拍品專文
Approchant un mètre de hauteur, cette œuvre d'art exceptionnelle transcende toute tentative de classification. Grâce à son exécution inventive et à sa symbolique, ce masque occupe une place capitale dans les canons de l'art africain ainsi que dans la genèse de l'art moderne.
Ce type de masques est communément appelé Grébo, terme général qui englobe également le peuple Krou, petite population établie sur la côte ouest de la Côte d’Ivoire. Le masque de la collection Vérité est listé comme provenant précisément de cette région, située entre le Liberia et la Côte d’Ivoire, à l’embouchure de la rivière Sassandra. Ce type de masque a été observé dès les années 1885 (voir le croquis de Brend’amour dans Zöller), puis à nouveau en 1898 par Leo Frobenius (Die und Geheimbünde Afrikas, figs. 110-114 et figs.119-122 (RAAI, numéro 1251), enfin un exemplaire entra au Trocadéro en 1901 (MQB.71.1900.44.103; voir Rubin, p.260). Sa fonction et son utilisation ne sont malheureusement pas documentées. Monni Adams, dans sa note à propos d’un masque très proche, certainement le plus bel exemplaire connu, aujourd’hui conservé au musée du Quai Branly (prêt du Musée d’Ethnographie de Dakar, CI 55-1052), énumère tout ce que l’on connaît sur cette œuvre extraordinaire (Phillips, 1995, p.465).
Sculpté dans une seule pièce de bois dont la surface est peinte en bleu et ponctuée de rayures et de cercles blancs, ce masque mi-créature mi-homme, doté de plusieurs yeux, huit pour le masque Vérité, fait référence au mythe des « quatre yeux » souvent évoqué en Afrique de l’Ouest. Ces yeux multiples évoqueraient la clairvoyance et l’habilité de voir le royaume des forces invisible. Les Krou, installés au bord de l’eau, comme les Ibo au Nigeria, vénéraient d’une manière particulière la puissance de la rivière et la frontière qu’elle délimitait, zone occupée par les amphibiens, tels que les puissants crocodiles, animal qui pourrait être associé avec ce long masque plat.
Un autre masque avec des proportions et une surface comparables est conservé au Metropolitan Museum of Art de New York (haut. 69.9 cm, inv. 1979.206.7). Appartenant à un corpus restreint, ces grands masques aux yeux multiples apparaissent comme particulièrement puissants et rares. De ce corpus se distinguent deux autres styles – l’un davantage naturaliste avec des cornes et un autre avec des fronts proéminents – soit grand et incurvés avec des yeux tubulaires, comme celui du célèbre galeriste Daniel-Henri Kahnweiler ou celui de l’ancienne collection Stanoff, soit avec un front proéminent et plus géométrique comme celui que possédait Picasso (voir Rubin, 1984, pp.20 et 306).
C’est précisément cette manière de représenter les forces surnaturelles qui fascina Picasso et qui le mena vers de nouvelles formes d’expression artistique. Ce n’était pas seulement l’abstraction, comme William Rubin nous le fait remarquer, mais plutôt une approche métaphysique, remettant en question le naturalisme et la représentation de l’espace, qui l’aida à repenser l’art. Dans le cas du masque grébo de Picasso, il existe un rare «témoignage», qu’il transmit à Kahnweiler et plus tard à Rubin, expliquant comment cette forme influença sa Guitare de 1912 (Museum of Modern Art, New York). Cette œuvre prémonitoire, ne ressemblant à aucune autre œuvre connue, changea de façon définitive la perception de la sculpture moderne.
Picasso cherchait la meilleure manière de représenter la caisse de résonnance à partir de la surface plane du corps de l’instrument. En étudiant son masque grébo, il vit un visage réinventé. Alors qu’il avait toujours travaillé selon un modèle, les yeux représentés par deux creux, les lèvres par deux bourrelets en relief, il réalisa que les cylindres apposés sur le masque étaient inévitablement perçus comme des « yeux » même s’ils étaient figurés d’une façon opposée à la nature. Suivant ce raisonnement idéographique, il remplaça les trous par des cylindres sur sa Guitare. Ce que Picasso apprécia dans le génie des artistes africains, c’est leur approche « raisonnée » obtenue après un processus de réflexion (Rubin, op.cit., pp.18-19, Kahnweiler, Negro Art and Cubism, Londres, 18, no.108, 1948).
