Lot Essay
Ces remarquables aiguières se singularisent non seulement par leur qualité, leur rareté, mais aussi par le fait qu'elles sont particulièrement bien documentées. On connaît en effet leur auteur (Pierre Gouthière) mais aussi leur historique (achetées par le futur Tsar et son épouse, elles ont longtemps demeuré dans les collections impériales russes).
L'ATTRIBUTION à GOUTHIèRE
Alors que trop souvent les chefs d'oeœuvre des bronziers du XVIIIe siècle demeurent anonymes, les présentes aiguières peuvent être attribuées avec certitude au bronzier Pierre Gouthière. Cette attribution repose en particulier sur les aiguières signées par Gouthière, aujourd'hui dans la collection Frick, à Pittsburgh (illustrées dans Pierre Verlet, Les bronzes dorés français du XVIIIe siècle, Paris, 1999, p. 205). Elles se différencient des nôtres par leur matériau, étant exécutées dans des matériaux moins coûteux -en bronze patiné et en bronze doré-. Elles sont signées "fait par Gouthière ciseleur doreur du roy quai pelletier 1767".
LES AIGUIèRES DE MADAME DU BARRY
Parmi les aiguières à mettre en rapport avec le présent lot, il faut, outre celles de la collection Frick, mentionner celles de Madame du Barry. Elles figurent à la fin du XVIIIe siècle dans une exposition sur Gouthière et sont ainsi décrites : "Les deux autres pièces sont deux urnes dont l'une représente le vin et l'autre l'eau, elles sont ornées de deux figures dont l'une est un satyre et l'autre une nayade, décorées de guirlandes de vignes et d'huitres et le bec est orné de petites feuilles d'ornements, de deux d'acanthe, deux tores ornés de laurier, deux cercles en entrelacs et de deux socles carrés" (cf. H. Ottomeyer et P. Pröschel, Vergoldete Bronzen, Munich, 1986, vol. II, p. 565-566). Ces aiguières faisaient partie d'une garniture, encadrant une pièce centrale ainsi décrite : "un autel décoré d'un bout de colonne, de marches et d'un vase. Cet autel est orné de deux figures de femmes, de deux guirlandes de fleurs, deux têtes de boucs, de tores en ornement à l'entour du vase". Il semblerait que ces aiguières puissent être celles vendues, Sotheby & Co, Londres, 18 mai 1967, sous le numéro 134.
Une autre garniture est référencée. Elle comprend également deux aiguières et un vase. Les pièces sont exécutées en marbre vert antique. Elles sont illustrées dans H. Ottomeyer et P. Pröschel, Vergoldete Bronzen, Munich, 1986, vol. II p. 565 dans lequel elles sont localisées dans une collection particulière anonyme, à Paris. De toutes les aiguières connues, ce sont celles en porphyre qui furent les plus honéreuses.
LE MODELE
L'auteur du modèle exact de ces importantes aiguières reste encore inconnu. Néanmoins, soulignons que de nombreux sculpteurs de l'époque Louis XVI ont exécuté des compositions assez proches.
Soulignons une rare particularité de ces objets. En effet, ces deux aiguières se répondent ; de structure identique, elles présentent deux ornementations tout à fait différentes, l'une présentant satyre, tête de bélier et guirlande de pampres, l'autre naïade, guirlandes de feuillages et tête de dauphin. Cette spécificité terriblement coûteuse en terme d'exécution en fait des objets d'un luxe inouï.
Si la description des aiguières de Madame du Barry fait référence à l'Eau et au Vin, on peut voir dans ces modèles d'autre symboles : les Eléments (l'Eau, la Terre) ou encore les saisons (le printemps, l'automne).
Le modèle de ces aiguières se rapproche également d'un dessin de Jean-Charles Delafosse (1734-1791). Il présente une composition et des éléments que l'on retrouve sur le présent lot. Ce dessin est conservé au Metropolitan Museum of Art a New York (illustré dans M. L. Myers, French Architectural and Ornament Drawings of the Eighteenth Century, New York, 1992, p. 57).
Le modèle de ces aiguières connut un grand succès et fut diffusé à travers l'Europe. Ainsi, on retrouve à la Wallace Collection à Londres une aiguière approchante en blue john monté en bronze doré (illustrée dans P. Hughes, The Wallace Collection. Catalogue of Furniture, Londres, 1996, vol. III, p. 1393). En outre, vers 1800, Josiah Wedgwood reprend dans sa manufacture de céramique un modèle approchant ; une aiguière en basalte est illustrée dans H. J. McCormick et al., Vasemania. Neoclassical form and ornament in Europe, New York, 2004, p. 93.
On connaît par ailleurs un certain nombre de modèles approchants. Parmi ceux-ci, on peut citer les aiguières en bronze patiné et bronze doré du musée Nissim de Camondo (illustrées dans Pierre Kjellberg, Objets montés du Moyen Age à nos jours, Paris, 2000, p. 149).
PAUL I ET MARIA FEODOROVNA
Paul Ier de Russie (1754-1801) fut empereur de Russie de 1796 à sa mort en 1801. Auparavant, il avait épousé Wilhelmine de Hesse-Darmstadt. Après la mort de cette dernière en 1775, il se marie avec Sophie-Dorothée de Wurtemberg. Cette dernière sera baptisée en russe Maria Feodorovna. A la naissance du premier des petits-enfants, Catherine II lui donna le domaine de Pavlovsk. En 1783, l'impératrice lui offre une autre propriété, à Gatchina.
