Lot Essay
Ce portrait de George Washington par Ary Scheffer, commandé en 1825 par le marquis de La Fayette, d'après le célébrissime tableau de Gilbert Stuart datant de 1796, constitue le plus important indice historique de la relation privilégiée unissant le président américain, le général français et le peintre d'origine hollandaise.
GEORGE WASHINGTON ET LE MARQUIS DE LA FAYETTE
Marie-Joseph de Motier, marquis de La Fayette (l'influence américaine provoquera la contraction de Lafayette) a à peine 19 ans lorsqu'il atteint pour la première fois les côtes américaines en 1776. Orphelin de père puis de mère depuis sa plus tendre enfance, héritier de la colossale fortune de son grand-père, le marquis de La Rivière, il est déjà depuis deux ans l'époux d'Adrienne de Noailles et le père d'une petite Henriette. Il s'implique dès son arrivée dans l'effort des partisans de l'Indépendance, s'illustre dans les batailles de Brandywine, Barren Hill et Monmouth, et le Congrès le nomme major-général de l'armée américaine en 1780. L'un de ses plus fidèles alliés n'est autre que George Washington qui, malgré son jeune âge, lui confie la même année le commandement des troupes de Virginie. Commence alors ce qui restera connu dans les annales de l'histoire militaire comme la campagne de Virginie: malgré des forces anglaises quatre fois supérieures en nombre, les indépendantistes parviennent à encercler l'armée du général Cornwallis, qui sera contraint de capituler après de nombreuses semaines de siège. Pour parvenir à la victoire, La Fayette n'aura pas hésité à sacrifier une partie de sa fortune, qui servira à maintenir ses soldats sous ses ordres. Les événements historiques aidant, une profonde amitié, mêlée d'admiration et de respect, se noue entre Washington et La Fayette. Lorsque le premier garçon de ce dernier naît en 1780 (voir son portrait, lot 150), il est baptisé George Washington de La Fayette, et son parrain n'est autre que son illustre homonyme. La riche correspondance entre les deux hommes témoigne de leur profond attachement, à l'image de cette dernière lettre qu'écrira Washington, avant le départ de La Fayette pour Paris en 1785: "Mon cher Marquis, depuis le moment de notre séparation sur la route et les longues heures qui ont suivi, j'ai ressenti tout cet amour, ce respect et cet attachement pour vous, inspirés par le passage des années, notre proximité et votre mérite. Je me suis souvent demandé, alors que nos calèches nous éloignaient l'un de l'autre, si j'aurais la chance de vous revoir un jour. Et bien que j'aime à me convaincre que nous aurons d'autres occasions, ma peur me dicte que c'était bien la dernière" (W.S. Randall, George Washington, a life, 1997, p. 420). Cette lettre de Washington va malheureusement s'avérer prémonitoire.
La Fayette, qui s'illustre de nouveau pendant la Révolution française, perd progressivement sa singulière popularité et sa famille devient l'une des plus persécutées sous le régime de la Terreur. Sa belle-mère et sa belle-soeur, la duchesse de Noailles et la duchesse d'Ayen, sont guillotinées. Lui-même est fait prisonnier par les Autrichiens puis par les Prussiens et, après de nombreux transferts, est interné dans la prison d'Olmütz. Alors qu'elle est protégée par le gouverneur Morris, représentant diplomatique de Washington à Paris qui lui propose de lui délivrer un passeport pour les Etats-Unis, Adrienne décide de partir avec ses deux filles, Anastasie et Virginie, rejoindre son mari en prison. Leur fils Georges Washington est quant à lui envoyé aux Etats-Unis. Son parrain se charge de l'inscrire à l'université de Harvard et, à partir de 1796, il s'installe chez le couple présidentiel et les suit à Philadelphie, puis à Mount Vernon. Le 14 décembre 1799, alors que La Fayette et sa famille, récemment libérés, attendent toujours l'autorisation d'entrer en territoire français, George Washington décède des suites d'un rhume mal soigné.
La Fayette, profondément affecté par cette perte, devra attendre 1824 pour retourner aux Etats-Unis et suivre ce qui s'apparentera à un pèlerinage, sur les traces de son mentor et ami.
