Jean Dubuffet (1901-1985)
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Jean Dubuffet (1901-1985)

Langage des caves IX

Details
Jean Dubuffet (1901-1985)
Langage des caves IX
signé et daté 'J. Dubuffet 58' (en bas à gauche); signé, titré et daté '''Langage des caves'' octobre 58 J. Dubuffet' (au dos)
huile sur toile
89 x 116 cm.
Peint en octobre 1958.

signed and dated 'J. Dubuffet 58' (lower left); signed, titled and dated '''Langage des caves'' octobre 58 J. Dubuffet' (on the reverse)
oil on canvas
35 x 45 5/8 in.
Painted in October 1958.
Provenance
Galerie Daniel Cordier, Paris
Collection Michel Strauss, Paris
Galerie Lucien Durand, Paris
Acquis auprès de celle-ci par la famille des propriétaires actuels en 1968
Literature
M. Loreau, Catalogue des travaux de Jean Dubuffet, fascicule XIV: Célébration du sol II, texturologies, topographies, Lausanne, 1996, No. 61 (illustré p. 52).
Exhibited
Paris, Musée des arts décoratifs, Jean Dubuffet, 1942-1960, décembre 1960-février 1961, No. 181 (illustré en couleurs au catalogue d'exposition pl VIII).

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Antoine Lebouteiller
Antoine Lebouteiller Head of Department

Lot Essay

« L'art doit naître du matériau. La spiritualité doit emprunter le langage du matériau. Chaque matériau a son langage, est un langage. » - Jean Dubuffet

Issues de certaines des séries les plus importantes de l'artiste, les cinq œuvres ici réunies illustrent pleinement l'audace avec laquelle Jean Dubuffet a transfiguré le paysage artistique de la France d'après-guerre. Puisant son inspiration dans les arts de sociétés tribales, les dessins d'enfants ou les créations de patients en psychiatrie, Dubuffet s'est donné de renverser les grands principes de l'histoire de l'art pour raviver une culture asphyxiée par ses propres conventions, en y insufflant la vitalité farouche et désinhibée de ce qu'il dénommera « l'art brut ». De ses figures naïves dérivées du graffiti à ses tableaux conçus à partir d'éléments végétaux, il s’acquittera de cette mission en appréhendant la matière et la forme de façon révolutionnaire – une démarche bouleversante et totalement inédite, dont l'impact se ressent aujourd'hui encore.

Les œuvres les plus précoces de cet ensemble sont ces deux gouaches en noir et blanc, d'un grand dynamisme (Homme respirant un œillet et Sans titre), exécutées en septembre-octobre 1945. Empreintes du style schématique et caricatural propre aux travaux figuratifs de Dubuffet, l'une représente, comme son nom l'indique, un personnage humant un œillet ; l'autre donne à voir la fleur à elle seule. L'artiste réalise ces deux compositions (parmi d'autres sur le même sujet) en vue d'illustrer un ouvrage rare de poésie sur le thème des œillets, qu'élabore alors son ami poète Francis Ponge. Elles sont d'abord confiées à l'éditeur Gaston Gallimard, qui les conservera longtemps dans ses tiroirs jusqu'à l'abandon du projet de publication. À ce stade de sa carrière, Dubuffet occupe déjà une place primordiale parmi les artistes, écrivains, critiques et marchands d'art du Paris d'après-guerre. Il immortalisera d'ailleurs nombre d'entre eux, dont Jean Fautrier, Antonin Artaud, Pierre Matisse, Jean Paulhan et Ponge lui-même, dans ses fameux portraits de société de 1946-1947, exposés à la galerie René Drouin sous l'intitulé Les Gens sont bien plus beaux qu’ils croient : vive leur vraie figure.

