Lot Essay
Ella de Wolf, dite "Elsie", et plus tard Lady Mendl, était une personnalité des plus charismatiques du début du XXe siècle; elle incarnait à elle-seule toutes les acceptions que pouvaient revêtir les années 30. A la fois « années folles », années des garçonnes, années du style, années des arts décoratifs, Elsie en était un mélange explosif et sa vie comme son élégance ne pouvaient que trouver une heureuse réception chez Boutet de Monvel. Le style du peintre, qui s'émancipait de toute anecdote, de toute superficialité, pour présenter des silhouettes pures aux lignes anguleuses sur un fond immaculé, plaisait sans nul doute à Lady Mendl qui n’embrassait que deux devises en matière de décoration « simplicity and suitability»1.
Née à New York d’un milieu bourgeois mais souvent endetté (un trait familial qu’elle conservera), elle se rapproche assez vite de la haute société et surtout d’une femme qui allait devenir ouvertement sa compagne pendant quarante ans, Elisabeth (Bessy) Marbury, une agent littéraire, versé dans le milieu théâtral, dans lequel Elsie débutera avant de se tourner vers la décoration, au point d’être tenue comme la première personne à n’avoir jamais exercé professionnellement ce métier. Davantage retenue pour le choix de ses tenues que pour ses talents d’actrice, elle connut des succès plus retentissants en architecture d’intérieur. En 1905, elle reçut sa première commande pour repenser les espaces du Colony Club, un club new-yorkais sur le modèle des gentlemen’s club en vogue, mais exclusivement réservé aux femmes.2
C’est avec sa compagne qu’elle acheta la Villa Trianon de Versailles, en 1903, pour en faire l’objet de ses plus belles expérimentations en matière de décoration. Admirant le XVIIIe siècle pour le « design » incroyable de ses objets éprouvés par leurs fonctionnalités —« form follows function » écrivait-elle comme une autre devise de la décoration—, elle réinventa une fabuleuse vision de ce siècle. L’aboutissement de ce regard sur la période se verra sans doute de la manière plus frappante dans sa collaboration avec Henry Clay Frick qu’elle conseilla dans le choix des achats de son futur musée, la Frick Collection. Il pût dépenser jusqu’à trois millions de dollars, en peintures et objets d’art, en une trentaine de minutes, suivant les conseils de Lady Mendl.3
Elle s’illustra pendant la première guerre mondiale par sa générosité, transformant sa villa en hôpital militaire pour soldats blessés 4, ce qui lui valut la légion d’honneur et la croix de guerre. Après les conflits, son amie Bessy, partit aux Etats-Unis et Elsie, toujours en France, contracta un mariage blanc à l’âge de soixante ans avec Charles Mendl, chargé des relations publiques à l’ambassade d’Angleterre et récemment anobli (et exonéré d’impôt par son statut de diplomate, avantage indéniable pour la future Lady Mendl)5.
C’est à cette époque, en 1930, qu’elle commanda son portrait directement à Boutet de Monvel, familier des soirées mondaines de l’Américaine. Le peintre présenta le portrait à son exposition new-yorkaise Profiles, prévue en 1936. On en retrouve des mentions dans sa correspondance de la même année « t’ai-je dit que je compte peindre à Paris un profil d’Elsie Mendl (…) ? Elle a un ravissant petit chapeau à plumes que je l’ai priée de me réserver.»6. Le tableau fut largement apprécié à l’exposition de New York. Boutet de Monvel y illustre tout son savoir-faire en un véritable « less is more ». La pose altière, l’élégance sobre de la silhouette rythmée par la signature cunéiforme du peintre que ne heurte qu’un foulard fuchsia offrent une condensation si identifiable de son métier.
Lady Mendl n’en fit pas l’acquisition pourtant, ruinée à la fin de sa vie ; elle avait vendu sa villa du Trianon au commandant Weiller (qui l'autorisa cependant à y rester), après lui avoir également vendu quelques années plus tôt son collier de perles qu’elle ne quittait jamais. A sa mort, le commandant prit pleine possession de la villa du Trianon, son chef d’œuvre d’une vie. C’est tout naturellement que Paul-Louis Weiller en agrémenta le décor par ce célèbre portrait de son occupante, acheté directement aux héritiers du peintre.
