Lot Essay
Nous reproduisons ci-après la notice que Monsieur Jean-Luc Ryaux a aimablement rédigée sur le tableau de Lacroix de Marseille. Monsieur Jean-Luc Ryaux inclura le présent tableau dans sa monographie à paraître sur l'artiste.
'Delacroix, dit Lacroix de Marseille, éruption du Vésuve, 1761' pourra-t-on lire dans cent ans dans ce catalogue, tout comme il y a deux siècles on vantait le talent d'un si bel artiste 'qui jouit d'une réputation distinguée dans son genre' au Salon de la Correspondance, condamnant à l'oubli le peintre désormais connu par la seule qualité de ses oeuvres. Car presque tout ce que l'on a écrit sur Lacroix de Marseille est inexact, imprécis, invraisemblable voire faux.
A commencer par sa date de naissance qui se situe plus probablement vers 1730 que 1700, sa date de mort qui n'est pas 1782 comme l'affirme Pahin de la Blancherie mais bien plus tardive. A décharge, il faut avouer que le parcours de cet artiste paraît difficile à reconstituer: Marseillais par son père, on le voit établi tour à tour ou simultanément à Marseille, Avignon, Nîmes, Paris. Insaisissable voyageur, Lacroix séjourne à plusieurs reprises en Italie: à Rome, Florence, Naples, il participe à de grands décors, peint de nombreuses vues, parfois arrangées, souvent de fantaisies, la plupart de format moyen.
Cette apparente confusion s'explique: il semble qu'à l'instar de son maître Joseph Vernet, il ait acquis sa réputation en Italie puis dans le sud de la France dans les années 1760 avant d'accéder à une importante notoriété parisienne à partir de 1780. La période italienne est donc déterminante dans l'évolution de sa carrière. Ne bénéficiant pas des facilités accordées à Vernet par l'Académie de France à Rome, Lacroix doit vendre ses oeuvres à une clientèle de passage, ou recevoir des commandes. Les dimensions et la qualité exceptionnelle de notre composition laissent supposer l'existence d'un mécène fortuné à l'origine de cette vue. Si de nombreuses oeuvres de Lacroix ont été gravées, la plupart de ces estampes sont malheureusement perdues. Il est probable que celle-ci ait dû l'être, sans que nous en ayons la preuve aujourd'hui; retrouver sa trace serait certainement d'une grand aide dans la compréhension de la génèse d'une telle composition. En effet, au spectacle d'une toile aussi ambitieuse, de nombreuses questions conviennent d'être posées, qui demeurent, dans l'état actuel de nos recherches, sans réponse. Parmi celles-ci la collaboration de Lacroix et de Vernet est essentielle. Car enfin, tout, ici, rappelle les leçons du maître: la composition 'arrêtée' par un bosquet d'arbres ou de rocher, se lit de droite à gauche comme une relation pittoresque. Chaque saynète s'associe aux autres dans une lecture syntaxique qui raconte mot à mot ou plutôt motif par motif les moments essentiels de la vie quotidienne du littoral napolitain, pour constituer finalement un 'phrasé pittoresque'. Ainsi, les pêcheurs emplissent les paniers de poissons avant de les charger à dos de mulet tandis qu'une barque accoste, saluée par les épouses des marins accompagnées de leurs enfants. Au second plan, d'autres voiliers entrent au port, tandis que tous désignent l'impressionnante éruption dans le lointain. Les techniques du maître sont ici étudiées, assimilées, repensées pour rivaliser avec les meilleurs exemples du genre présents dans les capitales européennes. Le caractère particulier de l'éclairage nocturne des éruptions permet bien évidemment toutes les audaces esthètiques: les personnages se détachent au premier plan comme des ombres, véritables marionnettes animées sur un fond de décor rougeoyant. Echappant aux conventions habituelles d'un éclairage diurne, les visages sont grimés, les expressions rehaussées et les attitudes mises en valeur comme sur une scène, représentant, dans un répertoire théâtral, le contraste entre les activités humaines traditionnelles et la nature déchaînée. Chaque groupe est ainsi plus aisément identifiable, décrit.
Car il ne faut pas s'y tromper : cette 'facilité' narrative n'est pas anodine. En effet, les vedute du Grand Tour revêtent une fonction importante dans les Salons de la grande bourgeoisie parisienne férue de littérature. La peinture ne raconte pas seulement, elle est elle-même racontée avec force détails, commentée, en bref, appréciée comme un faire-valoir du gentilhomme plaisant que l'on reçoit à son retour d'Italie.
La toile est ainsi l'objet d'une explication scrupuleuse de la part des témoins des éruptions du Vésuve dont les dates sont connues par de nombreuses publications, notamment autour de 1761. On peut citer Il Vesuvio de Atanagio Cavalli (1759), l'étude de MacKinley (1760) mais aussi et surtout Del Bottis avec son Raggionamento Istorico illustré avec des planches d'Alessandro d'Anna (1761). Cet engouement pour la vulcanologie et ses modes de représentation se répand dans toute l'Europe, et ce d'autant que du 23 décembre 1760 au 5 janvier 1761 se déroule une éruption importante.
Celle-ci commence par des secousses telluriques, se poursuit par la formation de deux puis trois petits 'icônes' tandis que de la fumée, des cendres et des scories sont expulsées du cratère central. Dans un deuxième temps, ce sont au moins sept cônes - visibles sur notre tableau - qui déversent de la lave jusqu'au 1er janvier 1761 en direction de la localité de Noto (probablement au second plan) à proximité de Torre Annunziata. Enfin, quelques bâtiments s'effondrent le 2, conséquence de la reprise de séismes importants (ruines sur la gauche de la composition ?). En revanche, l'effondrement d'une partie du cratère principal, en date du 5, est absent de notre vue dont l'épisode se situe donc plus probablement en début d'activité, entre le 25 décembre et le 2 janvier.