L'ACHAT EN 1782
Les présentes aiguières ont quasi certainement été achetées par le futur tsar Paul 1er et son épouse lors de leur séjour en France en 1782. Ce séjour s'inscrit dans le cadre d'un long voyage en Europe qui commence dès septembre 1781 et s'achève en novembre 1782.
Ils voyagent sous les pseudonymes de Comte et Comtesse du Nord. Cet anonymat avait été exigé par l'impératrice elle-même, afin notamment de permettre à son fils et à sa belle fille de voyager quelque peu à l'écart des contraintes du protocole.
Après avoir parcouru l'Autriche puis l'Italie, les futurs souverains gagnent la France. La partie française de leur voyage est particulièrement bien documentée grâce aux mémoires de la baronne d'Oberkirch (1754-1803). Cette dernière, amie d'enfance de Dorothée de Wurtemberg -devenue Maria Feodorovna-, l'accompagne tout au long de ce séjour et le décrit avec de nombreux détails. Après un passage à Lyon où ils achètent des soieries pour Pavlovsk, ils gagnent Paris le 18 mai 1782 et ils y séjournent un mois.
Lors de ce séjour, les futurs souverains voient les portes des plus beaux intérieurs s'ouvrir à eux. Ils ont ainsi l'occasion de découvrir les collections du duc de Penthièvre à Sceaux, du Prince de Condé à Chantilly, du marquis de Marigny à Ménars, Reynière. La baronne d'Oberkirch narre une des ces journées: "Madame la comtesse du Nord [Maria Feodorovna] me conduisit avec elle visiter plusieurs maisons fameuses par la beauté et la richesse de leurs ameublements. Nous passâmes plusieurs heures à examiner ces belles choses ; j'en avais mal à la tête, et je n'ai pu me les rappeler toutes" (Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789, Paris, 1989, p. 286). Nul doute que leur goût pour les objets d'art français ait été encouragé et accentué par ces nombreuses visites. Soulignons d'ailleurs que les futurs souverains maniaient le français avec aisance.
Le tsarévitch et son épouse reçoivent des objets d'art somptueux et font également des achats considérables. Découvrant les manufactures, ils visitent d'abord celle des Gobelins. Peu de temps après, ils achètent pour trois cent mille livres de porcelaine à la manufacture de Sèvres.
Ils visitent les ateliers des plus grands artistes, parmi lesquels ceux de Jean-Baptiste Greuze, d'Hubert Robert, de Jean-Antoine Houdon ou encore de Claude Joseph Vernet.
En outre, Maria Feodorovna et sa dame de compagnie madame de Beckendorf visitent tout ce que la capitale compte de boutiques. La baronne d'Oberkirch décrit ainsi une journée : "Le 28 mai, madame de Beckendorf vient me prendre de bonne heure, et nous courûmes toute la matinée les marchands. Nous restâmes plusieurs heures au Petit Dunkerke. En sortant de la comédie, nous retournâmes chez les ébénistes et les quincaillers. Nous y vîmes les plus belles choses du monde." (op. cit., p. 233-234). Ils rendent visite à Ericourt -qui est ébéniste et marchand- et font des achats d'oeœuvres de Martin Carlin, d'Adam Weisweiler ou encore de Georges Jacob.
Les achats des futurs souverains sont exposés sur deux étages de l'ambassade de Russie -où ils résident-. Les objets y sont exposés avec mention de leur prix, afin que l'on puisse mesurer la magnificence de leurs acquisitions.
On sait qu'une partie au moins des achats d'objets d'art du tsarévitch et de sa femme sont expédiés à Rouen afin d'être embarqués sur le navire La Bonne Union en direction de Saint Petersourg (A. N. Guzanov, The Grand Tour of the Comte and Comtesse du Nord, in Pavlovsk. The Palace and the Park, Paris, 1993, p. 33.
Le 6 octobre 1823, l'empereur Alexandre Ier fait transférer les aiguières du palais d'Hiver de Saint Petersbourg à Peterhof. Elles sont illustrées en 1905 à Peterhof dans Les Trésors d'Art en Russie.
PETERHOF
Le palais de Peterhof, qui surplombe le golfe de Finlande, un peu à l'écart de Saint Petersbourg est connu comme le Versailles russe. C'est en effet après un voyage en France que le tsar Pierre le Grand ordonna de faire élever un palais grandiose qui dépasserait celui qu'il avait admiré en France. Les travaux débutèrent en 1714 et s'achevèrent en 1723. Le Grand Palais, bâtiment principal aux dimensions considérables, surplombe un jardin remarquable, comprenant en particulier une grande cascade copiée d'après celle construite pour Louis XIV au château de Marly.
LEUR CESSION
Les présentes aiguières ont été cédées par l'Union Soviétique dans le cadre des ventes massives d'oeœuvres d'art de l'entre deux guerres. En effet, à la fin des années 1920, la Russie met en place une industrialisation forcée qui exige l'achat à l'étranger d'équipements et même de matières premières destinées aux géants de l'industrie. Parallèlement, la situation dramatique du pays exige des importations massives d'autres biens. Mais les liquidités (en devises et en or) du pays sont à sec.
