Lot Essay
« Le ciel est très noir. La Terre est bleue. On voit tout très clairement. » - Youri Gagarine, 1961
Le 12 avril 1961, Yuri Gagarin, le premier homme à aller dans l’espace devient aussi le premier à pouvoir observer notre planète de loin. « Le ciel est très noir. La Terre est bleue. On voit tout très clairement », déclare-t-il. Cette date constitue un moment de bascule radical dans le rapport de l’humanité à l’univers. Confirmé dans sa conviction que la Terre est bleue, Yves Klein se lance dans une série de Reliefs planétaires. Comme un prolongement de ses monochromes emblématiques, ces œuvres consistent en des cartes mettant en valeur le relief de régions de France qu’il enduit de son pigment signature IKB (« International Klein Blue »). Relief Planetaire Terre (Marseille, Aix), (RP 24) (1961) représente donc les régions de Marseille et d’Aix-en-Provence. Avec ses collines, ses vallées et ses mers transformées en une étendue bleue à la texture envoûtante, Klein reproduit à l’échelle de son propre pays sa vision radicalement monochrome.
L’artiste est à New York lorsqu’il prend connaissance de l’exploit de Gagarine. À son retour en France durant l’été 1961, il raconte avec enthousiasme à son ami le plasticien Arman comment il a imbibé d’IKB un globe terrestre. Gagarine, disait-il, avait été le seul visiteur du vernissage de son exposition dans l’espace !
Après avoir acquis auprès de l’Institut géographique national des cartes de France en relief gaufré, Klein réalise en août son premier Relief planétaire — une carte de la région de Grenoble entièrement imprégnée d’IKB. Entre septembre et novembre 1961, il produit une vingtaine d’autres œuvres de la même série. L’artiste utilise les cartes originales en polyester ou façonne à partir de celles-ci des moulages en plâtre, pulvérisant sur chaque surface une couche uniforme et granuleuse de pigment IKB. Il met également au point des reliefs roses inspirés de Mars et de la Lune, dont la couleur symbolise les feux à l’œuvre dans la genèse éternelle de l’univers. Une autre série de reliefs galactiques était au programme, mais leur réalisation a été interrompue par la mort prématurée de l’artiste en 1962.
Avec son pigment breveté IKB, Klein cherche à dissoudre les frontières, invoquant un vide infini dans lequel l’espace et l’esprit ne font qu’un. Ses monochromes sont moins des peintures que des objets sculpturaux, avec leurs surfaces sensuelles et granuleuses s’étendant au-delà de la toile : ses tableaux sont des invitations à faire un saut imaginaire dans un territoire quasi-immatérielle. Les Reliefs planétaires relèvent aussi de cette dualité. Tout en s’inspirant d’un paysage spécifique, la présente œuvre suscite des associations infinies. La vaste étendue bleue rappelle le ciel méditerranéen aperçu derrière la fenêtre de son atelier que Klein désignait comme sa « première œuvre d’art ». Les ondulations tactiles de l’œuvre évoquent également les reliefs des fonds marins, les récifs coraliens ainsi que le sable soigneusement ratissé des jardins zen que l’artiste a découvert durant son séjour au Japon. Ce voyage de formation avait en fait commencé à Marseille : Klein quitte le port à bord du paquebot La Marseillaise en 1952, à destination de Yokohama.
« Toutes les couleurs amènent des associations d’idées concrètes, matérielle et tangibles, tandis que le bleu rappelle tout au plus la mer et le ciel, ce qu’il y a de plus abstrait dans la nature tangible et visible. » - Yves Klein
À l’instar des cartes brodées d’Alighiero Boetti, les Reliefs planétaires de Klein nous ouvrent les yeux sur de nouvelles façons d’appréhender le monde. Dans la présente œuvre, le plasticien a modifié l’orientation de la carte en la faisant pivoter de 90 degrés vers la gauche. Cela signifie que le terrain – qui s’élève en réalité dans le sens est-ouest – descend verticalement à partir du bord supérieur du relief. L’étroite langue de terre relativement plate située au centre inférieur du tableau correspond à la Côte Bleue, le front de mer qui s’étend du nord de Marseille à Martigues. Marseille elle-même est nichée entre les massifs calcaires de l’Étoile, de Galarban et de Saint-Cyr-Carpiagne (vers la partie supérieure droite). Le sillon bien défini en haut à gauche représente la montagne Sainte-Victoire : sa crête a été rendue célèbre par Paul Cézanne, probablement le résident le plus connu d’Aix-en-Provence.
