Lot Essay
Le Comité Chagall a confirmé l'authenticité de cette oeuvre.
LA REDÉCOUVERTE D'UN CHEF-D'OEUVRE DE MARC CHAGALL
Christie's a le grand honneur de proposer ce petit chef-d'œuvre de Marc Chagall, une redécouverte exceptionnelle de provenance remarquable. Ce fut en 1935, à l'occasion du mariage de sa fille Ida, que l'artiste fit don de ce somptueux tableau à son gendre Michel Rapaport (alias Michel Gordey) ; depuis, L'Ange est resté entre les mains de la même famille durant plus de quatre-vingt cinq ans. Cette scène étoilée représente un ange blanc rayonnant qui brandit un bouquet de fleurs rouges et plane au-dessus d'un bourg baigné d'un bleu-vert vaporeux. L'architecture singulière des habitations évoque celle de Vitebsk, la ville natale de Chagall en actuelle Biélorussie ; un lieu qui lui est resté cher et qui constitue un leitmotiv nostalgique de l'ensemble de son œuvre. Si la figure ailée domine largement l'espace pictural, ici, c'est pourtant sur le croissant de lune, dont le jaune vif brille contre l'intense bleu outremer du ciel, que semble d'abord se poser le regard de l'observateur avant de glisser vers le rouge écarlate du bouquet presque abstrait. La lune renferme une signification toute particulière dans la peinture de Chagall ; elle renvoie au « Roch Hodech » de la tradition juive, le premier jour du mois lunaire selon le calendrier hébraïque. De la même manière, L'Ange marque un tournant dans la vie familiale de l'artiste – une « nouvelle lune » – et témoigne de la tendresse qu'il voue à sa fille Ida et à son beau-fils Michel Gordey.
La relation entre Chagall et Ida, née en 1916, est vraisemblablement complexe et fusionnelle. Celle-ci pose régulièrement pour son père depuis l'âge de quinze ans, parfois dévêtue, comme dans Nu au-dessus de Vitebsk (1933 ; Dallas Museum of Art). Aussi, en 1934, le peintre se montre-t-il d'abord réticent à l'idée d'accorder la main de sa fille de dix-neuf ans à Michel Rapaport. Il peint alors La Chaise de la mariée, une toile dépourvue de joie et gorgée, au contraire, de mélancolie, dans laquelle trône un fauteuil vide couvert d'un voile blanc et d'une chute de fleurs désolées. Dans cette étrange composition dénuée de présence humaine, c'est paradoxalement par son absence que l'artiste évoque la mariée, symbolisée par ce bouquet virginal ; les roses blanches sur la gauche de la chaise semblent, quant à elles, représenter le jeune époux. En arrière-plan, deux tableaux de Chagall sont accrochés au mur, comme s'ils se cramponnaient à Ida et venaient envahir son espace intime. Peint vers la même période, L'Ange témoigne au contraire de l'approbation du peintre quant au choix de vie de sa fille. La dédicace au dos de la toile laisse bien entendre que Chagall offrit ce ravissant tableau à son gendre Michel en guise de cadeau de mariage. Contrairement à La Chaise de la mariée, ici, c'est la forme humaine qui domine. Grandiose, radieux, l'ange incarne peut-être l'artiste lui-même – souvent surnommé « l'ange peintre » – ou bien sa fille, prête à prendre son envol de femme mariée. Cette grande créature qui donne son nom à l'œuvre pourrait par ailleurs signifier une présence divine prépondérante qui veillerait, du haut de la composition, sur le village en contrebas.
