Lot Essay
... au Sud
Le second objet, d'une stature plus imposante, mais qui ne cède en rien sur la qualité nous illustre une autre vision de l'art dit Kota. A l'instar de ces étranges dessins, qui, suivant que l'on cligne ou non des yeux, donnent à voir tantôt une jeune femme ou le portrait d'une vieille dame, cet objet offre plusieurs lectures.
On ne peut que s'émerveiller devant la magnifique précision, la force incisive de la sculpture, l'utilisation d'une évidente symé trie alliée à de subtiles asymétries, la lisibilité de son abstraction.
Pourtant, l'expression même de la statue, emprunte de sévérité, force une certaine inquiétude. L'intensité du regard, sphères brillantes logées dans l'ombre de larges orbites, l'arcade sourcilière amplifiée, un discret rétrécissement au niveau des tempes semblent sous tendre une menace mortifère.
Attraction et répulsion: il est rare qu'une oeuvre dite "kota" (l'objet est en fait probablement ndassa [6]) rende aussi intelligible nos yeux occidentaux l'ambivalence attachée au reliquaire.
Il incarne tous les espoirs fondés dans une construction magique censée être source de succès et de bonheur pour la communauté, mais aussi les craintes que l'on peut ressentir envers un monde invisible et pas toujours animé de bonnes intentions.
Qu'un naïf, qu'un non initié s'approche, aperçoive, ou pire: s'empare du reliquaire et à coup sûr il se produira des malheurs qu'il faudra conjurer par de coûteux rituels.
Donner un aspect redoutable à la statue chargée de garder le reliquaire peut sans doute tenir lieu d'avertissement. Toutefois, il s'agit plus d'un rappel que d'autre chose, car nul n'ignore les risques qu'il encourt. Par contre, et de façon bien plus subtile, il est plausible [7] qu'au curieux, à celui qui oserait passer outre et défier le danger, le gardien offre sa beauté en un fascinant spectacle. En focalisant l'attention, voire le désir, le gardien détourne ainsi de l'essence du reliquaire.
Ainsi se défini le rôle du gardien de reliquaire, censé garder non seulement mystiquement mais également dans le monde réel le panier de reliques placé sous lui.
Cet objet est à placer au sein d'un corpus probablement issu d'une même région et partageant les mêmes caractéristiques principales: un visage au front bombé, l'absence du cimier en forme de croissant habituellement observé, des parties latérales construisant un motif en forme de coeur et se terminant sur des extensions construites dans le même plan, rondes, en "queue de canard" ou simplement rectangulaires.
Ce corpus est relativement important (3,6 du corpus général, soit environ 75 oeuvres sur les 2080 recensées par l'Université de Yale), toutefois il convient d'y noter la présence d'une moitié d'oeuvres produites dans les années 1920-1930 et de nettement moindre qualité qui gonfle artificiellement ce chiffre.
Pour illustrer la diversité du corpus, je reprendrai sur un dessin huit oeuvres (de gauche à droite): une figure de reliquaire collectée in situ avant 1914 (Yale #0025126), un objet illustrant la production du XXe siècle (collecté avant 1930, Yale #0054384), une figure de reliquaire issue des collections du Musée Dapper (ancienne collection Max Itzikovitz, Yale #0022792), une figure issue des collections du Dallas Museum of Art (ancienne collection G. et F. Schindler, Yale #0020071), une figure de l'ancienne collection Pierre Vérité (Yale #0025320), une figure issue des collections du Detroit Institute of Arts (Yale #0004480), une autre issue de l'ancienne collection Reste de Rocca, gouverneur de l'AOF et collectée avant 1939 (Yale #0025122) et enfin la figure de reliquaire qui nous intéresse (Yale #0017859) [9].
Les objets étant représentés à l'échelle, on notera les dimensions exceptionnelles de l'exemplaire proposé, ainsi que ses hautes qualités esthétiques.
L'évidente ancienneté alliée à la taille exceptionnelle du gardien proposé (il s'agit d'une des plus grandes figures de reliquaire ndassa connue) en font un objet précieux ayant vraisemblablement appartenu à une communauté villageoise puissante à même de faire réaliser la sculpture par un maître de grand talent. De tels sculpteurs avaient une vaste renommée qui s'é tendait même au-delà de leur propre tribu [8].