En 1957, Klein avait déclaré vouloir prendre la France entière comme toile et ses habitants comme pigments. Selon lui, le pays donnerait matière à créer une œuvre d’art globale : « le plus riche au monde en rayonnement spirituel, sensuel, naturel… La force de la France, c’est l’art » (Y. Klein, cité dans K. Ottmann, The Writings of Yves Klein, New York, 2007, pp. xviii-xix). Au-delà de la finesse du relief, l’aura mystique de l’IKB rend les distinctions géographiques obsolètes, la Terre et les mers s’unissant dans une infinité de bleus. Klein libère ainsi le champ cartographique pour en faire un royaume immersif, transcendant définitivement les frontières et l’imagination.
“The sky is very black. The Earth is blue. Everything can be seen very clearly.” - Yuri Gagarin, 1961
On 12 April 1961, Yuri Gagarin became the first man to enter outer space, and saw our planet from afar. ‘The sky is very black’, he reported. ‘The Earth is blue. Everything can be seen very clearly.’ Humankind’s view of our place in the universe was forever changed—and Yves Klein was confirmed in his belief that the Earth was blue. Following the cosmonaut’s adventure, Klein embarked on a series of Reliefs planétaires (‘Planetary Reliefs’). An extension of his iconic monochromes, these works consist of raised-relief maps of areas of France coated in the artist’s signature IKB (‘International Klein Blue’) pigment. Relief Planetaire Terre (Marseille, Aix), (RP 24) (1961) captures the southern regions of Marseille and Aix-en-Provence. With hills, valleys, mountains and seas transformed into a mesmerising, textural expanse of blue, the work realises Klein’s vision of a total monochromatic environment on the scale of his own country.
Klein was in New York when he heard of Gagarin’s achievement. Upon his return to France in the summer, he gleefully wrote to his friend and fellow artist Arman that the IKB impregnation of earth had been achieved. Gagarin, he said, had been the only visitor at his exhibition opening in space. Klein acquired embossed relief maps of France from the Institut Géographique National, and in August created his first Relief planétaire, a map of the Grenoble region infused with IKB. Between September and November 1961 he made approximately twenty further works in the series. Klein made plaster casts from the maps, spraying each surface with a uniform, granular coat of IKB pigment. He made additional pink reliefs that were based on the terrains of Mars and the Moon, their colour symbolising the fires at work in the eternal genesis of the universe. A further series of galactic reliefs was planned, but their completion was intercepted by Klein’s untimely death in 1962.
With his patented IKB pigment, Klein sought to dissolve boundaries, invoking an infinite, transcendent void where space and spirit became one. His monochromes are less paintings than sculptural objects, with their sensuous, grainy surfaces extending around the canvas edge: at the same time, they invite the viewer to take an imaginative leap into an immaterial zone. The Reliefs planétaires share this duality. While it derives from a specific landscape, the present work’s surface is also open to boundless associations. Its expansive blue recalls Klein’s claim that the Mediterranean sky outside his studio window was his first artwork. Its tactile undulations are equally evocative of seabeds, coral reefs and the raked sand of the Zen gardens that had inspired Klein during his time in Japan. That formative voyage had in fact begun in Marseille: Klein departed the port aboard the ocean liner La Marseillaise in 1952, bound for Yokohama.
“All colours bring forth associations of concrete, material, and tangible ideas, while blue evokes all the more the sea and the sky, which are what is most abstract in tangible and visible nature.” - Yves Klein
Like the embroidered maps of Alighiero Boetti, Klein’s planetary reliefs open our eyes to new ways of seeing the world. In the present work he has changed the orientation of the map, rotating it ninety degrees to the left. This means that the terrain—which rises in an east-west direction in reality—descends vertically from the upper edge of the relief. The tongue of shallow definition at the lower centre is the Côte Bleue, the seafront that runs from the north of Marseille to Martigues. Marseille itself nestles between the limestone massifs of Étoile, Galarban and Saint-Cyr-Carpiagne towards the upper right. The well-defined wrinkle at the upper left, meanwhile, represents Mont Sainte-Victoire: the dramatic ridge made famous by the paintings of Paul Cézanne, perhaps Aix-en-Provence’s best-known resident.
In 1957 Klein had declared his desire to take all of France as his canvas and its people as his pigments, infusing the population with his immaterial sensibility. The country would be an all-encompassing artwork: ‘the richest in the world in spiritual, sensuous, natural radiance … The strength of France is art!’ (Y. Klein, quoted in K. Ottmann, Overcoming the Problematics of Art: The Writings of Yves Klein, New York, 2007, pp. xviii-xix). His representation of France in his Reliefs planétaires makes literal these ambitions. Amid the fine detail of the relief, Klein’s mystical IKB dissolves boundaries and renders geographic distinctions obsolete, with land and seas united in an infinity of blue. Klein liberates the cartographic field of the map into an immersive, borderless and transcendent realm of imagination.