Malgré sa symbolique riche et complexe, l'ange du présent tableau paraît anxieux, comme déchiré entre la volonté de protéger les lieux et de fuir l'obscurité bleutée de la ville qui s'étend sous ses pieds. En ce sens, il trahit peut-être la préoccupation croissante de Chagall face à la montée de l'antisémitisme en Europe. Le sentiment de judéité de l'artiste est alors à son comble au lendemain d'un voyage spirituellement enrichissant en Palestine en 1931, suivi d'un séjour à Vilnius (alors Vilna, en Pologne) avec Bella en 1935, à l'occasion de l'inauguration de l'Institut culturel juif. Or en septembre de cette année-là, le régime nazi met en vigueur les lois de Nuremberg qui vont catégoriquement exclure les Juifs de la race « aryenne ». Si cette œuvre à la fois intimiste et poignante a été conçue pour célébrer le nouveau départ d'Ida – et par conséquent, de l'artiste – et pour accueillir Michel Rapaport dans le clan Chagall, elle annonce aussi la terreur qui va bientôt peser sur la famille du peintre (et tant d'autres) dix longues années. Lionello Venturi (1885-1961), éminent historien de l'art, admirateur et ami proche de l'artiste, choisit des mots percutants pour décrire L’Ange : « Malgré le charme de la composition, il se dégage une impression de désolation. L’Ange est là, mais une mélancolie particulière imprègne toute l’image, lui donnant un rythme balancé douloureux ; la composition semble baignée de larmes douces et de pitié humaine. Même la couleur, malgré la richesse des tons, parle à voix basse. »
Le pathos que Chagall parvient à exprimer à travers les traits du visage de son ange, rendu plus dramatique encore par la lueur bleue foncée qui étouffe les toits de la ville, a sans doute été influencé par son séjour en Espagne en juillet-août 1934. À Madrid et à Tolède, il découvre notamment les chefs-d'œuvre de Velazquez, de Goya et surtout du Greco, qu'il juge « meilleur encore que l’Espagne tout entière » (Meyer, p. 408). En 1934-35, il réalise sans doute son œuvre la plus marquée par l'héritage des maîtres espagnols et du Greco en particulier : Bella en vert (Stedelijk Museum, Amsterdam), un portrait dans lequel il dépeint son épouse avec un réalisme déroutant et un émoi peu commun. Car ce qui caractérise l'art de Chagall, c'est bien l'imagination sans bornes dont il imprègne ses visions oniriques et fantaisistes, à la manière de cette petite ville à l'éclat bleuté survolée d'un ange. Or ce monde féérique va vaciller face aux cruelles réalités du milieu des années 1930 – une dualité que Chagall évoque ingénieusement dans cette toile.
Michel Gordey (1913-2005) était un descendant direct du célèbre rabbin Salomon Judah Leib Rapaport (1790-1867), Grand Rabbin de Prague de 1840 à 1867 et pionnier de la « Science du judaïsme » (« Wissenschaft des Judentums »).
Bella et Marc Chagall obtiennent en avril 1941 le visa pour l'Amérique qui va leur permettre de fuir la France occupée. Michel et Ida ne pourront les rejoindre à New York que quelques semaines plus tard, au mois de septembre, grâce à la nomination de Michel Rapaport au poste d'assistant et coordinateur d'une exposition de Chagall aux États-Unis. Avant d'amorcer leur traversée épique de l'Atlantique à bord du « Navemar », un cargo surpeuplé sur lequel ils passeront 42 jours, Michel et Ida (de même que les amis français et espagnols du peintre) contribueront grandement à cacher les œuvres de Chagall en France afin de limiter leur pillage par les Nazis qui les considèrent, depuis 1937, comme de l'art « dégénéré ». Une fois installé à New York, Michel Rapaport est engagé en 1942 en tant que journaliste sur les ondes de l'émission ‘Voice of America'. Afin de protéger sa famille restée en Europe, il adopte alors le nom de « Gordey » en hommage à « Gordes », la ville de Provence où Michel et Ida s'étaient réfugiés auprès de Chagall et Bella avant l'exil outre-Atlantique. Ida emprunte elle aussi ce pseudonyme dont elle signe ses tableaux, notamment ceux qu'elle exposera à la galerie Durand-Ruel à New York en février 1944.