Dans ce contexte dramatique, le Politburo cherche fiévreusement des sources de devises pour financer le développement de l'industrie. L'exportation d'objets d'art et d'antiquités est rapidement considérée comme LA solution. Ces cessions ont été étudiées en particulier dans Elena A. Osokina, "De l'or pour l'industrialisation. La vente d'objets d'art par l'URSS en France pendant la période des plans quinquennaux de Staline" in Cahiers du Monde russe, 41/1, Janvier-mars 2000, pp. 5-40. Si les ventes d'oeuvres d'art avaient commencé dès le début des années 1920, ce n'est qu'à partir de 1927 qu'elles s'amplifient. Elles supposent toute une organisation, notamment pour la confiscation des oeœuvres d'art.
En 1927, le Sovnarkom propose "d'organiser l'exportation hors d'URSS d'objets d'antiquités et d'objets de luxe, à savoir : meubles anciens, objets domestiques, objets de culte, bronze, porcelaine, cristal, argent, brocart, tapis, tapisseries, tableaux, autographes, pierres fines d'origine russe, objets d'artisanat et autres ne présentant pas de valeur pour les musées". Ce dernier point fut vite balayé et on décida alors de procéder à la vente "des objets ayant une valeur pour les musées".
En 1928 apparaît un organisme spécial, l'Antikvariat ("Bureau principal pour l'achat et la vente d'antiquités"). Les oeœuvres cédées sont majeures, les autorités devant céder des chefs d'oeuvre pour remplir les objectifs quasi déments qu'on leur impose. Pour arriver à cela, les autorités soviétiques prennent soin d' écarter conservateurs ou historiens d'art. Pjatakov, gouverneur de la Gosbank, est des plus explicites lorsqu'il expose sont point de vue : "Pour réussir à venir à bout du sabotage de l'intelligentsia qui occupe tous les postes dans ce secteur, dans les musées, dans l'art, etc., il faut mettre à la vente et à la sélection des objets des gens qui n'y comprennent rien". L'unique objectif, dès lors, est, selon la formule consacrée, "d'obtenir une colonne de tracteurs en échange de chaque Rembrandt".
Naturellement, de telles exportations étaient confidentielles. Elles furent d'ailleurs longtemps cachées et, même après la mort de Staline, on attribuait à la guerre, aux incendies et autres catastrophes naturelles la perte de la partie du patrimoine des musées -que l'on avait monnayée-. Encore aujourd'hui, elles revêtent un certain caractère polémique. Certains historiens estiment qu'elles n'étaient justifiées que par la nécessité d'industrialiser le pays tandis que d'autres soutiennent qu'à cette nécessité avérée s'ajoutait également celle d'acheter du blé à l'étranger.…
Etant donné les objectifs considérables, les autorités recherchent des intermédiaires puissants. L'antiquaire Germain Seligman (fils de Jacques Seligman) est rapidement sollicité, notamment en raison des liens antérieurs de sa maison avec la Russie tsariste. Conscient que la Russie disposait à l'époque de la plus grande collection d'art français du XVIIIe siècle hors de France, Seligman se rend à Moscou (cf. Germain Seligman, Merchants of art, 1880-1960 : Eighty years of professional collecting, New York, 1960, pp. 169-196).
Parmi les collectionneurs, le fondateur de l'Iraq Petroleum Company, Calouste Gulbenkian (1869-1955), se singularise vite. Pas moins de quatre séries de transactions entre le collectionneur et l'Antikavariat seront organisées, entre 1928 et 1930. Il fait l'acquisition de chefs d'oeœuvre : peintures, sculptures, pièces d'orfèvrerie. Mais s'il peut grâce à ces transactions bâtir une collection fabuleuse, il déplore ces cessions. Dans une étonnante franchise, il écrit à son interlocuteur soviétique : "Vous savez que j'ai toujours soutenu la thèse que les objets qui sont dans vos musées depuis de longues années ne doivent pas être vendus, car non seulement ils représentent un patrimoine national, mais ils constituent encore un grand fond d'éducation, en même temps qu'une grande fierté pour la nation, et aussi, parce que, si leur vente venait à s'ébruiter, il serait ainsi porté atteinte au crédit de votre gouvernement." (José de Azeredo Perdigao, Calouste Gulbenkian Collectionneur, Lisbonne, 1979, p. 121)
En outre, des transactions majeures sont conclues avec le secrétaire d'État au Trésor américain et collectionneur Andrew Mellon (1855-1937), dont un groupe de 21 chefs d'oeœuvre de l'Ermitage, désormais exposé à la National Gallery à Washington. Aux côtés d'oeœuvres de Botticelli ou du Titien, cet ensemble ne comprenait pas moins de deux Raphaël, quatre Antoine van Dyck, et cinq Rembrandt!
Les besoins de devises sont tels qu'on en vient à organiser des ventes aux enchères. A Berlin, la maison Rudolph Lepke disperse des trésors. Les présentes aiguières n'apparaissent dans aucune de ces ventes.
En raison du contexte boursier et économique, les transactions d'oeuvres d'art ne se font pas dans un cadre très favorable à l'URSS. Aussi, les rentrées de devises furent somme toute relativement marginales pour le pays tandis que le préjudice porté aux musées russes, et en particulier à l'Ermitage, fut énorme.
DUVEEN
Il est en fait probable que les présentes aiguières aient été vendues au célèbre marchand Joseph Duveen (1869-1939), impliqué dans des transactions majeures avec l'Union Soviétique. Si Lord Duveen est surtout associé avec les tableaux de maîtres anciens, il n'en demeure pas moins qu'il a commencé sa carrière avec la faïence de Delft, activité ensuite élargie aux arts décoratifs. Il était donc tout à fait à même de négocier tant tableaux que meubles et objets d'art.