LE MARQUIS DE LA FAYETTE ET ARY SCHEFFER
Sous l'Empire, La Fayette décide de se retirer avec sa famille dans son château de La Grange, en Seine-et-Marne. Son épouse Adrienne, que les rudes conditions de détention à Olmütz ont affaiblie, meurt en décembre 1807. Ses années de repli sont toutefois de courte durée. En 1818, il prend la tête de la Charbonnerie française. Dérivé du carbonarisme italien, ce mouvement, qui n'est jamais parvenu à une entière cohésion, veut éviter le retour des Bourbons au pouvoir.
Le château de la Grange devient alors le lieu de rendez-vous privilégié des membres de cette organisation secrète. Parmi eux se trouvent les frères Scheffer, peintres tous deux, Ary et Henry, âgés respectivement de 23 et 21 ans. Impressionné par Ary, jeune peintre romantique qui semble suivre les traces de Géricault, La Fayette lui demande de donner des cours de dessin et d'aquarelle à ses filles et petites-filles. Il va très vite devenir le portraitiste privilégié du marquis, qu'il aura l'occasion de représenter six fois, ainsi que l'ensemble de sa famille et amis.
Invité par le président Monroe à célébrer le cinquantième anniversaire de la Nation américaine, La Fayette entame à partir du mois d'août 1824 une longue tournée aux Etats-Unis, qui va durer jusqu'en septembre 1825. A cette occasion, il va prendre toute la mesure de sa popularité de l'autre côté de l'Atlantique, puisque dans chaque ville se reproduit la même manifestation de liesse et d'enthousiasme. Pour le remercier de son effort pendant la guerre d'Indépendance, il reçoit de la part du peuple américain deux cent mille dollars et 12 000 hectares en Floride. Il est également le premier dignitaire étranger à être invité à s'exprimer devant la tribune du Congrès, le 10 décembre 1824. Il fait quant à lui cadeau d'un portrait de lui-même par Ary Scheffer le représentant en habit civil, peint en 1823. Celui-ci aura le privilège d'être exposé dans la chambre des Représentants, construite en 1857, comme pendant d'un portrait de George Washington par John Vanderlyn, conçu en 1834.
A son retour en France, La Fayette décide de redécorer son Premier Salon pour y exposer tous ses souvenirs de ses amis américains. Si Benjamin Franklin y est aussi représenté, c'est surtout George Washington qui est placé au centre de ce "panthéon virtuel des héros de la démocratie américaine" (Kolb, pp. 85-86). Le portrait d'Ary Scheffer présenté ici est exposé au milieu du salon.
GEORGE WASHINGTON ET ARY SCHEFFER
Pour cette composition, Ary Scheffer décide de s'inspirer de Gilbert Stuart, qui fut le portraitiste attitré de George Washington. Ce dernier prenant et tenant la pose avec beaucoup de difficulté, Stuart n'eut l'occasion de le peindre d'après nature que trois fois. Ces trois versions, qui donnèrent lieu à plus de cent copies dispersées dans les divers organismes étatiques et dans des collections particulières, datent de 1795 et 1796. Celle dont s'est inspiré ici Scheffer, peinte en 1796, est connue sous le nom de Athenaeum portrait, car ayant été pendant plus d'un siècle la propriété de la bibliothèque portant ce nom.
La variante que nous offre Scheffer est clairement influencée par ses grands talents de portraitiste, prisés par Louis Philippe comme par le duc de Chartres. Il place son modèle imaginaire dans un milieu bien plus sombre que celui utilisé par Stuart, afin de mettre mieux en valeur le visage sévère mais néanmoins empathique du modèle. Le bleu de ses yeux est également davantage mis en exergue, comme pour les rendre plus vifs. La touche, quoique précise, suggère un pinceau agile et dénué de joliesse, comme le montre le foulard blanc brodé.
Ary Scheffer eut de nouveau l'occasion de peindre George Washington un peu plus tard en 1825, en imaginant un Portrait équestre de George Washington (Rhode Island, Museum of Art, 46 x 28,6 cm.). Le général y est représenté plus jeune, monté sur un cheval blanc, dans la veine du maître de Scheffer, Théodore Géricault.