A REDISCOVERY OF A MASTERPIECE BY MARC CHAGALL
Christie’s is thrilled to offer a rare rediscovery of a jewel-like painting by Chagall, with such impeccable provenance. L’Ange has remained in the same family for over 85 years, ever since it was gifted to Michel Rapaport (later known as Michel Gordey) in 1935, when he married Ida, Chagall’s daughter. L’Ange depicts a radiant white angel holding a bouquet of red flowers, hovering above a dreamy blue-green village. Its iconic architecture resonates that of Vitebsk, Chagall’s beloved native Russian village, that remained a nostalgic leit motiv throughout his oeuvre. Although the angel takes up most of the pictorial space, the viewer’s eye goes straight to the bright yellow moon crescent shining against a deep ultramarine blue sky, before moving down to the almost abstract red bouquet. The moon carries a particular significance in Chagall’s painting, recalling the importance of ‘Roch Hodech’, that announces the new moon and the start of the month in the Jewish tradition. In a similar way, L’Ange marks a turning-point in Chagall’s personal life - a new ‘moon’ - and bears witness to his tenderness towards his daughter Ida and his son-in-law Michel Gordey.
Chagall seemed to have a complex fusional relationship with Ida, born in 1916. She was already posing for her father - sometimes naked as seen in Nude above Vitebsk (1933; Dallas Museum of Art) - since she was fifteen years old. Therefore, when the nineteen year-old Ida married Michel Rapaport in 1934, Chagall appears to have taken some time to accept to give away his daughter to her fiancé. Chagall painted The Bridal Chair in 1934, on the occasion of his daughter’s wedding yet a sense of sadness rather than happiness emanates from the strange setting of an empty chair covered with a white shroud and a cascade of stark white flowers. Devoid of any human presence, it is ironically the absence of the bride replaced by flowers that refers to Ida, whilst the groom may be represented by the large bunch of white roses to the left of the chair. A couple of Chagall’s paintings are hanging on the wall in the painting’s background, as if clinging to Ida and almost invading her intimacy. Yet L’Ange, painted roughly at the same time, reveals Chagall’s approval of his daughter’s new life and choice. This charming painting was a wedding gift from the artist to his son-in-law Michel, as hinted by the dedication on the reverse of the canvas. In contrast to The Bridal Chair, the human figure is predominant with the oversized bright angel, who may stand for the artist himself - Chagall, being often referred to as the ‘angel-painter’ - or to his daughter who is ready to embark on her own adult and married life. The title L’Ange may also suggest the presence and incarnation of God, with its prominent position in the composition, as if protecting the village below.
Despite the multi-layered symbolism of the Angel, he appears tense and worried in Chagall’s present work, torn between protecting and fleeing the blue darkness of the village below, perhaps translating Chagall’s raising awareness of how antisemitism was becoming more and more a reality. He became even more so conscious of his Jewish identity following a spiritually fruitful trip to Palestine in 1931 and another one with Bella to Vilna (then in Poland) in 1935 for the inauguration of the Jewish Cultural Institute. In September that same year, the Nazi Regime outlined the Nuremberg Racial Laws, that excluded Jews from their clearly defined ‘Aryan’ race. Although painted to commemorate a new chapter in Ida’s life - consequently a new one for Chagall too - and to welcome Michel Rapaport in the Chagall family, this intimate yet emotionally loaded painting announces the threat of terror and war that would loom over Chagall’s family - and so many others - during the next ten years or so. Lionello Venturi (1885-1961), one of the artist’s close friend, admirer and art historian wrote a striking description of L’Ange: ‘despite the composition’s charming appearance, a sense of despair emanates from the scene. The Angel is there, but the image is imbued with a particular melancholy, endowing it with a painful balanced rhythm ; the composition seems to bathe in soft tears and human pity. Even the palette - despite its rich colour tones - speaks quietly.’