Ce type de masques est communément appelé Grébo, terme général qui englobe également le peuple Krou, petite population établie sur la côte ouest de la Côte d’Ivoire. Le masque de la collection Vérité est listé comme provenant précisément de cette région, située entre le Liberia et la Côte d’Ivoire, à l’embouchure de la rivière Sassandra. Ce type de masque a été observé dès les années 1885 (voir le croquis de Brend’amour dans Zöller), puis à nouveau en 1898 par Leo Frobenius (Die und Geheimbünde Afrikas, figs. 110-114 et figs.119-122 (RAAI, numéro 1251), enfin un exemplaire entra au Trocadéro en 1901 (MQB.71.1900.44.103; voir Rubin, p.260). Sa fonction et son utilisation ne sont malheureusement pas documentées. Monni Adams, dans sa note à propos d’un masque très proche, certainement le plus bel exemplaire connu, aujourd’hui conservé au musée du Quai Branly (prêt du Musée d’Ethnographie de Dakar, CI 55-1052), énumère tout ce que l’on connaît sur cette œuvre extraordinaire (Phillips, 1995, p.465).
Sculpté dans une seule pièce de bois dont la surface est peinte en bleu et ponctuée de rayures et de cercles blancs, ce masque mi-créature mi-homme, doté de plusieurs yeux, huit pour le masque Vérité, fait référence au mythe des « quatre yeux » souvent évoqué en Afrique de l’Ouest. Ces yeux multiples évoqueraient la clairvoyance et l’habilité de voir le royaume des forces invisible. Les Krou, installés au bord de l’eau, comme les Ibo au Nigeria, vénéraient d’une manière particulière la puissance de la rivière et la frontière qu’elle délimitait, zone occupée par les amphibiens, tels que les puissants crocodiles, animal qui pourrait être associé avec ce long masque plat.
Un autre masque avec des proportions et une surface comparables est conservé au Metropolitan Museum of Art de New York (haut. 69.9 cm, inv. 1979.206.7). Appartenant à un corpus restreint, ces grands masques aux yeux multiples apparaissent comme particulièrement puissants et rares. De ce corpus se distinguent deux autres styles – l’un davantage naturaliste avec des cornes et un autre avec des fronts proéminents – soit grand et incurvés avec des yeux tubulaires, comme celui du célèbre galeriste Daniel-Henri Kahnweiler ou celui de l’ancienne collection Stanoff, soit avec un front proéminent et plus géométrique comme celui que possédait Picasso (voir Rubin, 1984, pp.20 et 306).
C’est précisément cette manière de représenter les forces surnaturelles qui fascina Picasso et qui le mena vers de nouvelles formes d’expression artistique. Ce n’était pas seulement l’abstraction, comme William Rubin nous le fait remarquer, mais plutôt une approche métaphysique, remettant en question le naturalisme et la représentation de l’espace, qui l’aida à repenser l’art. Dans le cas du masque grébo de Picasso, il existe un rare «témoignage», qu’il transmit à Kahnweiler et plus tard à Rubin, expliquant comment cette forme influença sa Guitare de 1912 (Museum of Modern Art, New York). Cette œuvre prémonitoire, ne ressemblant à aucune autre œuvre connue, changea de façon définitive la perception de la sculpture moderne.
Picasso cherchait la meilleure manière de représenter la caisse de résonnance à partir de la surface plane du corps de l’instrument. En étudiant son masque grébo, il vit un visage réinventé. Alors qu’il avait toujours travaillé selon un modèle, les yeux représentés par deux creux, les lèvres par deux bourrelets en relief, il réalisa que les cylindres apposés sur le masque étaient inévitablement perçus comme des « yeux » même s’ils étaient figurés d’une façon opposée à la nature. Suivant ce raisonnement idéographique, il remplaça les trous par des cylindres sur sa Guitare. Ce que Picasso apprécia dans le génie des artistes africains, c’est leur approche « raisonnée » obtenue après un processus de réflexion (Rubin, op.cit., pp.18-19, Kahnweiler, Negro Art and Cubism, Londres, 18, no.108, 1948).