Le 12 avril 1961, Yuri Gagarin, le premier homme à aller dans l’espace devient aussi le premier à pouvoir observer notre planète de loin. « Le ciel est très noir. La Terre est bleue. On voit tout très clairement », déclare-t-il. Cette date constitue un moment de bascule radical dans le rapport de l’humanité à l’univers. Confirmé dans sa conviction que la Terre est bleue, Yves Klein se lance dans une série de Reliefs planétaires. Comme un prolongement de ses monochromes emblématiques, ces œuvres consistent en des cartes mettant en valeur le relief de régions de France qu’il enduit de son pigment signature IKB (« International Klein Blue »). Relief Planetaire Terre (Marseille, Aix), (RP 24) (1961) représente donc les régions de Marseille et d’Aix-en-Provence. Avec ses collines, ses vallées et ses mers transformées en une étendue bleue à la texture envoûtante, Klein reproduit à l’échelle de son propre pays sa vision radicalement monochrome.
L’artiste est à New York lorsqu’il prend connaissance de l’exploit de Gagarine. À son retour en France durant l’été 1961, il raconte avec enthousiasme à son ami le plasticien Arman comment il a imbibé d’IKB un globe terrestre. Gagarine, disait-il, avait été le seul visiteur du vernissage de son exposition dans l’espace !
Après avoir acquis auprès de l’Institut géographique national des cartes de France en relief gaufré, Klein réalise en août son premier Relief planétaire — une carte de la région de Grenoble entièrement imprégnée d’IKB. Entre septembre et novembre 1961, il produit une vingtaine d’autres œuvres de la même série. L’artiste utilise les cartes originales en polyester ou façonne à partir de celles-ci des moulages en plâtre, pulvérisant sur chaque surface une couche uniforme et granuleuse de pigment IKB. Il met également au point des reliefs roses inspirés de Mars et de la Lune, dont la couleur symbolise les feux à l’œuvre dans la genèse éternelle de l’univers. Une autre série de reliefs galactiques était au programme, mais leur réalisation a été interrompue par la mort prématurée de l’artiste en 1962.
Avec son pigment breveté IKB, Klein cherche à dissoudre les frontières, invoquant un vide infini dans lequel l’espace et l’esprit ne font qu’un. Ses monochromes sont moins des peintures que des objets sculpturaux, avec leurs surfaces sensuelles et granuleuses s’étendant au-delà de la toile : ses tableaux sont des invitations à faire un saut imaginaire dans un territoire quasi-immatérielle. Les Reliefs planétaires relèvent aussi de cette dualité. Tout en s’inspirant d’un paysage spécifique, la présente œuvre suscite des associations infinies. La vaste étendue bleue rappelle le ciel méditerranéen aperçu derrière la fenêtre de son atelier que Klein désignait comme sa « première œuvre d’art ». Les ondulations tactiles de l’œuvre évoquent également les reliefs des fonds marins, les récifs coraliens ainsi que le sable soigneusement ratissé des jardins zen que l’artiste a découvert durant son séjour au Japon. Ce voyage de formation avait en fait commencé à Marseille : Klein quitte le port à bord du paquebot La Marseillaise en 1952, à destination de Yokohama.
« Toutes les couleurs amènent des associations d’idées concrètes, matérielle et tangibles, tandis que le bleu rappelle tout au plus la mer et le ciel, ce qu’il y a de plus abstrait dans la nature tangible et visible. » - Yves Klein
À l’instar des cartes brodées d’Alighiero Boetti, les Reliefs planétaires de Klein nous ouvrent les yeux sur de nouvelles façons d’appréhender le monde. Dans la présente œuvre, le plasticien a modifié l’orientation de la carte en la faisant pivoter de 90 degrés vers la gauche. Cela signifie que le terrain – qui s’élève en réalité dans le sens est-ouest – descend verticalement à partir du bord supérieur du relief. L’étroite langue de terre relativement plate située au centre inférieur du tableau correspond à la Côte Bleue, le front de mer qui s’étend du nord de Marseille à Martigues. Marseille elle-même est nichée entre les massifs calcaires de l’Étoile, de Galarban et de Saint-Cyr-Carpiagne (vers la partie supérieure droite). Le sillon bien défini en haut à gauche représente la montagne Sainte-Victoire : sa crête a été rendue célèbre par Paul Cézanne, probablement le résident le plus connu d’Aix-en-Provence.
