Lot Essay
Ce fantastique ensemble de sièges estampillés par Georges Jacob appartenait à un membre incontournable de la famille royale : Madame, comtesse de Provence, épouse du frère aîné du Roi et futur Louis XVIII. Ce canapé, ces chaises, fauteuils et bout-de-pied ont orné la résidence royale de Montreuil à la fin du XVIIIe siècle. Conservés dans la même famille depuis plus d’un siècle, ils réapparaissent sur le marché pour la première fois depuis le XIXe siècle.
MADAME A MONTREUIL
Marie-Joséphine, fille de Victor-Amédée III de Savoie, roi de Sardaigne, et de Marie-Antoinette, infante d'Espagne, naît princesse de Savoie le 2 septembre 1753. Le 14 mai 1771 elle devient comtesse de Provence par son mariage avec le frère du roi Louis-Stanislas-Xavier de France. Et à l’avènement de Louis XVI en 1774, la comtesse de Provence devint la seconde dame de France après la Reine et reçoit suivant l'usage l'appellation de « Madame ».
Arrivée à Versailles à l’âge de 17 ans, isolée et quelque peu délaissée, Madame décida d’installer sa résidence principale à l'écart de la Cour. A l’instar de Marie-Antoinette à Trianon, la comtesse de Provence voulut avoir son domaine privé à proximité de la résidence royale. En 1780, elle fit l’acquisition à Montreuil d’un pavillon d’habitation, qui appartenait au prince de Montbarrey, élevé au milieu d'un verger d'un hectare environ, planté d’arbres fruitiers. Par l'intermédiaire d'Imbert de Lattes, la princesse fit l'acquisition de la propriété pour la somme de 30 000 livres, étendant bientôt son domaine par l'acquisition de dix-sept jardins et divers bâtiments avec meubles et effets mobiliers. Le parc s’étendit bientôt sur plus d’une douzaine d’hectares.
Le pavillon d'habitation initialement construit en 1774 par l’architecte Vigneux pour Durand de Monville, fut agrandi et transformé par l'architecte Jean-François-Thérèse Chalgrin, premier architecte et intendant des bâtiments du comte de Provence. Ce dernier allait faire de Montreuil l’archétype de la résidence princière de la fin du XVIIIème siècle, mêlant deux inspirations majeures : un rigoureux néoclassicisme pour l’architecture, un romantisme anglais pour les jardins.
Des écuries, des remises, une melonnière et un potager furent vite ajoutés. Derrière le Pavillon s’étendait un vaste parc paysagé à l'anglaise. L'eau y était acheminée depuis la butte de Montbauron par une conduite en cuivre. On y trouvait un bois de sycomores, d'ormes et de frênes, une rivière agrémentée de trois îles, une pelouse vallonnée, une montagne, ainsi que de nombreuses fabriques : une chaumière, un hameau, une pagode, un belvédère et le temple de Diane, destinées à rivaliser avec le Hameau de la Reine de Trianon.
Enfin un remarquable pavillon de musique de forme hexagonale construit en 1784, toujours par Chalgrin, et une laiterie venaient compléter l’ensemble.
Contrainte à quitter la France pour échapper à la Révolution Française, la comtesse de Provence doit fuir Montreuil. Ses biens sont saisis avec ceux des émigrés. La Comtesse de Provence parcourt l’Europe avec sa lectrice, et probable amante Marguerite de Gourbillon. Celle qui est en 1810 Reine de France aux yeux des monarchistes meurt en Angleterre sans avoir revu ni la France ni Montreuil.
L’AMENAGEMENT DE MONTREUIL
Dans sa biographie publiée en 1913 (Joséphine de Savoie, comtesse de Provence, 1753-1810), le vicomte de Reiset a décrit de façon brève les intérieurs du pavillon principal, à partir de documents conservés alors aux archives de Seine et Oise et aujourd’hui détenus par les archives départementales des Yvelines (IV Q 3). Un premier inventaire est en effet dressé le 23 mars 1792 par M. Charbonnier. Un second est réalisé par M. Charles, commissaire, du 17 au 26 juillet de la même année. L’ Inventaire des Meubles et Effets étant dans la Montreuil appartenant ci-devant à Mde Epouse de Louis Stanislas Xavier dont il existe deux versions, sera suivi d’une vente aux enchères publiques un an plus tard le 9 juillet 1793 et produisit la somme de 17 569 L. Ni ces inventaires, ni le procès-verbal de la vente ne font mention de notre mobilier. A la lecture des inventaires, nous comprenons qu’à quelques exceptions près, tous les meubles précieux et les objets d’art, ainsi que la garde-robe, avaient été enlevés de Montreuil. Ils furent certainement cachés à dessein par la comtesse ou emportés dans sa fuite. Aussi ne reste-t-il que quelques meubles foncés de paille ou de canne, des barres de fer dans la cheminée, un lustre en cristal de roche sans doute trop compliqué à sauver dans cette précipitation.
