STATUE SONINKÉ
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MALI, XIIE - XIIIE SIÈCLE

Details
STATUE SONINKÉ
MALI, XIIe - XIIIe SIÈCLE
Un test de datation eth. 12009 du laboratoire de l’école polytechnique de Zurich, réalisé par le Dr G. Bonani le 30 mars 1994, suggère une datation comprise entre 1199 et 1323.
Hauteur : 31.5 cm. (12 3/8 in.)
Provenance
René Rasmussen (1912-1979), Paris
Collection Anne-Marie et André Gaillard, Paris, acquis en 1958 auprès de ce dernier
Literature
Ragon, M., Univers des arts, Paris, 1965, pp. 353-354
Falgayrettes-Leveau, C., Æthiopia, vestiges de gloire, Paris, 1987, p. 44, n° 39
Falgayrettes-Leveau, C., Dogon, Paris, 1994, p. 151
Leloup, H., Statuaire Dogon, Strasbourg, 1994, p. 219, n° 14
Leloup, H., Dege, l'héritage Dogon, Nantes, 1995, p. 8, n° 1
Leloup, H., Heymer, K. et Schmidt, J.-K., Dogon - Meisterwerke der Skulptur / Chefs-d’œuvre de la statuaire Dogon, Stuttgart, 1998, plat recto et p. 53, n° 4
Dulon, B., Leurquin, A. et alii., Objetos-Signos de África (recorrido iniciático), Saragosse, 2000, p. 39, n° 1
Grunne (de), B., Masterhands. Afrikaanse beeldhouwers in de kijker / Mains de maîtres. À la découverte des sculpteurs d'Afrique, Bruxelles, 2001, p. 50, n° 7
Bassani, E., Africa. Capolavori da un continente, Florence, 2003, p. 112, n° 1.56
Falgayrettes-Leveau, C., « L'écriture sur la peau » in Signes du corps, Paris, 2004, p. 18
Bassani, E., Arts of Africa. 7000 ans d'art africain, Milan, 2005, p. 183, n° 66a
Fagnola, F., Voyage à Bandiagara. Sur les traces de la Mission Desplagnes 1904 - 1905. La première exploration du Pays Dogon, Milan, 2009, p. 261, n° 328
Leloup, H., Dogon, Paris, 2011, p. 84
Grunne (de), B. et Dyke (van), K., Mandé. Trésors millénaires / Mande. Ancient Treasures, Bruxelles, 2016, p. 26
LaGamma, A. et alii., Sahel. Art and Empires on the Shores of the Sahara, New York, 2020, p. 155, n° 75
Exhibited
Paris, Musée Dapper, Æthiopia, vestiges de gloire, 3 juillet - 3 octobre 1987
Paris, Musée Dapper, Dogon, 26 octobre 1994 - 13 mars 1995
Nantes, Musée des Beaux-Arts, Chapelle de l'Oratoire, Dege, l'héritage Dogon, 21 juin - 18 septembre 1995
Stuttgart, Galerie der Stadt Stuttgart, Dogon - Meisterwerke der Skulptur / Chefs-d’œuvre de la statuaire Dogon, 26 avril - 2 août 1998
Saragosse, Centro de Exposiciones y Congresos, Objetos-Signos de África (recorrido iniciático), 11 avril - 24 juin 2000
Bruxelles, BBL Cultuurcentrum - Espace culturel BBL, Masterhands. Afrikaanse beeldhouwers in de kijker / Mains de maîtres. À la découverte des sculpteurs d'Afrique, 22 mars - 24 juin 2001
Turin, GAM - Galleria Civica d’Arte Moderna e Contemporanea di Torino, Africa. Capolavori da un continente, 2 octobre 2003 - 15 février 2004
Paris, Musée Dapper, Signes du corps, 23 septembre 2004 - 3 avril 2005
Monaco, Grimaldi Forum Monaco, Arts of Africa. 7000 ans d'art africain, 16 juillet - 4 septembre 2005
New York, The Metropolitan Museum of Art, Sahel. Art and Empires on the Shores of the Sahara, 30 janvier - 26 octobre 2020
Post lot text
SONINKE FIGURE, MALI

Brought to you by

Alexis Maggiar
Alexis Maggiar International Head, Arts of Africa, Oceania & the Americas

Lot Essay

EN PRÉSENCE DE L’HISTOIRE
par Yaëlle Biro

Il y a des œuvres qui nous transportent immédiatement dans l’Histoire. Même plus, elles contribuent à l’écrire. C’est le cas de ce portrait de chef Soninké, serein, sensible, mais aussi porteur d’une grande puissance, qui a survécu au passage des siècles afin de témoigner. Du haut de son grand âge, il nous parle d’histoire individuelle et collective, des grands empires du passé, de son peuple en mouvement, mais aussi de prières et de souhaits oubliés.

