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Details
Wassily KANDINSKY
Correspondance à Andreï Andreïevitch Pappe, février à juillet 1900, Munich
Ensemble de six lettres autographes signées en russe de Wassily Kandinsky à Andreï Andreïevitch Pappe.
1ère lettre : Munich, 22 février, 8 pp. in-8 avec croquis. 2ème lettre : Munich, 25 mars, 9 pp. In-8 dont deux au crayon, avec 5 croquis. 3ème lettre : 21 avril, 7 pp. in-8. 4ème lettre : Munich, 15 mai, 8 pp. in-8. 5ème lettre : Munich, 25 juillet, 4 pp. in-8. 6ème lettre : [Munich, juin], 3 pp. in-8.
Reliure en veau noir semi-souple. Chaque plat est divisé en quatre rectangles égaux. Deux de ces rectangles sont en veau noir gaufré petit carré et mousseline. Les deux autres rouge et bleu sur le 1er plat, rouge et vert sur le 2eme plat sont gaufrés verniculés au centre du plat. Chaque angle de ces quatre pièces gaufrées est rehaussé d'un rivet en ivoire sur le fond noir et d'un rivet en ébène sur les fonds colorés. Doublures de daim bleu, emboîtage (Jean de Gonet 1999).
Extraordinaire correspondance de Kandinsky alors âgé de 33 ans, qui constitue un véritable art de peindre et de dessiner en 39 pages.
Juriste moscovite et amateur d'art, Pappe fit la connaissance de Kandinsky à Odessa. Après son arrivée à Munich en 1896 dans l'ambiance Jüngendstil, Kandinsky resta en contact avec Pappe, lequel, voulant devenir peintre, lui adressa ses dessins et lui demanda des conseils d'ordre technique.
Kandinsky s'efforça dans ses lettres d'encourager et de faire progresser son correspondant en lui inculquant pas à pas des principes qui lui avaient été enseignés ou qu'il s'était lui-même forgés. Dans ses lettres, Kandinsky évoque l'enseignement de Anton Azbe qu'il suivait à Munich et s'efforce de transmettre les principes du maître, notamment le fameux Kugel-System, principe de la sphère. La deuxième lettre contient cinq croquis destinés à corriger les erreurs de son correspondant. Kandinsky insiste sur la nécessité de la composition et de la perception d'ensemble des objets représentés et invite l'élève à rejeter l'étude d'objets isolés. Kandinsky donne aussi nombre de conseils techniques, notamment dans sa quatrième lettre où il fait un véritable cours sur l'utilisation des couleurs puis dans sa sixième lettre sur la préparation d'une toile.
L'année 1900 marque une étape importante dans l'évolution de Kandinsky qui passe de l'atelier d'Azbe, où il travaillait depuis 1897, à celui de Franz von Stuck, qu'il quittera peu après pour fonder en 1901 avec quelques amis son premier groupe, La Phalanx.
Lettre de Munich, le 22 février 1900 (8 pp. in-8 avec croquis) : "Très cher Andreï Andreïevitch,
[...] Pour quelqu'un qui ne connaît absolument pas le dessin, votre tête n'est pas mal du tout. [...] Vous avez ce qu'on appelle "le coup d'oeil" mais il est impuissant vu le manque de connaissances. A mon avis, vous devriez dès maintenant vous procurer un crâne et en faire des dessins avec extrême attention et rigueur. Sans cela il est impensable d'acquérir des connaissances, la technique étant une chose secondaire. Certes on peut dessiner une tête d'après nature, mais, sous la peau et la chair, il faut, en quelque sorte, découvrir le crâne [...] Comme le corps se forme suivant le squelette, de même la tête suivant le crâne [...].
A en juger d'après votre tête, vous suivez la direction de chacune des lignes et ne voyez pas la tête dans son ensemble [...].
Notre Azbe dit à juste titre qu'aucun sculpteur ne commence jamais une tête par le nez, un oeil ou une oreille mais qu'on taille d'abord la tête à la hache, autrement dit on fait prendre juste en gros à l'argile ou au marbre une forme de tête sans prêter la moindre attention aux détails. Azbe nous avait fait faire cette taille à la hache pendant des mois. Ce n'est qu'au moment où nous avions appris à rendre la forme la plus générale de la tête qu'il nous a permis d'insérer des yeux, des lèvres, des oreilles, des narines, et encore, sans aucun détail.