'Delacroix, dit Lacroix de Marseille, éruption du Vésuve, 1761' pourra-t-on lire dans cent ans dans ce catalogue, tout comme il y a deux siècles on vantait le talent d'un si bel artiste 'qui jouit d'une réputation distinguée dans son genre' au Salon de la Correspondance, condamnant à l'oubli le peintre désormais connu par la seule qualité de ses oeuvres. Car presque tout ce que l'on a écrit sur Lacroix de Marseille est inexact, imprécis, invraisemblable voire faux.
A commencer par sa date de naissance qui se situe plus probablement vers 1730 que 1700, sa date de mort qui n'est pas 1782 comme l'affirme Pahin de la Blancherie mais bien plus tardive. A décharge, il faut avouer que le parcours de cet artiste paraît difficile à reconstituer: Marseillais par son père, on le voit établi tour à tour ou simultanément à Marseille, Avignon, Nîmes, Paris. Insaisissable voyageur, Lacroix séjourne à plusieurs reprises en Italie: à Rome, Florence, Naples, il participe à de grands décors, peint de nombreuses vues, parfois arrangées, souvent de fantaisies, la plupart de format moyen.
Cette apparente confusion s'explique: il semble qu'à l'instar de son maître Joseph Vernet, il ait acquis sa réputation en Italie puis dans le sud de la France dans les années 1760 avant d'accéder à une importante notoriété parisienne à partir de 1780. La période italienne est donc déterminante dans l'évolution de sa carrière. Ne bénéficiant pas des facilités accordées à Vernet par l'Académie de France à Rome, Lacroix doit vendre ses oeuvres à une clientèle de passage, ou recevoir des commandes. Les dimensions et la qualité exceptionnelle de notre composition laissent supposer l'existence d'un mécène fortuné à l'origine de cette vue. Si de nombreuses oeuvres de Lacroix ont été gravées, la plupart de ces estampes sont malheureusement perdues. Il est probable que celle-ci ait dû l'être, sans que nous en ayons la preuve aujourd'hui; retrouver sa trace serait certainement d'une grand aide dans la compréhension de la génèse d'une telle composition. En effet, au spectacle d'une toile aussi ambitieuse, de nombreuses questions conviennent d'être posées, qui demeurent, dans l'état actuel de nos recherches, sans réponse. Parmi celles-ci la collaboration de Lacroix et de Vernet est essentielle. Car enfin, tout, ici, rappelle les leçons du maître: la composition 'arrêtée' par un bosquet d'arbres ou de rocher, se lit de droite à gauche comme une relation pittoresque. Chaque saynète s'associe aux autres dans une lecture syntaxique qui raconte mot à mot ou plutôt motif par motif les moments essentiels de la vie quotidienne du littoral napolitain, pour constituer finalement un 'phrasé pittoresque'. Ainsi, les pêcheurs emplissent les paniers de poissons avant de les charger à dos de mulet tandis qu'une barque accoste, saluée par les épouses des marins accompagnées de leurs enfants. Au second plan, d'autres voiliers entrent au port, tandis que tous désignent l'impressionnante éruption dans le lointain. Les techniques du maître sont ici étudiées, assimilées, repensées pour rivaliser avec les meilleurs exemples du genre présents dans les capitales européennes. Le caractère particulier de l'éclairage nocturne des éruptions permet bien évidemment toutes les audaces esthètiques: les personnages se détachent au premier plan comme des ombres, véritables marionnettes animées sur un fond de décor rougeoyant. Echappant aux conventions habituelles d'un éclairage diurne, les visages sont grimés, les expressions rehaussées et les attitudes mises en valeur comme sur une scène, représentant, dans un répertoire théâtral, le contraste entre les activités humaines traditionnelles et la nature déchaînée. Chaque groupe est ainsi plus aisément identifiable, décrit.
Car il ne faut pas s'y tromper : cette 'facilité' narrative n'est pas anodine. En effet, les vedute du Grand Tour revêtent une fonction importante dans les Salons de la grande bourgeoisie parisienne férue de littérature. La peinture ne raconte pas seulement, elle est elle-même racontée avec force détails, commentée, en bref, appréciée comme un faire-valoir du gentilhomme plaisant que l'on reçoit à son retour d'Italie.
La toile est ainsi l'objet d'une explication scrupuleuse de la part des témoins des éruptions du Vésuve dont les dates sont connues par de nombreuses publications, notamment autour de 1761. On peut citer Il Vesuvio de Atanagio Cavalli (1759), l'étude de MacKinley (1760) mais aussi et surtout Del Bottis avec son Raggionamento Istorico illustré avec des planches d'Alessandro d'Anna (1761). Cet engouement pour la vulcanologie et ses modes de représentation se répand dans toute l'Europe, et ce d'autant que du 23 décembre 1760 au 5 janvier 1761 se déroule une éruption importante.
Celle-ci commence par des secousses telluriques, se poursuit par la formation de deux puis trois petits 'icônes' tandis que de la fumée, des cendres et des scories sont expulsées du cratère central. Dans un deuxième temps, ce sont au moins sept cônes - visibles sur notre tableau - qui déversent de la lave jusqu'au 1er janvier 1761 en direction de la localité de Noto (probablement au second plan) à proximité de Torre Annunziata. Enfin, quelques bâtiments s'effondrent le 2, conséquence de la reprise de séismes importants (ruines sur la gauche de la composition ?). En revanche, l'effondrement d'une partie du cratère principal, en date du 5, est absent de notre vue dont l'épisode se situe donc plus probablement en début d'activité, entre le 25 décembre et le 2 janvier.