«Le château de Digoine, en Bourgogne, que je restaure depuis plus de deux ans, est désormais sauvé. Mais il reste à reprendre les grandes écuries, les dépendances, et surtout le joli "théâtre de société" fréquenté par Sarah Bernhardt et Offenbach, avec son plafond, ses loges et son balcon» explique Jean-Louis Remilleux, auteur et producteur passionné d’Art et d’Histoire et collectionneur depuis 30 ans. «Pour finir cette restauration indispensable de ce lieu que j'aime et que je partage avec le public, je me sépare de ma collection de tableaux, de meubles et d'objets».
Construite sur une période de 30 ans, la collection de Jean-Louis Remilleux réunit des œuvres datant du XVIIème au XVIIIème siècle, de France, d’Angleterre, de Hollande et de Suède, aux provenances remarquables et bien souvent liées à des personnages historiques. La vente de Christie’s présentera des icônes de l’histoire des arts décoratifs, ainsi que des objets témoins de grandes ventes passées – du Comte de Paris à Yves Saint Laurent et Pierre Bergé.
«C’est une tâche extrêmement difficile de choisir 10 élus parmi plus de 1000 objets trouvés à travers le monde, tout au long de 30 années de quête» poursuit Jean-Louis Remilleux. «Les ayant achetés moi-même, je les connais tous intimement et je les chéris, sans aucune réserve. Je suis d'ailleurs le premier à être surpris par le fait que cet ensemble hétéroclite constitue un décor harmonieux alors que tous ces objets, meubles et tableaux ont été achetés au fil des années. La seule chose qu’ils ont en commun est qu’ils ont été réunis sous le même toit».
Paul Morand écrit dans son livre Venise à propos de la vente de Charles de Besteigui au Palais Labia: «Toute vie humaine n'est jamais qu'un entrepôt...» Ce n'est pas faux mais dans le cas de ce grand collectionneur-décorateur l'entrepôt avait fière allure, son palace vénitien restera gravé dans les mémoires comme l'apothéose du raffinement, inspiré par l'Italie, la France, l'Espagne, la Hollande et une pointe de folie qui donne cette touche de fantaisie à son œuvre. Cela reste pour moi un modèle parfait et inégalable. Voici donc mes dix objets préférés...
Nicasius Bernaerdt, Tambon, chien du Duc de Vendôme
Nicasius Bernaerts (Anvers 1620-1678 Paris), Portrait de Tambon, chien du Duc de Vendôme. Huile sur toile. Estimation: €30,000-50,000. Ces œuvres feront partie de la vente La vie de Château qui aura lieu le 28 et 29 septembre chez Christie’s Paris.
Dès ses premiers pas à Paris, ce producteur de nombreuses émissions de télévision s’intéresse aux antiquités du XVIIème au XIXème siècle, aux bronzes comme aux tableaux, avec une prédilection pour l’art animalier. ‘J'ai commencé au tout début à collectionner les œuvres liées aux animaux : les bronzes, les tableaux, les sculptures. Cet impressionnant portrait du grand danois du Duc de Vendôme est l'œuvre d'un des peintres chargés par Louis XIV de décorer sa ménagerie à Versailles. Il y avait là Oudry, Desportes...et Nicasius Bernaerdt. Il était tout à fait fréquent au XVIIème et au XVIIIème siècle de représenter en majesté son animal favori, en général son chien ou son cheval. Et le collier (qui serre le cou) de Tambon montre qu'il appartient à l'un des hommes les plus puissants et redoutables de la Cour !
Hyacinthe Rigaud Autoportrait dit «au manteau bleu»
Hyacinthe Rigaud, Autoportrait, dit «au manteau bleu». Huile sur toile. Estimation : €50,000-80,000
J'aime énormément ce tableau. C’est un magnifique autoportrait. L'un des plus connus du peintre préféré du Roi-Soleil. Son regard est lumineux, le personnage paraît franc et chaleureux. Rigaud l'a dédicacé au dos du tableau à Ranc, son compagnon d'atelier. Je l'ai depuis longtemps. Il a été exposé plus de dix ans au château de Groussay pour la plus grande joie des visiteurs. J'ai aussi prêté ce tableau pour quelques expositions, notamment celle du musée de Perpignan, sa ville natale. Et il figure dans tous les livres sur Rigaud.
Joseph-Charles Marin, Le Rhône et la Saône
Vase en terre cuite sous la forme du Rhône et de la Saône. Entourage de Joseph-Charles Martin (1749-1834). Vers 1814-1830. Estimation: €5,000-7,000
J'ai un faible pour les sculptures en terre cuite. Et pour celle-là particulièrement. Cette double face, c'est le Rhône et la Saône, les deux fleuves qui se croisent à Lyon où je suis né. Le grand sculpteur Marin a été jadis professeur dans la capitale des Gaules et il a voulu représenter ainsi par deux visages finement sculptés la virilité du Rhône et la sensualité de la Saône...
Quatre fauteuils d'époque Louis XIV
Suite de quatre fauteuils à la reine d’époque Louis XVI. Estampille de Louis Delanois, dernier quart du XVIIIème siècle. Estimation: €25,000-40,000
Ces remarquable fauteuils à l'entretoise en bois doré sont d'époque Louis XIV et d'après tous les spécialistes des sièges de cette période, ce sont quatre exemplaires exceptionnels ! On les imagine aux châteaux royaux de Saint-Cloud, de Clagny, de Marly... Il suffit de les voir pour rêver : de pareils fauteuils n'ont pas été conçus pour une maison ordinaire... Et pourtant, malgré leur provenance mystérieuse, je les considère comme les fauteuils les plus confortables du monde. On peut s'abandonner dans leurs bras à n'importe quelle heure de la journée !
