Lot Essay
Il est des œuvres qui touchent au-delà de leur seule qualité esthétique par la charge historique qu’elles charrient. Ce portrait de Nicolas de Largillierre (1656-1746) en fait partie. Son image nous semble familière car elle apparaît dans une photographie nombreuses fois reproduite immortalisant l’immense tâche entreprise par les Monuments Men – organisme rassemblant conservateurs, historiens de l’art, architectes et archivistes sous l’égide du Monuments, Fine Arts, and Archives program – de récupérer à travers toute l’Europe les nombreuses œuvres d’art spoliées sous le troisième Reich.
Dans le cadre de cette mission, les Monuments Men atteignent le 28 avril 1945, au crépuscule de la guerre, le château de Neuschwanstein en Bavière. Celui-ci servait alors de cache à plus de 5 000 tableaux et 20 000 objets volés par le régime nazi. Parmi ces œuvres figurait ce fameux portrait de Nicolas de Largillierre, brandi sur cette photographie entrée dans l’Histoire par le soldat Anthony 'Tony' Terra Valim (1919-2009) avec une joie non dissimulée, sous le regard attentif du lieutenant James Rorimer (1905-1966), futur directeur du Metropolitan Museum of Art de New York (fig. 1).
Les années du troisième Reich furent en effet le théâtre d’un vol organisé d’une ampleur sans précédent en Europe. Les nazis voulaient bâtir des collections privées rivalisant avec les musées occidentaux déjà établis. Si certaines collections publiques européennes ployèrent sous la violence et la rapidité de leurs invasions, la France, aidée du brillant conservateur du Louvre Jacques Jaujard (1895-1967), échappa au pillage de ses collections publiques en dissimulant ses chefs d’œuvres dans des châteaux et abbayes reculés. Mais les collections privées, elles, ne furent pas épargnées. Les œuvres d’art des galeristes, antiquaires ou des grandes familles françaises dont les noms de famille les prenaient à présent pour cibles tombèrent sous la menace. Si certains cachèrent en amont quelques-unes de leurs œuvres, il était bien souvent plus urgent de sauver leur vie.
Les noms de certains galeristes comme Seligman (1893-1978), Bacri (1911-1965) ou Fabius (1908-1984) sont tristement indissociables de ces années honteuses pour la France. D’autres prestigieuses collections à l’instar des collections Wildenstein ou, comme dans le cas présent, Rothschild, furent démembrées avec une avidité sanguinaire.
Une administration baptisée ERR (Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg) se mit en place pour décupler l’efficacité du pillage. Confiée au nazi Alfred Rosenberg (1893-1946) en juillet 1940, l’organisation avait parmi ses sournoises missions, celle de confisquer 'tous biens de valeurs appartenant à des juifs […]' (voir J. Petropoulos, Kunstraub und Sammelwahn. Kunst und Politik im Dritten Reich, Berlin, 1999, p. 168). C’est cet organe qui saisit notre peinture et la transféra au château de Neuschwanstein. L’ancien écrin du romantique Ludwig II (1845-1886), roi de Bavière, servit en effet de lieu de stockage à quelques vingt-neuf convois provenant de France entre 1941 et 1944. Notre Largillierre y fut entassé avec le reste de la collection de Philippe de Rothschild (1902-1988) et d’autres collections prestigieuses, comme les biens spoliés de la famille David-Weill. À la chute du Régime, les soldats américains aidés des résistants de l’ombre comme Jaujard et la conservatrice du jeu de Paume Rose Valland (1898-1980) œuvrèrent à la réparation des crimes nazis en rapatriant les œuvres et en les rendant aux propriétaires survivants, démarche encore en cours aujourd’hui pour de nombreuses œuvres d’art.
Dans le cadre de cette mission, les Monuments Men atteignent le 28 avril 1945, au crépuscule de la guerre, le château de Neuschwanstein en Bavière. Celui-ci servait alors de cache à plus de 5 000 tableaux et 20 000 objets volés par le régime nazi. Parmi ces œuvres figurait ce fameux portrait de Nicolas de Largillierre, brandi sur cette photographie entrée dans l’Histoire par le soldat Anthony 'Tony' Terra Valim (1919-2009) avec une joie non dissimulée, sous le regard attentif du lieutenant James Rorimer (1905-1966), futur directeur du Metropolitan Museum of Art de New York (fig. 1).
Les années du troisième Reich furent en effet le théâtre d’un vol organisé d’une ampleur sans précédent en Europe. Les nazis voulaient bâtir des collections privées rivalisant avec les musées occidentaux déjà établis. Si certaines collections publiques européennes ployèrent sous la violence et la rapidité de leurs invasions, la France, aidée du brillant conservateur du Louvre Jacques Jaujard (1895-1967), échappa au pillage de ses collections publiques en dissimulant ses chefs d’œuvres dans des châteaux et abbayes reculés. Mais les collections privées, elles, ne furent pas épargnées. Les œuvres d’art des galeristes, antiquaires ou des grandes familles françaises dont les noms de famille les prenaient à présent pour cibles tombèrent sous la menace. Si certains cachèrent en amont quelques-unes de leurs œuvres, il était bien souvent plus urgent de sauver leur vie.
Les noms de certains galeristes comme Seligman (1893-1978), Bacri (1911-1965) ou Fabius (1908-1984) sont tristement indissociables de ces années honteuses pour la France. D’autres prestigieuses collections à l’instar des collections Wildenstein ou, comme dans le cas présent, Rothschild, furent démembrées avec une avidité sanguinaire.
Une administration baptisée ERR (Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg) se mit en place pour décupler l’efficacité du pillage. Confiée au nazi Alfred Rosenberg (1893-1946) en juillet 1940, l’organisation avait parmi ses sournoises missions, celle de confisquer 'tous biens de valeurs appartenant à des juifs […]' (voir J. Petropoulos, Kunstraub und Sammelwahn. Kunst und Politik im Dritten Reich, Berlin, 1999, p. 168). C’est cet organe qui saisit notre peinture et la transféra au château de Neuschwanstein. L’ancien écrin du romantique Ludwig II (1845-1886), roi de Bavière, servit en effet de lieu de stockage à quelques vingt-neuf convois provenant de France entre 1941 et 1944. Notre Largillierre y fut entassé avec le reste de la collection de Philippe de Rothschild (1902-1988) et d’autres collections prestigieuses, comme les biens spoliés de la famille David-Weill. À la chute du Régime, les soldats américains aidés des résistants de l’ombre comme Jaujard et la conservatrice du jeu de Paume Rose Valland (1898-1980) œuvrèrent à la réparation des crimes nazis en rapatriant les œuvres et en les rendant aux propriétaires survivants, démarche encore en cours aujourd’hui pour de nombreuses œuvres d’art.