Lot Essay
« Les éléments que j’utilise, je les utilise seulement pour faire venir à la réalité un monde abstrait de relations pures, qui possède une existence différente du monde des choses. » - Jesús Rafael Soto
Issue de la collection de Daniel Abadie, Gran blanco (1966) est une entreprise ambitieuse de la part de Jesús Rafael Soto de faire passer l’abstraction du plan de l’image dans une troisième dimension. L’œuvre s’étend sur plus de deux mètres de large. Une couche de peinture à l’huile d’un blanc immaculé recouvre sa surface, offrant ainsi un vaste décor au « drame visuel » qui se déploie dans le coin inférieur gauche. Là, une série de tiges en acier blanc pendent librement devant un panneau constitué de fines lignes verticales gris foncé. Ces tiges d’acier sont suspendues par des fils de nylon reliés à un petit morceau de métal fixé au bord supérieur du panneau. Les éléments de l’œuvre évoluent dans une mobilité toujours en devenir, et la relation changeante entre les lignes et les ombres crée une interaction visuelle quasi-hypnotique. Gran blanco a été présenté lors de la rétrospective majeure de Soto à la Galerie nationale du Jeu de Paume en 1977. L’exposition a été organisée par Abadie, qui était à l’époque le directeur de la célèbre institution française, et a soutenu le travail de Soto tout au long de sa vie. Plus récemment, cette œuvre a été intégrée au corpus d’une importante étude sur l’art du XXe siècle, circulant ainsi dans plusieurs musées français entre 2018 et 2020.
La rétrospective inaugurée au Jeu de Paume, à Paris, autour de de Soto en 1977 marqua une étape décisive dans la carrière du peintre. Vingt-cinq ans auparavant, il avait rejoint la capitale française en compagnie d’autres jeunes artistes d’origine vénézuélienne – dont Carlos Cruz-Díez et Alejandro Otero – tous attirés par la dimension avant-gardiste de la ville Lumière. Lors de ses études à l’École des Arts Plastiques à Caracas à la fin des années 1940, Soto avait découvert les collages cubistes de Georges Braque ; il s’était alors passionné pour la façon dont le cubisme capturait la simultanéité dans le plan fixe de l’image. Quelques années plus tard, en déménageant à Paris, il rejoint rapidement le cercle des artistes qui gratitaient autour de la galeriste Denise René. En 1955, Soto participa à l’exposition fondatrice d’art cinétique, Le Mouvement, organisée par cette même galerie, aux côtés d’autres artistes comme Alexander Calder, Marcel Duchamp ou Victor Vasarely. Il devint alors rapidement un fervent promoteur de l’Op Art.
Profondément engagé dans la pédagogie de l’art, Soto pensait que le sens de son travail était à comprendre dans le contexte historique de sa création. « J’ai toujours cru, confiait-il à Abadie, que l’art est un problème culturel qui évolue comme la science à travers des liens successifs. » (J. R. Soto en conversation avec D. Abadie, Entrevista a Soto dans Soto : Quarante années de création, 1943-1983, catalogue d’exposition du Museo de Arte Contemporáneo de Caracas Sofia Imber, Caracas, 1983, p. 25).
Depuis Paris où il résidait, Soto voyagea beaucoup à travers l’Europe, à la recherche notamment des œuvres de Piet Mondrian et Kazimir Malevich. Il voulait faire connaître leur travail, qui constituait pour lui une inépuisable source d’inspiration. La surface blanche immaculée de la présente œuvre fait d’ailleurs singulièrement écho à la Composition suprématiste : Blanc sur Blanc de Malevich . « Le plus grand impact sur ma recherche a été l’idée du carré blanc sur fond blanc. », affirma Soto (ibid., p. 27).