Jeanine Janet, La commode en laque
Janine Janet (1913-2000) et John Devoluy, Commode, éditée par Normacem, 1956. En panlame et célamine laqués, bois laqué et laiton ; à décor appliqué de coquille d'œuf, paille, ailes de papillon et filets de laiton, 1956. Estimation: €7,000-9,000
Cette commode créée dans les années 1950 par Jeanine Janet est un vrai bijou en laque ! L’un des rares meubles dessinés par cette talentueuse décoratrice alors employée par Balenciaga et Dior pour travaller sur leurs présentoirs. J'ai prêté la commode à la grande rétrospective consacrée à Janine Janet au Musée de la Chasse à Paris il’y a quelques années. On n'a pas fini de découvrir les créations de cette artiste. Ainsi une grande tulipière très étonnante, signée de Janet, figure aussi dans la vente...
Laneuville, Portrait de Madame Tallien
Jean-Louis Laneuville (Paris 1756-1826), La Citoyenne Tallien (1773-1835) dans un cachot à la Force, ayant dans les mains ses cheveux qui viennent d’être coupés. Huile sur toile. Estimation: €150,000-200,000
C'est un tableau d'une force incroyable ! Son regard m'arrête à chaque fois que je traverse le grand salon du château ! Ce portrait a été peint à la Prison de la Force pendant le Règne de la Terreur — alors que Madame Tallien est sur le point d'être guillotinée. Elle est représentée ici tenant ses cheveux dans ses mains, attendant son exécution. Une acquisition exceptionnelle pour les passionnés d'histoire, d’autant plus qu’elle ne sera pas exécutée par la suite car elle sera sauvée par le révolutionnaire Jean-Lambert Tallien.
Napoléon et sa colonne Vendôme
Projet de monument funéraire en bronze pour Napoleon sous la Colonne Vendôme. France, XIXème siècle. Estimation: €3,000-5,000
C'est un étrange objet acheté il y a fort longtemps et qui révèle un projet historique peu connu... Cette colonne Vendôme est en fait une maquette d'un monument funéraire pour enterrer les cendres de Napoléon 1er à son retour de Sainte-Hélène. Si l’on soulève la colonne, on découvre une statue en marbre de l'Empereur entouré des grandes dates de sa biographie et de ses batailles. On a bien-sûr préféré le dôme des Invalides comme dernière demeure mais il s'en est fallu de peu, comme en témoigne cette maquette, pour que Napoléon repose parmi les bijoutiers...
Emilio Terry, Maquette du théâtre de Groussay
Maquette en bois peint représentant le Théâtre de Groussay, réalisée sous la direction d'Emilio Terry (1890-1969), vers 1952. Estimation: €8,000-12,000
«En matière de châteaux, je suis un peu comme Sacha Guitry avec les femmes : je suis fidèle tant que je n'ai pas trouvé mieux!» explique Jean Louis Remilleux. Avant de se laisser ‘emporter’ par le grand château de Digoine, le collectionneur a eu un grand coup de coeur pour le mythique château de Groussay. «J'ai eu la chance d'habiter le château de Groussay pendant presque 12 ans. Je l'ai aimé avec passion, je l’ai restauré puis je l’ai ouvert au public. Cette maquette représente le merveilleux théâtre qui est le fruit d’une collaboration entre Emilio Terry, Alexandre Serebriakoff, le décorateur Georges Geffroy et bien entendu Charles de Besteigui lui-même inspiré par le théâtre de la Margravine de Bayreuth . Ce petit théâtre de société a été inauguré par la Comédie Française (avec un impromptu de Marcel Achard).
Louis XVI, une colonne en ivoire
Colonne en ivoire tourné. France, fin du XVIIIème siècle. Estimation: €10,000-15,000
Ce qui me plaît dans cet objet — fait à la main par Louis XVI — c'est qu'il montre une autre facette de ce roi incompris et injustement condamné (une tour au château de Versailles temoigne de sa créativité, ainsi que celle des futurs monarques, Charles X et Louis XVIII). Il me semble évident qu’il était plus raffiné, plus intelligent et plus ouvert sur le monde qu'on ne l'a dit ! N'oublions pas qu'il a financé les insurgés américains qui lui doivent en grande partie l'indépendance des États-Unis. Mais aussi les expéditions de Bougainville, et les premiers vols en montgolfière. C'est ce côté de son caractère, sensible et curieux, que je retrouve dans cet objet fascinant.
Alexandre Serebriakoff, une carte de vœux
Alexandre Serebriakoff (1907-1994), Carte de voeux adressée à Arturo Lopez Willshaw le 23 Janvier 1962. Signé et daté 'A. Serebriakoff. 62' (en bas à droite); signé, daté et inscrit (au dos); aquarelle, gouache, encre et graphite sur papier. Estimation: €3,000-5,000
Je possède plusieurs aquarelles d’Alexandre Serebriakoff, le grand peintre d'intérieur qui exerça de 1940 à 1970. Il a envoyé sa carte de vœux traditionnelle à ses deux amis et clients, Arturo Lopez et Alexis de Rédé: une aquarelle du petit jardin de l'Hotel Lambert, ravissante, avec au dos, quelques phrases écrites à la main sur un ton familier. Voici toute une époque restituée par cet objet: la complicité entre artistes et mécènes, l’importance de prendre le temps de faire les choses, et de les faire bien, et de rendre ces petits gestes inoubliables. Oui, les objets inanimés ont bien une âme...
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