. Un autre élément confirme cette datation : le titre dactylographié « Le temps perdu » - qu’un précédent collectionneur a recouvert d’un morceau de papier sur lequel il a écrit « Marcel Proust/Pages inédites/Un dîner chez M. et Mme Verdurin ». C’est en effet sous le titre « le temps perdu » que Proust a d’abord proposé son œuvre à Bernard Grasset avec qui il signe le contrat de publication en mai 1913.
La scène du premier baiser provoqué par Swann qui, dans la voiture, ajuste les cattleyas qui ornent la robe d’Odette et la nuit qui suit est ici écrite dans une version presque définitive qui sera ensuite étoffée par Proust. Cependant, cette dactylographie révèle d’importantes hésitations sur l’orthographe de cattleyas qui témoigne de l’écart intentionnel de Proust avec l’orthographe communément admise : ce mot est écrit « cathéias » et « catléias » par l'écrivain qui préfère finalement « catleyas » dans la version publiée. On trouve aussi une variation importante restée inédite sur le premier rapprochement de Swann et Odette, alors qu’ils écoutent ensemble le pianiste suédois jouer un extrait de sa sonate :
"Swann alla s’asseoir à côté d’Odette qui le regardait avec une tendresse peureuse. Il avai [sic] encore sur lui un chrysanthème blanc qu’elle lui avait donné dans la voiture. Et dès qu’il fut assis près d’elle, elle lui mit dans la main un billet qu’elle lui avait écrit, où elle disait : « J’ai peur, je voudrais vous donner mon cœur ; saurez-vous le garder ! Me verrez-vous seulement chaque jour ? Ma main tremble en vous écrivant ! » (p. 10)
Cette dactylographie corrigée nous apporte ainsi de précieuses informations sur ce qui est parfois appelé « l’écriture centrifuge » de Proust. L’auteur travaille à son œuvre en écrivant et corrigeant des manuscrits, puis des dactylographies et enfin des épreuves. Cette segmentation entre ces trois supports de travail est en réalité mise en échec par le système qui lui est si particulier de paperolles et de becquets - que l’on retrouve ici dans une moindre mesure au f. 5. Chaque segment narratif est ainsi réécrit de nombreuses fois et Proust travaille simultanément sur des passages parfois très éloignés les uns des autres au sein de l'œuvre. Grâce à cette relecture constante et active, il obtient une vision d'ensemble de son œuvre et procède sans difficulté à des déplacements importants d'éléments narratifs au sein de son oeuvre. Cette dactylographie corrigée constitue un exemple paradigmatique : peu de lignes ont été finalement abandonnées par l’auteur, mais de nombreux segments narratifs ont été comme redistribués à travers tout le roman. Si dans cette dactylographie la scène du dîner chez les Verdurin est immédiatement suivie du baiser de Swann et Odette, ces deux épisodes sont séparés de plusieurs soirées et dizaines de pages dans la version publiée. Ce procédé de réemploi se retrouve jusque dans le « scherzo » de la sonate de Vinteuil qui a finalement été remplacé par un andante. On retrouve toutefois une mention de ce scherzo et de la confusion avec l'andante dans le troisième partie d’A l’ombre des jeunes filles en fleurs, au détour d’une comparaison du narrateur : « Or, comme une phrase de Vinteuil qui m’avait enchanté dans la Sonate et que ma mémoire faisait errer de l’andante au finale jusqu’au jour où, ayant la partition en main, je pus la trouver et l’immobiliser dans mon souvenir à sa place, dans le scherzo » La version que constitue cette dactylographie peut ainsi être considérée comme l’un des premiers états de l'incipit d’Un amour de Swann, dont le texte a été ensuite à la fois enrichi et éclaté en segments narratifs redistribués au sein du roman.
Brun, Bernard, « Les cent cahiers de Marcel Proust : Comment a-t-il rédigé son roman ? » Item. [En ligne], 2006 - Leriche, Françoise, « 1913 : la réécriture du concert Saint-Euverte sur les placards de Du côté de chez Swann », Genesis, 36, 2013, pp. 113-133 - Pauset, Eve-Norah, « À la recherche du temps perdu : de Wagner à Schönberg», Déméter [En ligne], Articles, Thématiques, Textes, Le dialogue des arts, 2012. RTP, I, 185.