Dessiner avec une ligne chargée de toutes sortes de détails n'est qu'un leurre. On dessine un semblant de tête, mais on n'est pas capable de dessiner une chaise [...] Votre W.K."
Lettre de Munich, 25 mars 1900 (9 pp. in-8 dont deux au crayon, avec 5 croquis) :
"Je comprends très bien vos sentiments [...] Qu'est-ce qu'il faudrait vous dire, à vous, qui êtes en quelque sorte un nouveau-né dans notre maudit et infiniment merveilleux métier. Je ne vois absolument rien de "désespérant" dans vos crânes [...] On voit dans vos dessins de la détermination et une certaine unité de vision. Les proportions c'est votre point le plus faible. Et puis, il ne faut jamais oublier que la perspective est basée sur le fait que l'objet du dessin ainsi que l'oeil du peintre se trouve sur des points immobiles. Tandis que vous, vous n'avez de cesse de déplacer votre oeil ou le crâne (plutôt l'oeil), ce qui fait qu'on voit sur le dessin les parties du crâne qui ne peuvent être vues simultanément [...]
Si vous pouvez, essayez quelque chose en couleurs. Ici, les débuts sont tout aussi importants. En ce qui concerne les échecs, soyez moins intimidé car trop souvent un début fulgurant se termine par une bulle de savon [...] Il se peut que celui qui possède sa propre âme et ses propres yeux n'arrive à atteindre aucun but mais s'il arrive, il peut donner quelque chose de cohérent et d'important. Il est plus facile de prendre des formes déjà prêtes, sorties du fond d'autres âmes et l'on obtient alors plus vite quelque chose de fini, mais à mon avis, c'est de la foutaise. Que ce soit rien, mais un rien venant de nous-même [...] Wassily Kandinsky.
Habituez votre oeil à regarder tous les objets à la fois et non pas séparément !"
Lettre de Munich, le 21 avril 1900 (7 pp. in-8) :
"[...] De grâce, ne vous dispersez pas dans les détails. Azbe dit à juste titre que l'exécution des détails demande plutôt de la fermeté de "Sitifkisch" qu'elle ne sollicite de connaissance [...]. Ces derniers temps les natures mortes sont très utilisées par les débutants. Lors de mes passages à Azbeschule, j'ai pu observer moi-même à quel point cela facilite la compréhension des couleurs par les élèves. Il faut prendre un fond de couleur vive et précise et placer au premier plan des objets de couleurs également vives et précises (ici ont un grand succès des oranges, des citrons, des radis et des légumes de couleurs vives. en général, des oiseaux empaillés aux couleurs vives, des cruches en argile émaillées, des casseroles bleues etc.).
Peignez d'abord les objets avec des taches de couleurs précises en ne captant que le ton général de chacune (pour ainsi dire, "la taille à la hache en couleurs"). Plus tard, vous mettrez des objets de couleurs moins vives. Travaillant de la sorte, il est plus facile de comprendre la pureté, le caractère unique et précis des tons que la nature présente à nos yeux. Cela fait longtemps que cela m'attire et ô combien il était difficile de me débarrasser des lunettes floues de Serov. Korovine et Levitan ! Or, maintenant les tons vifs et forts lacèrent le rideau de brouillard [...]. L'harmonie des tons et semi-tons gris n'est pas facile à atteindre mais arriver à une harmonie de pureté et de force est bien plus corsé [...]. Peignez alors de petits fragments avec des contrastes lumière ombre bien précis. Une tache lumineuse de soleil et un ton. Si vous voulez, je peux vous envoyer une liste des couleurs les plus utilisées et solides [...]"
Lettre de Munich, le 15 mai 1900 (8 pp in-8) :
"Je n'arrivais pas à vous écrire au sujet des couleurs, Andreï Andreïevitch. L'aspect extérieur. Mettez les couleurs sur la palette dans un ordre établi une fois pour toutes (les bleues à côté des bleues etc.) en suivant une certaine logique car vous devez connaître la palette dans son aspect extérieur comme un musicien le clavier, pour le regarder le moins possible pendant le travail [...] Il y a un principe intangible pour les peintres : "Il faut regarder en permanence le modèle, jeter de temps en temps un coup d'oeil à la toile et jamais sur la palette". Une règle incontournable pendant l'étude du modèle. Bien sûr, pendant la recherche d'harmonie elle est quelque peu modifiée. Mettez les couleurs en abondance pour avoir un pinceau bien plein et imbibé. Il faut avoir beaucoup de pinceaux afin d'éviter autant que possible de peindre avec des pinceaux sales [...]