Homme au destin remarquable, Joseph Duveen est un des plus grands marchands d'art de tous les temps. Il constitue en particulier les collections des magnats américains de l'époque, comme les Frick, Kress ou autre Mellon. Il fait rapidement le choix de ne se consacrer qu'aux oeœuvres majeures. Afin de trouver des chefsd'oeuœuvre pour ses clients, Duveen s'est rapidement impliqué dans les transactions avec l'Union Soviétique ; il se retrouva en particulier impliqué dans un imbroglio juridico-fiscal avec Mellon (S. N. Behrman, Duveen, Londres, 1953, p. 149 et s.).
plusieurs pièces majeures référencées, originellement dans les collections impériales et ultérieurement négociées par Duveen. Citons en premier lieu un secrétaire de Weisweiler, orné de plaques de porcelaine de Sèvres, figurant dans la vente Christie's, New York, 21 Octobre 1997, lot 256. Très probablement acheté par Maria Feodorovna et son époux lors de leur visite parisienne, il gagne Pavlovsk. Par descendance, il reste dans les collections impériales, jusqu'à ce qu'il soit saisi par les autorités soviétiques. Il est alors vendu à Duveen en 1932 (il figure plus tard dans le collection de Mme Anne Ford Johnson). Un autre secrétaire à plaques de porcelaine est aujourd'hui au Metropolitan Museum of Arts à New York. Il ne fut pas acheté par le comte et la comtesse du Nord mais leur fut offert par les souverains français. Il est également acheté par Duveen puis vendu à F. Mannheimer (Francis J. B. Watson, The Wrightsman Collection. Furniture, Gilt Bronze and Mounted Porcelain, Carpets, New York, 1966, vol. I no. 105).
LE PORPHYRE
La roche magmatique qu'est le porphyre connaît dès l'Antiquité une considération particulière. Tant sa grande dureté que sa couleur contribuent à le rendre précieux. L'engouement pour cette pierre ne fléchit pas. Il est intéressant de souligner que l'un des premiers objets montés est justement exécuté en porphyre monté d'argent doré. Il s'agit du très célèbre Aigle de Suger, mêlant porphyre de la Rome impériale et montures françaises de la première moitié du XIIe siècle (illustré dans cat. expo., Porphyre. La Pierre Pourpre des Ptolémées aux Bonaparte, Paris, 2003, p. 85). Si la vogue du porphyre ne faiblit pas, il n'en demeure pas moins que la seconde moitié du XVIIIe siècle constitue assurément son heure de gloire. Nulle vente d'un grand amateur qui ne comprenne pas quelque buste ou vase en porphyre. Le marquis de Marigny ne se fait-il pas représenter par Roslin aux côtés d'un important vase de porphyre monté de bronze doré (illustré dans cat. expo., Porphyre. La Pierre Pourpre des Ptolémées aux Bonaparte, Paris, 2003, p. 154 ; il pourrait s'agir du vase conservé aujourd'hui au Louvre, reproduit dans D. Alcouffe et al, Les bronzes d'ameublement du Louvre, Dijon, 2004 ; p. 96)? L'engouement pour les objets de porphyre montés est tel que l'on débite des colonnes antiques afin de récupérer la précieuse pierre.
Dans la vente des collections du duc d'Aumont qui se tient juste en 1782, les experts P. F. Juliot fils et A. J. Paillet ont pris soin de faire figurer en tout premier les objets en porphyre. Juste auparavant, ils rappellent "qu'il est peu d'ornement plus imposant, plus intéressant dans l'arrangement d'un Cabinet, que celui qu'on peut y introduire par la distribution bien entendue de vases & de colonnes de belles proportions".
GOUTHIERE
Pierre Gouthière est, comme le souligne Pierre Verlet, "un virtuose des travaux de ciselure et de dorure" (P. Verlet, Les bronzes dorés français du XVIIIe siècle, Paris, 1999, p. 210). Sa vie et son oeœuvre sont plutôt bien documentés, grâce au catalogue de la vente d'Aumont -que nous verrons plus tard- et aux recherches de M. Robiquet (J. Robiquet, Gouthière. Sa vie - Son oeuvre. Essai de catalogue raisonné., Paris, 1912).
Pierre Gouthière est inscrit à la maîtrise le 13 avril 1758 comme "doreur, ciseleur, damasquineur sur tous métaux". Il est capable de créer des modèles ; il envoie en 1784 des projets de vases -datant de 1766- à Troyes pour être exposés à l'Ecole Royale de Dessin. En outre, il est réglé par les Menus-Plaisirs en 1769 pour des dessins "destinés à servir aux préparatifs du mariage" du Dauphin.
Il reçoit de prodigieuses commandes de Madame du Barry pour Louveciennes. Mais le client qui marque le plus la carrière de Gouthière est sans contestation le duc d'Aumont. Dans le catalogue de la vente après décès de ses collections, pas moins de trente-quatre objets sont présentés comme étant de sa main. Parmi ceux-ci, trois sont achetés pour Marie-Antoinette et vingt pour Louis XVI. Le monarque les destine au futur Musée du Louvre.
Sa carrière est remarquable. Il travaille pour le Garde-Meuble de la Couronne, pour les Bâtiments du Roi, pour la manufacture de Sèvres. Mais comme de trop nombreux artisans de son époque, Gouthière se retrouve dans une situation financière tragique. Les créances impayées se multiplient alors que sa gestion est déjà déficiente. Après avoir régné dans sa spécialité, Gouthière décline et connaît une triste fin.