An exceptional corrected and annotated typescript of unpublished fragments of two of the most iconic chapters of Du Côté de chez Swann : the dinner at the Verdurins and Swann and Odette's first kiss.
Exceptionnelle dactylographie corrigée donnant à voir l’un des premiers états d’un passage majeur de la Recherche : la sonate de Vinteuil et le premier baiser de Swann et Odette.
17 pp. (275 x 210 mm), sur 17 ff. avec un montage à la manière des placards au f. 5, le dernier f. est découpé sans atteinte au texte. Le premier f. est intitulé « Marcel Proust / Pages inédites. Un dîner chez M. et Mme Verdurin », sur un morceau de papier collé recouvrant le titre « Le temps perdu » dactylographié.
Sur 17 ff., cette dactylographie condense deux épisodes fondamentaux d’Un amour de Swann : le dîner chez les Verdurin où Swann ré-entend un motif musical pour la première fois depuis des années, et le premier baiser de Swann et Odette qui inventent à cette occasion l’expression « faire catleyas » pour « faire l’amour ». Proust fait de la réunion mondaine chez les Verdurin un théâtre où il met ici en scène pour la première fois dans la Recherche une galerie de personnages qui interviennent ensuite tout au long de l'œuvre. Les nombreuses corrections manuscrites nous donnent de précieux renseignements sur les hésitations de Proust sur leurs noms : si Forcheville est déjà défini dans son rôle de rival de Swann, Brichot parfois est ici encore "Brachot", Cottard apparaît à plusieurs reprises sous le nom de "Collard" et une amusante erreur de dactylographie non corrigée remplace le nom de Swann par "Suzanne" à la page 15. Menée d’une main de fer par Mme Verdurin, cette scène comique révèle, derrière les masques de l’hypocrisie mondaine que portent les invités, les rivalités et les enjeux d’influence disputés dans ce salon. Plusieurs lignes ensuite modifiées montrent à quel point Proust avaient initialement forcé les traits antipathiques du caractère de la redoutable Mme Verdurin, prête à tout pour forcer l'assiduité de ses invités :
"Je suis obligé d’aller voir vendredi à la campagne un de mes malades qui ne va pas très bien [...] Vous croyez que cela le rendrait beaucoup plus malade si vous n’y alliez pas. Qui sait vous le trouverez peut-être ensuite guéri" dit Madame Verdurin avec un égoïsme alarmé et féroce. Le petit pianiste, lui, dînait chez ses grands-parents "Ah! Vous vous croyez obligé aux dîners de famille comme en province, s’écrit-t-elle pour le prendre par l’amour-propre. Cela se fait peut-être encore à Stockolm [sic], mais plus à Paris." (p. 5)
Scène d’ouverture d’Un amour de Swann, ce passage est surtout la scène d’exposition d’un leitmotiv essentiel de la Recherche : le motif de l’andante de la sonate de Vinteuil. Cet élément déclencheur de réminiscence, au même titre que la célèbre madeleine, est ici encore un scherzo interprété par "le petit pianiste" Berget. Le nom de Vinteuil commence seulement à apparaître dans les marges à travers des additions manuscrites de l’auteur en regard des mentions biffées de "Berget". Plus qu’un simple changement de patronyme, Proust est en réalité en train d'opérer à une fusion entre deux personnages secondaires, le compositeur de la sonate Berget et le naturaliste de Combray, Vington. Ce changement majeur nous permet de dater cette dactylographie au début de l’année 1913. Proust est alors en train de développer une réflexion esthétique et morale sur la musique, qu’il développe également dans un autre volume, le Temps retrouvé, dont le premier brouillon est déjà rédigé. Un autre élément confirme cette datation : le titre dactylographié « Le temps perdu » - qu’un précédent collectionneur a recouvert d’un morceau de papier sur lequel il a écrit « Marcel Proust/Pages inédites/Un dîner chez M. et Mme Verdurin ». C’est en effet sous le titre « le temps perdu » que Proust a d’abord proposé son œuvre à Bernard Grasset avec qui il signe le contrat de publication en mai 1913.
