Lot Essay
Peint en 1592 quand Cornelis van Haarlem (1562-1638) était au sommet de son art, ce somptueux porte-étendard aux lignes courbes derrière lequel tournoie un impressionnant drapeau gonflé par le vent, témoigne de la puissance que l’artiste savait insuffler dans ses œuvres. La main posée sur la hanche avec fierté, notre modèle incarne la vigueur de la jeunesse et l’assurance de son rang.
Si la postérité a tendance à penser à l’œuvre de van Haarlem comme étant un monde maniériste et fantastique, aux personnages sinueux et aux couleurs vives, un regard plus pointu sur son travail révèle son génie pour l’art du portrait et la place privilégiée de la figure du porte-étendard dans son corpus.
Après un bref séjour anversois, où il étudie auprès de Gillis Conget (1538-1599), Cornelis s’installe définitivement à Haarlem, sa ville natale, vers 1580. En 1583, il rencontre Hendrick Goltzius (1558-1617) et Carel van Mander (1548-1606), avec qui il fonde la même année l’Académie de Haarlem, institution qui s’inspire de l’Académie florentine créée par Giorgio Vasari (1511-1578) et dont l’originalité repose sur le dessin du nu à la place de l’étude du corps basée sur les sculptures.
C’est également en 1583, de toute évidence un annus mirabilis pour le peintre, qu’il reçoit sa première grande commande : un portrait de groupe des membres de la garde civile de Haarlem actuellement conservé au Frans Hals Museum (Fig. 1, Haarlem, inv. os i-48). Ce tableau, remarquable par sa composition osée qui place le porte-étendard au milieu du groupe, le dos tourné vers les spectateurs, se trouve aussi être le tout premier portrait de groupe de la garde civile haarlémoise. Exploité comme genre depuis la première moitié du siècle par les gardes de la milice, les conseils d'administration et les régents des guildes d’Amsterdam (on peut citer par exemple le Repas des gardes de la milice d'Amsterdam de Cornelis Anthonisz. [mort en 1553] qui date de 1533 [Amsterdam Museum, inv. SA 7279]), leurs confrères haarlémois ont attendu d’avoir les turbulentes années 1570 derrière eux avant de se lancer dans des projets semblables.
Le succès flamboyant de ce tableau assure d’autres commandes à l’artiste convoité, qui peint par la suite encore quatre portraits de groupe de la garde civile et un second banquet en 1599 (Frans Hals Museum, Haarlem, inv. os I-53). Sa scénographie picturale novatrice a visiblement marqué le jeune Frans Hals (1580⁄1583-1666). On en trouve l’écho dans sa première grande commande, le Banquet des officiers du corps des archers de Saint-Georges de 1616 et, plus tard, en 1627 dans un tableau du même titre (les deux : Frans Hals Museum, Haarlem, inv. os I-109 et os I-110), où le porte-étendard joue le même rôle fondamental au sein de la composition.
Au centre de la composition de van Haarlem se trouve un jeune homme aux traits assez ronds, qui porte une veste en soie blanche. Il tient la main à son interlocuteur, et se désigne de la main gauche. Grâce à une liste dressée au XVIIIe siècle dans le quartier général de la garde civile haarlémoise des noms des modèles figurant dans leurs tableaux, on sait que cette personne est Cornelis Jacobsz. Schout (vers 1570-après 1621) (voir P. J. J. van Thiel, Cornelis Cornelisz van Haarlem, 1562-1638. A Monograph and Catalogue Raisonné, Doornspijk, 1999, p. 387). Une comparaison soigneuse entre les traits de Schout et ceux du modèle dans le tableau ci-présent suggère qu’il s’agirait d’une seule et même personne. Les deux visages partagent un singulier profil arrondi et ils ont tous les deux les yeux d’un bleu foncé remarquable.