Dubuffet écrit en 1947 que « tout l’appareil habituel de la peinture — toiles, chevalets, pinceaux, tubes de couleur — exercent une action paralysante sur celui qui s’en sert » (J. Dubuffet, lettre à G. Chaissac, juin 1947, in H. Damisch (éd.), Prospectus et tous écrits suivants, vol. 1, Paris, 1967, pp. 465-466). Délaissant l'attirail traditionnel du peintre, il réalise plusieurs suites de tableaux à partir de « hautes pâtes », composées de mélanges insolites de peinture, plâtre, sable, goudron, mastic et autres matériaux peu orthodoxes. Ses célèbres Corps de Dames de 1950 réinventent ainsi le nu classique pour en faire une sorte de territoire primaire, comme une empreinte creusée dans la chair-même du sol. Les années suivantes verront naître une approche plus géologique encore du plan pictural avec la série des Texturologies, initiée à la fin 1957, dont relève Langage des caves IX (octobre 1958). Ici, d'étincelantes gouttelettes noires et blanches viennent consteller une fabuleuse étendue sombre, évoquant à la fois la surface granuleuse de la terre battue et l'abstraction « intégrale » de peintres comme Jackson Pollock.

Dubuffet notait scrupuleusement les « recettes » qu'il employait dans ses différents travaux. Celle de Langage des caves IX se base sur un mélange de pigments blanc cassé, appliqués en couches fines à l'aide d'une spatule, puis aspergés d'un glacis de térébenthine et d'huile de lin brune, avant d'être arrosés de quelques gouttes d'huile minérale. Après une nuit de repos, l'artiste aurait à nouveau « glacé » et « déglacé » son support, pour finalement y apposer des coupures de papier journal. Il disait de ces procédés complexes qu'ils lui permettaient d'« obtenir des nappes finement ouvragées donnant une impression de matière fourmillante, vivante et scintillante, susceptible de convenir pour figurer un sol, mais évoquant aussi toutes espèces de textures indéterminées, voire des galaxies ou des nébuleuses » (J. Dubuffet cité in Jean Dubuffet, peintures, sculptures, dessins, Rétrospective, cat. exp., Fondation Maeght, Saint-Paul-de-Vence, 1985, p. 78).

Les Éléments botaniques voient le jour peu de temps après les Texturologies et témoignent, comme ces dernières, d'un intérêt grandissant pour l'environnement naturel du pays de Vence, où Dubuffet s'installe au milieu des années 1950. Avec cette série très organique, l'artiste pousse ses recherches plus loin encore en se servant de matériaux prélevés directement dans le monde végétal. Réalisées en août 1959, Regard limpide et Sol étoilé appartiennent toutes deux à cet ensemble d'œuvres « botaniques ». Dans la première, un visage aux yeux écarquillés prend forme parmi un collage de différentes variétés de feuilles d'arbres, dont les nervures, les textures et les contours irréguliers font naître un portrait d'une grande force expressive. Inclue en 2016 dans Jean Dubuffet: Metamorphoses of Landscape, exposition majeure montée par la Fondation Beyeler de Bâle, Sol étoilé fait quant à elle un usage très inventif de graines en forme d'astres, disséminées sur un arrière-plan de feuilles séchées et froissées. Transcendant leur affiliation à la terre, ces semences participent ici à une vision éthérée, évocatrice d'un ciel étoilé.

La production tout entière de Dubuffet est habitée de visages émanant de paysages, de corps mués en paysages, de paysages enfin libres de se révéler sous un jour nouveau, loin des codes habituels. Partout, les cycles naturels de la croissance et de la déchéance s'expriment dans la matière-même de l'œuvre : l'œuvre d'un artiste convaincu de la continuité profonde entre toutes les manifestations du règne naturel, de la vie humaine à la splendeur d'une poignée de boue. En détournant la grande tradition du portrait, ou en refusant la représentation classique et distante du paysage pour lui préférer une vision rapprochée du sol, le nez dans la terre, Dubuffet s'est attaché à pulvériser les conventions de l'art pour célébrer, au fond, la beauté qui s'offre à nous à chaque instant. Pourvu que l'on ouvre les yeux.


''Art must arise from the material. Spirituality must borrow the language of the material. Each material has a language, is a language.'' - Jean Dubuffet

Belonging to some of the artist’s most important early series, the present group of works captures Jean Dubuffet’s radical transformation of art in post-war France. Inspired by the art of children, tribal societies and asylum inmates, Dubuffet declared an upending of art-historical ideals, seeking to invigorate a convention-bound world through the elemental, uninhibited vitality of what he called
Art brut: ‘raw art.’ From his primitivist, graffiti-influenced pictures of people to works concocted from the matter of the natural world, it was a mission he accomplished with a revolutionary, innovative approach to form and material which remains hugely impactful to this day.