En 1957, Klein avait déclaré vouloir prendre la France entière comme toile et ses habitants comme pigments. Selon lui, le pays donnerait matière à créer une œuvre d’art globale : « le plus riche au monde en rayonnement spirituel, sensuel, naturel… La force de la France, c’est l’art » (Y. Klein, cité dans K. Ottmann, The Writings of Yves Klein, New York, 2007, pp. xviii-xix). Au-delà de la finesse du relief, l’aura mystique de l’IKB rend les distinctions géographiques obsolètes, la Terre et les mers s’unissant dans une infinité de bleus. Klein libère ainsi le champ cartographique pour en faire un royaume immersif, transcendant définitivement les frontières et l’imagination.
“The sky is very black. The Earth is blue. Everything can be seen very clearly.” - Yuri Gagarin, 1961
On 12 April 1961, Yuri Gagarin became the first man to enter outer space, and saw our planet from afar. ‘The sky is very black’, he reported. ‘The Earth is blue. Everything can be seen very clearly.’ Humankind’s view of our place in the universe was forever changed—and Yves Klein was confirmed in his belief that the Earth was blue. Following the cosmonaut’s adventure, Klein embarked on a series of Reliefs planétaires (‘Planetary Reliefs’). An extension of his iconic monochromes, these works consist of raised-relief maps of areas of France coated in the artist’s signature IKB (‘International Klein Blue’) pigment. Relief Planetaire Terre (Marseille, Aix), (RP 24) (1961) captures the southern regions of Marseille and Aix-en-Provence. With hills, valleys, mountains and seas transformed into a mesmerising, textural expanse of blue, the work realises Klein’s vision of a total monochromatic environment on the scale of his own country.
Klein was in New York when he heard of Gagarin’s achievement. Upon his return to France in the summer, he gleefully wrote to his friend and fellow artist Arman that the IKB impregnation of earth had been achieved. Gagarin, he said, had been the only visitor at his exhibition opening in space. Klein acquired embossed relief maps of France from the Institut Géographique National, and in August created his first Relief planétaire, a map of the Grenoble region infused with IKB. Between September and November 1961 he made approximately twenty further works in the series. Klein made plaster casts from the maps, spraying each surface with a uniform, granular coat of IKB pigment. He made additional pink reliefs that were based on the terrains of Mars and the Moon, their colour symbolising the fires at work in the eternal genesis of the universe. A further series of galactic reliefs was planned, but their completion was intercepted by Klein’s untimely death in 1962.
With his patented IKB pigment, Klein sought to dissolve boundaries, invoking an infinite, transcendent void where space and spirit became one. His monochromes are less paintings than sculptural objects, with their sensuous, grainy surfaces extending around the canvas edge: at the same time, they invite the viewer to take an imaginative leap into an immaterial zone. The Reliefs planétaires share this duality. While it derives from a specific landscape, the present work’s surface is also open to boundless associations. Its expansive blue recalls Klein’s claim that the Mediterranean sky outside his studio window was his first artwork. Its tactile undulations are equally evocative of seabeds, coral reefs and the raked sand of the Zen gardens that had inspired Klein during his time in Japan. That formative voyage had in fact begun in Marseille: Klein departed the port aboard the ocean liner La Marseillaise in 1952, bound for Yokohama.
“All colours bring forth associations of concrete, material, and tangible ideas, while blue evokes all the more the sea and the sky, which are what is most abstract in tangible and visible nature.” - Yves Klein
Like the embroidered maps of Alighiero Boetti, Klein’s planetary reliefs open our eyes to new ways of seeing the world. In the present work he has changed the orientation of the map, rotating it ninety degrees to the left. This means that the terrain—which rises in an east-west direction in reality—descends vertically from the upper edge of the relief. The tongue of shallow definition at the lower centre is the Côte Bleue, the seafront that runs from the north of Marseille to Martigues. Marseille itself nestles between the limestone massifs of Étoile, Galarban and Saint-Cyr-Carpiagne towards the upper right. The well-defined wrinkle at the upper left, meanwhile, represents Mont Sainte-Victoire: the dramatic ridge made famous by the paintings of Paul Cézanne, perhaps Aix-en-Provence’s best-known resident.
In 1957 Klein had declared his desire to take all of France as his canvas and its people as his pigments, infusing the population with his immaterial sensibility. The country would be an all-encompassing artwork: ‘the richest in the world in spiritual, sensuous, natural radiance … The strength of France is art!’ (Y. Klein, quoted in K. Ottmann, Overcoming the Problematics of Art: The Writings of Yves Klein, New York, 2007, pp. xviii-xix). His representation of France in his Reliefs planétaires makes literal these ambitions. Amid the fine detail of the relief, Klein’s mystical IKB dissolves boundaries and renders geographic distinctions obsolete, with land and seas united in an infinity of blue. Klein liberates the cartographic field of the map into an immersive, borderless and transcendent realm of imagination.