Lot Essay
« Plus Wool s’efforce d’effacer, plus les choses deviennent complexes. » -Joshua Decter
Conservée à la Cruz Collection de Miami depuis près de vingt ans, Sans titre (H.H.), 2003 est une fascinante peinture abstraite à grande échelle signée Christopher Wool. Elle s’inscrit dans une période de production intense débutant à la fin des années 1990, lorsque Wool a commencé à utiliser ses propres tableaux comme base pour créer de nouvelles œuvres.
L’artiste a placé sur la toile monumentale une sérigraphie d’une de ses compositions abstraites comportant des marques verticales roulées sur un fond d’éclaboussures plus sombres ; puis, il a appliqué par-dessus d’autres lignes verticales grâce à de la peinture émaillée gris argenté. Ces barres s’ajoutent à l’image sous-jacente, en même temps qu’elles l’annulent, comme écho troublant à la réplique de la même peinture sur la sérigraphie.
Cette sérigraphie imite la peinture en utilisant les points de l’impression en demi-teinte, mais elle demeure assaillie par le bruit visuel. Des croix indiquent les coins des quatre écrans qui composent l’image : ils s’alignent de façon imparfaite, légèrement décalés par rapport au bord de la toile. Cette surface énigmatique et fascinante, faite de doutes, de suppressions et d’interférences, illustre la manière dont Wool teste les frontières du réel et tente de les reproduire à une époque où la peinture n’existe plus.
Né à Chicago, Christopher Wool s’est inscrit dans la lignée de certains des artistes les plus conceptuels de l’école de New York au début des années 1970, étudiant avec Richard Pousette-Dart à l’université du Sarah Lawrence College et Jack Tworkov à la Studio School. Certains aspects de son travail peuvent être considérés comme issus de l’expressionnisme-abstrait, rappelant les langages gestuels de Pollock ou de Kooning. Cependant, Wool évolue à une période où l’avenir de la peinture est sérieusement remis en question. Comme certains de ses contemporains des années 1980 – dont Albert Oehlen en Allemagne –, il choisit de critiquer le médium de l’intérieur, évitant l’expression personnelle au profit de la médiation, de l’effacement et de l’incertitude.
Ici, Wool s’est inspiré du paysage urbain du Lower East Side à Manhattan, où il réside, sondant les points de rupture entre le langage et l’image. Les papiers peints que l’on retrouve fréquemment dans les logements à loyer modéré de son quartier lui ont inspiré des motifs floraux roulés qu’il développe à partir de 1986. Ses « peintures textuelles » tourmentées, ainsi que ses œuvres utilisant des pochoirs Clip-Art et de grands tampons en caoutchouc ont suivi peu de temps après.
L’artiste a commencé à réaliser des sérigraphies en 1993, empilant des strates de motifs et de symboles, des répliques imprimées et des lettres peintes. Sa main apparaît comme une ligne en boucle, semblable à un graffiti : dans les « peintures grises », dont les débuts sont contemporains de Sans titre (H.H.), il les efface avec des traces floutées de térébenthine. Wool commence à utiliser des reproductions de ses propres travaux antérieurs en 1998, les transformant rapidement en palimpsestes complexes de marques réelles et virtuelles.
Dans la présente œuvre, les fantômes de multiples images scintillent. Le tableau trouve son origine dans 9th Street Run Down (2000), un groupe de quarante-quatre « croquis d’atelier » sur papier de riz sur lesquels l’artiste revenait fréquemment. L’un d’entre eux présentait un enchevêtrement de traits blancs enroulés sur une sérigraphie maculée d’éclaboussures noires. Wool a agrandi cette composition pour en faire une vaste sérigraphie couleur rouille sur lin en 2001. Il a reproduit cette sérigraphie en noir l’année suivante, en y ajoutant une couche de bandes d’émail blanc dégoulinantes. La peinture de 2002 est devenue à son tour une sérigraphie en 2003, avant d’être réitérée, grâce à l’application finale de traits d’émail gris pour aboutir à Sans titre (H.H.). La surface plane de l’œuvre actuelle prend une profondeur singulière, superposant des images s’inspirant de peintures antérieures.