Si notre mobilier ne figure pas à ces inventaires, grâce à la prudence de la comtesse de Provence, les inventaires toutefois pour plus de clarté décrivent brièvement les pièces qui ont constitué leur premier décor. La suite de quatre fauteuils était dans la chambre de Madame. Cette « chambre à coucher de la comtesse de Provence, à droite du salon, était parquetée et tendue sur les murs de siamoise fleurie bleue et blanche. La cheminée était en marbre blanc sculpté ».
Le grand salon, sans doute celui où étaient installés notre canapé, les chaises le bout-de-pied, ouvrait sur le parc par trois fenêtres, était tendu d’étoffes bleues, avec des dessus de porte en stuc à décor de guirlandes de fleurs sur fond jaune antique. Il était éclairé par un grand lustre en cristal de roche et meublé en outre d’un ensemble de chaises en lyre. Plus loin au rez-de-chaussée se trouvaient un cabinet à l’anglaise et deux boudoirs, dont un cabinet vert et un cabinet chinois. Au premier étage se trouvaient les appartements des invités avec au centre une pièce tendue de toiles de Jouy réservée pour le comte de Provence.
GEORGES JACOB : MENUISIER EN MEUBLE DES RESIDENCES ROYALES
Par l’intelligence de ses lignes, son sens du dessin, le parfait équilibre entre la rigueur des lignes et la générosité de la sculpture, sa qualité d’exécution supérieure, cet élégant ensemble de sièges est caractéristique du meilleur de Georges Jacob au dernier quart du XVIIIe siècle. Le plus célèbre des menuisiers en siège de cette fin du XVIIIe siècle signe ici une réalisation impeccable, emprunte de grandeur, à la hauteur de ses livraisons pour les autres maisons royales. Les consoles d’accotoir terminées en enroulement, les crosses du canapé, si reconnaissables, se retrouvent notamment sur le fameux mobilier de salon estampillé par Jacob pour le château de Saint-Cloud en 1787. Ce très important mobilier comportait soixante-deux pièces dont deux grands canapés, l’un aujourd’hui conservé au château de Versailles (inv. V4925 ; D. Meyer, Le mobilier de Versailles, Tome 1, Dijon, 2002, pp. 166-167, ill.).
PIERRE DE NOLHAC : LA RENAISSANCE DU CHATEAU DE VERSAILLES
Outre les étiquettes collées et malheureusement assez endommagées depuis sur les ceintures des meubles, une lettre vient corroborer la provenance de notre magnifique ensemble. Ecrite le 3 avril 1919, elle est signée par Pierre de Nolhac. Le conservateur de Versailles, grand érudit et connaisseur du mobilier du XVIIIe siècle, affirme que « La mention portée sur un des sièges du très beau meuble que vous m’avez montré établit d’une façon certaine que le meuble a orné un des salons de Montreuil, près de Versailles, où Madame possédait une maison de campagne ».
Pierre de Nolhac est le grand artisan de la Renaissance du domaine de Versailles à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Nommé attaché de conservation en 1886, puis conservateur en 1892, il consacra trente ans de sa vie à la réhabilitation de Versailles, et dédia toute son énergie et son savoir pour redonner à une ruine grandiose délaissée par la République son éclat d’antan.
« Écrivez des livres sur Versailles si cela vous amuse, mais laissez en paix ce musée qui n’intéresse plus personne. » Fort heureusement l’humaniste Pierre de Nolhac n’écouta que la première partie de ce conseil. Il consacra à Versailles de nombreux ouvrages fondamentaux. Il mit en revanche fin au triste musée de Louis-Philippe pour initier de grands travaux de restauration et de décoration basés sur les archives.
Accordant une importance prépondérante au mobilier et aux arts décoratifs dont il est passionné, conscient de leurs vertus didactiques pour la compréhension d’une époque, Pierre de Nolhac contribua au renouveau de la passion française pour le mobilier du XVIIIe siècle. S’appuyant sur le Mobilier national, et appuyant la création d’une section consacrée au mobilier au musée du Louvre dès 1901, il enrichit Versailles entre 1900 et 1914 de meubles de premier choix. À son instigation fut également fondée en 1907 la Société des amis de Versailles qui permit et permet encore aujourd’hui le financement d’acquisitions et de campagnes de restaurations et le rayonnement de Versailles à travers le monde.
