Lot Essay
L'art Tumbwe allie le meilleur de la sensualité de la sculpture Luba avec la noble présence des sculptures des voisins Tabwa. La statuette présentée ici peut être compararée à la célèbre grande statue Tumbwe anciennement dans la collection Katherine White (Seattle Art Museum, 81.17.790; in Ney, Art traditionnels et histoire au Zaire, Louvain-la-Neuve, Université Catholique de Louvain, 1981, pp.194-195, fig.XVI.27) ainsi qu'à un torse bien connu conservé dans une collection privée (ibid., 290, fig.XIV.25).
Effigie ancestrale Tumbwe
Par François Neyt
Historique
Les Tumbwe font partie des peuples qui résident principalement sur les rives occidentales du lac Tanganyika, au nord de la ville de Kalemie. Leur territoire s'étend jusqu'à la rivière Lukuga. Plusieurs bouleversements et migrations au cours des siècles rendent complexe l'identité de ces groupes humains, tels l'apport des Bembe dans la seconde moitié du XVIIème siècle et l'extension du royaume de Kazembe au début du XIXème siècle(1). Durant le XIXème siècle, le royaume luba tenta d'annexer la région comprise entre la rivière Luvua et les abords du lac Tanganyika. Son influence s'étendit aussi dans la région septentrionale du Katanga et du Maniema jusqu'au pays hemba(2).
La dénomination "Tumbwe" remonte, semble-t-il, à un chef mis en évidence par les premiers colonisateurs belges. Ce nom prestigieux fut conservé dans leur famille et se transmit à certains de leurs descendants. Des chefs tumbwe vivaient sur la rive septentrionale de la rivière Luvua et étaient connus par leur appartenance au royaume luba. Le prince Kyombo en est un exemple significatif, car il pouvait détenir "le feu sacré" des Luba et certains regalia(3). D'autres groupes tumbwe vivaient le long des rives du lac Tanganyika, près du point de départ de la Lukuga, déversoir du lac dans le fleuve Congo Kabalo. Ce territoire appartenait au grand chef Tumbwe qui occasionnellement rappelait, lui aussi, son identité luba(4). Certaines coutumes liées à l'étiquette de la cour royale luba rehaussaient le prestige des chefs de la région. Des sculptures en faisaient partie.
La grande statuaire ancestrale était un signe prestigieux des grandes familles issues des zones forestières, comme les Boyo/Bembe et les chasseurs "Pré-Bembe"(5). L'usage de sculpter la figure ancestrale en posture debout, les mains posées près de la zone ombilicale, se déploie sur une vaste zone en arc de cercle. Celle-ci part précisement des Tumbwe et des Tabwa, aux abords du lac Tanganyika, remonte vers le nord, principalement entre la rivière Lukuga et les deux rives de la Luika chez les Hemba et se prolonge à l'ouest chez les Kusu et les Songye. Dans la zone hemba de ce vaste territoire, l'influence luba est indiscutable. Les sceptres, les sièges à caryatides et d'autres regalia encore viennent enrichir les signes sculptés propres aux peuples de cette région. La statue étudiée s'y rattache.
Description de l'effigie
L'effigie en posture debout est taillée dans un bois mi-lourd, probablement le Chlorophora excelsa, et est couverte d'une patine d'un brun sombre. Le visage ovoïde, aux formes pleines et arrondies dégage largement le front, comme il est de tradition dans les grandes familles luba et hemba. Les yeux légèrement globuleux, en amande, sont ouverts. Ils sont circonscrits par un léger bourrelet au niveau des paupières et reposent dans des orbites circulaires. Sous un nez triangulaire, le plan buccal est prognathe, mettant en évidence les lèvres divisées par un trait continu.
Sous un diadème frontal décoré de rainures parallèles, bien connu dans la statuaire hemba(6), la coiffure cruciforme se compose de deux tresses horizontales décorées passant au-dessus de deux tresses verticales. L'espace entre les tresses est creusé et rappelle une tradition mythique ancienne. Lors des saisons sèches et de courts déplacements, le chef portait précieusement dans sa coiffure les semences destinées à la prochaine plantation. L'oreille, définie par l'hélix stylisé et le tragus, s'inscrit dans le prolongement des joues et du menton. Le cou est circulaire et massif, le plan des épaules épannelé, à peine tourné vers l'avant. Le tronc relativement cylindrique est étrangement décapé au niveau de la zone ombilicale; il en va de même des bras en partie détériorés qui tombent droit et semblent se replier. Il n'est pas exclu que l'effigie tenait en main une lance ou un autre signe de prestige. Le bassin amorce le mouvement des membres inférieurs qui ont été détruits par le temps.