Apparaissant pour la première fois en vente, le Portrait de George Washington par Ary Scheffer nous replonge dans cette période fascinante, à cheval entre les XVIIIème et XIXème siècles, et humanise ces grandes figures historiques, qui furent également des hommes d'une grande richesse morale.
ARY SCHEFFER (DORDRECHT 1795 - 1858 ARGENTEUIL)
Portrait of George Washington, after Gilbert Stuart
signed and dated 'A. Scheffer 1825' (lower left)
oil on canvas, unlined
73.1 x 60 cm.
This portrait of George Washington by Ary Scheffer, commissioned in 1825 by the General Lafayette, after the famous painting by Gilbert Stuart from 1796, historically establishes the important bond linking the American president, the French General and the Dutch painter.
GEORGE WASHINGTON AND GENERAL LAFAYETTE
Marie-Joseph de Motier, marquis of La Fayette (the American influence will lead to the Lafayette contraction) was only 19 years old when he reached the American shores for the first time, in 1776. Fatherless, and soon after motherless, since his early childhood, heir of his grandfather's important fortune, he had already been married for 2 years to Adrienne de Noailles and had fathered a little Henriette. He was involved early on in the effort for Independence and achieved fame with the battles of Brandywine, Barren Hill and Monmouth. In 1780, the Congress appointed him Major-General. One of his main supporters was George Washington who entrusted him with the command of the Virginia troops in spite of his young age. This opportunity would give Lafayette the opportunity to distinguish himself with what would later be known in historical annals as the siege of Yorktown: against a British army four times larger than his own, he managed to force General Cornwallis to capitulate after weeks of siege. In order to achieve victory, Lafayette willingly sacrificed a substantial part of his fortune to pay his troops himself and keep the men under his orders.
Throughout these events, a profound friendship made of admiration and respect develops between Washington and Lafayette. When Lafayette's first son was born in 1780, he was baptised George Washington de Lafayette, and his godfather was no other than the man who bore the same name. The numerous correspondence between the two men enlightens us on their commitment to each other, as showed by this letter that Washington wrote to Lafayette, before his departure for France in 1785: "My dear Marquis, in the moment of our separation upon the road as I traveled and every hour since I felt all that love, respect and attachment for you with which length of years, close connection and your merits have inspired me. I often asked myself, as our carriages distanced itself; whether that was the last sight I ever should have of you. And though I wished to say no, my fear answered yes" (W.S. Randall, George Washington, a life, 1997, p. 420). The conclusion of this letter would unfortunately turn out to be true.
Lafayette, who also became a hero in his native country during the French revolution, progressively lost his outstanding popularity, and his family was persecuted during the reign of Terror. His mother-in-law and sister-in-law, the duchess of Noailles and duchess of Ayen, were decapitated. Lafayette himself was captured by the Austrians, who delivered him to the Prussians and ended up, after many relocations in the prison of Olmütz. His wife Adrienne, would could have fled to the United States thanks to governor Morris, George Washington's diplomat in France, decided to join her husband in prison, along with her daughters Anastasie and Virginie. Their son George Washington was sent to America, to study at Harvard University. He settled in his godfather's house in Philadelphia and moved with him and his family to Mount Vernon a few months later. On December 14th 1799, while the Lafayette family, recently released from prison, was waiting to return to France, George Washington died. Lafayette, deeply saddened by this loss, would have to wait until 1824 to revisit the United States.
GENERAL LAFAYETTE AND ARY SCHEFFER
During the Napoleonic Empire, Lafayette decided to step down from politics and retire to his property of La Grange, in the Seine-et-Marne. His wife Adrienne, whose health was damaged by the conditions of detention in Olmütz, died in December 1807. It was not until 1818 that he decided to return as one of the leaders of the French Charbonnerie, a movement that opposed the return to power of the Bourbons.
La Grange became the one of the meeting places of this secret society. Among its members, there were the brothers Ary and Henry Scheffer, both painters, respectively 23 and 21 years-old. Impressed by Ary, young Romantic painter strongly influenced by Théodore Géricault, Lafayette asked him to deliver drawing lessons to his daughters and grand-daughters. He quickly became the general's favourite painter and was given the opportunity to portray him six times and have many of Lafayette's family members and friends pose for him.