MADAME A MONTREUIL
Marie-Joséphine, fille de Victor-Amédée III de Savoie, roi de Sardaigne, et de Marie-Antoinette, infante d'Espagne, naît princesse de Savoie le 2 septembre 1753. Le 14 mai 1771 elle devient comtesse de Provence par son mariage avec le frère du roi Louis-Stanislas-Xavier de France. Et à l’avènement de Louis XVI en 1774, la comtesse de Provence devint la seconde dame de France après la Reine et reçoit suivant l'usage l'appellation de « Madame ».
Arrivée à Versailles à l’âge de 17 ans, isolée et quelque peu délaissée, Madame décida d’installer sa résidence principale à l'écart de la Cour. A l’instar de Marie-Antoinette à Trianon, la comtesse de Provence voulut avoir son domaine privé à proximité de la résidence royale. En 1780, elle fit l’acquisition à Montreuil d’un pavillon d’habitation, qui appartenait au prince de Montbarrey, élevé au milieu d'un verger d'un hectare environ, planté d’arbres fruitiers. Par l'intermédiaire d'Imbert de Lattes, la princesse fit l'acquisition de la propriété pour la somme de 30 000 livres, étendant bientôt son domaine par l'acquisition de dix-sept jardins et divers bâtiments avec meubles et effets mobiliers. Le parc s’étendit bientôt sur plus d’une douzaine d’hectares.
Le pavillon d'habitation initialement construit en 1774 par l’architecte Vigneux pour Durand de Monville, fut agrandi et transformé par l'architecte Jean-François-Thérèse Chalgrin, premier architecte et intendant des bâtiments du comte de Provence. Ce dernier allait faire de Montreuil l’archétype de la résidence princière de la fin du XVIIIème siècle, mêlant deux inspirations majeures : un rigoureux néoclassicisme pour l’architecture, un romantisme anglais pour les jardins.
Des écuries, des remises, une melonnière et un potager furent vite ajoutés. Derrière le Pavillon s’étendait un vaste parc paysagé à l'anglaise. L'eau y était acheminée depuis la butte de Montbauron par une conduite en cuivre. On y trouvait un bois de sycomores, d'ormes et de frênes, une rivière agrémentée de trois îles, une pelouse vallonnée, une montagne, ainsi que de nombreuses fabriques : une chaumière, un hameau, une pagode, un belvédère et le temple de Diane, destinées à rivaliser avec le Hameau de la Reine de Trianon.
Enfin un remarquable pavillon de musique de forme hexagonale construit en 1784, toujours par Chalgrin, et une laiterie venaient compléter l’ensemble.
Contrainte à quitter la France pour échapper à la Révolution Française, la comtesse de Provence doit fuir Montreuil. Ses biens sont saisis avec ceux des émigrés. La Comtesse de Provence parcourt l’Europe avec sa lectrice, et probable amante Marguerite de Gourbillon. Celle qui est en 1810 Reine de France aux yeux des monarchistes meurt en Angleterre sans avoir revu ni la France ni Montreuil.
L’AMENAGEMENT DE MONTREUIL
Dans sa biographie publiée en 1913 (Joséphine de Savoie, comtesse de Provence, 1753-1810), le vicomte de Reiset a décrit de façon brève les intérieurs du pavillon principal, à partir de documents conservés alors aux archives de Seine et Oise et aujourd’hui détenus par les archives départementales des Yvelines (IV Q 3). Un premier inventaire est en effet dressé le 23 mars 1792 par M. Charbonnier. Un second est réalisé par M. Charles, commissaire, du 17 au 26 juillet de la même année. L’ Inventaire des Meubles et Effets étant dans la Montreuil appartenant ci-devant à Mde Epouse de Louis Stanislas Xavier dont il existe deux versions, sera suivi d’une vente aux enchères publiques un an plus tard le 9 juillet 1793 et produisit la somme de 17 569 L. Ni ces inventaires, ni le procès-verbal de la vente ne font mention de notre mobilier. A la lecture des inventaires, nous comprenons qu’à quelques exceptions près, tous les meubles précieux et les objets d’art, ainsi que la garde-robe, avaient été enlevés de Montreuil. Ils furent certainement cachés à dessein par la comtesse ou emportés dans sa fuite. Aussi ne reste-t-il que quelques meubles foncés de paille ou de canne, des barres de fer dans la cheminée, un lustre en cristal de roche sans doute trop compliqué à sauver dans cette précipitation.