Il ne me semble donc pas exagéré de conclure que tant à nos yeux qu'aux leurs, cet objet représente l'un des plus grands trésors de la culture ndassa-"kota".
Frédéric Cloth
[6] Andersson (Efraim), idem, 1974, Perrois (Louis), "Arts du Gabon, Les arts plastiques du bassin de l'Ogooué", éd. Arts d'Afrique Noire (Arnouville, France), 1979. Tout deux notent la spécificité d'une absence de cimier pour les figures de reliquaire de la rgion de Sibiti/Mossendjo qui sont habituellement attribuées au ndassa (on mentionnera toutefois la quasi absence de ndassa dans cette région sur la carte ethnique établie par Marcel Soret en 1955).
[7] Bonhomme (Julien): "Le miroir et le crâne, Parcours initiatique du Bwete Misoko (Gabon)", CNRS éditions, Paris, France, 2005, dans cet ouvrage reprenant largement son travail de thèse de 2003 et décrivant par le menu le parcours initiatique qu'il a lui-même suivi, Julien Bonhomme explicite ce mécanisme pour le bwete des Tsogho.
[8] Collectif: "The Way of the Ancestors", Fondation Dapper (Paris, France), 1986. Fait établis par les travaux, malheureusement peu publiés, du Docteur Jean-Claude Andrault.
[9] Corpus et informations des dessins en illustration sélectionnés parmi les objets recensés dans la Yale Guy van Rijn Archive of African Art.
Cet objet exceptionnel, à la provenance prestigieuse, a toutes les qualités du grand art Kota. Son type rare (groupe 8, sous groupe 3, cf. Chaffin, op cit, p. 144), et ses proportions éclatées extrêmement généreuses sont la marque de maîtrise du sculpteur qui le créa. Les détails ornementaux des parties latérales sont superbes. De plus, la poignée de fer sous le menton est rare dans le corpus Kota. Cet objet, par sa facture et sa patine, est une oeuvre du XIXème siècle.
Le second objet, d'une stature plus imposante, mais qui ne cède en rien sur la qualité nous illustre une autre vision de l'art dit Kota. A l'instar de ces étranges dessins, qui, suivant que l'on cligne ou non des yeux, donnent à voir tantôt une jeune femme ou le portrait d'une vieille dame, cet objet offre plusieurs lectures.
On ne peut que s'émerveiller devant la magnifique précision, la force incisive de la sculpture, l'utilisation d'une évidente symé trie alliée à de subtiles asymétries, la lisibilité de son abstraction.
Pourtant, l'expression même de la statue, emprunte de sévérité, force une certaine inquiétude. L'intensité du regard, sphères brillantes logées dans l'ombre de larges orbites, l'arcade sourcilière amplifiée, un discret rétrécissement au niveau des tempes semblent sous tendre une menace mortifère.
Attraction et répulsion: il est rare qu'une oeuvre dite "kota" (l'objet est en fait probablement ndassa [6]) rende aussi intelligible nos yeux occidentaux l'ambivalence attachée au reliquaire.
Il incarne tous les espoirs fondés dans une construction magique censée être source de succès et de bonheur pour la communauté, mais aussi les craintes que l'on peut ressentir envers un monde invisible et pas toujours animé de bonnes intentions.
Qu'un naïf, qu'un non initié s'approche, aperçoive, ou pire: s'empare du reliquaire et à coup sûr il se produira des malheurs qu'il faudra conjurer par de coûteux rituels.
Donner un aspect redoutable à la statue chargée de garder le reliquaire peut sans doute tenir lieu d'avertissement. Toutefois, il s'agit plus d'un rappel que d'autre chose, car nul n'ignore les risques qu'il encourt. Par contre, et de façon bien plus subtile, il est plausible [7] qu'au curieux, à celui qui oserait passer outre et défier le danger, le gardien offre sa beauté en un fascinant spectacle. En focalisant l'attention, voire le désir, le gardien détourne ainsi de l'essence du reliquaire.