Invited by President James Monroe to celebrate the fiftieth birthday of the American Nation, Lafayette left France in August 1824 and initiated a 13 month tour in America. His immense popularity on the other side of the Atlantic Ocean suddenly dawned on him and he was welcomed with great enthusiasm in each city which he visited. To thank him for his contribution to the War of Independence, he was awarded the sum of $200,000 and a township of land located in Tallahassee, Florida by the U.S. Congress. On December 10th, 1824, he became the first foreign dignitary to address the nation from the Congressional tribune. The same day, he presented a full length portrait of himself by Ary Scheffer to the House of Representatives. In 1857, this portrait would be hung in the new House of Representatives as the pendant of that of George Washington by John Vanderlyn.
Upon his return to France Lafayette decided to redecorate the main salon of La Grange and exhibit souvenirs of his American friends and exploits. He thus created a "virtual pantheon of the heroes of American democracy" in which one could see Benjamin Franklin, among others, with of course the present portrait of George Washington by Ary Scheffer hanging as a centrepiece.
GEORGE WASHINGTON AND ARY SCHEFFER
For this composition, Ary Scheffer decided to work after Gilbert Stuart, who was one of George Washington's official painters. Washington not being a very cooperative model, Stuart had only three short opportunities to paint him from life. The resulting three versions, which inspired hundreds of copies, were painted between 1795 and 1796. Ary Scheffer chose to work after the Athenaeum portrait, thus called as it was hung for more than a century in the Athenaeum library in Boston (fig. 2).
Ary Scheffer's variant is clearly influenced by his immense talent as a portraitist. He was greatly admired by Louis Philippe and was, at the time the art teacher to two of his children. Scheffer places his imaginary model in a much darker background than that in the Stuart portrait, and thus emphasizes the General's strict, yet empathetic face whose blue eyes are also highlighted. The brushwork, although precise, is agile and realistic, as the details of the white scarf suggests.
Ary Scheffer had the opportunity to depict George Washington one more time, later in 1825. He imagined an Equestrian portrait of George Washington (Rhode Island Museum of Art, 46 x 28,6 cm.). The general is portrayed younger, riding a white horse, in the spirit of Scheffer's mentor, Théodore Géricault.
This Portrait of George Washington, which appears at auction for the first time, gives us the opportunity to immerse ourselves in a fascinating and romanesque trans-Atlantic political, military, and artistic dialogue.
GEORGE WASHINGTON ET LE MARQUIS DE LA FAYETTE
Marie-Joseph de Motier, marquis de La Fayette (l'influence américaine provoquera la contraction de Lafayette) a à peine 19 ans lorsqu'il atteint pour la première fois les côtes américaines en 1776. Orphelin de père puis de mère depuis sa plus tendre enfance, héritier de la colossale fortune de son grand-père, le marquis de La Rivière, il est déjà depuis deux ans l'époux d'Adrienne de Noailles et le père d'une petite Henriette. Il s'implique dès son arrivée dans l'effort des partisans de l'Indépendance, s'illustre dans les batailles de Brandywine, Barren Hill et Monmouth, et le Congrès le nomme major-général de l'armée américaine en 1780. L'un de ses plus fidèles alliés n'est autre que George Washington qui, malgré son jeune âge, lui confie la même année le commandement des troupes de Virginie. Commence alors ce qui restera connu dans les annales de l'histoire militaire comme la campagne de Virginie: malgré des forces anglaises quatre fois supérieures en nombre, les indépendantistes parviennent à encercler l'armée du général Cornwallis, qui sera contraint de capituler après de nombreuses semaines de siège. Pour parvenir à la victoire, La Fayette n'aura pas hésité à sacrifier une partie de sa fortune, qui servira à maintenir ses soldats sous ses ordres. Les événements historiques aidant, une profonde amitié, mêlée d'admiration et de respect, se noue entre Washington et La Fayette. Lorsque le premier garçon de ce dernier naît en 1780 (voir son portrait, lot 150), il est baptisé George Washington de La Fayette, et son parrain n'est autre que son illustre homonyme. La riche correspondance entre les deux hommes témoigne de leur profond attachement, à l'image de cette dernière lettre qu'écrira Washington, avant le départ de La Fayette pour Paris en 1785: "Mon cher Marquis, depuis le moment de notre séparation sur la route et les longues heures qui ont suivi, j'ai ressenti tout cet amour, ce respect et cet attachement pour vous, inspirés par le passage des années, notre proximité et votre mérite. Je me suis souvent demandé, alors que nos calèches nous éloignaient l'un de l'autre, si j'aurais la chance de vous revoir un jour. Et bien que j'aime à me convaincre que nous aurons d'autres occasions, ma peur me dicte que c'était bien la dernière" (W.S. Randall, George Washington, a life, 1997, p. 420). Cette lettre de Washington va malheureusement s'avérer prémonitoire.