L'aspect intérieur se retrouve déjà un peu dans l'extérieur. A part cela, voilà ce qui est très important : 1) essayez de chercher le moins possible les tons sur la palette. Prenez dès que vous pouvez de la couleur propre et appliquez-en sur la toile, ensuite faites de même par-dessus une autre couleur également propre et ainsi de suite. Surtout ne mélangez pas longtemps les couleurs sur la palette : cela rend le ton sale et supprime l'intensité. Si le ton n'a pas réussi, recommencez à le chercher en repartant de zéro et n'essayez pas d'améliorer ce qui est raté. Et n'acceptez aucun compromis [...]. Cherchez la lumière, l'intensité des couleurs. Comme dans la nature il n'y a rien d'incolore, il n'y a rien de blanc ni de noir, la couleur flamboie et brille partout, Dieu nous garde de la dédaigner. C'est en cela que la nature est le meilleur professeur. Après vous pouvez l'interpréter comme vous voulez mais prenez d'abord le maximum à ses trésors et à ses révélations [...] Au début la palette doit être la plus simple possible, mais, avec le temps, votre oeil sera gâté et exigera des friandises exquises. Pendant qu'il est encore simple, profitez-en."
[et Kandinsky énumère les principales couleurs à se procurer pour commencer].
Lettre de Munich, le 25 juillet 1900 (4 pp. in-8) :
"[...] Vous n'avez pas fait ce qui est nécessaire dans vos études en couleur. Dans la peinture, il faut chercher avant tout le jeu de contrastes, c'est-à-dire, utiliser tout le potentiel de la palette pour créer un abîme entre la lumière et l'ombre. Des semi-tons, des semi-ombres, des variations dans la lumière même et dans l'ombre même, vous vous en occuperez beaucoup plus tard [...] Mais ne croyez surtout pas que plus vous mettrez de la couleur blanche, plus il y aura de lumière. Au contraire! La couleur blanche tue la lumière. Ayez tendance à la rendre avec des couleurs claires tout en l'opposant, ce qui est essentiel, à l'ombre. Qu'auriez-vous dit si on vous avait obligé à jouer une oeuvre puissante et profonde en mettant à votre disposition une banale octave ? Car il n'y a rien de plus puissant et profond que la nature. N'hésitez donc pas à utiliser tout le clavier.
En plus, il ne faut pas peindre au début des vues d'ensemble. Ne prenez que des petits morceaux : l'angle d'une maison, un bout de mur, de haie, 2 à 3 pierres etc. Faites de sorte qu'il y ait le soleil et l'ombre. Bref, fixez-vous des objectifs plus simples [...]. Dessinez absolument, même si c'est la peinture seule qui vous attire [...]. Wassily Kandinsky."
Lettre non datée, probablement juin 1900 (3 pp. in-8) :
"[...] Les recettes de la toile : (selon mon goût) [Suivent des indications techniques très précises pour préparer une toile].
[...] Je me suis donné beaucoup de mal pour résoudre le problème des toiles, tout cet hiver en particulier. Je connais beaucoup de procédés, mais je crois que celui que j'ai décrit est le plus pratique pour les débuts en peinture à l'huile rien que grâce à la simplicité de la préparation. Mais il y en a bien d'autres selon lesquels, comme disait un vieux maître : "si tu n'as pas encore fini tard dans la nuit (et pourtant il conseille de commencer tôt le matin), alors ne dors pas la nuit, mais n'interrompt pas le travail".
Très précieuses lettres dont les extraits ci-dessus ne donnent que la tonalité générale : Kandinsky écrit non seulement en passionné de la peinture et du dessin mais en praticien essayant de transmettre ce qu'il a acquis avec des mots simples mais de grandes exigences. La sûreté et la fermeté de son discours montre que Kandinsky a déjà une vision claire de la direction de son art. Il est particulièrement intéressant de lire comment il conseille à la fois de suivre les cours avec humilité mais de se servir " de sa propre âme " et de " ses propres yeux ".
Références :
Kandinsky in Munich (Peg Weiss, Princeton University Press, 1979).
