Lot Essay
RÉMY MAGUSTEIRO
Les masques nda (jumeaux), relativement rares, sont considérés comme des portraits idéalisés de jeunes filles ou de jeunes hommes du village. Ces masques appartenant au groupe Mblo ou Gbagba, sont destinés à divertir et sont donc amenés à être vus de tous. Bien qu’ils n’aient pas de fonction rituelle, ils sont liés à la naissance de jumeaux, considérée comme un événement heureux nécessitant d’être célébrée par des cérémonies.
Véritable merveille de l’art Baoulé, ce chef-d’œuvre est lié aux noms de Roger Bédiat et d’Henri Kamer. Nous devons au premier plusieurs trésors de Côte d’Ivoire, aujourd’hui conservés dans les plus grandes institutions ou collections privées du monde. Bédiat s’installe dès les années 1920 en Abidjan, à Anyama plus exactement, où il se concentre sur son activité de forestier. Par la suite, cet amateur de première heure développe son goût pour les cultures et l’art des régions qu’il parcourt. Il collabore par la suite avec Charles Ratton dans la période de l’entre-deux-guerres. Ce n’est qu’au milieu des années 1950, quelques temps avant sa mort, qu’il vend une grande partie de sa collection à Hélène Leloup et Henri Kamer. De cet exceptionnel ensemble, Henri Kamer cède ce masque en 1978, comptant parmi les joyaux de la collection Barbier-Mueller.
Ce masque accède d’emblée au statut de magnum opus. Il sera l’œuvre-phare de plusieurs expositions d’art d’Afrique organisées de 1958 à nos jours. Apparaissant en couverture de Masques d’Afrique dans les collections du musée Barbier-Müller (Fagg, W., Paris, 1980), ce chef-d’œuvre révèle tout le génie d’un grand maître tant sur le plan formel - fascinante qualité sculpturale - que sur le plan conceptuel - conjuguant gémellité et unicité.
Le masque-jumeau de Monique et Jean Paul Barbier-Mueller présente deux visages parfaitement sculptés et quasi-symétriques puisqu’ils se distinguent uniquement par des éléments ornementaux. L’artiste, en suivant les canons d’excellence de beauté chez les Baoulé, a pris le plus grand soin d’individualiser les coiffures et les scarifications du front, des joues et des commissures des lèvres. Seules les marques ngole - tempes et arête nasale - sont identiques. Bien que les visages d’un masque nda soient généralement du même sexe, la différence de couleur indique une distinction sexuelle. Les couleurs utilisées par les Baoulé reflètent leur conception philosophique de l’organisation dualiste de l’univers dans laquelle l’harmonie est obtenue par l’union de principes complémentaires.
Finalement, ce double-masque est une ode à l’Homme et au dualisme qui nous façonne. La peau craquelée à vif du premier visage, laisse apparaître le rouge qui coule dans notre enveloppe charnelle, et répond à son double animique préservé des affres de la vie. Ce masque est une injonction à accepter notre nature-même : celle de l’éternelle co-résidence de l’âme et du corps. Ce chef-d’œuvre nous rappelle que l’apprentissage passe par l’opposition, que notre individualité est construite des tiraillements de la raison à la passion, de la liberté à la nécessité, de la certitude au doute ou encore du devoir à la sensibilité. Ce masque-double se révèle être l’image même du dualisme cartésien qui a sans doute trouvé ici, sa plus belle représentation artistique.
Relatively rare nda (twin) masks are considered to be idealised portraits of young girls or young men from local villages. These masks, which belong to the Mblo or Gbagba sub-groups, are intended to entertain during dances or ceremonies and can therefore be seen by everyone. Although they have no ritual function, they are linked to the birth of twins, considered a happy event that is to be celebrated during ceremonies.