Wool trouve dans l'auto-appropriation une méthode de travail fertile et libératrice. En utilisant son propre catalogue comme répertoire de motifs découverts, la question de «l'original » n'a plus lieu d'être, car il joue librement avec la répétition, la récursivité et la transformation. La splendeur ternie de ces œuvres reflète leur humeur ambivalente, tout en acquérant une nouvelle forme de vie étrange. Au fur et à mesure que la copie est copiée, elle devient plus originale et quelque chose d'autre émerge », observe Glenn O'Brien : « quelque chose comme l'âme de la machine. Le processus lui-même est l'image. Warhol a déclaré qu'il voulait être mécanique, sans sentiment, comme une machine. Mais Wool a trouvé le moyen de rendre la machine humaine » (G. O'Brien, ‘Apocalypse and Wallpaper’, dans H-W. Holzwarth (ed.), Christopher Wool, Cologne 2012, p. 12).
’The more Wool endeavours to blot out, the more complex things get.’’ - Joshua Decter
Held in the de la Cruz Collection for almost two decades, Untitled (H.H.) (2003) is a mesmerising large-scale abstraction by Christopher Wool. It belongs to a fruitful period in his practice beginning in the late 1990s, when he started to use his own previous paintings as the basis for new works. Across the monumental canvas, he has silkscreened a reproduction of an earlier abstract composition—featuring vertical, rollered marks over a ground of darker splashes—before applying further verticals in silver-grey enamel paint on top. These bars at once build upon and cancel out the underlying image, echoing the silkscreen’s eerie replica of the same paintwork. The silkscreen mimics paint using the dots of halftone printing, and is beset by visual noise and distortion. Cross-shaped registration marks show the corners of the four separate screens that make up the picture: they align imperfectly, slightly out of kilter with the canvas edge. A cryptic and compelling surface layered with doubt, deletion and interference, the work exemplifies Wool’s testing of the boundaries between the real and the reproduced in a post-painterly age.
Born in Chicago, Wool learnt from some of the most cerebral painters of the New York School during the early 1970s, studying under Richard Pousette-Dart at Sarah Lawrence College and Jack Tworkov at the Studio School. Aspects of his own work might be seen to descend from Abstract Expressionism, outwardly recalling the gestural languages of Pollock or de Kooning. Wool, however, came of age at a time when painting’s future was in serious question. Like some of his 1980s contemporaries, including Albert Oehlen in Germany, he chose to critique the medium from within, evading self-expression in favour of mediation, erasure and uncertainty. He drew upon the urban grit of his Lower East Side environment, and probed the points at which language and imagery fall apart. Inspired by the décor common to low-rent apartment buildings, he started to use rollered floral patterns in 1986. His confrontational text paintings, along with works that used Clip-Art stencils and large rubber stamps, followed soon afterwards. He began to make silkscreens in 1993, piling up strata of pattern and symbol, printed replica and painted redaction. His own hand came into view as a looping, graffiti-like line: in the ‘grey paintings’, whose beginnings are contemporary with Untitled (H.H.), he would efface these with cloudy smears of turpentine.
Wool began to use reproductions of his own previous work in 1998, soon building them into complex palimpsests of real and virtual mark-making. The ghosts of multiple pictures shimmer within the present work. Its genesis lies in 9th Street Run Down (2000)—a group of forty-four ‘studio sketches’ on rice-paper to which Wool would frequently return. One of these featured a lattice of white strokes rollered over a blown-up silkscreen of black splashes. Wool enlarged that composition into a large, rust-coloured silkscreen on linen in 2001. He repeated this silkscreen in black the following year, adding a layer of dripping white enamel stripes on top. The 2002 painting in turn became a silkscreen in 2003, before being reiterated—with the final application of grey enamel strokes—to create Untitled (H.H.). Each successive silkscreen functioned as both an erasure and an addition. The present work’s flat surface takes on a compound depth, overlaying afterimages of paintings past.
In self-appropriation, Wool had found a fertile and liberating way of working. Taking his own back catalogue as a repertory of found motifs, the question of the ‘original’ became irrelevant as he played freely with repetition, recursion and transformation. These works’ glitchy, tarnished splendour reflects their mood of ambivalence, while also accruing an uncanny new kind of life. ‘’As the copy is copied it becomes more original and something else emerges,’’ observed Glenn O’Brien: ‘’something like the soul of the machine. The process itself is the picture. Warhol declared he wanted to be mechanical, without feeling, like a machine. But Wool figured out how to make the machine human’’ (G. O’Brien, ‘Apocalypse and Wallpaper’, in H-W. Holzwarth (ed.), Christopher Wool, Cologne 2012, p. 12).