Correspondance à Andreï Andreïevitch Pappe, février à juillet 1900, Munich
Ensemble de six lettres autographes signées en russe de Wassily Kandinsky à Andreï Andreïevitch Pappe.
1ère lettre : Munich, 22 février, 8 pp. in-8 avec croquis. 2ème lettre : Munich, 25 mars, 9 pp. In-8 dont deux au crayon, avec 5 croquis. 3ème lettre : 21 avril, 7 pp. in-8. 4ème lettre : Munich, 15 mai, 8 pp. in-8. 5ème lettre : Munich, 25 juillet, 4 pp. in-8. 6ème lettre : [Munich, juin], 3 pp. in-8.
Reliure en veau noir semi-souple. Chaque plat est divisé en quatre rectangles égaux. Deux de ces rectangles sont en veau noir gaufré petit carré et mousseline. Les deux autres rouge et bleu sur le 1
Extraordinaire correspondance de Kandinsky alors âgé de 33 ans, qui constitue un véritable art de peindre et de dessiner en 39 pages.
Juriste moscovite et amateur d'art, Pappe fit la connaissance de Kandinsky à Odessa. Après son arrivée à Munich en 1896 dans l'ambiance Jüngendstil, Kandinsky resta en contact avec Pappe, lequel, voulant devenir peintre, lui adressa ses dessins et lui demanda des conseils d'ordre technique.
Kandinsky s'efforça dans ses lettres d'encourager et de faire progresser son correspondant en lui inculquant pas à pas des principes qui lui avaient été enseignés ou qu'il s'était lui-même forgés. Dans ses lettres, Kandinsky évoque l'enseignement de Anton Azbe qu'il suivait à Munich et s'efforce de transmettre les principes du maître, notamment le fameux Kugel-System, principe de la sphère. La deuxième lettre contient cinq croquis destinés à corriger les erreurs de son correspondant. Kandinsky insiste sur la nécessité de la composition et de la perception d'ensemble des objets représentés et invite l'élève à rejeter l'étude d'objets isolés. Kandinsky donne aussi nombre de conseils techniques, notamment dans sa quatrième lettre où il fait un véritable cours sur l'utilisation des couleurs puis dans sa sixième lettre sur la préparation d'une toile.
L'année 1900 marque une étape importante dans l'évolution de Kandinsky qui passe de l'atelier d'Azbe, où il travaillait depuis 1897, à celui de Franz von Stuck, qu'il quittera peu après pour fonder en 1901 avec quelques amis son premier groupe, La Phalanx.
Lettre de Munich, le 22 février 1900 (8 pp. in-8 avec croquis) : "Très cher Andreï Andreïevitch,
[...] Pour quelqu'un qui ne connaît absolument pas le dessin, votre tête n'est pas mal du tout. [...] Vous avez ce qu'on appelle "le coup d'oeil" mais il est impuissant vu le manque de connaissances. A mon avis, vous devriez dès maintenant vous procurer un crâne et en faire des dessins avec extrême attention et rigueur. Sans cela il est impensable d'acquérir des connaissances, la technique étant une chose secondaire. Certes on peut dessiner une tête d'après nature, mais, sous la peau et la chair, il faut, en quelque sorte, découvrir le crâne [...] Comme le corps se forme suivant le squelette, de même la tête suivant le crâne [...].
A en juger d'après votre tête, vous suivez la direction de chacune des lignes et ne voyez pas la tête dans son ensemble [...].
Notre Azbe dit à juste titre qu'aucun sculpteur ne commence jamais une tête par le nez, un oeil ou une oreille mais qu'on taille d'abord la tête à la hache, autrement dit on fait prendre juste en gros à l'argile ou au marbre une forme de tête sans prêter la moindre attention aux détails. Azbe nous avait fait faire cette taille à la hache pendant des mois. Ce n'est qu'au moment où nous avions appris à rendre la forme la plus générale de la tête qu'il nous a permis d'insérer des yeux, des lèvres, des oreilles, des narines, et encore, sans aucun détail.
Dessiner avec une ligne chargée de toutes sortes de détails n'est qu'un leurre. On dessine un semblant de tête, mais on n'est pas capable de dessiner une chaise [...] Votre W.K."
