Lot Essay
Cette élégante paire de fauteuils fait très probablement partie de la livraison effectuée par Georges Jacob à la marquise de Marbeuf entre 1788 et 1790. Novateur, le répertoire ornemental et le dessin de ce mobilier préfigure avec près de quinze ans d’avance l’avènement du style Empire.
Ce mobilier est décrit ainsi « Douze fauteuils et douze chaises en tapisserie de Beauvais fond bleu à dessin de mosaïque et bouquets en fleurs à bordures fond vert foncé en crin et montés sur bois, de forme antique doré et peint en fond vert, les bras des fauteuils à sujets de têtes de lion » (Archives Nationales : MNC Etude LXVIII/674 ; inventaire après décès de la marquise de Marbeuf du 4 floréal an IV). En plus de la présente paire de fauteuils (très probablement vente Sotheby’s, New York, 3 mai 1986, lot 79), ont pu être tracés à travers les années un ensemble comprenant quatre chaises et quatre fauteuils (vente Christie’s, Paris, 27 novembre 2018, lot 513).
La marquise de Marbeuf (1739-1794) après s’être séparée de son époux Ange-Jacques, marquis de Marbeuf, s’installe à la mort de sa mère en 1788 dans l’hôtel familial au 47 rue du faubourg Saint-Honoré. Construit par Jacques V Gabriel et transformé par Contant d’Ivry, il devient en pleine Révolution, le chantier privé le plus actif de Paris. La marquise dirige les travaux, assistée de son intendant et locataire Jean-Joseph Payen. On trouvait au rez-de-chaussée un décor à la Révolutionnaire et au premier étage, un décor à l’antique qui comportait des appartements privés et de réception. Le Grand salon abritait l’ensemble auquel appartenait très probablement le présent lot. Donnant sur le jardin, ouvert par trois croisées, on y trouvait entre autres (Inventaire après décès de la marquise de Marbeuf du 4 floréal an IV, Archives Nationales, MNC Etudes LXVIII/674) une cheminée en marbre blanc dont les jambages prenaient la forme d’un trépied en bronze doré orné de sphynx et de griffes de lion, un lustre en cristal anglais et bronze doré de forme arabesque à quatre lumières orné de quatre pyramides égyptiennes ; quatre candélabres en plâtre moulé de forme antique à base triangulaire ornée de sphynx et têtes de béliers égyptiens.
Cet inventaire non exhaustif du Grand salon donne une idée précise du goût néoclassique affirmé par la marquise. Cet engouement pour l’Antiquité, ses formes et ses décors, insufflé par les redécouvertes archéologiques et les publications des artistes du Grand Tour, trouve ici une très belle illustration.
A qui revient la paternité du dessin de ce mobilier ? Plusieurs hypothèses ont été proposées.
Le nom de Jean-Démosthène Dugourc, dessinateur du Garde-Meuble Royal et ornemaniste célèbre est le nom le plus souvent avancé. Pierre Verlet notamment rapproche les sièges du grand salon Marbeuf d’un album de dessins de Dugourc daté de 1790 et conservé à la bibliothèque des Arts Décoratifs, qui contient les projets des meubles destinés à Madame Elizabeth et au comte de Provence (Les ébénistes du XVIIIe siècle français, Paris, 1963, p.241). Le nom de François-Joseph Bélanger a également été suggéré, sans doute en raison du dessin très architecturé de nos sièges. Pour la même raison et parce qu’ils œuvraient au même moment pour la marquise, les deux architectes Legrand et Molinos pourraient également avoir contribué à cette réalisation.