A true marvel of Baule art, this masterpiece is linked to the names of Roger Bédiat and Henri Kamer. The former is responsible for a number of treasures from the Ivory Coast, now housed in the world's leading institutions and private collections. In the 1920s, Bédiat settled in Abidjan - in Anyama to be precise - where he concentrated on his work as a forest ranger. Subsequently, this early amateur collector developed his taste for the culture and art of the regions he travelled through. During the inter-war period, he went on to collaborate with Charles Ratton. It was not until the mid-1950s, shortly before his death, that he sold a large part of his collection to Hélène Leloup and Henri Kamer. Amongst this exceptional ensemble, Henri Kamer parted with this mask in 1978, making it one of the jewels in the Barbier-Mueller collection.
This mask immediately achieved the status of magnum opus. It was the star piece of several African art exhibitions organised between 1958 and the present day. Appearing on the cover of Masques d'Afrique dans les collections du musée Barbier-Müller (Fagg, W., Paris, 1980), this masterpiece reveals the genius of a great master, both in terms of shape - with its fascinating sculptural quality - and in terms of concept - combining twinship and uniqueness.
Monique and Jean Paul Barbier-Mueller's twin masks features two perfectly sculpted, almost symmetrical faces, distinguished only by ornamental elements. The artist, following the Baule canons of perfected beauty, has taken great care to individualise the hairstyles and scarification marks on the forehead, cheeks and corners of the mouth. Only the ngole marks - temples and nasal bridge - are identical. Although the faces in a nda mask are generally of the same sex, the difference in colour indicates a gender distinction. The colours used by the Baule reflect their philosophical conception of the dualistic organisation of the universe, in which harmony is achieved through the union of complementary principles.
Ultimately, this double mask is an ode to Man and the dualism that shapes us. The raw, cracked skin of the first face reveals the red hue that flows through our carnal envelope, and responds to its animic double, preserved from the torments of life. This mask is an injunction to accept our very nature: that of the eternal co-existence of soul and body. Thus, this masterpiece reminds us that learning occurs through opposition, that our individuality is constructed from the tug-of-war between reason and passion, freedom and necessity, certainty and doubt, as well as duty and sensitivity. This double mask is the very image of Cartesian dualism, which has undoubtedly found its finest artistic representation here.
Les masques nda (jumeaux), relativement rares, sont considérés comme des portraits idéalisés de jeunes filles ou de jeunes hommes du village. Ces masques appartenant au groupe Mblo ou Gbagba, sont destinés à divertir et sont donc amenés à être vus de tous. Bien qu’ils n’aient pas de fonction rituelle, ils sont liés à la naissance de jumeaux, considérée comme un événement heureux nécessitant d’être célébrée par des cérémonies.
Véritable merveille de l’art Baoulé, ce chef-d’œuvre est lié aux noms de Roger Bédiat et d’Henri Kamer. Nous devons au premier plusieurs trésors de Côte d’Ivoire, aujourd’hui conservés dans les plus grandes institutions ou collections privées du monde. Bédiat s’installe dès les années 1920 en Abidjan, à Anyama plus exactement, où il se concentre sur son activité de forestier. Par la suite, cet amateur de première heure développe son goût pour les cultures et l’art des régions qu’il parcourt. Il collabore par la suite avec Charles Ratton dans la période de l’entre-deux-guerres. Ce n’est qu’au milieu des années 1950, quelques temps avant sa mort, qu’il vend une grande partie de sa collection à Hélène Leloup et Henri Kamer. De cet exceptionnel ensemble, Henri Kamer cède ce masque en 1978, comptant parmi les joyaux de la collection Barbier-Mueller.
Ce masque accède d’emblée au statut de magnum opus. Il sera l’œuvre-phare de plusieurs expositions d’art d’Afrique organisées de 1958 à nos jours. Apparaissant en couverture de Masques d’Afrique dans les collections du musée Barbier-Müller (Fagg, W., Paris, 1980), ce chef-d’œuvre révèle tout le génie d’un grand maître tant sur le plan formel - fascinante qualité sculpturale - que sur le plan conceptuel - conjuguant gémellité et unicité.