Lettre de Munich, 25 mars 1900 (9 pp. in-8 dont deux au crayon, avec 5 croquis) :
"Je comprends très bien vos sentiments [...] Qu'est-ce qu'il faudrait vous dire, à vous, qui êtes en quelque sorte un nouveau-né dans notre maudit et infiniment merveilleux métier. Je ne vois absolument rien de "désespérant" dans vos crânes [...] On voit dans vos dessins de la détermination et une certaine unité de vision. Les proportions c'est votre point le plus faible. Et puis, il ne faut jamais oublier que la perspective est basée sur le fait que l'objet du dessin ainsi que l'oeil du peintre se trouve sur des points immobiles. Tandis que vous, vous n'avez de cesse de déplacer votre oeil ou le crâne (plutôt l'oeil), ce qui fait qu'on voit sur le dessin les parties du crâne qui ne peuvent être vues simultanément [...]
Si vous pouvez, essayez quelque chose en couleurs. Ici, les débuts sont tout aussi importants. En ce qui concerne les échecs, soyez moins intimidé car trop souvent un début fulgurant se termine par une bulle de savon [...] Il se peut que celui qui possède sa propre âme et ses propres yeux n'arrive à atteindre aucun but mais s'il arrive, il peut donner quelque chose de cohérent et d'important. Il est plus facile de prendre des formes déjà prêtes, sorties du fond d'autres âmes et l'on obtient alors plus vite quelque chose de fini, mais à mon avis, c'est de la foutaise. Que ce soit rien, mais un rien venant de nous-même [...] Wassily Kandinsky.
Habituez votre oeil à regarder tous les objets à la fois et non pas séparément !"
Lettre de Munich, le 21 avril 1900 (7 pp. in-8) :
"[...] De grâce, ne vous dispersez pas dans les détails. Azbe dit à juste titre que l'exécution des détails demande plutôt de la fermeté de "Sitifkisch" qu'elle ne sollicite de connaissance [...]. Ces derniers temps les natures mortes sont très utilisées par les débutants. Lors de mes passages à Azbeschule, j'ai pu observer moi-même à quel point cela facilite la compréhension des couleurs par les élèves. Il faut prendre un fond de couleur vive et précise et placer au premier plan des objets de couleurs également vives et précises (ici ont un grand succès des oranges, des citrons, des radis et des légumes de couleurs vives. en général, des oiseaux empaillés aux couleurs vives, des cruches en argile émaillées, des casseroles bleues etc.).
Peignez d'abord les objets avec des taches de couleurs précises en ne captant que le ton général de chacune (pour ainsi dire, "la taille à la hache en couleurs"). Plus tard, vous mettrez des objets de couleurs moins vives. Travaillant de la sorte, il est plus facile de comprendre la pureté, le caractère unique et précis des tons que la nature présente à nos yeux. Cela fait longtemps que cela m'attire et ô combien il était difficile de me débarrasser des lunettes floues de Serov. Korovine et Levitan ! Or, maintenant les tons vifs et forts lacèrent le rideau de brouillard [...]. L'harmonie des tons et semi-tons gris n'est pas facile à atteindre mais arriver à une harmonie de pureté et de force est bien plus corsé [...]. Peignez alors de petits fragments avec des contrastes lumière ombre bien précis. Une tache lumineuse de soleil et un ton. Si vous voulez, je peux vous envoyer une liste des couleurs les plus utilisées et solides [...]"
Lettre de Munich, le 15 mai 1900 (8 pp in-8) :
"Je n'arrivais pas à vous écrire au sujet des couleurs, Andreï Andreïevitch. L'aspect extérieur. Mettez les couleurs sur la palette dans un ordre établi une fois pour toutes (les bleues à côté des bleues etc.) en suivant une certaine logique car vous devez connaître la palette dans son aspect extérieur comme un musicien le clavier, pour le regarder le moins possible pendant le travail [...] Il y a un principe intangible pour les peintres : "Il faut regarder en permanence le modèle, jeter de temps en temps un coup d'oeil à la toile et jamais sur la palette". Une règle incontournable pendant l'étude du modèle. Bien sûr, pendant la recherche d'harmonie elle est quelque peu modifiée. Mettez les couleurs en abondance pour avoir un pinceau bien plein et imbibé. Il faut avoir beaucoup de pinceaux afin d'éviter autant que possible de peindre avec des pinceaux sales [...]
