Lot Essay
Georges Matisse a confirmé l’authenticité de cette œuvre.
" Les couleurs sont des forces, elles doivent être organisées en vue de créer un ensemble expressif. "
J. Flam, éd., Matisse on Art, Berekeley, 1995, p. 162.
"Colours are forces, they must be organised in order to create an expressive whole. "
J. Flam, éd., Matisse on Art, Berekeley, 1995, p. 162.
Peint en pleine guerre, vers 1942-1944, Fleurs et fruits, fond rayé témoigne de l’état d’esprit dans lequel se trouve alors Henri Matisse. Ayant fui Paris, l’artiste s’installe dans le Sud de la France et refuse les invitations de Varian Fry à fuir le pays occupé pour l’Amérique, comme l’avaient fait bien d’autres tels Chagall, Ernst et Léger. Bien qu’inquiet de la tournure que prennent les évènements, Matisse s’efforce de rester optimiste. En 1942, alors que la situation continue de mal tourner pour les Alliés, il écrit à son fils Pierre, marchand d'art à New York : "Et maintenant, mon cher Pierre, que penses-tu de la folie collective qui ravage l'ancien et le nouveau monde ? Ressens-tu, comme moi, qu'il y a là quelque chose de funeste et que le monde entier est voué à la destruction ? C'est tout simplement horrible, et pour quoi ?" (cité dans J. Russell, Matisse Father & Son, New York, 1999, p. 224). Malgré les pénuries alimentaires croissantes, la difficulté qu'il avait déjà à trouver des toiles et des pigments, et ses problèmes de santé récurrent, Henri Matisse préfère rester en France. Il était à l'aise dans son atelier et capable d'y travailler, et il n'était pas du tout sûr d'être à l'aise ou capable de travailler aux États-Unis... Pourtant, malgré tout ce que Matisse subi, il n'y a pas la moindre allusion à ces terribles épreuves dans son art. Il s’efforce en effet de voir sa situation aussi positivement que faire se peut.
À cette époque, Matisse est pris d’une soudaine joie de vivre qui l'a revigoré après une période de maladie et de convalescence. Le sentiment de libération que Matisse éprouve maintenant, l'amène à se qualifier de " complètement rajeuni " - " il me semble que je suis dans une seconde vie ", dit-il à Marquet (H. Matisse, cité dans J. Cowart et al., Henri Matisse, Paper Cut-Outs, cat. exp., The Saint Louis Art Museum, Saint Louis, 1977, p. 43). En regardant les œuvres qu'il était en train de réaliser, comme Fleurs et fruits, fond rayé, Matisse était lui-même frappé par leur audace et leur lyrisme, par la fluidité des formes et leur évidente liberté.
Fleurs et fruits, fond rayé témoigne également des raisons pour lesquelles l’artiste dessinait. Matisse expliquait qu’il le faisait pour " traduire mes émotions, mes sentiments et les réactions de ma sensibilité en couleurs et en motifs, ce que ni la caméra la plus parfaite, même en couleurs, ni le cinéma ne peuvent faire " (Henri Matisse cité in A.H. Barr, Jr., Matisse, His Art and His Public, New York, 1966, p. 562). Pour l’artiste les émotions passent par la couleur, utilisée ici de manière si harmonieuse. Le rouge, le bleu, l’orange, le violet et le vert se répondent et dialoguent, sans jamais se concurrencer. Ces couleurs chaudes, intenses et pures s’équilibrent. Ce qui compte pour Matisse c'est la texture de la couleur et l'émotion qu'elle dégage.
De plus, avec Fleurs et fruits, fond rayé Matisse insuffle au classique exercice de la nature morte, un caractère moderne et épuré. Réduisant les formes à leur plus pure essence, il aplanit les plans et réalise une sorte d'épure destinée à clarifier le chaotique processus de création. Le bouquet et les fruits, presque flottant, semblent rattrapés par le fond rayé rouge, comme si la lumière du Sud de la France écrasait inévitablement tout relief. L’artiste abandonne alors définitivement les lois désormais désuètes de la perspective et de l'illusion tridimensionnelle pour de nouveaux espaces intériorisés. S'efforçant de dégager un maximum de clarté de son dessin, il nous livre ici l’image d’un bouquet figé duquel émane une énergie, une musicalité, et un lyrisme que seul Matisse peut traduire.