La surface d'un blanc éclatant de Gran blanco rappelle également les tagli monochromatiques de Lucio Fontana, ami et contemporain de Soto. A ce propos, Soto possédait un exemplaire d'un blanc immaculé des toiles tranchées emblématiques de ce dernier. Les deux artistes ont cherché à élargir le plan de l'image, par le biais d'œuvres qui dépassent finalement les catégories traditionnelles de la peinture et de la sculpture. Pour Soto, cette expansion était obtenue par le mouvement du spectateur devant l'œuvre, d'abord - comme dans Gran blanco - par des perturbations optiques créées devant une surface plane, et plus tard dans ses « Pénétrables » immersifs à grande échelle. Soto considérait le mouvement comme un moyen de capturer le temporel dans l'art. Lorsque Abadie a suggéré à l'artiste que cette dimension temporelle constituait une révolution fondamentale dans l'histoire de l'art, Soto a acquiescé : «Tout à fait, et je pense que c'est un nouveau point de départ. Nous avons réussi à intégrer la véritable quatrième dimension que les cubistes recherchaient : le temps » (ibid., p. 27). Témoignage de cette fascinante rencontre d'esprits, Gran blanco libère l'abstraction dans le temps et l'espace.
''The elements I use, I use them only to bring into reality an abstract world of pure relations, which has a different existence from the world of things.'' - Jesús Rafael Soto
From the collection of Daniel Abadie, Gran blanco (1966) is a striking distillation of Jesús Rafael Soto’s endeavour to lift abstraction from the picture plane into three dimensions. Spanning more than two metres in width, pristine white oil paint covers large passages of the surface, providing a vast stage for the visual drama which unfolds in the lower left corner. There, a series of elegant, white painted steel rods hang freely in front of a panel of thin vertical lines painted in dark grey on white ground. They are suspended by fine nylon wires, which descend dramatically from a small piece of metal affixed to the panel’s upper edge. Mobile-like, the shifting relation of fixed and unfixed line and shadow creates a mesmeric visual interplay. Gran blanco was exhibited in Soto’s major retrospective at the Galerie nationale du Jeu de Paume in 1977. The exhibition was organised by Abadie, who was at that time director of the eminent French institution and would continue to champion Soto throughout his life. More recently, the work was included within a survey of twentieth-century art which travelled to several French museums across 2018-2020.
Soto’s 1977 retrospective at the Jeu de Paume was an important milestone for the artist. He had moved to Paris a quarter century prior, as part of a wave of young Venezuelan artists—including Carlos Cruz-Díez and Alejandro Otero—drawn to the city’s modernist ferment. As an art student at the Escuela de Artes Plásticas in Caracas in the late 1940s, Soto had encountered the cubist collages of Georges Braque, and was inspired by cubism’s effort to capture simultaneity within the still picture plane. Moving to Paris a few years later, he was quickly immersed in the circle of artists championed by gallerist Denise René. In 1955 he participated in the gallery’s seminal Kinetic Art exhibition Le Mouvement alongside contemporaries such as Alexander Calder, Marcel Duchamp and Victor Vasarely. He soon became a leading proponent of Op Art.
Deeply committed to the pedagogy of art, Soto understood the significance of his work to lie within its historical context. ''I have always believed,'' he told Abadie, ''that art is a cultural problem that evolves like science through successive links'' (J. R. Soto in conversation with D. Abadie, ‘Entrevista a Soto’ in Soto: Cuarenta Años de Creación, 1943- 1983, exhibition catalogue, Museo de Arte Contemporáneo de Caracas Sofia Imber, Caracas, 1983, p. 25). From Paris he travelled widely around Europe, seeking out the paintings of Piet Mondrian and Kazimir Malevich. He wanted to dynamise their work, and each would become a critical ‘link’ for him. An echo of the latter’s Suprematist Composition: White on White is felt acutely in the present work’s sublime white surface. ''The greatest impact on my search was the idea of the white square on a white background'', Soto claimed (ibid., p. 27).
The dazzling white surface of Gran blanco also recalls the monochromatic tagli of Soto’s friend and contemporary Lucio Fontana, and in fact Soto owned a pristine white example of the latter’s iconic sliced canvases. Both artists sought an expansion of the picture plane, through work that ultimately surpassed traditional categories of painting and sculpture. For Soto this expansion was achieved through the viewer’s movement in front of the work, initially—as in Gran blanco—through optical disturbances created before a flat surface, and later in his large-scale, immersive ''Penetrables''. Soto saw movement as a way of capturing the temporal in art. When Abadie suggested to the artist that this temporal dimension offered a fundamental revolution in the history of art, Soto concurred: ''Totally, and I think it is a new starting point. We have managed to integrate the true fourth dimension that the cubists were looking for: time'' (ibid., p. 27). A record of this fascinating meeting of minds, Gran blanco sets abstraction free in time and place.
