Correspondance adressée à Pierre Berès
Correspondance adressée à Pierre Berès

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Correspondance adressée à Pierre Berès

De par ses activités de libraire et éditeur de revue (Art de France) et de livres (éditions Hermann), Pierre Berès s'est trouvé au carrefour de la vie intellectuelle française pendant plus d'un demi-siècle. Une grande partie de ceux qui ont compté dans le domaine des lettres et des arts est présente dans cet ensemble impressionnant.

Les écrivains : André Breton, René Char, Roger Caillois, Colette, Blaise Cendrars, Paul Eluard, Julien Gracq, Pierre Jean Jouve, Paul Morand, Francis Ponge, Raymond Queneau, Jean-Paul Sartre, et d'autres encore.

Les peintres : Jean Bazaine, Olivier Debré, Sonia Delaunay, Jean Dubuffet, André Dunoyer de Segonzac, Maurice Estève, Georges Mathieu, Henri Matisse, Pierre Soulages, Zao Wou-ki...

Les philosophes et essayistes : Gaston Bachelard, Roland Barthes, Gilles Deleuze, Michel Foucault, Jacques Lacan, Claude Lévi-Strauss...

Les hommes du livre : relieurs comme Rose Adler, Jacques Anthoine-Legrain, Paul Bonet ; libraires comme Georges Heilbrun ; éditeurs comme Pierre-André Benoit.

Mais encore des historiens comme Emmanuel Leroy-Ladurie ou Georges Duby, des musiciens comme Georges Auric, des scientifiques comme François Jacob ou Jean Rostand, des anthropologues, des critiques, des hommes politiques (le général de Gaulle), et même Brigitte Bardot !

En tout, 387 correspondants pour un total de plus de 1900 documents (lettres, cartes, enveloppes, autographes ou dactylographiées) échelonnés des années trente jusqu'aux années quatre-vingt. Certaines de ces lettres sont adressées à son épouse Annick Berès. (Liste détaillée sur demande.)

De cet ensemble d'une grande richesse, on retiendra en particulier les 34 lettres et cartes envoyées par René Char (dont une accompagnée d'un poème), qui permettent de suivre la progression de leur amitié et leur collaboration : "La poésie est inclémence lointaine", lui écrit-il pour justifier le titre d'une anthologie. Ou encore : "L'histoire c'est l'arrangement définitif d'un dérangement provisoire. C'est soudain énorme et ce n'était rien."

Autre surréaliste, Paul Eluard, bibliophile financièrement gêné, qui ne peut néanmoins "résister à l'envie d'avoir le Sibilet".

André Breton, en revanche, adresse à Pierre Berès la seule lettre de cette collection qui ne soit pas placée sous le signe de l'amitié. C'est pour refuser d'écrire une préface à un livre des éditions Hermann, Louis Aragon y ayant publié les Collages : "Une des plus surprenantes escroqueries : couvrir du nom de réalisme des actes criminels, comme le fit le stalinisme."

De même, Roger Caillois renonce à écrire une Syntaxe. Mais il s'en explique dans une belle et longue lettre qui éclaire sa démarche : "Au moment où je commençais à me débarrasser d'une image de moi, celle du sociologue, que je trouve étroite et même un peu injuste, cette syntaxe risquerait de m'attirer une réputation non moins importune et incommode. (...) Le rôle d'un écrivain est d'agir par l'exemple, non d'indiquer par des règles."
A Pierre Berès, qui tente de le réconcilier avec Balthus, Pierre Jean Jouve répond : "L'ingratitude est la pire blessure à la confiance entre artistes. Aussi est-il impossible que je parle le premier. Si Balthus veut que le litige soit dissipé entre nous, il peut m'appeler, et il entendra une voix redevenue amicale pour tout le reste de son âge."

Dans le domaine des arts, une importante lettre de Pierre Soulages éclaire son ambition picturale : "... ce qui fonde pour moi, depuis toujours, la nécessité de ma peinture, qui se situe hors de toute figuration accidentelle et qui naît des qualités physionomiques concrètes des formes peintes, de leur jeu complexe. Si l'on ne voit dans une peinture abstraite que les figurations qui peuvent toujours venir de faire sur toute forme - et même dans une peinture figurative que ce qu'elle représente - ce n'est pas la peinture que l'on voit."
Henri Matisse se soucie des conditions d'exposition d'une de ses oeuvres : "Si la gouache n'a pas la fragilité de l'aquarelle, elle n'est pourtant pas, vous le savez, comme la céramique insensible à la lumière en excès. Je serais, vous n'en doutez pas, tout à fait navré si cette gouache, que je mets en très bonne place dans l'ensemble de mon oeuvre, devait perdre certaines des ses qualités. La douce intensité de son harmonie par exemple. Tous mes efforts tendent à obtenir sans brutalité le maximum de force colorée. Ce serait donc porter à celle-ci un préjudice énorme que de laisser atténuer ses valeurs."

A côté de ces lettres significatives, mille signes d'amitiés venus de tous les horizons, qui dessinent en creux le portrait d'un homme qui semble avoir séduit tous ceux qu'il a approchés. Ces mots de remerciements, de réponse à des invitations, ces échanges autour de l'édition d'un ouvrage, ces compliments pour un catalogue, ces voeux, sont parfois bien plus que des échanges de courtoisie. Claude Lévi-Strauss répondant à un envoi de fleurs : "Ces blanches orchidées me transportent au coeur de la forêt amazonienne où si souvent, jadis, j'en contemplais de semblables, cascadant depuis les plus hautes branches des arbres, trésor éblouissant et inaccessible maintenant." Jacques Lacan s'excuse à sa façon de s'être fait discret : "un permanent regret témoigne du vide laissé au coeur d'une vie trop remplie, mais de là non pas pleine, - reproche de l'amitié négligée qui n'est pas moins poignant à seulement s'imager du plaisir dont on se prive."