Si notre mobilier ne figure pas à ces inventaires, grâce à la prudence de la comtesse de Provence, les inventaires toutefois pour plus de clarté décrivent brièvement les pièces qui ont constitué leur premier décor. La suite de quatre fauteuils était dans la chambre de Madame. Cette « chambre à coucher de la comtesse de Provence, à droite du salon, était parquetée et tendue sur les murs de siamoise fleurie bleue et blanche. La cheminée était en marbre blanc sculpté ».
Le grand salon, sans doute celui où étaient installés notre canapé, les chaises le bout-de-pied, ouvrait sur le parc par trois fenêtres, était tendu d’étoffes bleues, avec des dessus de porte en stuc à décor de guirlandes de fleurs sur fond jaune antique. Il était éclairé par un grand lustre en cristal de roche et meublé en outre d’un ensemble de chaises en lyre. Plus loin au rez-de-chaussée se trouvaient un cabinet à l’anglaise et deux boudoirs, dont un cabinet vert et un cabinet chinois. Au premier étage se trouvaient les appartements des invités avec au centre une pièce tendue de toiles de Jouy réservée pour le comte de Provence.
GEORGES JACOB : MENUISIER EN MEUBLE DES RESIDENCES ROYALES
Par l’intelligence de ses lignes, son sens du dessin, le parfait équilibre entre la rigueur des lignes et la générosité de la sculpture, sa qualité d’exécution supérieure, cet élégant ensemble de sièges est caractéristique du meilleur de Georges Jacob au dernier quart du XVIIIe siècle. Le plus célèbre des menuisiers en siège de cette fin du XVIIIe siècle signe ici une réalisation impeccable, emprunte de grandeur, à la hauteur de ses livraisons pour les autres maisons royales. Les consoles d’accotoir terminées en enroulement, les crosses du canapé, si reconnaissables, se retrouvent notamment sur le fameux mobilier de salon estampillé par Jacob pour le château de Saint-Cloud en 1787. Ce très important mobilier comportait soixante-deux pièces dont deux grands canapés, l’un aujourd’hui conservé au château de Versailles (inv. V4925 ; D. Meyer, Le mobilier de Versailles, Tome 1, Dijon, 2002, pp. 166-167, ill.).
PIERRE DE NOLHAC : LA RENAISSANCE DU CHATEAU DE VERSAILLES
Outre les étiquettes collées et malheureusement assez endommagées depuis sur les ceintures des meubles, une lettre vient corroborer la provenance de notre magnifique ensemble. Ecrite le 3 avril 1919, elle est signée par Pierre de Nolhac. Le conservateur de Versailles, grand érudit et connaisseur du mobilier du XVIIIe siècle, affirme que « La mention portée sur un des sièges du très beau meuble que vous m’avez montré établit d’une façon certaine que le meuble a orné un des salons de Montreuil, près de Versailles, où Madame possédait une maison de campagne ».
Pierre de Nolhac est le grand artisan de la Renaissance du domaine de Versailles à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Nommé attaché de conservation en 1886, puis conservateur en 1892, il consacra trente ans de sa vie à la réhabilitation de Versailles, et dédia toute son énergie et son savoir pour redonner à une ruine grandiose délaissée par la République son éclat d’antan.
« Écrivez des livres sur Versailles si cela vous amuse, mais laissez en paix ce musée qui n’intéresse plus personne. » Fort heureusement l’humaniste Pierre de Nolhac n’écouta que la première partie de ce conseil. Il consacra à Versailles de nombreux ouvrages fondamentaux. Il mit en revanche fin au triste musée de Louis-Philippe pour initier de grands travaux de restauration et de décoration basés sur les archives.
Accordant une importance prépondérante au mobilier et aux arts décoratifs dont il est passionné, conscient de leurs vertus didactiques pour la compréhension d’une époque, Pierre de Nolhac contribua au renouveau de la passion française pour le mobilier du XVIIIe siècle. S’appuyant sur le Mobilier national, et appuyant la création d’une section consacrée au mobilier au musée du Louvre dès 1901, il enrichit Versailles entre 1900 et 1914 de meubles de premier choix. À son instigation fut également fondée en 1907 la Société des amis de Versailles qui permit et permet encore aujourd’hui le financement d’acquisitions et de campagnes de restaurations et le rayonnement de Versailles à travers le monde.