Chagall’s ability to convey such pathos through his angel’s facial features, emphasized by the dramatic dark blue light suffocating the town’s rooftops, was most likely influenced by his trip to Spain in July-August 1934. In Madrid and Toledo, he encountered the impressive paintings of the Spanish painters, the likes of Velazquez, Goya and especially El Greco, described by Chagall as being ‘greater than the whole of Spain’ (Meyer, p. 408). The portrait realized by Chagall that is probably the most indebted to the Spanish Masters, namely El Greco, was precisely painted also in 1934-35, Bella in Green (Stedelijk Museum, Amsterdam), depicting his beloved wife with such emotion and such unusual realism for Chagall. One of Chagall’s signature is his boundless imagination in creating whimsical and dreamy scenes, as present here in the blue-lit town and the floating angel. Yet this dream-like world is destabilized by the mid-1930s’ harsh reality and increasing threat, a contrast ingeniously interpreted by Chagall in L’Ange.
Michel Gordey (1913-2005) was a direct heir of Salomon Judah Leib Rapaport (1790-1867), the famous rabbi who was a pioneer of the Science of Judaism (Wissenschaft des Judentums) and Grand Rabbi of Prague from 1840 to 1867.
When Bella and Chagall obtained their visa for America to flee the war raging through France in April 1941, Michel and Ida were only able to join them in New York a few weeks later in September 1941, thanks to Michel’s appointment as secretary and coordinator of Chagall’s exhibition held in America. Before enduring their epic 42-day trip on board the overcrowded cargo ship the ‘Navemar’, Michel and Ida played a critical role, alongside the artist’s fellow French and Spanish friends, in hiding Chagall’s works in France, avoiding any further paintings from being looted by the Germans who had identified Chagall’s work as early as 1937 as so-called ‘degenerate art’. After reuniting with Chagall and Bella and settling in New York, Michel Rapaport was hired as a journalist for the radio broadcast ‘Voice of America’ in 1942. At that moment, he changed his surname to ‘Gordey’, deriving from ‘Gordes’, the town in Provence where Michel and Ida had taken refuge alongside Chagall and Bella before their exile to America, in order to protect his family who had stayed behind in Europe. From then on, Ida also adopted that surname, exhibiting her own artworks under the name ‘Ida Gordey’, as in her solo show held in February 1944 at the Durand-Ruel Galleries in New York.
LA REDÉCOUVERTE D'UN CHEF-D'OEUVRE DE MARC CHAGALL
Christie's a le grand honneur de proposer ce petit chef-d'œuvre de Marc Chagall, une redécouverte exceptionnelle de provenance remarquable. Ce fut en 1935, à l'occasion du mariage de sa fille Ida, que l'artiste fit don de ce somptueux tableau à son gendre Michel Rapaport (alias Michel Gordey) ; depuis, L'Ange est resté entre les mains de la même famille durant plus de quatre-vingt cinq ans. Cette scène étoilée représente un ange blanc rayonnant qui brandit un bouquet de fleurs rouges et plane au-dessus d'un bourg baigné d'un bleu-vert vaporeux. L'architecture singulière des habitations évoque celle de Vitebsk, la ville natale de Chagall en actuelle Biélorussie ; un lieu qui lui est resté cher et qui constitue un leitmotiv nostalgique de l'ensemble de son œuvre. Si la figure ailée domine largement l'espace pictural, ici, c'est pourtant sur le croissant de lune, dont le jaune vif brille contre l'intense bleu outremer du ciel, que semble d'abord se poser le regard de l'observateur avant de glisser vers le rouge écarlate du bouquet presque abstrait. La lune renferme une signification toute particulière dans la peinture de Chagall ; elle renvoie au « Roch Hodech » de la tradition juive, le premier jour du mois lunaire selon le calendrier hébraïque. De la même manière, L'Ange marque un tournant dans la vie familiale de l'artiste – une « nouvelle lune » – et témoigne de la tendresse qu'il voue à sa fille Ida et à son beau-fils Michel Gordey.