L'ATTRIBUTION à GOUTHIèRE
Alors que trop souvent les chefs d'oeœuvre des bronziers du XVIIIe siècle demeurent anonymes, les présentes aiguières peuvent être attribuées avec certitude au bronzier Pierre Gouthière. Cette attribution repose en particulier sur les aiguières signées par Gouthière, aujourd'hui dans la collection Frick, à Pittsburgh (illustrées dans Pierre Verlet, Les bronzes dorés français du XVIIIe siècle, Paris, 1999, p. 205). Elles se différencient des nôtres par leur matériau, étant exécutées dans des matériaux moins coûteux -en bronze patiné et en bronze doré-. Elles sont signées "fait par Gouthière ciseleur doreur du roy quai pelletier 1767".
LES AIGUIèRES DE MADAME DU BARRY
Parmi les aiguières à mettre en rapport avec le présent lot, il faut, outre celles de la collection Frick, mentionner celles de Madame du Barry. Elles figurent à la fin du XVIIIe siècle dans une exposition sur Gouthière et sont ainsi décrites : "Les deux autres pièces sont deux urnes dont l'une représente le vin et l'autre l'eau, elles sont ornées de deux figures dont l'une est un satyre et l'autre une nayade, décorées de guirlandes de vignes et d'huitres et le bec est orné de petites feuilles d'ornements, de deux d'acanthe, deux tores ornés de laurier, deux cercles en entrelacs et de deux socles carrés" (cf. H. Ottomeyer et P. Pröschel, Vergoldete Bronzen, Munich, 1986, vol. II, p. 565-566). Ces aiguières faisaient partie d'une garniture, encadrant une pièce centrale ainsi décrite : "un autel décoré d'un bout de colonne, de marches et d'un vase. Cet autel est orné de deux figures de femmes, de deux guirlandes de fleurs, deux têtes de boucs, de tores en ornement à l'entour du vase". Il semblerait que ces aiguières puissent être celles vendues, Sotheby & Co, Londres, 18 mai 1967, sous le numéro 134.
Une autre garniture est référencée. Elle comprend également deux aiguières et un vase. Les pièces sont exécutées en marbre vert antique. Elles sont illustrées dans H. Ottomeyer et P. Pröschel, Vergoldete Bronzen, Munich, 1986, vol. II p. 565 dans lequel elles sont localisées dans une collection particulière anonyme, à Paris. De toutes les aiguières connues, ce sont celles en porphyre qui furent les plus honéreuses.
LE MODELE
L'auteur du modèle exact de ces importantes aiguières reste encore inconnu. Néanmoins, soulignons que de nombreux sculpteurs de l'époque Louis XVI ont exécuté des compositions assez proches.
Soulignons une rare particularité de ces objets. En effet, ces deux aiguières se répondent ; de structure identique, elles présentent deux ornementations tout à fait différentes, l'une présentant satyre, tête de bélier et guirlande de pampres, l'autre naïade, guirlandes de feuillages et tête de dauphin. Cette spécificité terriblement coûteuse en terme d'exécution en fait des objets d'un luxe inouï.
Si la description des aiguières de Madame du Barry fait référence à l'Eau et au Vin, on peut voir dans ces modèles d'autre symboles : les Eléments (l'Eau, la Terre) ou encore les saisons (le printemps, l'automne).
Le modèle de ces aiguières se rapproche également d'un dessin de Jean-Charles Delafosse (1734-1791). Il présente une composition et des éléments que l'on retrouve sur le présent lot. Ce dessin est conservé au Metropolitan Museum of Art a New York (illustré dans M. L. Myers, French Architectural and Ornament Drawings of the Eighteenth Century, New York, 1992, p. 57).
Le modèle de ces aiguières connut un grand succès et fut diffusé à travers l'Europe. Ainsi, on retrouve à la Wallace Collection à Londres une aiguière approchante en blue john monté en bronze doré (illustrée dans P. Hughes, The Wallace Collection. Catalogue of Furniture, Londres, 1996, vol. III, p. 1393). En outre, vers 1800, Josiah Wedgwood reprend dans sa manufacture de céramique un modèle approchant ; une aiguière en basalte est illustrée dans H. J. McCormick et al., Vasemania. Neoclassical form and ornament in Europe, New York, 2004, p. 93.
On connaît par ailleurs un certain nombre de modèles approchants. Parmi ceux-ci, on peut citer les aiguières en bronze patiné et bronze doré du musée Nissim de Camondo (illustrées dans Pierre Kjellberg, Objets montés du Moyen Age à nos jours, Paris, 2000, p. 149).
PAUL I ET MARIA FEODOROVNA
Paul Ier de Russie (1754-1801) fut empereur de Russie de 1796 à sa mort en 1801. Auparavant, il avait épousé Wilhelmine de Hesse-Darmstadt. Après la mort de cette dernière en 1775, il se marie avec Sophie-Dorothée de Wurtemberg. Cette dernière sera baptisée en russe Maria Feodorovna. A la naissance du premier des petits-enfants, Catherine II lui donna le domaine de Pavlovsk. En 1783, l'impératrice lui offre une autre propriété, à Gatchina.