Conservée à la Cruz Collection de Miami depuis près de vingt ans, Sans titre (H.H.), 2003 est une fascinante peinture abstraite à grande échelle signée Christopher Wool. Elle s’inscrit dans une période de production intense débutant à la fin des années 1990, lorsque Wool a commencé à utiliser ses propres tableaux comme base pour créer de nouvelles œuvres.
L’artiste a placé sur la toile monumentale une sérigraphie d’une de ses compositions abstraites comportant des marques verticales roulées sur un fond d’éclaboussures plus sombres ; puis, il a appliqué par-dessus d’autres lignes verticales grâce à de la peinture émaillée gris argenté. Ces barres s’ajoutent à l’image sous-jacente, en même temps qu’elles l’annulent, comme écho troublant à la réplique de la même peinture sur la sérigraphie.
Cette sérigraphie imite la peinture en utilisant les points de l’impression en demi-teinte, mais elle demeure assaillie par le bruit visuel. Des croix indiquent les coins des quatre écrans qui composent l’image : ils s’alignent de façon imparfaite, légèrement décalés par rapport au bord de la toile. Cette surface énigmatique et fascinante, faite de doutes, de suppressions et d’interférences, illustre la manière dont Wool teste les frontières du réel et tente de les reproduire à une époque où la peinture n’existe plus.
Né à Chicago, Christopher Wool s’est inscrit dans la lignée de certains des artistes les plus conceptuels de l’école de New York au début des années 1970, étudiant avec Richard Pousette-Dart à l’université du Sarah Lawrence College et Jack Tworkov à la Studio School. Certains aspects de son travail peuvent être considérés comme issus de l’expressionnisme-abstrait, rappelant les langages gestuels de Pollock ou de Kooning. Cependant, Wool évolue à une période où l’avenir de la peinture est sérieusement remis en question. Comme certains de ses contemporains des années 1980 – dont Albert Oehlen en Allemagne –, il choisit de critiquer le médium de l’intérieur, évitant l’expression personnelle au profit de la médiation, de l’effacement et de l’incertitude.
Ici, Wool s’est inspiré du paysage urbain du Lower East Side à Manhattan, où il réside, sondant les points de rupture entre le langage et l’image. Les papiers peints que l’on retrouve fréquemment dans les logements à loyer modéré de son quartier lui ont inspiré des motifs floraux roulés qu’il développe à partir de 1986. Ses « peintures textuelles » tourmentées, ainsi que ses œuvres utilisant des pochoirs Clip-Art et de grands tampons en caoutchouc ont suivi peu de temps après.
L’artiste a commencé à réaliser des sérigraphies en 1993, empilant des strates de motifs et de symboles, des répliques imprimées et des lettres peintes. Sa main apparaît comme une ligne en boucle, semblable à un graffiti : dans les « peintures grises », dont les débuts sont contemporains de Sans titre (H.H.), il les efface avec des traces floutées de térébenthine. Wool commence à utiliser des reproductions de ses propres travaux antérieurs en 1998, les transformant rapidement en palimpsestes complexes de marques réelles et virtuelles.
Dans la présente œuvre, les fantômes de multiples images scintillent. Le tableau trouve son origine dans 9th Street Run Down (2000), un groupe de quarante-quatre « croquis d’atelier » sur papier de riz sur lesquels l’artiste revenait fréquemment. L’un d’entre eux présentait un enchevêtrement de traits blancs enroulés sur une sérigraphie maculée d’éclaboussures noires. Wool a agrandi cette composition pour en faire une vaste sérigraphie couleur rouille sur lin en 2001. Il a reproduit cette sérigraphie en noir l’année suivante, en y ajoutant une couche de bandes d’émail blanc dégoulinantes. La peinture de 2002 est devenue à son tour une sérigraphie en 2003, avant d’être réitérée, grâce à l’application finale de traits d’émail gris pour aboutir à Sans titre (H.H.). La surface plane de l’œuvre actuelle prend une profondeur singulière, superposant des images s’inspirant de peintures antérieures.