Enfin, plusieurs dessins accompagnent ces envois : trois dessins de mains par Jean Cocteau, un faux timbre très amusant tracé par Sempé, un dessin original de Blaise Cendrars.

Dans leur diversité, ces lettres offrent un bel aperçu des diverses facettes de la personnalité de Pierre Berès.

Celle de l'éditeur d'abord. Reprenant en 1956 la maison d'édition fondée par Arthur Hermann en 1876 et consacrée à la publication de textes scientifiques (Cartan, Poincaré puis Bourbaki), Pierre Berès la continua et lui donna une nouvelle impulsion. " Editeur des sciences et des arts ", Hermann s'impose à la fois par la rigueur des textes et la beauté des ouvrages publiés. Pierre Berès fait appel au graphiste Adrian Frutiger (12 lettres ou cartes), et surtout a l'idée d'attirer les écrivains en les associant à des peintres. C'est ainsi qu'il publie par exemple Bords de Raymond Queneau (36 lettres ou cartes), illustré par Georges Mathieu (8 lettres ou cartes) ou Le Champ des signes de Roger Caillois (6 lettres), illustré par Estève (20 lettres). Pierre Berès s'entoure de François Jacob ou Michel Foucault et, parallèlement, fonde en 1960 avec André Chastel la somptueuse publication Art de France. Tous les participants de cette aventure éditoriale remarquable sont présents dans cet ensemble. D'après leurs lettres, on devine le patient travail de séduction accompli par Pierre Berès pour s'attacher leur collaboration (cf. une belle lettre de Roland Barthes à propos d'un travail sur Soulages).

Cette correspondance reflète ensuite, bien évidemment, son activité de libraire. Ayant créé des liens d'amitié avec les écrivains, ceux-ci s'adressent tout naturellement à lui lorsqu'ils veulent se défaire d'ouvrages ou de manuscrits. On voit ainsi René Char acheter un terrain mitoyen à sa maison pour pouvoir continuer à travailler dans le calme en vendant à Pierre Berès une suite de Braque sur japon pour Lettera Amorosa. Paul Morand fait également appel à lui lorsque, par manque de place, il doit se défaire de certains ouvrages.

Les lettres de Rose Adler sont très riches du point de vue technique et artistique : "Les Planches de Salut, où se trouve élagué tout le bla-bla décorateur est ce que j'ai fait de mieux - du moins selon mon oeil sévère". Ailleurs, elle lui propose de lui établir des modèles "genre tailleur du matin". Les noms des plus grands bibliophiles, clients de la relieuse, sont cités : "Dan Sickles a Les Chants de Maldoror en noir et blanc : 1er plat crème noir et blanc cru, 2e plat noir blanc et crème (...) Denise Weill a une autre version de l'Éventail, note turquoise, sans mièvrerie."Le grand relieur Paul Bonet lui rend également cet hommage : "J'ai ressenti un accord complet en tout ce qui concerne vos opinions sur le livre ; aussi sur le monde et l'esprit des collectionneurs - donc des bibliophiles dont je suis témoin et partie. "

Les 25 lettres du grand libraire Georges Heilbrun ou de sa femme Douce, toutes pleines d'humour, nous font pénétrer dans les arcanes du commerce des livres anciens. Dans l'une de ces lettres il livre dans une formule plaisante une des clefs du métier : "Je lis Mallarmé (pour la première fois) - et je relis furieusement chaque jour mon cahier noir Achat-Vente." Il existait entre lui et Pierre Berès une forte complicité qui lui permettait de s'adresser à lui en des termes que l'on ne trouve pas fréquemment dans cette correspondance : "Je me réjouis quand même de réapercevoir le marron sculpté qui te sert de gueule et de te demander beaucoup de tuyaux..." On y croise également la figure de Georges Blaizot, autre grande personnalité de la librairie ancienne, lequel ayant laissé Georges Heilbrun sans nouvelles, lui inspire cette énergique réflexion : "Tous ces libraires sont des veaux, en somme."

Enfin, toutes ces lettres attestent du grand rayonnement qu'avait Pierre Berès dans tous les milieux de la société. En grand seigneur qu'il fut, il éblouit ses amis par ses envois somptueux de fruits, de confiseries, de fleurs, de livres, toujours choisis avec soin. Il avait véritablement créé autour de lui, par ses dîners, ses invitations une société intellectuelle où se côtoyaient les personnalités remarquables dans tous les domaines, perpétuant à sa façon la longue tradition des salons intellectuels français.

La conclusion revient à Roger Martin du Gard, qui dans une carte à Pierre Berès pour le remercier d'un catalogue, résume en quelque sorte ce que furent sa vie et son travail : "Je ne me lasse pas de feuilleter ce somptueux et suggestif recueil de pièces exceptionnelles, si intelligemment choisies et présentées, et reproduites avec un goût si délicat. Au seuil des temps qui viennent, on se demande avec anxiété si de telles manifestations d'art et de culture seront encore longtemps possibles ? Votre génération sera peut-être la dernière à se complaire en de pareils raffinements...". (11)

荣誉呈献

Clémentine Robert
Clémentine Robert