Notons que c’est sans doute ce même donneur de modèles qui est à l’origine d’une autre réalisation de Georges Jacob pour la marquise de Marbeuf. Non moins étonnante mais d’un esprit fort différent, il s’agit des sièges de forme et dessin chinois que la marquise commanda pour sa chambre à coucher. En noyer et polychromes, leur forme et leur décor extravagants confirment l’audace de ses choix et son implication dans la naissance d’un goût nouveau à Paris (The Bowes Museum, Barnard Castle, Durham)
Jugée comme « traître » et condamnée pour n’avoir pas fait planter du blé pour le peuple dans ses jardins, la marquise de Marbeuf est guillotinée le 6 février 1794. Sa sœur et unique héritière, la duchesse de Lévis, subit le même sort quelques mois plus tard. Le Comité de Salut Public met alors sous séquestre l’hôtel de Marbeuf et envoie une partie du mobilier dans le dépôt révolutionnaire de Nesle, au croisement de la rue de Beaune et du quai Voltaire (Archives Nationales : Instruction publique F17/23).
Le mobilier néanmoins semble être resté sur place et sera transmis avec l’hôtel en avril 1796 aux neveux et petits neveux de la marquise, avant d’être loué, pour la somme de 11.000 livres par an à Charles-François Lebrun, l’un des trois consuls qui dirigent la France au 1er janvier 1800, avec Cambacérès et Bonaparte. C’est d’ailleurs dans l’hôtel de Marbeuf que Bonaparte signe le Concordat le 16 juillet 1801. Le 7 août suivant, son frère Joseph achète l’hôtel de Marbeuf et son mobilier (Archives départementales 75 : Registre des Hypothèques, volume 54, n°22). Nos sièges font partie de la cession. Près de vingt ans après leur livraison, ils se trouvent être parfaitement au goût du jour et sont prisés par les tapissiers Chapelus et Boulard 32.137 livres (Inventaire après décès de la duchesse de Lévis du 02⁄11/1819, Archives Nationales : MNC Etudes LXVIII/805). Nommé roi d’Espagne en 1806, Joseph Bonaparte quitte Paris et laisse le « palais du roi d’Espagne » à la disposition des souverains étrangers en visite à Paris.
C’est en 1810 que le destin de ces sièges devient plus mystérieux. Cette année-là en effet, une partie du mobilier de Marbeuf sert au Garde-Meuble impérial pour remeubler Bagatelle tandis que l’hôtel lui-même est vendu à la duchesse de San Germano. Qu’advint-il alors du mobilier ? Suit-il Joseph en Espagne, fut-il cédé avec l’hôtel ou garnit-ils Bagatelle ? La question reste ouverte.
Ce mobilier est décrit ainsi « Douze fauteuils et douze chaises en tapisserie de Beauvais fond bleu à dessin de mosaïque et bouquets en fleurs à bordures fond vert foncé en crin et montés sur bois, de forme antique doré et peint en fond vert, les bras des fauteuils à sujets de têtes de lion » (Archives Nationales : MNC Etude LXVIII/674 ; inventaire après décès de la marquise de Marbeuf du 4 floréal an IV). En plus de la présente paire de fauteuils (très probablement vente Sotheby’s, New York, 3 mai 1986, lot 79), ont pu être tracés à travers les années un ensemble comprenant quatre chaises et quatre fauteuils (vente Christie’s, Paris, 27 novembre 2018, lot 513).
La marquise de Marbeuf (1739-1794) après s’être séparée de son époux Ange-Jacques, marquis de Marbeuf, s’installe à la mort de sa mère en 1788 dans l’hôtel familial au 47 rue du faubourg Saint-Honoré. Construit par Jacques V Gabriel et transformé par Contant d’Ivry, il devient en pleine Révolution, le chantier privé le plus actif de Paris. La marquise dirige les travaux, assistée de son intendant et locataire Jean-Joseph Payen. On trouvait au rez-de-chaussée un décor à la Révolutionnaire et au premier étage, un décor à l’antique qui comportait des appartements privés et de réception. Le Grand salon abritait l’ensemble auquel appartenait très probablement le présent lot. Donnant sur le jardin, ouvert par trois croisées, on y trouvait entre autres (Inventaire après décès de la marquise de Marbeuf du 4 floréal an IV, Archives Nationales, MNC Etudes LXVIII/674) une cheminée en marbre blanc dont les jambages prenaient la forme d’un trépied en bronze doré orné de sphynx et de griffes de lion, un lustre en cristal anglais et bronze doré de forme arabesque à quatre lumières orné de quatre pyramides égyptiennes ; quatre candélabres en plâtre moulé de forme antique à base triangulaire ornée de sphynx et têtes de béliers égyptiens.