L'ACHAT EN 1782
Les présentes aiguières ont quasi certainement été achetées par le futur tsar Paul 1er et son épouse lors de leur séjour en France en 1782. Ce séjour s'inscrit dans le cadre d'un long voyage en Europe qui commence dès septembre 1781 et s'achève en novembre 1782.
Ils voyagent sous les pseudonymes de Comte et Comtesse du Nord. Cet anonymat avait été exigé par l'impératrice elle-même, afin notamment de permettre à son fils et à sa belle fille de voyager quelque peu à l'écart des contraintes du protocole.
Après avoir parcouru l'Autriche puis l'Italie, les futurs souverains gagnent la France. La partie française de leur voyage est particulièrement bien documentée grâce aux mémoires de la baronne d'Oberkirch (1754-1803). Cette dernière, amie d'enfance de Dorothée de Wurtemberg -devenue Maria Feodorovna-, l'accompagne tout au long de ce séjour et le décrit avec de nombreux détails. Après un passage à Lyon où ils achètent des soieries pour Pavlovsk, ils gagnent Paris le 18 mai 1782 et ils y séjournent un mois.
Lors de ce séjour, les futurs souverains voient les portes des plus beaux intérieurs s'ouvrir à eux. Ils ont ainsi l'occasion de découvrir les collections du duc de Penthièvre à Sceaux, du Prince de Condé à Chantilly, du marquis de Marigny à Ménars, Reynière. La baronne d'Oberkirch narre une des ces journées: "Madame la comtesse du Nord [Maria Feodorovna] me conduisit avec elle visiter plusieurs maisons fameuses par la beauté et la richesse de leurs ameublements. Nous passâmes plusieurs heures à examiner ces belles choses ; j'en avais mal à la tête, et je n'ai pu me les rappeler toutes" (Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789, Paris, 1989, p. 286). Nul doute que leur goût pour les objets d'art français ait été encouragé et accentué par ces nombreuses visites. Soulignons d'ailleurs que les futurs souverains maniaient le français avec aisance.
Le tsarévitch et son épouse reçoivent des objets d'art somptueux et font également des achats considérables. Découvrant les manufactures, ils visitent d'abord celle des Gobelins. Peu de temps après, ils achètent pour trois cent mille livres de porcelaine à la manufacture de Sèvres.
Ils visitent les ateliers des plus grands artistes, parmi lesquels ceux de Jean-Baptiste Greuze, d'Hubert Robert, de Jean-Antoine Houdon ou encore de Claude Joseph Vernet.
En outre, Maria Feodorovna et sa dame de compagnie madame de Beckendorf visitent tout ce que la capitale compte de boutiques. La baronne d'Oberkirch décrit ainsi une journée : "Le 28 mai, madame de Beckendorf vient me prendre de bonne heure, et nous courûmes toute la matinée les marchands. Nous restâmes plusieurs heures au Petit Dunkerke. En sortant de la comédie, nous retournâmes chez les ébénistes et les quincaillers. Nous y vîmes les plus belles choses du monde." (op. cit., p. 233-234). Ils rendent visite à Ericourt -qui est ébéniste et marchand- et font des achats d'oeœuvres de Martin Carlin, d'Adam Weisweiler ou encore de Georges Jacob.
Les achats des futurs souverains sont exposés sur deux étages de l'ambassade de Russie -où ils résident-. Les objets y sont exposés avec mention de leur prix, afin que l'on puisse mesurer la magnificence de leurs acquisitions.
On sait qu'une partie au moins des achats d'objets d'art du tsarévitch et de sa femme sont expédiés à Rouen afin d'être embarqués sur le navire La Bonne Union en direction de Saint Petersourg (A. N. Guzanov, The Grand Tour of the Comte and Comtesse du Nord, in Pavlovsk. The Palace and the Park, Paris, 1993, p. 33.
Le 6 octobre 1823, l'empereur Alexandre Ier fait transférer les aiguières du palais d'Hiver de Saint Petersbourg à Peterhof. Elles sont illustrées en 1905 à Peterhof dans Les Trésors d'Art en Russie.
PETERHOF
Le palais de Peterhof, qui surplombe le golfe de Finlande, un peu à l'écart de Saint Petersbourg est connu comme le Versailles russe. C'est en effet après un voyage en France que le tsar Pierre le Grand ordonna de faire élever un palais grandiose qui dépasserait celui qu'il avait admiré en France. Les travaux débutèrent en 1714 et s'achevèrent en 1723. Le Grand Palais, bâtiment principal aux dimensions considérables, surplombe un jardin remarquable, comprenant en particulier une grande cascade copiée d'après celle construite pour Louis XIV au château de Marly.
LEUR CESSION
Les présentes aiguières ont été cédées par l'Union Soviétique dans le cadre des ventes massives d'oeœuvres d'art de l'entre deux guerres. En effet, à la fin des années 1920, la Russie met en place une industrialisation forcée qui exige l'achat à l'étranger d'équipements et même de matières premières destinées aux géants de l'industrie. Parallèlement, la situation dramatique du pays exige des importations massives d'autres biens. Mais les liquidités (en devises et en or) du pays sont à sec.
Dans ce contexte dramatique, le Politburo cherche fiévreusement des sources de devises pour financer le développement de l'industrie. L'exportation d'objets d'art et d'antiquités est rapidement considérée comme LA solution. Ces cessions ont été étudiées en particulier dans Elena A. Osokina, "De l'or pour l'industrialisation. La vente d'objets d'art par l'URSS en France pendant la période des plans quinquennaux de Staline" in Cahiers du Monde russe, 41/1, Janvier-mars 2000, pp. 5-40. Si les ventes d'oeuvres d'art avaient commencé dès le début des années 1920, ce n'est qu'à partir de 1927 qu'elles s'amplifient. Elles supposent toute une organisation, notamment pour la confiscation des oeœuvres d'art.