Painted at the height of the war, circa 1942-1944, Fleurs et fruits, fond rayé shows us Henri Matisse's state of mind at the time. Having fled Paris, the artist moved to southern France and declined Varian Fry's invitations to leave the occupied country for America, as others such as Chagall, Ernst and Léger had done. Although worried about the turn events were taking, Matisse tried to remain optimistic. In 1942, as the situation continued to go badly for the Allies, he wrote to his son Pierre, an art dealer in New York: "And now, my dear Pierre, what do you think of the collective folly that is ravaging the old and new worlds? Do you feel, as I do, that there is something fatal in it and that the whole world is destined to be destroyed? It is quite simply awful, and for what?" (quoted in J. Russell, Matisse Father & Son, New York, 1999, p. 224). Despite the worsening food shortages, the difficulty he had already had in finding canvases and pigments and his recurring health problems, Henri Matisse preferred to stay in France. He was comfortable in his study and was able to work there, whereas he was not at all sure that he would be comfortable or able to work in the United States. However, in spite of everything that Matisse endured, there is not the faintest allusion to these terrible trials in his art. Indeed, he endeavoured to see his situation as positively as he could.
At this time, Matisse was seized with a sudden joie de vivre that reinvigorated him after a period of illness and convalescence. The sense of liberation that Matisse now felt prompted him to describe his life as "completely rejuvenated" ‒ "it seems to me that I am living a second life," he said to Marquet (H. Matisse, quoted in J. Cowart et al., Henri Matisse, Paper Cut-Outs, exh. cat., The Saint Louis Art Museum, Saint Louis, 1977, p. 43). Looking at the works he was in the midst of creating, such as Fleurs et fruits, fond rayé, Matisse himself was struck by their audacity and lyricism, by the fluidity of the forms and their manifest freedom.
Fleurs et fruits, fond rayé also expresses the reasons for which the artist was drawing. Matisse explained that he was doing it "to translate my emotions, my feelings and the reactions of my own sensitivity into colours and motifs, which neither the most perfect camera, even in colour, nor the cinema can do" (Henri Matisse quoted in A.H. Barr, Jr., Matisse, His Art and His Public, New York, 1966, p. 562). For the artist, emotions were conveyed in colour, employed so harmoniously here. Red, blue, orange, purple and green dialogue and respond to one another, without ever competing. These warm, intense and pure colours balance one another. What counts for Matisse is the texture of the colour and the emotion it radiates.
Moreover, with Fleurs et fruits, fond rayé Matisse injects a modern, stripped down sensibility into the classical still life. Reducing the forms to their purest essence, he flattens out the planes and produces a sort of sketch meant to clarify the chaotic process of creation. The bouquet and the fruits, nearly hovering, seem caught in the red striped backdrop, as if the light of southern France unavoidably washed out any dimension. The artist definitively abandons the now-obsolete laws of perspective and three-dimensional illusion in favour of new, internalised spaces. Trying to give his drawing as much clarify as possible, he brings us the image of a frozen bouquet that gives off an energy, a musicality and a lyricism that only Matisse can express.
" Les couleurs sont des forces, elles doivent être organisées en vue de créer un ensemble expressif. "
J. Flam, éd., Matisse on Art, Berekeley, 1995, p. 162.
"Colours are forces, they must be organised in order to create an expressive whole. "
J. Flam, éd., Matisse on Art, Berekeley, 1995, p. 162.
Peint en pleine guerre, vers 1942-1944, Fleurs et fruits, fond rayé témoigne de l’état d’esprit dans lequel se trouve alors Henri Matisse. Ayant fui Paris, l’artiste s’installe dans le Sud de la France et refuse les invitations de Varian Fry à fuir le pays occupé pour l’Amérique, comme l’avaient fait bien d’autres tels Chagall, Ernst et Léger. Bien qu’inquiet de la tournure que prennent les évènements, Matisse s’efforce de rester optimiste. En 1942, alors que la situation continue de mal tourner pour les Alliés, il écrit à son fils Pierre, marchand d'art à New York : "Et maintenant, mon cher Pierre, que penses-tu de la folie collective qui ravage l'ancien et le nouveau monde ? Ressens-tu, comme moi, qu'il y a là quelque chose de funeste et que le monde entier est voué à la destruction ? C'est tout simplement horrible, et pour quoi ?" (cité dans J. Russell, Matisse Father & Son, New York, 1999, p. 224). Malgré les pénuries alimentaires croissantes, la difficulté qu'il avait déjà à trouver des toiles et des pigments, et ses problèmes de santé récurrent, Henri Matisse préfère rester en France. Il était à l'aise dans son atelier et capable d'y travailler, et il n'était pas du tout sûr d'être à l'aise ou capable de travailler aux États-Unis... Pourtant, malgré tout ce que Matisse subi, il n'y a pas la moindre allusion à ces terribles épreuves dans son art. Il s’efforce en effet de voir sa situation aussi positivement que faire se peut.
À cette époque, Matisse est pris d’une soudaine joie de vivre qui l'a revigoré après une période de maladie et de convalescence. Le sentiment de libération que Matisse éprouve maintenant, l'amène à se qualifier de " complètement rajeuni " - " il me semble que je suis dans une seconde vie ", dit-il à Marquet (H. Matisse, cité dans J. Cowart et al., Henri Matisse, Paper Cut-Outs, cat. exp., The Saint Louis Art Museum, Saint Louis, 1977, p. 43). En regardant les œuvres qu'il était en train de réaliser, comme Fleurs et fruits, fond rayé, Matisse était lui-même frappé par leur audace et leur lyrisme, par la fluidité des formes et leur évidente liberté.