La scène du premier baiser provoqué par Swann qui, dans la voiture, ajuste les cattleyas qui ornent la robe d’Odette et la nuit qui suit est ici écrite dans une version presque définitive qui sera ensuite étoffée par Proust. Cependant, cette dactylographie révèle d’importantes hésitations sur l’orthographe de cattleyas qui témoigne de l’écart intentionnel de Proust avec l’orthographe communément admise : ce mot est écrit « cathéias » et « catléias » par l'écrivain qui préfère finalement « catleyas » dans la version publiée. On trouve aussi une variation importante restée inédite sur le premier rapprochement de Swann et Odette, alors qu’ils écoutent ensemble le pianiste suédois jouer un extrait de sa sonate :
"Swann alla s’asseoir à côté d’Odette qui le regardait avec une tendresse peureuse. Il avai [sic] encore sur lui un chrysanthème blanc qu’elle lui avait donné dans la voiture. Et dès qu’il fut assis près d’elle, elle lui mit dans la main un billet qu’elle lui avait écrit, où elle disait : « J’ai peur, je voudrais vous donner mon cœur ; saurez-vous le garder ! Me verrez-vous seulement chaque jour ? Ma main tremble en vous écrivant ! » (p. 10)
Cette dactylographie corrigée nous apporte ainsi de précieuses informations sur ce qui est parfois appelé « l’écriture centrifuge » de Proust. L’auteur travaille à son œuvre en écrivant et corrigeant des manuscrits, puis des dactylographies et enfin des épreuves. Cette segmentation entre ces trois supports de travail est en réalité mise en échec par le système qui lui est si particulier de paperolles et de becquets - que l’on retrouve ici dans une moindre mesure au f. 5. Chaque segment narratif est ainsi réécrit de nombreuses fois et Proust travaille simultanément sur des passages parfois très éloignés les uns des autres au sein de l'œuvre. Grâce à cette relecture constante et active, il obtient une vision d'ensemble de son œuvre et procède sans difficulté à des déplacements importants d'éléments narratifs au sein de son oeuvre. Cette dactylographie corrigée constitue un exemple paradigmatique : peu de lignes ont été finalement abandonnées par l’auteur, mais de nombreux segments narratifs ont été comme redistribués à travers tout le roman. Si dans cette dactylographie la scène du dîner chez les Verdurin est immédiatement suivie du baiser de Swann et Odette, ces deux épisodes sont séparés de plusieurs soirées et dizaines de pages dans la version publiée. Ce procédé de réemploi se retrouve jusque dans le « scherzo » de la sonate de Vinteuil qui a finalement été remplacé par un andante. On retrouve toutefois une mention de ce scherzo et de la confusion avec l'andante dans le troisième partie d’A l’ombre des jeunes filles en fleurs, au détour d’une comparaison du narrateur : « Or, comme une phrase de Vinteuil qui m’avait enchanté dans la Sonate et que ma mémoire faisait errer de l’andante au finale jusqu’au jour où, ayant la partition en main, je pus la trouver et l’immobiliser dans mon souvenir à sa place, dans le scherzo » La version que constitue cette dactylographie peut ainsi être considérée comme l’un des premiers états de l'incipit d’Un amour de Swann, dont le texte a été ensuite à la fois enrichi et éclaté en segments narratifs redistribués au sein du roman.
Brun, Bernard, « Les cent cahiers de Marcel Proust : Comment a-t-il rédigé son roman ? » Item. [En ligne], 2006 - Leriche, Françoise, « 1913 : la réécriture du concert Saint-Euverte sur les placards de Du côté de chez Swann », Genesis, 36, 2013, pp. 113-133 - Pauset, Eve-Norah, « À la recherche du temps perdu : de Wagner à Schönberg», Déméter [En ligne], Articles, Thématiques, Textes, Le dialogue des arts, 2012. RTP, I, 185.
An exceptional corrected and annotated typescript of unpublished fragments of two of the most iconic chapters of Du Côté de chez Swann : the dinner at the Verdurins and Swann and Odette's first kiss.