L'aspect intérieur se retrouve déjà un peu dans l'extérieur. A part cela, voilà ce qui est très important : 1) essayez de chercher le moins possible les tons sur la palette. Prenez dès que vous pouvez de la couleur propre et appliquez-en sur la toile, ensuite faites de même par-dessus une autre couleur également propre et ainsi de suite. Surtout ne mélangez pas longtemps les couleurs sur la palette : cela rend le ton sale et supprime l'intensité. Si le ton n'a pas réussi, recommencez à le chercher en repartant de zéro et n'essayez pas d'améliorer ce qui est raté. Et n'acceptez aucun compromis [...]. Cherchez la lumière, l'intensité des couleurs. Comme dans la nature il n'y a rien d'incolore, il n'y a rien de blanc ni de noir, la couleur flamboie et brille partout, Dieu nous garde de la dédaigner. C'est en cela que la nature est le meilleur professeur. Après vous pouvez l'interpréter comme vous voulez mais prenez d'abord le maximum à ses trésors et à ses révélations [...] Au début la palette doit être la plus simple possible, mais, avec le temps, votre oeil sera gâté et exigera des friandises exquises. Pendant qu'il est encore simple, profitez-en."
[et Kandinsky énumère les principales couleurs à se procurer pour commencer].
Lettre de Munich, le 25 juillet 1900 (4 pp. in-8) :
"[...] Vous n'avez pas fait ce qui est nécessaire dans vos études en couleur. Dans la peinture, il faut chercher avant tout le jeu de contrastes, c'est-à-dire, utiliser tout le potentiel de la palette pour créer un abîme entre la lumière et l'ombre. Des semi-tons, des semi-ombres, des variations dans la lumière même et dans l'ombre même, vous vous en occuperez beaucoup plus tard [...] Mais ne croyez surtout pas que plus vous mettrez de la couleur blanche, plus il y aura de lumière. Au contraire! La couleur blanche tue la lumière. Ayez tendance à la rendre avec des couleurs claires tout en l'opposant, ce qui est essentiel, à l'ombre. Qu'auriez-vous dit si on vous avait obligé à jouer une oeuvre puissante et profonde en mettant à votre disposition une banale octave ? Car il n'y a rien de plus puissant et profond que la nature. N'hésitez donc pas à utiliser tout le clavier.
En plus, il ne faut pas peindre au début des vues d'ensemble. Ne prenez que des petits morceaux : l'angle d'une maison, un bout de mur, de haie, 2 à 3 pierres etc. Faites de sorte qu'il y ait le soleil et l'ombre. Bref, fixez-vous des objectifs plus simples [...]. Dessinez absolument, même si c'est la peinture seule qui vous attire [...]. Wassily Kandinsky."
Lettre non datée, probablement juin 1900 (3 pp. in-8) :
"[...] Les recettes de la toile : (selon mon goût) [Suivent des indications techniques très précises pour préparer une toile].
[...] Je me suis donné beaucoup de mal pour résoudre le problème des toiles, tout cet hiver en particulier. Je connais beaucoup de procédés, mais je crois que celui que j'ai décrit est le plus pratique pour les débuts en peinture à l'huile rien que grâce à la simplicité de la préparation. Mais il y en a bien d'autres selon lesquels, comme disait un vieux maître : "si tu n'as pas encore fini tard dans la nuit (et pourtant il conseille de commencer tôt le matin), alors ne dors pas la nuit, mais n'interrompt pas le travail".
Très précieuses lettres dont les extraits ci-dessus ne donnent que la tonalité générale : Kandinsky écrit non seulement en passionné de la peinture et du dessin mais en praticien essayant de transmettre ce qu'il a acquis avec des mots simples mais de grandes exigences. La sûreté et la fermeté de son discours montre que Kandinsky a déjà une vision claire de la direction de son art. Il est particulièrement intéressant de lire comment il conseille à la fois de suivre les cours avec humilité mais de se servir " de sa propre âme " et de " ses propres yeux ".
Références :
Kandinsky in Munich (Peg Weiss, Princeton University Press, 1979).
Special notice
" f " : In addition to the regular Buyer’s premium, a commission of
7% (i.e. 7.49% inclusive of VAT for books, 8.372% inclusive
of VAT for the other lots) of the hammer price will be
charged to the buyer. It will be refunded to the Buyer upon
proof of export of the lot outside the European Union within
the legal time limit.(Please refer to section VAT refunds)
Further details
Important autograph correspondence (39 pages), the oldest known, by the young Kandinsky discussing the art of painting and drawing with his country fellow Andreï Andreïvitch Pappe.