L’expression toute entière de ce portrait signale introspection et sagesse. Agenouillé, la partie inférieure des jambes repliée sur elle-même, les mains reposant sur les cuisses, les bras séparés du corps et les épaules vers l’arrière soulignant la légère cambrure du dos, la tête est légèrement inclinée vers l’avant, les yeux baissés, la bouche entrouverte. Sa longue barbe en plateau ainsi que le volumineux pendentif représenté sur son torse, attestent de son statut d’homme mûr, de membre important de sa communauté. Sur ses tempes, trois lignes parallèles horizontales rehaussées de lignes verticales sont profondément incisées, formant ainsi une marque d’appartenance identitaire. La sculpture est entièrement couverte d’une épaisse patine légèrement suintante, résultat des libations reçues de manière répétée au fil du temps.

L’artiste responsable de cette formidable création n’a rien laissé au hasard, étirant, compressant, assouplissant les formes avant de reconstituer le corps dans un ordre nouveau. Volumes, courbes et lignes se répondent, dans un jeu d’échos chorégraphié avec soin. La tête, le buste, et les jambes ont été pensés comme trois unités de mêmes dimensions, distinctes et équilibrées. Elles sont liées visuellement par une répétition de lignes parallèles que constituent, de profil, la barbe, la poitrine, le bombé du ventre, les avant-bras, cuisses, et mollets. On peut emprunter les mots de René Rasmussen, le célèbre marchand et le propriétaire précédent de cette sculpture, pour admirer « le merveilleux passage plastique que forment les bras et les mains pour relier les différentes parties du corps1. » Enfin, ce portrait est orné de bracelets, de lignes incisées sur le buste, d’un pagne et d’un bonnet, détails iconographiques contribuant à faire danser l'œil de celui qui le regarde, et à unifier encore davantage la composition.
Dans le corpus Soninké constitué de quarante et une statues toutes datées entre le Xe et le XVe siècle (vingt-cinq figures debout, six agenouillées, six aux bras levés, trois cavaliers et une maternité assise - tel que cet ensemble a été progressivement défini par Bernard de Grunne et Hélène Leloup2), la sculpture de la collection Gaillard se distingue par la clarté de sa composition, son visage au modelé particulièrement expressif, ainsi que son excellent état de préservation.


René Rasmussen, ancien libraire et éditeur devenu marchand de renom, proche de Tristan Tzara et d’André Breton, est reconnu comme un grand connaisseur ayant acquis et vendu nombre d'œuvres africaines de tout premier ordre. Décrit comme un « marchand et collectionneur, discret et passionné, amoureux de l’art dans toutes ses formes, découvreur des chefs-d'œuvre de la statuaire Dogon3 », il fit partie des marchands qui, dans les années 1950, contribuèrent à faire connaître cet art auprès des collectionneurs. Selon les souvenirs d’Hélène Leloup, Rasmussen finança même en 1956, avec le marchand Pierre Loeb, une mission ethnographique au Mali menée par l’éditeur François Di Dio4. Acquis en 1958 auprès de Rasmussen par Anne-Marie et André Gaillard, ce chef d'œuvre de la statuaire africaine est resté entre leurs mains et sous leur regard pendant près de 65 ans. On les comprend. C’est une sculpture qui n’en finit pas de dévoiler ses secrets.

L’évolution de la recherche sur l’histoire ancienne du Sahel au cours des cinquante dernières années a entièrement renouvelé notre regard sur cette sculpture ainsi que sur le corpus restreint dans lequel elle s’inscrit. Plus encore, la création artistique de cette région constitue une source primaire majeure d’information sur son histoire, à la même échelle que la tradition orale ou les fouilles archéologiques5. Ainsi, les travaux successifs de Germaine Dieterlen, de R. M. A. Bedaux, de Dominique Zahan, de Youssouf Tata Cissé, de Bernard de Grunne, d’Hélène Leloup, ou encore de Walter E. A. van Beek et récemment d’Alisa LaGamma, ont tous permis une meilleure compréhension du contexte de création de cette sculpture.