Wool trouve dans l'auto-appropriation une méthode de travail fertile et libératrice. En utilisant son propre catalogue comme répertoire de motifs découverts, la question de «l'original » n'a plus lieu d'être, car il joue librement avec la répétition, la récursivité et la transformation. La splendeur ternie de ces œuvres reflète leur humeur ambivalente, tout en acquérant une nouvelle forme de vie étrange. Au fur et à mesure que la copie est copiée, elle devient plus originale et quelque chose d'autre émerge », observe Glenn O'Brien : « quelque chose comme l'âme de la machine. Le processus lui-même est l'image. Warhol a déclaré qu'il voulait être mécanique, sans sentiment, comme une machine. Mais Wool a trouvé le moyen de rendre la machine humaine » (G. O'Brien, ‘Apocalypse and Wallpaper’, dans H-W. Holzwarth (ed.), Christopher Wool, Cologne 2012, p. 12).
’The more Wool endeavours to blot out, the more complex things get.’’ - Joshua Decter
Held in the de la Cruz Collection for almost two decades, Untitled (H.H.) (2003) is a mesmerising large-scale abstraction by Christopher Wool. It belongs to a fruitful period in his practice beginning in the late 1990s, when he started to use his own previous paintings as the basis for new works. Across the monumental canvas, he has silkscreened a reproduction of an earlier abstract composition—featuring vertical, rollered marks over a ground of darker splashes—before applying further verticals in silver-grey enamel paint on top. These bars at once build upon and cancel out the underlying image, echoing the silkscreen’s eerie replica of the same paintwork. The silkscreen mimics paint using the dots of halftone printing, and is beset by visual noise and distortion. Cross-shaped registration marks show the corners of the four separate screens that make up the picture: they align imperfectly, slightly out of kilter with the canvas edge. A cryptic and compelling surface layered with doubt, deletion and interference, the work exemplifies Wool’s testing of the boundaries between the real and the reproduced in a post-painterly age.
Born in Chicago, Wool learnt from some of the most cerebral painters of the New York School during the early 1970s, studying under Richard Pousette-Dart at Sarah Lawrence College and Jack Tworkov at the Studio School. Aspects of his own work might be seen to descend from Abstract Expressionism, outwardly recalling the gestural languages of Pollock or de Kooning. Wool, however, came of age at a time when painting’s future was in serious question. Like some of his 1980s contemporaries, including Albert Oehlen in Germany, he chose to critique the medium from within, evading self-expression in favour of mediation, erasure and uncertainty. He drew upon the urban grit of his Lower East Side environment, and probed the points at which language and imagery fall apart. Inspired by the décor common to low-rent apartment buildings, he started to use rollered floral patterns in 1986. His confrontational text paintings, along with works that used Clip-Art stencils and large rubber stamps, followed soon afterwards. He began to make silkscreens in 1993, piling up strata of pattern and symbol, printed replica and painted redaction. His own hand came into view as a looping, graffiti-like line: in the ‘grey paintings’, whose beginnings are contemporary with Untitled (H.H.), he would efface these with cloudy smears of turpentine.
Wool began to use reproductions of his own previous work in 1998, soon building them into complex palimpsests of real and virtual mark-making. The ghosts of multiple pictures shimmer within the present work. Its genesis lies in 9th Street Run Down (2000)—a group of forty-four ‘studio sketches’ on rice-paper to which Wool would frequently return. One of these featured a lattice of white strokes rollered over a blown-up silkscreen of black splashes. Wool enlarged that composition into a large, rust-coloured silkscreen on linen in 2001. He repeated this silkscreen in black the following year, adding a layer of dripping white enamel stripes on top. The 2002 painting in turn became a silkscreen in 2003, before being reiterated—with the final application of grey enamel strokes—to create Untitled (H.H.). Each successive silkscreen functioned as both an erasure and an addition. The present work’s flat surface takes on a compound depth, overlaying afterimages of paintings past.
In self-appropriation, Wool had found a fertile and liberating way of working. Taking his own back catalogue as a repertory of found motifs, the question of the ‘original’ became irrelevant as he played freely with repetition, recursion and transformation. These works’ glitchy, tarnished splendour reflects their mood of ambivalence, while also accruing an uncanny new kind of life. ‘’As the copy is copied it becomes more original and something else emerges,’’ observed Glenn O’Brien: ‘’something like the soul of the machine. The process itself is the picture. Warhol declared he wanted to be mechanical, without feeling, like a machine. But Wool figured out how to make the machine human’’ (G. O’Brien, ‘Apocalypse and Wallpaper’, in H-W. Holzwarth (ed.), Christopher Wool, Cologne 2012, p. 12).