Style et datation
Cette effigie tumbwe entre, comme cela a été explicité plus haut, dans la mouvance de la grande statuaire qui se déploie du pays Tabwa à celui des Songye. Elle se rattache aux styles et à la morphologie de la grande statuaire hemba. Elle a ses traits propres comme la position des bras et rejoint des formes antiques qui se reconnaissent sur des effigies bembe et même boyo, telle l'avancée de l'épaule, les détails du visage. Elle peut être localisée le long des rives septentrionales de la Lukuga non loin de Nyunzu qui était un centre traditionnel important. Cette sculpture remonte à la fin du XIXème-début XXème siècle.
François Neyt
(1)Jan Vansina, Introduction à l'ethnographie du Congo, d. CRISP, Bruxelles, 1965, p.187 à 199.
(2)Le style Buli en est un exemple. Au sud du Katanga, l'influence des Nyamwezi (Yeke) exerça une forte influence. Celle-ci fut aussi présente dans la région du lac Tanganyika.
(3)Nous nous appuyons ici sur la belle étude réalisée par Evan Maurer et Allen Roberts, Tabwa. The Rising of a New Moon: a Century of Tabwa Art, University of Michigan Museum of Art, Eastern Press, New Haven, 1985.
Voir aussi Pierre Colle, Les Baluba, Coll. Monographies ethnographiques, X et XI, Bruxelles, 1913 et Thomas Reefe, The Rainbow and the Kings: A History of the Luba Empire to 1891, Berkeley, University of California, 1981, p.80-81.
(4)Maurer et Roberts, op. cit., p.6 et note 37.
(5)Daniel Biebuyck, Statuary from the Pre-Bembe Hunters. Issues in the Interpretation of Ancestral Figurines Ascribed to the Basikasingo-Bembe-Boyo, Tervuren, MRAC, 1981.
(6)François Neyt, La grande statuaire hemba du Zaïre, Université catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve, 1977, p.417, type 2
Effigie ancestrale Tumbwe
Par François Neyt
Historique
Les Tumbwe font partie des peuples qui résident principalement sur les rives occidentales du lac Tanganyika, au nord de la ville de Kalemie. Leur territoire s'étend jusqu'à la rivière Lukuga. Plusieurs bouleversements et migrations au cours des siècles rendent complexe l'identité de ces groupes humains, tels l'apport des Bembe dans la seconde moitié du XVIIème siècle et l'extension du royaume de Kazembe au début du XIXème siècle(1). Durant le XIXème siècle, le royaume luba tenta d'annexer la région comprise entre la rivière Luvua et les abords du lac Tanganyika. Son influence s'étendit aussi dans la région septentrionale du Katanga et du Maniema jusqu'au pays hemba(2).
La dénomination "Tumbwe" remonte, semble-t-il, à un chef mis en évidence par les premiers colonisateurs belges. Ce nom prestigieux fut conservé dans leur famille et se transmit à certains de leurs descendants. Des chefs tumbwe vivaient sur la rive septentrionale de la rivière Luvua et étaient connus par leur appartenance au royaume luba. Le prince Kyombo en est un exemple significatif, car il pouvait détenir "le feu sacré" des Luba et certains regalia(3). D'autres groupes tumbwe vivaient le long des rives du lac Tanganyika, près du point de départ de la Lukuga, déversoir du lac dans le fleuve Congo Kabalo. Ce territoire appartenait au grand chef Tumbwe qui occasionnellement rappelait, lui aussi, son identité luba(4). Certaines coutumes liées à l'étiquette de la cour royale luba rehaussaient le prestige des chefs de la région. Des sculptures en faisaient partie.