La relation entre Chagall et Ida, née en 1916, est vraisemblablement complexe et fusionnelle. Celle-ci pose régulièrement pour son père depuis l'âge de quinze ans, parfois dévêtue, comme dans Nu au-dessus de Vitebsk (1933 ; Dallas Museum of Art). Aussi, en 1934, le peintre se montre-t-il d'abord réticent à l'idée d'accorder la main de sa fille de dix-neuf ans à Michel Rapaport. Il peint alors La Chaise de la mariée, une toile dépourvue de joie et gorgée, au contraire, de mélancolie, dans laquelle trône un fauteuil vide couvert d'un voile blanc et d'une chute de fleurs désolées. Dans cette étrange composition dénuée de présence humaine, c'est paradoxalement par son absence que l'artiste évoque la mariée, symbolisée par ce bouquet virginal ; les roses blanches sur la gauche de la chaise semblent, quant à elles, représenter le jeune époux. En arrière-plan, deux tableaux de Chagall sont accrochés au mur, comme s'ils se cramponnaient à Ida et venaient envahir son espace intime. Peint vers la même période, L'Ange témoigne au contraire de l'approbation du peintre quant au choix de vie de sa fille. La dédicace au dos de la toile laisse bien entendre que Chagall offrit ce ravissant tableau à son gendre Michel en guise de cadeau de mariage. Contrairement à La Chaise de la mariée, ici, c'est la forme humaine qui domine. Grandiose, radieux, l'ange incarne peut-être l'artiste lui-même – souvent surnommé « l'ange peintre » – ou bien sa fille, prête à prendre son envol de femme mariée. Cette grande créature qui donne son nom à l'œuvre pourrait par ailleurs signifier une présence divine prépondérante qui veillerait, du haut de la composition, sur le village en contrebas.
Malgré sa symbolique riche et complexe, l'ange du présent tableau paraît anxieux, comme déchiré entre la volonté de protéger les lieux et de fuir l'obscurité bleutée de la ville qui s'étend sous ses pieds. En ce sens, il trahit peut-être la préoccupation croissante de Chagall face à la montée de l'antisémitisme en Europe. Le sentiment de judéité de l'artiste est alors à son comble au lendemain d'un voyage spirituellement enrichissant en Palestine en 1931, suivi d'un séjour à Vilnius (alors Vilna, en Pologne) avec Bella en 1935, à l'occasion de l'inauguration de l'Institut culturel juif. Or en septembre de cette année-là, le régime nazi met en vigueur les lois de Nuremberg qui vont catégoriquement exclure les Juifs de la race « aryenne ». Si cette œuvre à la fois intimiste et poignante a été conçue pour célébrer le nouveau départ d'Ida – et par conséquent, de l'artiste – et pour accueillir Michel Rapaport dans le clan Chagall, elle annonce aussi la terreur qui va bientôt peser sur la famille du peintre (et tant d'autres) dix longues années. Lionello Venturi (1885-1961), éminent historien de l'art, admirateur et ami proche de l'artiste, choisit des mots percutants pour décrire L’Ange : « Malgré le charme de la composition, il se dégage une impression de désolation. L’Ange est là, mais une mélancolie particulière imprègne toute l’image, lui donnant un rythme balancé douloureux ; la composition semble baignée de larmes douces et de pitié humaine. Même la couleur, malgré la richesse des tons, parle à voix basse. »
Le pathos que Chagall parvient à exprimer à travers les traits du visage de son ange, rendu plus dramatique encore par la lueur bleue foncée qui étouffe les toits de la ville, a sans doute été influencé par son séjour en Espagne en juillet-août 1934. À Madrid et à Tolède, il découvre notamment les chefs-d'œuvre de Velazquez, de Goya et surtout du Greco, qu'il juge « meilleur encore que l’Espagne tout entière » (Meyer, p. 408). En 1934-35, il réalise sans doute son œuvre la plus marquée par l'héritage des maîtres espagnols et du Greco en particulier : Bella en vert (Stedelijk Museum, Amsterdam), un portrait dans lequel il dépeint son épouse avec un réalisme déroutant et un émoi peu commun. Car ce qui caractérise l'art de Chagall, c'est bien l'imagination sans bornes dont il imprègne ses visions oniriques et fantaisistes, à la manière de cette petite ville à l'éclat bleuté survolée d'un ange. Or ce monde féérique va vaciller face aux cruelles réalités du milieu des années 1930 – une dualité que Chagall évoque ingénieusement dans cette toile.