La Fayette, qui s'illustre de nouveau pendant la Révolution française, perd progressivement sa singulière popularité et sa famille devient l'une des plus persécutées sous le régime de la Terreur. Sa belle-mère et sa belle-soeur, la duchesse de Noailles et la duchesse d'Ayen, sont guillotinées. Lui-même est fait prisonnier par les Autrichiens puis par les Prussiens et, après de nombreux transferts, est interné dans la prison d'Olmütz. Alors qu'elle est protégée par le gouverneur Morris, représentant diplomatique de Washington à Paris qui lui propose de lui délivrer un passeport pour les Etats-Unis, Adrienne décide de partir avec ses deux filles, Anastasie et Virginie, rejoindre son mari en prison. Leur fils Georges Washington est quant à lui envoyé aux Etats-Unis. Son parrain se charge de l'inscrire à l'université de Harvard et, à partir de 1796, il s'installe chez le couple présidentiel et les suit à Philadelphie, puis à Mount Vernon. Le 14 décembre 1799, alors que La Fayette et sa famille, récemment libérés, attendent toujours l'autorisation d'entrer en territoire français, George Washington décède des suites d'un rhume mal soigné.
La Fayette, profondément affecté par cette perte, devra attendre 1824 pour retourner aux Etats-Unis et suivre ce qui s'apparentera à un pèlerinage, sur les traces de son mentor et ami.
LE MARQUIS DE LA FAYETTE ET ARY SCHEFFER
Sous l'Empire, La Fayette décide de se retirer avec sa famille dans son château de La Grange, en Seine-et-Marne. Son épouse Adrienne, que les rudes conditions de détention à Olmütz ont affaiblie, meurt en décembre 1807. Ses années de repli sont toutefois de courte durée. En 1818, il prend la tête de la Charbonnerie française. Dérivé du carbonarisme italien, ce mouvement, qui n'est jamais parvenu à une entière cohésion, veut éviter le retour des Bourbons au pouvoir.
Le château de la Grange devient alors le lieu de rendez-vous privilégié des membres de cette organisation secrète. Parmi eux se trouvent les frères Scheffer, peintres tous deux, Ary et Henry, âgés respectivement de 23 et 21 ans. Impressionné par Ary, jeune peintre romantique qui semble suivre les traces de Géricault, La Fayette lui demande de donner des cours de dessin et d'aquarelle à ses filles et petites-filles. Il va très vite devenir le portraitiste privilégié du marquis, qu'il aura l'occasion de représenter six fois, ainsi que l'ensemble de sa famille et amis.
Invité par le président Monroe à célébrer le cinquantième anniversaire de la Nation américaine, La Fayette entame à partir du mois d'août 1824 une longue tournée aux Etats-Unis, qui va durer jusqu'en septembre 1825. A cette occasion, il va prendre toute la mesure de sa popularité de l'autre côté de l'Atlantique, puisque dans chaque ville se reproduit la même manifestation de liesse et d'enthousiasme. Pour le remercier de son effort pendant la guerre d'Indépendance, il reçoit de la part du peuple américain deux cent mille dollars et 12 000 hectares en Floride. Il est également le premier dignitaire étranger à être invité à s'exprimer devant la tribune du Congrès, le 10 décembre 1824. Il fait quant à lui cadeau d'un portrait de lui-même par Ary Scheffer le représentant en habit civil, peint en 1823. Celui-ci aura le privilège d'être exposé dans la chambre des Représentants, construite en 1857, comme pendant d'un portrait de George Washington par John Vanderlyn, conçu en 1834.