La grande statuaire ancestrale était un signe prestigieux des grandes familles issues des zones forestières, comme les Boyo/Bembe et les chasseurs "Pré-Bembe"(5). L'usage de sculpter la figure ancestrale en posture debout, les mains posées près de la zone ombilicale, se déploie sur une vaste zone en arc de cercle. Celle-ci part précisement des Tumbwe et des Tabwa, aux abords du lac Tanganyika, remonte vers le nord, principalement entre la rivière Lukuga et les deux rives de la Luika chez les Hemba et se prolonge à l'ouest chez les Kusu et les Songye. Dans la zone hemba de ce vaste territoire, l'influence luba est indiscutable. Les sceptres, les sièges à caryatides et d'autres regalia encore viennent enrichir les signes sculptés propres aux peuples de cette région. La statue étudiée s'y rattache.
Description de l'effigie
L'effigie en posture debout est taillée dans un bois mi-lourd, probablement le Chlorophora excelsa, et est couverte d'une patine d'un brun sombre. Le visage ovoïde, aux formes pleines et arrondies dégage largement le front, comme il est de tradition dans les grandes familles luba et hemba. Les yeux légèrement globuleux, en amande, sont ouverts. Ils sont circonscrits par un léger bourrelet au niveau des paupières et reposent dans des orbites circulaires. Sous un nez triangulaire, le plan buccal est prognathe, mettant en évidence les lèvres divisées par un trait continu.
Sous un diadème frontal décoré de rainures parallèles, bien connu dans la statuaire hemba(6), la coiffure cruciforme se compose de deux tresses horizontales décorées passant au-dessus de deux tresses verticales. L'espace entre les tresses est creusé et rappelle une tradition mythique ancienne. Lors des saisons sèches et de courts déplacements, le chef portait précieusement dans sa coiffure les semences destinées à la prochaine plantation. L'oreille, définie par l'hélix stylisé et le tragus, s'inscrit dans le prolongement des joues et du menton. Le cou est circulaire et massif, le plan des épaules épannelé, à peine tourné vers l'avant. Le tronc relativement cylindrique est étrangement décapé au niveau de la zone ombilicale; il en va de même des bras en partie détériorés qui tombent droit et semblent se replier. Il n'est pas exclu que l'effigie tenait en main une lance ou un autre signe de prestige. Le bassin amorce le mouvement des membres inférieurs qui ont été détruits par le temps.
Style et datation
Cette effigie tumbwe entre, comme cela a été explicité plus haut, dans la mouvance de la grande statuaire qui se déploie du pays Tabwa à celui des Songye. Elle se rattache aux styles et à la morphologie de la grande statuaire hemba. Elle a ses traits propres comme la position des bras et rejoint des formes antiques qui se reconnaissent sur des effigies bembe et même boyo, telle l'avancée de l'épaule, les détails du visage. Elle peut être localisée le long des rives septentrionales de la Lukuga non loin de Nyunzu qui était un centre traditionnel important. Cette sculpture remonte à la fin du XIXème-début XXème siècle.
François Neyt
(1)Jan Vansina, Introduction à l'ethnographie du Congo, d. CRISP, Bruxelles, 1965, p.187 à 199.
(2)Le style Buli en est un exemple. Au sud du Katanga, l'influence des Nyamwezi (Yeke) exerça une forte influence. Celle-ci fut aussi présente dans la région du lac Tanganyika.
(3)Nous nous appuyons ici sur la belle étude réalisée par Evan Maurer et Allen Roberts, Tabwa. The Rising of a New Moon: a Century of Tabwa Art, University of Michigan Museum of Art, Eastern Press, New Haven, 1985.
Voir aussi Pierre Colle, Les Baluba, Coll. Monographies ethnographiques, X et XI, Bruxelles, 1913 et Thomas Reefe, The Rainbow and the Kings: A History of the Luba Empire to 1891, Berkeley, University of California, 1981, p.80-81.
(4)Maurer et Roberts, op. cit., p.6 et note 37.
(5)Daniel Biebuyck, Statuary from the Pre-Bembe Hunters. Issues in the Interpretation of Ancestral Figurines Ascribed to the Basikasingo-Bembe-Boyo, Tervuren, MRAC, 1981.
(6)François Neyt, La grande statuaire hemba du Zaïre, Université catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve, 1977, p.417, type 2