1. Cité dans J. S. Smith, Elsie de Wolfe, A Life in the High Style, New York, 1982, p. 139
2. B. Russel, Women of Design, New York, 1992, p. 9.
3. N. Campbell, Elsie de Wolfe: A Decorative Life, New York, 1992, p. 70.
4. C. Scheips, Elsie de Wolfe's Paris: Frivolity Before the Storm, New York, 2014.
5. R. Franklin, “A life in Good Taste. The fashions and follies of Elsie de Wolfe”, The New Yorker, 27 septembre 2004.
6. S.-J. Addade, Bernard Boutet de Monvel, Paris, 2016, p. 342.
Née à New York d’un milieu bourgeois mais souvent endetté (un trait familial qu’elle conservera), elle se rapproche assez vite de la haute société et surtout d’une femme qui allait devenir ouvertement sa compagne pendant quarante ans, Elisabeth (Bessy) Marbury, une agent littéraire, versé dans le milieu théâtral, dans lequel Elsie débutera avant de se tourner vers la décoration, au point d’être tenue comme la première personne à n’avoir jamais exercé professionnellement ce métier. Davantage retenue pour le choix de ses tenues que pour ses talents d’actrice, elle connut des succès plus retentissants en architecture d’intérieur. En 1905, elle reçut sa première commande pour repenser les espaces du Colony Club, un club new-yorkais sur le modèle des gentlemen’s club en vogue, mais exclusivement réservé aux femmes.2
C’est avec sa compagne qu’elle acheta la Villa Trianon de Versailles, en 1903, pour en faire l’objet de ses plus belles expérimentations en matière de décoration. Admirant le XVIIIe siècle pour le « design » incroyable de ses objets éprouvés par leurs fonctionnalités —« form follows function » écrivait-elle comme une autre devise de la décoration—, elle réinventa une fabuleuse vision de ce siècle. L’aboutissement de ce regard sur la période se verra sans doute de la manière plus frappante dans sa collaboration avec Henry Clay Frick qu’elle conseilla dans le choix des achats de son futur musée, la Frick Collection. Il pût dépenser jusqu’à trois millions de dollars, en peintures et objets d’art, en une trentaine de minutes, suivant les conseils de Lady Mendl.3
Elle s’illustra pendant la première guerre mondiale par sa générosité, transformant sa villa en hôpital militaire pour soldats blessés 4, ce qui lui valut la légion d’honneur et la croix de guerre. Après les conflits, son amie Bessy, partit aux Etats-Unis et Elsie, toujours en France, contracta un mariage blanc à l’âge de soixante ans avec Charles Mendl, chargé des relations publiques à l’ambassade d’Angleterre et récemment anobli (et exonéré d’impôt par son statut de diplomate, avantage indéniable pour la future Lady Mendl)5.
C’est à cette époque, en 1930, qu’elle commanda son portrait directement à Boutet de Monvel, familier des soirées mondaines de l’Américaine. Le peintre présenta le portrait à son exposition new-yorkaise Profiles, prévue en 1936. On en retrouve des mentions dans sa correspondance de la même année « t’ai-je dit que je compte peindre à Paris un profil d’Elsie Mendl (…) ? Elle a un ravissant petit chapeau à plumes que je l’ai priée de me réserver.»6. Le tableau fut largement apprécié à l’exposition de New York. Boutet de Monvel y illustre tout son savoir-faire en un véritable « less is more ». La pose altière, l’élégance sobre de la silhouette rythmée par la signature cunéiforme du peintre que ne heurte qu’un foulard fuchsia offrent une condensation si identifiable de son métier.
Lady Mendl n’en fit pas l’acquisition pourtant, ruinée à la fin de sa vie ; elle avait vendu sa villa du Trianon au commandant Weiller (qui l'autorisa cependant à y rester), après lui avoir également vendu quelques années plus tôt son collier de perles qu’elle ne quittait jamais. A sa mort, le commandant prit pleine possession de la villa du Trianon, son chef d’œuvre d’une vie. C’est tout naturellement que Paul-Louis Weiller en agrémenta le décor par ce célèbre portrait de son occupante, acheté directement aux héritiers du peintre.
1. Cité dans J. S. Smith, Elsie de Wolfe, A Life in the High Style, New York, 1982, p. 139
2. B. Russel, Women of Design, New York, 1992, p. 9.
3. N. Campbell, Elsie de Wolfe: A Decorative Life, New York, 1992, p. 70.
4. C. Scheips, Elsie de Wolfe's Paris: Frivolity Before the Storm, New York, 2014.
5. R. Franklin, “A life in Good Taste. The fashions and follies of Elsie de Wolfe”, The New Yorker, 27 septembre 2004.
6. S.-J. Addade, Bernard Boutet de Monvel, Paris, 2016, p. 342.