A son retour en France, La Fayette décide de redécorer son Premier Salon pour y exposer tous ses souvenirs de ses amis américains. Si Benjamin Franklin y est aussi représenté, c'est surtout George Washington qui est placé au centre de ce "panthéon virtuel des héros de la démocratie américaine" (Kolb, pp. 85-86). Le portrait d'Ary Scheffer présenté ici est exposé au milieu du salon.
GEORGE WASHINGTON ET ARY SCHEFFER
Pour cette composition, Ary Scheffer décide de s'inspirer de Gilbert Stuart, qui fut le portraitiste attitré de George Washington. Ce dernier prenant et tenant la pose avec beaucoup de difficulté, Stuart n'eut l'occasion de le peindre d'après nature que trois fois. Ces trois versions, qui donnèrent lieu à plus de cent copies dispersées dans les divers organismes étatiques et dans des collections particulières, datent de 1795 et 1796. Celle dont s'est inspiré ici Scheffer, peinte en 1796, est connue sous le nom de Athenaeum portrait, car ayant été pendant plus d'un siècle la propriété de la bibliothèque portant ce nom.
La variante que nous offre Scheffer est clairement influencée par ses grands talents de portraitiste, prisés par Louis Philippe comme par le duc de Chartres. Il place son modèle imaginaire dans un milieu bien plus sombre que celui utilisé par Stuart, afin de mettre mieux en valeur le visage sévère mais néanmoins empathique du modèle. Le bleu de ses yeux est également davantage mis en exergue, comme pour les rendre plus vifs. La touche, quoique précise, suggère un pinceau agile et dénué de joliesse, comme le montre le foulard blanc brodé.
Ary Scheffer eut de nouveau l'occasion de peindre George Washington un peu plus tard en 1825, en imaginant un Portrait équestre de George Washington (Rhode Island, Museum of Art, 46 x 28,6 cm.). Le général y est représenté plus jeune, monté sur un cheval blanc, dans la veine du maître de Scheffer, Théodore Géricault.
Apparaissant pour la première fois en vente, le Portrait de George Washington par Ary Scheffer nous replonge dans cette période fascinante, à cheval entre les XVIIIème et XIXème siècles, et humanise ces grandes figures historiques, qui furent également des hommes d'une grande richesse morale.
ARY SCHEFFER (DORDRECHT 1795 - 1858 ARGENTEUIL)
Portrait of George Washington, after Gilbert Stuart
signed and dated 'A. Scheffer 1825' (lower left)
oil on canvas, unlined
73.1 x 60 cm.
This portrait of George Washington by Ary Scheffer, commissioned in 1825 by the General Lafayette, after the famous painting by Gilbert Stuart from 1796, historically establishes the important bond linking the American president, the French General and the Dutch painter.
GEORGE WASHINGTON AND GENERAL LAFAYETTE
Marie-Joseph de Motier, marquis of La Fayette (the American influence will lead to the Lafayette contraction) was only 19 years old when he reached the American shores for the first time, in 1776. Fatherless, and soon after motherless, since his early childhood, heir of his grandfather's important fortune, he had already been married for 2 years to Adrienne de Noailles and had fathered a little Henriette. He was involved early on in the effort for Independence and achieved fame with the battles of Brandywine, Barren Hill and Monmouth. In 1780, the Congress appointed him Major-General. One of his main supporters was George Washington who entrusted him with the command of the Virginia troops in spite of his young age. This opportunity would give Lafayette the opportunity to distinguish himself with what would later be known in historical annals as the siege of Yorktown: against a British army four times larger than his own, he managed to force General Cornwallis to capitulate after weeks of siege. In order to achieve victory, Lafayette willingly sacrificed a substantial part of his fortune to pay his troops himself and keep the men under his orders.
Throughout these events, a profound friendship made of admiration and respect develops between Washington and Lafayette. When Lafayette's first son was born in 1780, he was baptised George Washington de Lafayette, and his godfather was no other than the man who bore the same name. The numerous correspondence between the two men enlightens us on their commitment to each other, as showed by this letter that Washington wrote to Lafayette, before his departure for France in 1785: "My dear Marquis, in the moment of our separation upon the road as I traveled and every hour since I felt all that love, respect and attachment for you with which length of years, close connection and your merits have inspired me. I often asked myself, as our carriages distanced itself; whether that was the last sight I ever should have of you. And though I wished to say no, my fear answered yes" (W.S. Randall, George Washington, a life, 1997, p. 420). The conclusion of this letter would unfortunately turn out to be true.