Michel Gordey (1913-2005) était un descendant direct du célèbre rabbin Salomon Judah Leib Rapaport (1790-1867), Grand Rabbin de Prague de 1840 à 1867 et pionnier de la « Science du judaïsme » (« Wissenschaft des Judentums »).
Bella et Marc Chagall obtiennent en avril 1941 le visa pour l'Amérique qui va leur permettre de fuir la France occupée. Michel et Ida ne pourront les rejoindre à New York que quelques semaines plus tard, au mois de septembre, grâce à la nomination de Michel Rapaport au poste d'assistant et coordinateur d'une exposition de Chagall aux États-Unis. Avant d'amorcer leur traversée épique de l'Atlantique à bord du « Navemar », un cargo surpeuplé sur lequel ils passeront 42 jours, Michel et Ida (de même que les amis français et espagnols du peintre) contribueront grandement à cacher les œuvres de Chagall en France afin de limiter leur pillage par les Nazis qui les considèrent, depuis 1937, comme de l'art « dégénéré ». Une fois installé à New York, Michel Rapaport est engagé en 1942 en tant que journaliste sur les ondes de l'émission ‘Voice of America'. Afin de protéger sa famille restée en Europe, il adopte alors le nom de « Gordey » en hommage à « Gordes », la ville de Provence où Michel et Ida s'étaient réfugiés auprès de Chagall et Bella avant l'exil outre-Atlantique. Ida emprunte elle aussi ce pseudonyme dont elle signe ses tableaux, notamment ceux qu'elle exposera à la galerie Durand-Ruel à New York en février 1944.
A REDISCOVERY OF A MASTERPIECE BY MARC CHAGALL
Christie’s is thrilled to offer a rare rediscovery of a jewel-like painting by Chagall, with such impeccable provenance. L’Ange has remained in the same family for over 85 years, ever since it was gifted to Michel Rapaport (later known as Michel Gordey) in 1935, when he married Ida, Chagall’s daughter. L’Ange depicts a radiant white angel holding a bouquet of red flowers, hovering above a dreamy blue-green village. Its iconic architecture resonates that of Vitebsk, Chagall’s beloved native Russian village, that remained a nostalgic leit motiv throughout his oeuvre. Although the angel takes up most of the pictorial space, the viewer’s eye goes straight to the bright yellow moon crescent shining against a deep ultramarine blue sky, before moving down to the almost abstract red bouquet. The moon carries a particular significance in Chagall’s painting, recalling the importance of ‘Roch Hodech’, that announces the new moon and the start of the month in the Jewish tradition. In a similar way, L’Ange marks a turning-point in Chagall’s personal life - a new ‘moon’ - and bears witness to his tenderness towards his daughter Ida and his son-in-law Michel Gordey.
Chagall seemed to have a complex fusional relationship with Ida, born in 1916. She was already posing for her father - sometimes naked as seen in Nude above Vitebsk (1933; Dallas Museum of Art) - since she was fifteen years old. Therefore, when the nineteen year-old Ida married Michel Rapaport in 1934, Chagall appears to have taken some time to accept to give away his daughter to her fiancé. Chagall painted The Bridal Chair in 1934, on the occasion of his daughter’s wedding yet a sense of sadness rather than happiness emanates from the strange setting of an empty chair covered with a white shroud and a cascade of stark white flowers. Devoid of any human presence, it is ironically the absence of the bride replaced by flowers that refers to Ida, whilst the groom may be represented by the large bunch of white roses to the left of the chair. A couple of Chagall’s paintings are hanging on the wall in the painting’s background, as if clinging to Ida and almost invading her intimacy. Yet L’Ange, painted roughly at the same time, reveals Chagall’s approval of his daughter’s new life and choice. This charming painting was a wedding gift from the artist to his son-in-law Michel, as hinted by the dedication on the reverse of the canvas. In contrast to The Bridal Chair, the human figure is predominant with the oversized bright angel, who may stand for the artist himself - Chagall, being often referred to as the ‘angel-painter’ - or to his daughter who is ready to embark on her own adult and married life. The title L’Ange may also suggest the presence and incarnation of God, with its prominent position in the composition, as if protecting the village below.