D’abord rattachée au corpus de la statuaire Dogon, puis dite proto-Dogon, elle peut désormais être liée à la diaspora Soninké qui, par vagues successives entre le IXe et le XIIIe siècle, migra de l’empire du Ghana vers la région du Mandé puis vers le centre culturel et économique de Djenné-Jeno6. La population Soninké trouva enfin refuge vers le XIIIe siècle à l’ouest du plateau de Bandiagara, y précédant ainsi les populations Dogon qui s’inspireront de son iconographie. En se basant sur les travaux de Dieterlen et Zahan, de Grunne associe plus précisément le corpus en question aux Kagoro, un clan Soninké dont la tradition orale soutient qu’ils fuirent le royaume Mandé en raison de querelles dynastiques et de l’influence grandissante de l’Islam à la cour de l’empereur du Mali aux XIIe et XIIIe siècles7. De Grunne et Leloup ont tous deux par ailleurs démontré les similarités plastiques entre les sculptures en bois Soninké et la production d'œuvres de terre cuites et de métal du Delta Intérieur du Niger, similarités amenant Leloup à nommer ce corpus Djennenké.

Les informations concernant l’usage spécifique de la statuaire ancienne n’étant pas parvenues jusqu’à nous, il nous faut nous tourner vers les recherches faites au sujet de la statuaire Dogon, plus récente, pour suggérer les fonctions possibles des œuvres des siècles passés. Dans ce contexte, le spécialiste de l’art Dogon W. A. van Beek a démontré que les sculptures d’autels, souvent décrites de manière générique comme étant des représentations d’ancêtres, sont en fait des représentations du vivant8. Il s’agirait ainsi de portraits de personnages importants, chefs de guerre, héros de migrations ou figures religieuses majeures9. Les statues servent d’intermédiaires, leur rôle étant de mettre en avant les désirs individuels de leur propriétaire. Un proverbe Dogon souligne ainsi cette fonction : « On ne peut pas toujours prier et s’agenouiller près de l’autel, mais la statue le peut10! »


1 Rasmussen, R., Art Nègre, Paris, 1951, p. 17.
2 Grunne (de), B., Mains de maîtres. À la découverte des sculpteurs d’Afrique, Bruxelles, 2001, and Leloup, H., Statuaire Dogon, Strasbourg, 1994.
3 Loudmer, Drouot Rive Gauche, Paris, Succession René Rasmussen, 14 Décembre 1979.
4 Leloup, H., Dogon, Paris, 2011, p. 60.
5 LaGamma, A. et alii., Sahel. Art and Empires on the Shores of the Sahara, New York, 2020.
6 Dieterlen, G., « Premier aperçu sur les cultes des Soninké émigrés au Mande » in Systèmes de pensée en Afrique noire, Cahier 1, 1975, p. 7.
7 Ibid, Dieterlen, 1975 et Ibid, Grunne (de), B., 2001, p. 36.
8 van Beek, W., « Functions of Sculpture in Dogon Religion » in African Arts, vol. 21, no. 4, 1988, p. 60.
9 Ibid, Grunne (de), B., 2001, p. 42. 10 Ibid, van Beek, W., 1988, p. 60.



IN THE PRESENCE OF HISTORY
by Yaëlle Biro

There are works that immediately allow us to step back into History. Further still, they contribute to writing it. Such is the case of this portrait of a Soninke chief, serene, sensitive, but also conveying great power, who has survived the passage of centuries as a witness. From the height of his age, he speaks to us of individual and collective history, of the great empires of the past, of his people on the move, but also of forgotten prayers and wishes.

The entire expression of this portrait signals introspection and wisdom. Kneeling, the lower part of the legs is folded, the hands rest on the thighs, the arms are separated from the body and the shoulders backwards underlining the slight arch of the back, the head is slightly tilted forward, the eyes lowered, the mouth half-open. His long beard and the wide pendant on his chest attest to his status as a mature man, an important member of his community. On his temples, three parallel horizontal lines enhanced by vertical lines are deeply incised, forming a mark of identity. The sculpture is entirely covered with a thick, slightly oozing patina, the result of libations received repeatedly over time.