Ainsi se défini le rôle du gardien de reliquaire, censé garder non seulement mystiquement mais également dans le monde réel le panier de reliques placé sous lui.
Cet objet est à placer au sein d'un corpus probablement issu d'une même région et partageant les mêmes caractéristiques principales: un visage au front bombé, l'absence du cimier en forme de croissant habituellement observé, des parties latérales construisant un motif en forme de coeur et se terminant sur des extensions construites dans le même plan, rondes, en "queue de canard" ou simplement rectangulaires.
Ce corpus est relativement important (3,6 du corpus général, soit environ 75 oeuvres sur les 2080 recensées par l'Université de Yale), toutefois il convient d'y noter la présence d'une moitié d'oeuvres produites dans les années 1920-1930 et de nettement moindre qualité qui gonfle artificiellement ce chiffre.
Pour illustrer la diversité du corpus, je reprendrai sur un dessin huit oeuvres (de gauche à droite): une figure de reliquaire collectée in situ avant 1914 (Yale #0025126), un objet illustrant la production du XXe siècle (collecté avant 1930, Yale #0054384), une figure de reliquaire issue des collections du Musée Dapper (ancienne collection Max Itzikovitz, Yale #0022792), une figure issue des collections du Dallas Museum of Art (ancienne collection G. et F. Schindler, Yale #0020071), une figure de l'ancienne collection Pierre Vérité (Yale #0025320), une figure issue des collections du Detroit Institute of Arts (Yale #0004480), une autre issue de l'ancienne collection Reste de Rocca, gouverneur de l'AOF et collectée avant 1939 (Yale #0025122) et enfin la figure de reliquaire qui nous intéresse (Yale #0017859) [9].
Les objets étant représentés à l'échelle, on notera les dimensions exceptionnelles de l'exemplaire proposé, ainsi que ses hautes qualités esthétiques.
L'évidente ancienneté alliée à la taille exceptionnelle du gardien proposé (il s'agit d'une des plus grandes figures de reliquaire ndassa connue) en font un objet précieux ayant vraisemblablement appartenu à une communauté villageoise puissante à même de faire réaliser la sculpture par un maître de grand talent. De tels sculpteurs avaient une vaste renommée qui s'é tendait même au-delà de leur propre tribu [8].
Il ne me semble donc pas exagéré de conclure que tant à nos yeux qu'aux leurs, cet objet représente l'un des plus grands trésors de la culture ndassa-"kota".
Frédéric Cloth
[6] Andersson (Efraim), idem, 1974, Perrois (Louis), "Arts du Gabon, Les arts plastiques du bassin de l'Ogooué", éd. Arts d'Afrique Noire (Arnouville, France), 1979. Tout deux notent la spécificité d'une absence de cimier pour les figures de reliquaire de la rgion de Sibiti/Mossendjo qui sont habituellement attribuées au ndassa (on mentionnera toutefois la quasi absence de ndassa dans cette région sur la carte ethnique établie par Marcel Soret en 1955).
[7] Bonhomme (Julien): "Le miroir et le crâne, Parcours initiatique du Bwete Misoko (Gabon)", CNRS éditions, Paris, France, 2005, dans cet ouvrage reprenant largement son travail de thèse de 2003 et décrivant par le menu le parcours initiatique qu'il a lui-même suivi, Julien Bonhomme explicite ce mécanisme pour le bwete des Tsogho.
[8] Collectif: "The Way of the Ancestors", Fondation Dapper (Paris, France), 1986. Fait établis par les travaux, malheureusement peu publiés, du Docteur Jean-Claude Andrault.
[9] Corpus et informations des dessins en illustration sélectionnés parmi les objets recensés dans la Yale Guy van Rijn Archive of African Art.
Cet objet exceptionnel, à la provenance prestigieuse, a toutes les qualités du grand art Kota. Son type rare (groupe 8, sous groupe 3, cf. Chaffin, op cit, p. 144), et ses proportions éclatées extrêmement généreuses sont la marque de maîtrise du sculpteur qui le créa. Les détails ornementaux des parties latérales sont superbes. De plus, la poignée de fer sous le menton est rare dans le corpus Kota. Cet objet, par sa facture et sa patine, est une oeuvre du XIXème siècle.