On ne connaît que très peu la vie de Schout. On doit imaginer qu’il est devenu porte-étendard de la garde civile haarlémoise entre 1583 et 1592. Puisque, dans l’armée, le porte-étendard servait d’emblème à la troupe qu’il représentait et portait toujours un costume coloré qui permettait facilement son identification, il était une cible privilégiée des soldats ennemis. Pour cette raison l’honneur était toujours accordé à un célibataire, que ce soit dans le cadre militaire ou civil. Le mariage de Schout doit alors avoir eu lieu après 1592. De cette union naît au moins un fils, Jacob (vers 1600-après 1627). Père et fils apparaissent tous les deux dans le Banquet de Frans Hals peint en 1616, au sein duquel Jacob prend l’ancienne position de son père en tant que porte-étendard, rôle qu’il assume entre 1612 et 1627. Le tableau de Hals montre un Cornelis plus âgé, devenu chauve, qui partage un regard complice avec son fils. On sait aussi que le frère de Schout, Pieter (1570-1645), fût quatre fois bourgmestre de Haarlem et capitaine de la garde civile entre 1600 et 1603.
Si le portrait de groupe de milices s’inscrit dans une tradition qui remonte au début du XVIe siècle, ce n’est pas le cas pour le portrait individuel du porte-étendard, dont le premier exemple daté connu fut peint en 1590. Ce portrait, qui reste malheureusement anonyme, représente Hendrick Jansz. Spijcker à mi-corps. Son costume, tout comme sa fière allure, rappellent le tableau de van Haarlem (Alte Pinakothek, Munich, inv. 1315). Avant la découverte du portrait de van Haarlem, la prochaine œuvre datée se trouvait être le portait de Willem Jansz. Cock, peint en 1617 par Everard van der Maes (1577-1647), suivi de près par le Portrait d’un porte-étendard de Joachim Houckgeest (1585-1644), exécuté en 1621 (les deux : Haags Historisch Museum, La Haye, inv. 0029-SCH et 1862-0005-SCH).
Il est possible, puisque van Haarlem occupait une position de pionnier pour ce genre de tableau, que la composition du portrait ci-présent doive une partie de son panache non pas aux influences des œuvres peintes qui l’ont précédée mais aux gravures de son grand ami, Hendrick Goltzius. Effectivement, l’artiste emprunte la position du modèle et son drapeau tournoyant à deux gravures de porte-étendard exécutées par Goltzius en 1587 (Fig. 2), toutes deux fortement influencées par l’œuvre de Bartholomeus Spranger (1546-1611).
Ces gravures connaissaient un grand succès auprès du public, fier des prouesses militaires des soldats néerlandais contre les Espagnols pendant la guerre de Quatre-Vingts Ans dont les batailles ravageaient ponctuellement les Dix-Sept Provinces des Pays-Bas espagnols entre 1568 et 1648. Le patriotisme symbolique qu’incarnait le porte-étendard est souligné par l’inscription que porte l’une des gravures. On y lit : Signifer ingentes animos et corda ministro ; me stat stante phalanx, me fugiente fugit ('Moi, le porte-étendard, je fournis de courage et d’audace ; tandis que je reste ferme la ligne tient, si je devais m'enfuir, elle s'enfuirait'). On peut donc comprend notre Porte-étendard comme à la fois le portrait d’un jeune homme et l’expression d’un sentiment national.
CARLO MAROCHETTI, UN COLLECTIONNEUR HORS NORME
Jouissant d'une grande notoriété de son vivant, le sculpteur Carlo Marochetti (1806-1867) a laissé aux pays associés à sa carrière – I'ltalie, la France et l'Angleterre – trois œuvres majeures que le public peut encore admirer aujourd'hui : à Turin, sa ville natale, la Statue équestre d'Emmanuel-Philibert, duc de Savoie (1838), qui lui valut son titre de baron ; à Paris, le Maître-autel de l'église de la Madeleine (1843) ; à Londres enfin, la Statue équestre de Richard Cœur de Lion (1851) qui se dresse devant le Parlement.
Il passa les vingt dernières années de sa vie dans la capitale anglaise où il fit partie des membres fondateurs du Fine Arts Club (le futur Burlington Fine Arts Club). Son importante collection de gravures fut mise en vente à sa mort tandis que ses deux fils se partagèrent les tableaux et objets d'art qui allaient se transmettre de génération en génération au château de Vaux-sur-Seine (Fig. 3), où le flair créatif du sculpteur est encore perceptible aujourd'hui.