Despite the multi-layered symbolism of the Angel, he appears tense and worried in Chagall’s present work, torn between protecting and fleeing the blue darkness of the village below, perhaps translating Chagall’s raising awareness of how antisemitism was becoming more and more a reality. He became even more so conscious of his Jewish identity following a spiritually fruitful trip to Palestine in 1931 and another one with Bella to Vilna (then in Poland) in 1935 for the inauguration of the Jewish Cultural Institute. In September that same year, the Nazi Regime outlined the Nuremberg Racial Laws, that excluded Jews from their clearly defined ‘Aryan’ race. Although painted to commemorate a new chapter in Ida’s life - consequently a new one for Chagall too - and to welcome Michel Rapaport in the Chagall family, this intimate yet emotionally loaded painting announces the threat of terror and war that would loom over Chagall’s family - and so many others - during the next ten years or so. Lionello Venturi (1885-1961), one of the artist’s close friend, admirer and art historian wrote a striking description of L’Ange: ‘despite the composition’s charming appearance, a sense of despair emanates from the scene. The Angel is there, but the image is imbued with a particular melancholy, endowing it with a painful balanced rhythm ; the composition seems to bathe in soft tears and human pity. Even the palette - despite its rich colour tones - speaks quietly.’
Chagall’s ability to convey such pathos through his angel’s facial features, emphasized by the dramatic dark blue light suffocating the town’s rooftops, was most likely influenced by his trip to Spain in July-August 1934. In Madrid and Toledo, he encountered the impressive paintings of the Spanish painters, the likes of Velazquez, Goya and especially El Greco, described by Chagall as being ‘greater than the whole of Spain’ (Meyer, p. 408). The portrait realized by Chagall that is probably the most indebted to the Spanish Masters, namely El Greco, was precisely painted also in 1934-35, Bella in Green (Stedelijk Museum, Amsterdam), depicting his beloved wife with such emotion and such unusual realism for Chagall. One of Chagall’s signature is his boundless imagination in creating whimsical and dreamy scenes, as present here in the blue-lit town and the floating angel. Yet this dream-like world is destabilized by the mid-1930s’ harsh reality and increasing threat, a contrast ingeniously interpreted by Chagall in L’Ange.
Michel Gordey (1913-2005) was a direct heir of Salomon Judah Leib Rapaport (1790-1867), the famous rabbi who was a pioneer of the Science of Judaism (Wissenschaft des Judentums) and Grand Rabbi of Prague from 1840 to 1867.
When Bella and Chagall obtained their visa for America to flee the war raging through France in April 1941, Michel and Ida were only able to join them in New York a few weeks later in September 1941, thanks to Michel’s appointment as secretary and coordinator of Chagall’s exhibition held in America. Before enduring their epic 42-day trip on board the overcrowded cargo ship the ‘Navemar’, Michel and Ida played a critical role, alongside the artist’s fellow French and Spanish friends, in hiding Chagall’s works in France, avoiding any further paintings from being looted by the Germans who had identified Chagall’s work as early as 1937 as so-called ‘degenerate art’. After reuniting with Chagall and Bella and settling in New York, Michel Rapaport was hired as a journalist for the radio broadcast ‘Voice of America’ in 1942. At that moment, he changed his surname to ‘Gordey’, deriving from ‘Gordes’, the town in Provence where Michel and Ida had taken refuge alongside Chagall and Bella before their exile to America, in order to protect his family who had stayed behind in Europe. From then on, Ida also adopted that surname, exhibiting her own artworks under the name ‘Ida Gordey’, as in her solo show held in February 1944 at the Durand-Ruel Galleries in New York.