Cet inventaire non exhaustif du Grand salon donne une idée précise du goût néoclassique affirmé par la marquise. Cet engouement pour l’Antiquité, ses formes et ses décors, insufflé par les redécouvertes archéologiques et les publications des artistes du Grand Tour, trouve ici une très belle illustration.
A qui revient la paternité du dessin de ce mobilier ? Plusieurs hypothèses ont été proposées.
Le nom de Jean-Démosthène Dugourc, dessinateur du Garde-Meuble Royal et ornemaniste célèbre est le nom le plus souvent avancé. Pierre Verlet notamment rapproche les sièges du grand salon Marbeuf d’un album de dessins de Dugourc daté de 1790 et conservé à la bibliothèque des Arts Décoratifs, qui contient les projets des meubles destinés à Madame Elizabeth et au comte de Provence (Les ébénistes du XVIIIe siècle français, Paris, 1963, p.241). Le nom de François-Joseph Bélanger a également été suggéré, sans doute en raison du dessin très architecturé de nos sièges. Pour la même raison et parce qu’ils œuvraient au même moment pour la marquise, les deux architectes Legrand et Molinos pourraient également avoir contribué à cette réalisation.
Notons que c’est sans doute ce même donneur de modèles qui est à l’origine d’une autre réalisation de Georges Jacob pour la marquise de Marbeuf. Non moins étonnante mais d’un esprit fort différent, il s’agit des sièges de forme et dessin chinois que la marquise commanda pour sa chambre à coucher. En noyer et polychromes, leur forme et leur décor extravagants confirment l’audace de ses choix et son implication dans la naissance d’un goût nouveau à Paris (The Bowes Museum, Barnard Castle, Durham)
Jugée comme « traître » et condamnée pour n’avoir pas fait planter du blé pour le peuple dans ses jardins, la marquise de Marbeuf est guillotinée le 6 février 1794. Sa sœur et unique héritière, la duchesse de Lévis, subit le même sort quelques mois plus tard. Le Comité de Salut Public met alors sous séquestre l’hôtel de Marbeuf et envoie une partie du mobilier dans le dépôt révolutionnaire de Nesle, au croisement de la rue de Beaune et du quai Voltaire (Archives Nationales : Instruction publique F17/23).
Le mobilier néanmoins semble être resté sur place et sera transmis avec l’hôtel en avril 1796 aux neveux et petits neveux de la marquise, avant d’être loué, pour la somme de 11.000 livres par an à Charles-François Lebrun, l’un des trois consuls qui dirigent la France au 1er janvier 1800, avec Cambacérès et Bonaparte. C’est d’ailleurs dans l’hôtel de Marbeuf que Bonaparte signe le Concordat le 16 juillet 1801. Le 7 août suivant, son frère Joseph achète l’hôtel de Marbeuf et son mobilier (Archives départementales 75 : Registre des Hypothèques, volume 54, n°22). Nos sièges font partie de la cession. Près de vingt ans après leur livraison, ils se trouvent être parfaitement au goût du jour et sont prisés par les tapissiers Chapelus et Boulard 32.137 livres (Inventaire après décès de la duchesse de Lévis du 02⁄11/1819, Archives Nationales : MNC Etudes LXVIII/805). Nommé roi d’Espagne en 1806, Joseph Bonaparte quitte Paris et laisse le « palais du roi d’Espagne » à la disposition des souverains étrangers en visite à Paris.
C’est en 1810 que le destin de ces sièges devient plus mystérieux. Cette année-là en effet, une partie du mobilier de Marbeuf sert au Garde-Meuble impérial pour remeubler Bagatelle tandis que l’hôtel lui-même est vendu à la duchesse de San Germano. Qu’advint-il alors du mobilier ? Suit-il Joseph en Espagne, fut-il cédé avec l’hôtel ou garnit-ils Bagatelle ? La question reste ouverte.