Issue de la collection de Daniel Abadie, Gran blanco (1966) est une entreprise ambitieuse de la part de Jesús Rafael Soto de faire passer l’abstraction du plan de l’image dans une troisième dimension. L’œuvre s’étend sur plus de deux mètres de large. Une couche de peinture à l’huile d’un blanc immaculé recouvre sa surface, offrant ainsi un vaste décor au « drame visuel » qui se déploie dans le coin inférieur gauche. Là, une série de tiges en acier blanc pendent librement devant un panneau constitué de fines lignes verticales gris foncé. Ces tiges d’acier sont suspendues par des fils de nylon reliés à un petit morceau de métal fixé au bord supérieur du panneau. Les éléments de l’œuvre évoluent dans une mobilité toujours en devenir, et la relation changeante entre les lignes et les ombres crée une interaction visuelle quasi-hypnotique. Gran blanco a été présenté lors de la rétrospective majeure de Soto à la Galerie nationale du Jeu de Paume en 1977. L’exposition a été organisée par Abadie, qui était à l’époque le directeur de la célèbre institution française, et a soutenu le travail de Soto tout au long de sa vie. Plus récemment, cette œuvre a été intégrée au corpus d’une importante étude sur l’art du XXe siècle, circulant ainsi dans plusieurs musées français entre 2018 et 2020.
La rétrospective inaugurée au Jeu de Paume, à Paris, autour de de Soto en 1977 marqua une étape décisive dans la carrière du peintre. Vingt-cinq ans auparavant, il avait rejoint la capitale française en compagnie d’autres jeunes artistes d’origine vénézuélienne – dont Carlos Cruz-Díez et Alejandro Otero – tous attirés par la dimension avant-gardiste de la ville Lumière. Lors de ses études à l’École des Arts Plastiques à Caracas à la fin des années 1940, Soto avait découvert les collages cubistes de Georges Braque ; il s’était alors passionné pour la façon dont le cubisme capturait la simultanéité dans le plan fixe de l’image. Quelques années plus tard, en déménageant à Paris, il rejoint rapidement le cercle des artistes qui gratitaient autour de la galeriste Denise René. En 1955, Soto participa à l’exposition fondatrice d’art cinétique, Le Mouvement, organisée par cette même galerie, aux côtés d’autres artistes comme Alexander Calder, Marcel Duchamp ou Victor Vasarely. Il devint alors rapidement un fervent promoteur de l’Op Art.
Profondément engagé dans la pédagogie de l’art, Soto pensait que le sens de son travail était à comprendre dans le contexte historique de sa création. « J’ai toujours cru, confiait-il à Abadie, que l’art est un problème culturel qui évolue comme la science à travers des liens successifs. » (J. R. Soto en conversation avec D. Abadie, Entrevista a Soto dans Soto : Quarante années de création, 1943-1983, catalogue d’exposition du Museo de Arte Contemporáneo de Caracas Sofia Imber, Caracas, 1983, p. 25).
Depuis Paris où il résidait, Soto voyagea beaucoup à travers l’Europe, à la recherche notamment des œuvres de Piet Mondrian et Kazimir Malevich. Il voulait faire connaître leur travail, qui constituait pour lui une inépuisable source d’inspiration. La surface blanche immaculée de la présente œuvre fait d’ailleurs singulièrement écho à la Composition suprématiste : Blanc sur Blanc de Malevich . « Le plus grand impact sur ma recherche a été l’idée du carré blanc sur fond blanc. », affirma Soto (ibid., p. 27).
La surface d'un blanc éclatant de Gran blanco rappelle également les tagli monochromatiques de Lucio Fontana, ami et contemporain de Soto. A ce propos, Soto possédait un exemplaire d'un blanc immaculé des toiles tranchées emblématiques de ce dernier. Les deux artistes ont cherché à élargir le plan de l'image, par le biais d'œuvres qui dépassent finalement les catégories traditionnelles de la peinture et de la sculpture. Pour Soto, cette expansion était obtenue par le mouvement du spectateur devant l'œuvre, d'abord - comme dans Gran blanco - par des perturbations optiques créées devant une surface plane, et plus tard dans ses « Pénétrables » immersifs à grande échelle. Soto considérait le mouvement comme un moyen de capturer le temporel dans l'art. Lorsque Abadie a suggéré à l'artiste que cette dimension temporelle constituait une révolution fondamentale dans l'histoire de l'art, Soto a acquiescé : «Tout à fait, et je pense que c'est un nouveau point de départ. Nous avons réussi à intégrer la véritable quatrième dimension que les cubistes recherchaient : le temps » (ibid., p. 27). Témoignage de cette fascinante rencontre d'esprits, Gran blanco libère l'abstraction dans le temps et l'espace.