En 1927, le Sovnarkom propose "d'organiser l'exportation hors d'URSS d'objets d'antiquités et d'objets de luxe, à savoir : meubles anciens, objets domestiques, objets de culte, bronze, porcelaine, cristal, argent, brocart, tapis, tapisseries, tableaux, autographes, pierres fines d'origine russe, objets d'artisanat et autres ne présentant pas de valeur pour les musées". Ce dernier point fut vite balayé et on décida alors de procéder à la vente "des objets ayant une valeur pour les musées".
En 1928 apparaît un organisme spécial, l'Antikvariat ("Bureau principal pour l'achat et la vente d'antiquités"). Les oeœuvres cédées sont majeures, les autorités devant céder des chefs d'oeuvre pour remplir les objectifs quasi déments qu'on leur impose. Pour arriver à cela, les autorités soviétiques prennent soin d' écarter conservateurs ou historiens d'art. Pjatakov, gouverneur de la Gosbank, est des plus explicites lorsqu'il expose sont point de vue : "Pour réussir à venir à bout du sabotage de l'intelligentsia qui occupe tous les postes dans ce secteur, dans les musées, dans l'art, etc., il faut mettre à la vente et à la sélection des objets des gens qui n'y comprennent rien". L'unique objectif, dès lors, est, selon la formule consacrée, "d'obtenir une colonne de tracteurs en échange de chaque Rembrandt".
Naturellement, de telles exportations étaient confidentielles. Elles furent d'ailleurs longtemps cachées et, même après la mort de Staline, on attribuait à la guerre, aux incendies et autres catastrophes naturelles la perte de la partie du patrimoine des musées -que l'on avait monnayée-. Encore aujourd'hui, elles revêtent un certain caractère polémique. Certains historiens estiment qu'elles n'étaient justifiées que par la nécessité d'industrialiser le pays tandis que d'autres soutiennent qu'à cette nécessité avérée s'ajoutait également celle d'acheter du blé à l'étranger.…
Etant donné les objectifs considérables, les autorités recherchent des intermédiaires puissants. L'antiquaire Germain Seligman (fils de Jacques Seligman) est rapidement sollicité, notamment en raison des liens antérieurs de sa maison avec la Russie tsariste. Conscient que la Russie disposait à l'époque de la plus grande collection d'art français du XVIIIe siècle hors de France, Seligman se rend à Moscou (cf. Germain Seligman, Merchants of art, 1880-1960 : Eighty years of professional collecting, New York, 1960, pp. 169-196).
Parmi les collectionneurs, le fondateur de l'Iraq Petroleum Company, Calouste Gulbenkian (1869-1955), se singularise vite. Pas moins de quatre séries de transactions entre le collectionneur et l'Antikavariat seront organisées, entre 1928 et 1930. Il fait l'acquisition de chefs d'oeœuvre : peintures, sculptures, pièces d'orfèvrerie. Mais s'il peut grâce à ces transactions bâtir une collection fabuleuse, il déplore ces cessions. Dans une étonnante franchise, il écrit à son interlocuteur soviétique : "Vous savez que j'ai toujours soutenu la thèse que les objets qui sont dans vos musées depuis de longues années ne doivent pas être vendus, car non seulement ils représentent un patrimoine national, mais ils constituent encore un grand fond d'éducation, en même temps qu'une grande fierté pour la nation, et aussi, parce que, si leur vente venait à s'ébruiter, il serait ainsi porté atteinte au crédit de votre gouvernement." (José de Azeredo Perdigao, Calouste Gulbenkian Collectionneur, Lisbonne, 1979, p. 121)
En outre, des transactions majeures sont conclues avec le secrétaire d'État au Trésor américain et collectionneur Andrew Mellon (1855-1937), dont un groupe de 21 chefs d'oeœuvre de l'Ermitage, désormais exposé à la National Gallery à Washington. Aux côtés d'oeœuvres de Botticelli ou du Titien, cet ensemble ne comprenait pas moins de deux Raphaël, quatre Antoine van Dyck, et cinq Rembrandt!
Les besoins de devises sont tels qu'on en vient à organiser des ventes aux enchères. A Berlin, la maison Rudolph Lepke disperse des trésors. Les présentes aiguières n'apparaissent dans aucune de ces ventes.
En raison du contexte boursier et économique, les transactions d'oeuvres d'art ne se font pas dans un cadre très favorable à l'URSS. Aussi, les rentrées de devises furent somme toute relativement marginales pour le pays tandis que le préjudice porté aux musées russes, et en particulier à l'Ermitage, fut énorme.
DUVEEN
Il est en fait probable que les présentes aiguières aient été vendues au célèbre marchand Joseph Duveen (1869-1939), impliqué dans des transactions majeures avec l'Union Soviétique. Si Lord Duveen est surtout associé avec les tableaux de maîtres anciens, il n'en demeure pas moins qu'il a commencé sa carrière avec la faïence de Delft, activité ensuite élargie aux arts décoratifs. Il était donc tout à fait à même de négocier tant tableaux que meubles et objets d'art.