Fleurs et fruits, fond rayé témoigne également des raisons pour lesquelles l’artiste dessinait. Matisse expliquait qu’il le faisait pour " traduire mes émotions, mes sentiments et les réactions de ma sensibilité en couleurs et en motifs, ce que ni la caméra la plus parfaite, même en couleurs, ni le cinéma ne peuvent faire " (Henri Matisse cité in A.H. Barr, Jr., Matisse, His Art and His Public, New York, 1966, p. 562). Pour l’artiste les émotions passent par la couleur, utilisée ici de manière si harmonieuse. Le rouge, le bleu, l’orange, le violet et le vert se répondent et dialoguent, sans jamais se concurrencer. Ces couleurs chaudes, intenses et pures s’équilibrent. Ce qui compte pour Matisse c'est la texture de la couleur et l'émotion qu'elle dégage.
De plus, avec Fleurs et fruits, fond rayé Matisse insuffle au classique exercice de la nature morte, un caractère moderne et épuré. Réduisant les formes à leur plus pure essence, il aplanit les plans et réalise une sorte d'épure destinée à clarifier le chaotique processus de création. Le bouquet et les fruits, presque flottant, semblent rattrapés par le fond rayé rouge, comme si la lumière du Sud de la France écrasait inévitablement tout relief. L’artiste abandonne alors définitivement les lois désormais désuètes de la perspective et de l'illusion tridimensionnelle pour de nouveaux espaces intériorisés. S'efforçant de dégager un maximum de clarté de son dessin, il nous livre ici l’image d’un bouquet figé duquel émane une énergie, une musicalité, et un lyrisme que seul Matisse peut traduire.
Painted at the height of the war, circa 1942-1944, Fleurs et fruits, fond rayé shows us Henri Matisse's state of mind at the time. Having fled Paris, the artist moved to southern France and declined Varian Fry's invitations to leave the occupied country for America, as others such as Chagall, Ernst and Léger had done. Although worried about the turn events were taking, Matisse tried to remain optimistic. In 1942, as the situation continued to go badly for the Allies, he wrote to his son Pierre, an art dealer in New York: "And now, my dear Pierre, what do you think of the collective folly that is ravaging the old and new worlds? Do you feel, as I do, that there is something fatal in it and that the whole world is destined to be destroyed? It is quite simply awful, and for what?" (quoted in J. Russell, Matisse Father & Son, New York, 1999, p. 224). Despite the worsening food shortages, the difficulty he had already had in finding canvases and pigments and his recurring health problems, Henri Matisse preferred to stay in France. He was comfortable in his study and was able to work there, whereas he was not at all sure that he would be comfortable or able to work in the United States. However, in spite of everything that Matisse endured, there is not the faintest allusion to these terrible trials in his art. Indeed, he endeavoured to see his situation as positively as he could.
At this time, Matisse was seized with a sudden joie de vivre that reinvigorated him after a period of illness and convalescence. The sense of liberation that Matisse now felt prompted him to describe his life as "completely rejuvenated" ‒ "it seems to me that I am living a second life," he said to Marquet (H. Matisse, quoted in J. Cowart et al., Henri Matisse, Paper Cut-Outs, exh. cat., The Saint Louis Art Museum, Saint Louis, 1977, p. 43). Looking at the works he was in the midst of creating, such as Fleurs et fruits, fond rayé, Matisse himself was struck by their audacity and lyricism, by the fluidity of the forms and their manifest freedom.
Fleurs et fruits, fond rayé also expresses the reasons for which the artist was drawing. Matisse explained that he was doing it "to translate my emotions, my feelings and the reactions of my own sensitivity into colours and motifs, which neither the most perfect camera, even in colour, nor the cinema can do" (Henri Matisse quoted in A.H. Barr, Jr., Matisse, His Art and His Public, New York, 1966, p. 562). For the artist, emotions were conveyed in colour, employed so harmoniously here. Red, blue, orange, purple and green dialogue and respond to one another, without ever competing. These warm, intense and pure colours balance one another. What counts for Matisse is the texture of the colour and the emotion it radiates.
Moreover, with Fleurs et fruits, fond rayé Matisse injects a modern, stripped down sensibility into the classical still life. Reducing the forms to their purest essence, he flattens out the planes and produces a sort of sketch meant to clarify the chaotic process of creation. The bouquet and the fruits, nearly hovering, seem caught in the red striped backdrop, as if the light of southern France unavoidably washed out any dimension. The artist definitively abandons the now-obsolete laws of perspective and three-dimensional illusion in favour of new, internalised spaces. Trying to give his drawing as much clarify as possible, he brings us the image of a frozen bouquet that gives off an energy, a musicality and a lyricism that only Matisse can express.