Le masque-jumeau de Monique et Jean Paul Barbier-Mueller présente deux visages parfaitement sculptés et quasi-symétriques puisqu’ils se distinguent uniquement par des éléments ornementaux. L’artiste, en suivant les canons d’excellence de beauté chez les Baoulé, a pris le plus grand soin d’individualiser les coiffures et les scarifications du front, des joues et des commissures des lèvres. Seules les marques ngole - tempes et arête nasale - sont identiques. Bien que les visages d’un masque nda soient généralement du même sexe, la différence de couleur indique une distinction sexuelle. Les couleurs utilisées par les Baoulé reflètent leur conception philosophique de l’organisation dualiste de l’univers dans laquelle l’harmonie est obtenue par l’union de principes complémentaires.
Finalement, ce double-masque est une ode à l’Homme et au dualisme qui nous façonne. La peau craquelée à vif du premier visage, laisse apparaître le rouge qui coule dans notre enveloppe charnelle, et répond à son double animique préservé des affres de la vie. Ce masque est une injonction à accepter notre nature-même : celle de l’éternelle co-résidence de l’âme et du corps. Ce chef-d’œuvre nous rappelle que l’apprentissage passe par l’opposition, que notre individualité est construite des tiraillements de la raison à la passion, de la liberté à la nécessité, de la certitude au doute ou encore du devoir à la sensibilité. Ce masque-double se révèle être l’image même du dualisme cartésien qui a sans doute trouvé ici, sa plus belle représentation artistique.
Relatively rare nda (twin) masks are considered to be idealised portraits of young girls or young men from local villages. These masks, which belong to the Mblo or Gbagba sub-groups, are intended to entertain during dances or ceremonies and can therefore be seen by everyone. Although they have no ritual function, they are linked to the birth of twins, considered a happy event that is to be celebrated during ceremonies.
A true marvel of Baule art, this masterpiece is linked to the names of Roger Bédiat and Henri Kamer. The former is responsible for a number of treasures from the Ivory Coast, now housed in the world's leading institutions and private collections. In the 1920s, Bédiat settled in Abidjan - in Anyama to be precise - where he concentrated on his work as a forest ranger. Subsequently, this early amateur collector developed his taste for the culture and art of the regions he travelled through. During the inter-war period, he went on to collaborate with Charles Ratton. It was not until the mid-1950s, shortly before his death, that he sold a large part of his collection to Hélène Leloup and Henri Kamer. Amongst this exceptional ensemble, Henri Kamer parted with this mask in 1978, making it one of the jewels in the Barbier-Mueller collection.
This mask immediately achieved the status of magnum opus. It was the star piece of several African art exhibitions organised between 1958 and the present day. Appearing on the cover of Masques d'Afrique dans les collections du musée Barbier-Müller (Fagg, W., Paris, 1980), this masterpiece reveals the genius of a great master, both in terms of shape - with its fascinating sculptural quality - and in terms of concept - combining twinship and uniqueness.
Monique and Jean Paul Barbier-Mueller's twin masks features two perfectly sculpted, almost symmetrical faces, distinguished only by ornamental elements. The artist, following the Baule canons of perfected beauty, has taken great care to individualise the hairstyles and scarification marks on the forehead, cheeks and corners of the mouth. Only the ngole marks - temples and nasal bridge - are identical. Although the faces in a nda mask are generally of the same sex, the difference in colour indicates a gender distinction. The colours used by the Baule reflect their philosophical conception of the dualistic organisation of the universe, in which harmony is achieved through the union of complementary principles.
Ultimately, this double mask is an ode to Man and the dualism that shapes us. The raw, cracked skin of the first face reveals the red hue that flows through our carnal envelope, and responds to its animic double, preserved from the torments of life. This mask is an injunction to accept our very nature: that of the eternal co-existence of soul and body. Thus, this masterpiece reminds us that learning occurs through opposition, that our individuality is constructed from the tug-of-war between reason and passion, freedom and necessity, certainty and doubt, as well as duty and sensitivity. This double mask is the very image of Cartesian dualism, which has undoubtedly found its finest artistic representation here.