Homme au destin remarquable, Joseph Duveen est un des plus grands marchands d'art de tous les temps. Il constitue en particulier les collections des magnats américains de l'époque, comme les Frick, Kress ou autre Mellon. Il fait rapidement le choix de ne se consacrer qu'aux oeœuvres majeures. Afin de trouver des chefsd'oeuœuvre pour ses clients, Duveen s'est rapidement impliqué dans les transactions avec l'Union Soviétique ; il se retrouva en particulier impliqué dans un imbroglio juridico-fiscal avec Mellon (S. N. Behrman, Duveen, Londres, 1953, p. 149 et s.).
plusieurs pièces majeures référencées, originellement dans les collections impériales et ultérieurement négociées par Duveen. Citons en premier lieu un secrétaire de Weisweiler, orné de plaques de porcelaine de Sèvres, figurant dans la vente Christie's, New York, 21 Octobre 1997, lot 256. Très probablement acheté par Maria Feodorovna et son époux lors de leur visite parisienne, il gagne Pavlovsk. Par descendance, il reste dans les collections impériales, jusqu'à ce qu'il soit saisi par les autorités soviétiques. Il est alors vendu à Duveen en 1932 (il figure plus tard dans le collection de Mme Anne Ford Johnson). Un autre secrétaire à plaques de porcelaine est aujourd'hui au Metropolitan Museum of Arts à New York. Il ne fut pas acheté par le comte et la comtesse du Nord mais leur fut offert par les souverains français. Il est également acheté par Duveen puis vendu à F. Mannheimer (Francis J. B. Watson, The Wrightsman Collection. Furniture, Gilt Bronze and Mounted Porcelain, Carpets, New York, 1966, vol. I no. 105).
LE PORPHYRE
La roche magmatique qu'est le porphyre connaît dès l'Antiquité une considération particulière. Tant sa grande dureté que sa couleur contribuent à le rendre précieux. L'engouement pour cette pierre ne fléchit pas. Il est intéressant de souligner que l'un des premiers objets montés est justement exécuté en porphyre monté d'argent doré. Il s'agit du très célèbre Aigle de Suger, mêlant porphyre de la Rome impériale et montures françaises de la première moitié du XIIe siècle (illustré dans cat. expo., Porphyre. La Pierre Pourpre des Ptolémées aux Bonaparte, Paris, 2003, p. 85). Si la vogue du porphyre ne faiblit pas, il n'en demeure pas moins que la seconde moitié du XVIIIe siècle constitue assurément son heure de gloire. Nulle vente d'un grand amateur qui ne comprenne pas quelque buste ou vase en porphyre. Le marquis de Marigny ne se fait-il pas représenter par Roslin aux côtés d'un important vase de porphyre monté de bronze doré (illustré dans cat. expo., Porphyre. La Pierre Pourpre des Ptolémées aux Bonaparte, Paris, 2003, p. 154 ; il pourrait s'agir du vase conservé aujourd'hui au Louvre, reproduit dans D. Alcouffe et al, Les bronzes d'ameublement du Louvre, Dijon, 2004 ; p. 96)? L'engouement pour les objets de porphyre montés est tel que l'on débite des colonnes antiques afin de récupérer la précieuse pierre.
Dans la vente des collections du duc d'Aumont qui se tient juste en 1782, les experts P. F. Juliot fils et A. J. Paillet ont pris soin de faire figurer en tout premier les objets en porphyre. Juste auparavant, ils rappellent "qu'il est peu d'ornement plus imposant, plus intéressant dans l'arrangement d'un Cabinet, que celui qu'on peut y introduire par la distribution bien entendue de vases & de colonnes de belles proportions".
GOUTHIERE
Pierre Gouthière est, comme le souligne Pierre Verlet, "un virtuose des travaux de ciselure et de dorure" (P. Verlet, Les bronzes dorés français du XVIIIe siècle, Paris, 1999, p. 210). Sa vie et son oeœuvre sont plutôt bien documentés, grâce au catalogue de la vente d'Aumont -que nous verrons plus tard- et aux recherches de M. Robiquet (J. Robiquet, Gouthière. Sa vie - Son oeuvre. Essai de catalogue raisonné., Paris, 1912).
Pierre Gouthière est inscrit à la maîtrise le 13 avril 1758 comme "doreur, ciseleur, damasquineur sur tous métaux". Il est capable de créer des modèles ; il envoie en 1784 des projets de vases -datant de 1766- à Troyes pour être exposés à l'Ecole Royale de Dessin. En outre, il est réglé par les Menus-Plaisirs en 1769 pour des dessins "destinés à servir aux préparatifs du mariage" du Dauphin.
Il reçoit de prodigieuses commandes de Madame du Barry pour Louveciennes. Mais le client qui marque le plus la carrière de Gouthière est sans contestation le duc d'Aumont. Dans le catalogue de la vente après décès de ses collections, pas moins de trente-quatre objets sont présentés comme étant de sa main. Parmi ceux-ci, trois sont achetés pour Marie-Antoinette et vingt pour Louis XVI. Le monarque les destine au futur Musée du Louvre.
Sa carrière est remarquable. Il travaille pour le Garde-Meuble de la Couronne, pour les Bâtiments du Roi, pour la manufacture de Sèvres. Mais comme de trop nombreux artisans de son époque, Gouthière se retrouve dans une situation financière tragique. Les créances impayées se multiplient alors que sa gestion est déjà déficiente. Après avoir régné dans sa spécialité, Gouthière décline et connaît une triste fin.