''The elements I use, I use them only to bring into reality an abstract world of pure relations, which has a different existence from the world of things.'' - Jesús Rafael Soto
From the collection of Daniel Abadie, Gran blanco (1966) is a striking distillation of Jesús Rafael Soto’s endeavour to lift abstraction from the picture plane into three dimensions. Spanning more than two metres in width, pristine white oil paint covers large passages of the surface, providing a vast stage for the visual drama which unfolds in the lower left corner. There, a series of elegant, white painted steel rods hang freely in front of a panel of thin vertical lines painted in dark grey on white ground. They are suspended by fine nylon wires, which descend dramatically from a small piece of metal affixed to the panel’s upper edge. Mobile-like, the shifting relation of fixed and unfixed line and shadow creates a mesmeric visual interplay. Gran blanco was exhibited in Soto’s major retrospective at the Galerie nationale du Jeu de Paume in 1977. The exhibition was organised by Abadie, who was at that time director of the eminent French institution and would continue to champion Soto throughout his life. More recently, the work was included within a survey of twentieth-century art which travelled to several French museums across 2018-2020.
Soto’s 1977 retrospective at the Jeu de Paume was an important milestone for the artist. He had moved to Paris a quarter century prior, as part of a wave of young Venezuelan artists—including Carlos Cruz-Díez and Alejandro Otero—drawn to the city’s modernist ferment. As an art student at the Escuela de Artes Plásticas in Caracas in the late 1940s, Soto had encountered the cubist collages of Georges Braque, and was inspired by cubism’s effort to capture simultaneity within the still picture plane. Moving to Paris a few years later, he was quickly immersed in the circle of artists championed by gallerist Denise René. In 1955 he participated in the gallery’s seminal Kinetic Art exhibition Le Mouvement alongside contemporaries such as Alexander Calder, Marcel Duchamp and Victor Vasarely. He soon became a leading proponent of Op Art.
Deeply committed to the pedagogy of art, Soto understood the significance of his work to lie within its historical context. ''I have always believed,'' he told Abadie, ''that art is a cultural problem that evolves like science through successive links'' (J. R. Soto in conversation with D. Abadie, ‘Entrevista a Soto’ in Soto: Cuarenta Años de Creación, 1943- 1983, exhibition catalogue, Museo de Arte Contemporáneo de Caracas Sofia Imber, Caracas, 1983, p. 25). From Paris he travelled widely around Europe, seeking out the paintings of Piet Mondrian and Kazimir Malevich. He wanted to dynamise their work, and each would become a critical ‘link’ for him. An echo of the latter’s Suprematist Composition: White on White is felt acutely in the present work’s sublime white surface. ''The greatest impact on my search was the idea of the white square on a white background'', Soto claimed (ibid., p. 27).
The dazzling white surface of Gran blanco also recalls the monochromatic tagli of Soto’s friend and contemporary Lucio Fontana, and in fact Soto owned a pristine white example of the latter’s iconic sliced canvases. Both artists sought an expansion of the picture plane, through work that ultimately surpassed traditional categories of painting and sculpture. For Soto this expansion was achieved through the viewer’s movement in front of the work, initially—as in Gran blanco—through optical disturbances created before a flat surface, and later in his large-scale, immersive ''Penetrables''. Soto saw movement as a way of capturing the temporal in art. When Abadie suggested to the artist that this temporal dimension offered a fundamental revolution in the history of art, Soto concurred: ''Totally, and I think it is a new starting point. We have managed to integrate the true fourth dimension that the cubists were looking for: time'' (ibid., p. 27). A record of this fascinating meeting of minds, Gran blanco sets abstraction free in time and place.