René Rasmussen, who was close to a former bookseller and publisher, as well as a renowned art dealer, close to Tristan Tzara and André Breton, is recognized as a great connoisseur, who acquired and sold a number of first-rate African works. Described as a “merchant and collector, discreet and passionate, in love with art in all its forms, discoverer of the masterpieces of Dogon statuary3”. In the 1950s, he was one of the dealers who contributed to making this art known to collectors. According to Hélène Leloup’s recollections, Rasmussen even financed an ethnographic mission to Mali in 1956 with the dealer Pierre Loeb, led by the publisher François Di Dio4. Acquired in 1958 from Rasmussen by Anne-Marie and André Gaillard, this masterpiece of African statuary has remained in their hands and under their gaze for nearly 65 years. This is understandable. It is a sculpture that never ceases to reveal its secrets.

The evolution of research on the ancient history of the Sahel over the last 50 years has completely renewed our view of this sculpture as well as of the limited corpus in which it is included. Moreover, the artistic creation of this region constitutes a major primary source of information on its history, on the same scale as oral tradition or archaeological excavations5. Thus, the successive works of Germaine Dieterlen, R. M. A. Bedaux, Dominique Zahan, Youssouf Tata Cissé, Bernard de Grunne, Hélène Leloup, Walter E. A. van Beek and recently Alisa LaGamma, have all allowed for a better understanding of the creative context for this sculpture.


Initially associated with to the corpus of Dogon statuary, then referred to as proto-Dogon, it can now be linked to the Soninke diaspora which, in successive waves between the 9th and 13th centuries, migrated from the empire of Ghana to the Mandé region and then to the cultural and economic center of Djenné-Jeno6. It finally found refuge around the 13th century in the west of the Bandiagara plateau, thus preceding the Dogon populations who were inspired by their iconography. Based on the work of Dieterlen and Zahan, de Grunne associates the corpus in question more precisely with the Kagoro, a Soninke clan whose oral tradition maintains that they fled the Mandé kingdom because of dynastic quarrels and the growing influence of Islam at the court of the emperor of Mali in the 12th and 13th centuries7. Both de Grunne and Leloup have also demonstrated the plastic similarities between Soninke wood carvings and the production of terracotta and metal works from the Inner Niger Delta. These similarities led Leloup to name this corpus Djennenké.

As information concerning the specific use of ancient statuary has not been forthcoming, we must turn to research on the more recent Dogon statuary to suggest possible functions for works from past centuries. In this context, the Dogon art specialist W. A. van Beek has demonstrated that the altar sculptures, often generically described as representations of ancestors, are in fact representations of the living8. They would thus be portraits of important figures, war chiefs, heroes of migrations or major religious figures9. The statues serve as intermediaries, their role being to set forth the individual desires of their owner. A Dogon proverb underlines this function: “One cannot always pray and kneel by the altar, but the statue can10!”


1 Rasmussen, R., Art Nègre, Paris, 1951, p. 17.
2 Grunne (de), B., Mains de maîtres. À la découverte des sculpteurs d’Afrique, Bruxelles, 2001, and Leloup, H., Statuaire Dogon, Strasbourg, 1994.3 Loudmer, Drouot Rive Gauche, Paris, Succession René Rasmussen, 14 December 1979.
4 Leloup, H., Dogon, Paris, 2011, p. 60.
5 LaGamma, A. et alii., Sahel. Art and Empires on the Shores of the Sahara, New York, 2020.
6 Dieterlen, G., « Premier aperçu sur les cultes des Soninké émigrés au Mande » in Systèmes de pensée en Afrique noire, Cahier 1, 1975, p. 7.
7 Ibid, Dieterlen, 1975 et Ibid, Grunne (de), B., 2001, p. 36.
8 van Beek, W., « Functions of Sculpture in Dogon Religion » in African Arts, vol. 21, no. 4, 1988, p. 60.
9 Ibid, Grunne (de), B., 2001, p. 42. 10 Ibid, van Beek, W., 1988, p. 60.
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