Si la postérité a tendance à penser à l’œuvre de van Haarlem comme étant un monde maniériste et fantastique, aux personnages sinueux et aux couleurs vives, un regard plus pointu sur son travail révèle son génie pour l’art du portrait et la place privilégiée de la figure du porte-étendard dans son corpus.
Après un bref séjour anversois, où il étudie auprès de Gillis Conget (1538-1599), Cornelis s’installe définitivement à Haarlem, sa ville natale, vers 1580. En 1583, il rencontre Hendrick Goltzius (1558-1617) et Carel van Mander (1548-1606), avec qui il fonde la même année l’Académie de Haarlem, institution qui s’inspire de l’Académie florentine créée par Giorgio Vasari (1511-1578) et dont l’originalité repose sur le dessin du nu à la place de l’étude du corps basée sur les sculptures.
C’est également en 1583, de toute évidence un annus mirabilis pour le peintre, qu’il reçoit sa première grande commande : un portrait de groupe des membres de la garde civile de Haarlem actuellement conservé au Frans Hals Museum (Fig. 1, Haarlem, inv. os i-48). Ce tableau, remarquable par sa composition osée qui place le porte-étendard au milieu du groupe, le dos tourné vers les spectateurs, se trouve aussi être le tout premier portrait de groupe de la garde civile haarlémoise. Exploité comme genre depuis la première moitié du siècle par les gardes de la milice, les conseils d'administration et les régents des guildes d’Amsterdam (on peut citer par exemple le Repas des gardes de la milice d'Amsterdam de Cornelis Anthonisz. [mort en 1553] qui date de 1533 [Amsterdam Museum, inv. SA 7279]), leurs confrères haarlémois ont attendu d’avoir les turbulentes années 1570 derrière eux avant de se lancer dans des projets semblables.
Le succès flamboyant de ce tableau assure d’autres commandes à l’artiste convoité, qui peint par la suite encore quatre portraits de groupe de la garde civile et un second banquet en 1599 (Frans Hals Museum, Haarlem, inv. os I-53). Sa scénographie picturale novatrice a visiblement marqué le jeune Frans Hals (1580⁄1583-1666). On en trouve l’écho dans sa première grande commande, le Banquet des officiers du corps des archers de Saint-Georges de 1616 et, plus tard, en 1627 dans un tableau du même titre (les deux : Frans Hals Museum, Haarlem, inv. os I-109 et os I-110), où le porte-étendard joue le même rôle fondamental au sein de la composition.
Au centre de la composition de van Haarlem se trouve un jeune homme aux traits assez ronds, qui porte une veste en soie blanche. Il tient la main à son interlocuteur, et se désigne de la main gauche. Grâce à une liste dressée au XVIIIe siècle dans le quartier général de la garde civile haarlémoise des noms des modèles figurant dans leurs tableaux, on sait que cette personne est Cornelis Jacobsz. Schout (vers 1570-après 1621) (voir P. J. J. van Thiel, Cornelis Cornelisz van Haarlem, 1562-1638. A Monograph and Catalogue Raisonné, Doornspijk, 1999, p. 387). Une comparaison soigneuse entre les traits de Schout et ceux du modèle dans le tableau ci-présent suggère qu’il s’agirait d’une seule et même personne. Les deux visages partagent un singulier profil arrondi et ils ont tous les deux les yeux d’un bleu foncé remarquable.