Lafayette, who also became a hero in his native country during the French revolution, progressively lost his outstanding popularity, and his family was persecuted during the reign of Terror. His mother-in-law and sister-in-law, the duchess of Noailles and duchess of Ayen, were decapitated. Lafayette himself was captured by the Austrians, who delivered him to the Prussians and ended up, after many relocations in the prison of Olmütz. His wife Adrienne, would could have fled to the United States thanks to governor Morris, George Washington's diplomat in France, decided to join her husband in prison, along with her daughters Anastasie and Virginie. Their son George Washington was sent to America, to study at Harvard University. He settled in his godfather's house in Philadelphia and moved with him and his family to Mount Vernon a few months later. On December 14th 1799, while the Lafayette family, recently released from prison, was waiting to return to France, George Washington died. Lafayette, deeply saddened by this loss, would have to wait until 1824 to revisit the United States.
GENERAL LAFAYETTE AND ARY SCHEFFER
During the Napoleonic Empire, Lafayette decided to step down from politics and retire to his property of La Grange, in the Seine-et-Marne. His wife Adrienne, whose health was damaged by the conditions of detention in Olmütz, died in December 1807. It was not until 1818 that he decided to return as one of the leaders of the French Charbonnerie, a movement that opposed the return to power of the Bourbons.
La Grange became the one of the meeting places of this secret society. Among its members, there were the brothers Ary and Henry Scheffer, both painters, respectively 23 and 21 years-old. Impressed by Ary, young Romantic painter strongly influenced by Théodore Géricault, Lafayette asked him to deliver drawing lessons to his daughters and grand-daughters. He quickly became the general's favourite painter and was given the opportunity to portray him six times and have many of Lafayette's family members and friends pose for him.
Invited by President James Monroe to celebrate the fiftieth birthday of the American Nation, Lafayette left France in August 1824 and initiated a 13 month tour in America. His immense popularity on the other side of the Atlantic Ocean suddenly dawned on him and he was welcomed with great enthusiasm in each city which he visited. To thank him for his contribution to the War of Independence, he was awarded the sum of $200,000 and a township of land located in Tallahassee, Florida by the U.S. Congress. On December 10th, 1824, he became the first foreign dignitary to address the nation from the Congressional tribune. The same day, he presented a full length portrait of himself by Ary Scheffer to the House of Representatives. In 1857, this portrait would be hung in the new House of Representatives as the pendant of that of George Washington by John Vanderlyn.
Upon his return to France Lafayette decided to redecorate the main salon of La Grange and exhibit souvenirs of his American friends and exploits. He thus created a "virtual pantheon of the heroes of American democracy" in which one could see Benjamin Franklin, among others, with of course the present portrait of George Washington by Ary Scheffer hanging as a centrepiece.
GEORGE WASHINGTON AND ARY SCHEFFER
For this composition, Ary Scheffer decided to work after Gilbert Stuart, who was one of George Washington's official painters. Washington not being a very cooperative model, Stuart had only three short opportunities to paint him from life. The resulting three versions, which inspired hundreds of copies, were painted between 1795 and 1796. Ary Scheffer chose to work after the Athenaeum portrait, thus called as it was hung for more than a century in the Athenaeum library in Boston (fig. 2).
Ary Scheffer's variant is clearly influenced by his immense talent as a portraitist. He was greatly admired by Louis Philippe and was, at the time the art teacher to two of his children. Scheffer places his imaginary model in a much darker background than that in the Stuart portrait, and thus emphasizes the General's strict, yet empathetic face whose blue eyes are also highlighted. The brushwork, although precise, is agile and realistic, as the details of the white scarf suggests.
Ary Scheffer had the opportunity to depict George Washington one more time, later in 1825. He imagined an Equestrian portrait of George Washington (Rhode Island Museum of Art, 46 x 28,6 cm.). The general is portrayed younger, riding a white horse, in the spirit of Scheffer's mentor, Théodore Géricault.
This Portrait of George Washington, which appears at auction for the first time, gives us the opportunity to immerse ourselves in a fascinating and romanesque trans-Atlantic political, military, and artistic dialogue.