The earliest works here are two energetic black-and-white gouaches executed in September and October 1945. In the schematic, caricatural style typical of Dubuffet’s figuration,
Homme respirant un œillet depicts a man smelling a carnation; an untitled picture shows an image of the flower alone. Dubuffet made these gouaches—along with several others on the theme—to accompany a luxury publication by his friend the poet Francis Ponge, who had recently composed a poem about the carnation. They were given to the publisher Gaston Gallimard, who kept them in his drawers for some time before returning them to Dubuffet when the book project was not realised. Dubuffet had a central place in post-war Paris’s vibrant scene of artists, dealers, critics and literary figures. He would capture characters including Jean Fautrier, Antonin Artaud, Pierre Matisse, Jean Paulhan and Ponge himself in his infamous society portraits of 1946-1947, which were exhibited at Galerie René Drouin under the subheading Les gens sont bien plus beaux qu’ils croient: vive leur vraie figure (‘People are much more beautiful than they think: Long live their true face’).

Dubuffet wrote in 1947 that ‘all the usual apparatus of painting—canvases, easels, brushes, tubes of colour—exert a paralysing effect on whoever uses them’[2] (J. Dubuffet, letter to G. Chaissac, June 1947, in H. Damisch (ed.),
Prospectus et tous écrits suivants, vol. 1, Paris 1967, pp. 465-466). Breaking away from these habitual tools, he instead created works using hautes pâtes or ‘thick pastes’ of paint, plaster, sand, tar, putty and other unorthodox media. His celebrated Corps de Dames of 1950 reimagined the classical nude as a primal, earthy terrain. In the following years, Dubuffet took an even more geological approach to the picture plane. Langage des caves IX (Cave language IX) (October 1958) belongs to his series of Texturologies, which he first developed in late 1957. Glittering droplets of black and white are scattered across a splendid expanse of darkness, which evokes both the granular surface of exposed earth and the ‘all-over’ abstractions of artists such as Jackson Pollock.

Dubuffet carefully recorded the ‘recipes’ for his various series in his notebooks. To make
Langage des caves IX, layers of blended ivory paint were applied with a spatula, spattered and glazed with brown-tinted linseed oil and turpentine, then sprinkled with droplets of mineral oil before being left to dry overnight. Dubuffet then glazed again, deglazed and finally pressed sheets of newspaper to the work’s surface. Such complex techniques, he said, allowed him to ‘obtain finely crafted layers giving an impression of teeming, living and sparkling material, likely to be suitable for representing a piece of ground, but also evoking all kinds of indeterminate textures, even galaxies or nebulae’ (J. Dubuffet, quoted in Jean Dubuffet, peintures, sculptures, dessins, Rétrospective, exh. cat. Fondation Maeght, Saint-Paul de Vence 1985, p. 78).

Dubuffet’s series of Éléments botaniques (Botanical elements) emerged soon after the Texturologies. Like them, they reflected his increasing interest in the rural environs of Vence, where he had made his home in the mid-1950s. Now, however, Dubuffet began to use materials taken directly from nature itself. Regard Limpide (Clear look) and Sol étoilé (Starry soil), both made in August 1959, belong to this series. In the former, a wide-eyed face is formed from a collage of different types of leaves, their veins, silhouettes and variegated textures forming a vivid and expressive visage. Sol étoilé, which was included in the major 2016 exhibition Jean Dubuffet: Metamorphoses of Landscape at the Fondation Beyeler, Basel, makes inventive use of star-shaped seedheads strewn across a rumpled ground of dried foliage. Transcending its earthy origin, the vegetal matter forms a scene suggestive of a twinkling sky.

Across Dubuffet’s work, faces and bodies become or emerge from landscapes, landscapes are allowed to represent themselves in new ways, and cycles of growth, decay and change are expressed in the physical matter of the artwork. For him, there was a profound continuity between all aspects of the natural world, from human life to the subterranean splendour of a handful of soil. In turning away from artistic convention—subverting the grand traditions of portraiture, and refusing the elevated, distant portrayal of landscape to instead look closely at the ground—he celebrated the beauty that surrounds us at every turn, if only we open our eyes.

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