On ne connaît que très peu la vie de Schout. On doit imaginer qu’il est devenu porte-étendard de la garde civile haarlémoise entre 1583 et 1592. Puisque, dans l’armée, le porte-étendard servait d’emblème à la troupe qu’il représentait et portait toujours un costume coloré qui permettait facilement son identification, il était une cible privilégiée des soldats ennemis. Pour cette raison l’honneur était toujours accordé à un célibataire, que ce soit dans le cadre militaire ou civil. Le mariage de Schout doit alors avoir eu lieu après 1592. De cette union naît au moins un fils, Jacob (vers 1600-après 1627). Père et fils apparaissent tous les deux dans le Banquet de Frans Hals peint en 1616, au sein duquel Jacob prend l’ancienne position de son père en tant que porte-étendard, rôle qu’il assume entre 1612 et 1627. Le tableau de Hals montre un Cornelis plus âgé, devenu chauve, qui partage un regard complice avec son fils. On sait aussi que le frère de Schout, Pieter (1570-1645), fût quatre fois bourgmestre de Haarlem et capitaine de la garde civile entre 1600 et 1603.
Si le portrait de groupe de milices s’inscrit dans une tradition qui remonte au début du XVIe siècle, ce n’est pas le cas pour le portrait individuel du porte-étendard, dont le premier exemple daté connu fut peint en 1590. Ce portrait, qui reste malheureusement anonyme, représente Hendrick Jansz. Spijcker à mi-corps. Son costume, tout comme sa fière allure, rappellent le tableau de van Haarlem (Alte Pinakothek, Munich, inv. 1315). Avant la découverte du portrait de van Haarlem, la prochaine œuvre datée se trouvait être le portait de Willem Jansz. Cock, peint en 1617 par Everard van der Maes (1577-1647), suivi de près par le Portrait d’un porte-étendard de Joachim Houckgeest (1585-1644), exécuté en 1621 (les deux : Haags Historisch Museum, La Haye, inv. 0029-SCH et 1862-0005-SCH).
Il est possible, puisque van Haarlem occupait une position de pionnier pour ce genre de tableau, que la composition du portrait ci-présent doive une partie de son panache non pas aux influences des œuvres peintes qui l’ont précédée mais aux gravures de son grand ami, Hendrick Goltzius. Effectivement, l’artiste emprunte la position du modèle et son drapeau tournoyant à deux gravures de porte-étendard exécutées par Goltzius en 1587 (Fig. 2), toutes deux fortement influencées par l’œuvre de Bartholomeus Spranger (1546-1611).
Ces gravures connaissaient un grand succès auprès du public, fier des prouesses militaires des soldats néerlandais contre les Espagnols pendant la guerre de Quatre-Vingts Ans dont les batailles ravageaient ponctuellement les Dix-Sept Provinces des Pays-Bas espagnols entre 1568 et 1648. Le patriotisme symbolique qu’incarnait le porte-étendard est souligné par l’inscription que porte l’une des gravures. On y lit : Signifer ingentes animos et corda ministro ; me stat stante phalanx, me fugiente fugit ('Moi, le porte-étendard, je fournis de courage et d’audace ; tandis que je reste ferme la ligne tient, si je devais m'enfuir, elle s'enfuirait'). On peut donc comprend notre Porte-étendard comme à la fois le portrait d’un jeune homme et l’expression d’un sentiment national.
CARLO MAROCHETTI, UN COLLECTIONNEUR HORS NORME
Jouissant d'une grande notoriété de son vivant, le sculpteur Carlo Marochetti (1806-1867) a laissé aux pays associés à sa carrière – I'ltalie, la France et l'Angleterre – trois œuvres majeures que le public peut encore admirer aujourd'hui : à Turin, sa ville natale, la Statue équestre d'Emmanuel-Philibert, duc de Savoie (1838), qui lui valut son titre de baron ; à Paris, le Maître-autel de l'église de la Madeleine (1843) ; à Londres enfin, la Statue équestre de Richard Cœur de Lion (1851) qui se dresse devant le Parlement.
Il passa les vingt dernières années de sa vie dans la capitale anglaise où il fit partie des membres fondateurs du Fine Arts Club (le futur Burlington Fine Arts Club). Son importante collection de gravures fut mise en vente à sa mort tandis que ses deux fils se partagèrent les tableaux et objets d'art qui allaient se transmettre de génération en génération au château de Vaux-sur-Seine (Fig. 3), où le flair créatif du sculpteur est encore perceptible aujourd'hui.