Les quatre parties du monde

Un personnage élégant, vêtu à l'européenne, achète des porcelaines à des chinois, reconnaissables à leurs nattes et leurs robes traditionelles, près de deux personnages enturbannés. Pagodes et sampans ajoutent une note exotique au tableau ; un marchand négocie l'achat de feuilles de tabac auprès d'Indiens, le continent américain étant sympolisé par le Crocodile et le perroquet qui s'envole; un chef africain, couvert de bijoux et assis sous un dais improvisé, semble discuter avec ce même marchand du sort de quatre noirs -ou peut-être seulement de celui des enfants?- ; les armateurs assistent au débarquement, sur les quais, de leur marchandise. Uniques dans l'oeuvre d'Oudry, mais aussi dans l'histoire de la peinture, ces quatre tableaux, où l'allégorie des continents est vue à travers un prisme purement mercantile, répondent probablement, selon Hal Opperman (op. cit.), à la commande d'un marchand, peut-être nantais. Les deux protagonistes principaux seraient alors l'armateur en question -pratiquant le commerce triangulaire entre l'Europe, l'Afrique et l'Amérique-, et un partenaire en charge des échanges avec les Indes. A l'origine cintrées, les oeuvres furent sans doute conçues en tant que dessus-de-porte, la continuité picturale de l'ensemble étant assurée par la présence des rivages et embarcations sur les quatre tableaux. Visant à glorifier les échanges et à exalter la domination occidentale sur le reste du monde, les tableaux mêlent des éléments de souvenirs à des réalités plus contemporaines. Ainsi, les échanges de tabac avec des indiens n'avaient plus cours depuis longtemps en 1724 : dès le milieu du XVIIème siècle, des milliers de tonnes de la précieuse plante étaient exportés chaque année par les colonies, produits par les esclaves noirs. Au contraire, le commerce avec les Indes orientales et plus particulièrement la Chine était en 1724 très réduit, la faillite, quatre ans auparavant, de John Law ayant entrainé celle de la Compagnie fondée par Colbert. L'Afrique dévoile avec candeur la complicité des certains "roitelets" dans le trafic des êtres humains. Ce n'est que vingt-quatre ans plus tard que Montesquieu dénoncera l'esclavage des noirs dans De l'esprit des lois.