CANAPE D’EPOQUE TRANSITION
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Le canapé Bauve : un chef-d'oeuvre Transition
CANAPE D’EPOQUE TRANSITION

ESTAMPILLE DE MATHIEU BAUVE, VERS 1765

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CANAPE D’EPOQUE TRANSITION
ESTAMPILLE DE MATHIEU BAUVE, VERS 1765
En bois mouluré, sculpté et doré, le dossier mouvementé à décor d’entrelacs perlés et de feuilles stylisées surmonté d’une agrafe d’acanthe, flanquée de guirlandes de pivoines et d’enroulements, les accotoirs garnis de manchettes prolongés par des enroulements en coup de fouet à décor de larges feuilles d’acanthe, la ceinture chantournée à décor d’entrelacs perlés et de feuillages stylisés reposant sur huit pieds fuselés et cannelés terminés par des sabots de bronze ciselé et doré, deux pieds surmontés de larges enroulements, estampillé BAUVE au milieu de la ceinture arrière, garniture de tapisserie des Gobelins du XVIIIe siècle à motif de larges bouquets de fleurs polychromes sur fond ivoire dans des encadrements de moulures rocailles soulignées de guirlandes de fleurs sur fond framboise ; l'inclinaison du dossier modifiée
Hauteur: 104,5 cm. (41 in.) ; Largeur: 203 cm. (80 in.)
Mathieu Bauve, reçu maître en 1755
Provenance
Madame Geoffrin, par tradition ;
Vente Fraysse & Associés, Hôtel Drouot, 7 décembre 2011, lot 184.
Literature
Bibliographie comparative :
F. de Salverte, Les Ebénistes du XVIIIe siècle. Leurs œuvres et leurs marques, 7e édition, F. de Nobele, Paris, 1985, pl. II.
Further details
A LOUIS XV-LOUIS XVI TRANSITIONNAL GILTWOOD SOFA STAMPED BY MATHIEU BAUVE, CIRCA 1765

Lot Essay

Véritable chef-d’œuvre de menuiserie et jalon dans l’histoire de la Transition, cet extraordinaire canapé exécuté par le talentueux menuisier en siège Mathieu Bauve compose à l’origine un mobilier de salon ayant appartenu selon la tradition à Madame Geoffrin. On connaît aujourd’hui seulement deux pièces de ce mobilier: le présent canapé et un fauteuil de l’ancienne collection Alphonse Kahn (vente Ader, Picard, Tajan, Paris, 14 juin 1983, lot 145, notamment illustré dans F. de Salverte, Les Ebénistes du XVIIIe siècle. Leurs œuvres et leurs marques, 7e édition, F. de Nobele, Paris, 1985, pl. II) considéré à cette époque comme unique et d’apparat. Alors comment ne pas reprendre les propos si justes de Jean Nicolay (L’Art et la manière des maîtres ébénistes français au XVIIIe siècle, T. I, Editions Pygmalion, Paris, 1986, p. 18) décrivant le fauteuil, tant l’originalité et la beauté de ce mobilier sont saisissantes: « remarquable tant par [ses] accotoirs d’une forme assez empruntée, […] [que par] la richesse des sculptures et le mouvement hardi et inattendu des volutes qui s’échappent hors des pieds, à leur naissance ».


Ce canapé marque un moment important dans la transition du style Louis XV au Louis XVI. Au milieu du XVIIIe siècle, lassée par tant d’excès, la rocaille glisse lentement vers le néo-classicisme, plus sobre, via la ligne droite et la symétrie. Les courbes se redressent, les ornements décoratifs du passé réapparaissent sous l’impulsion d’une nouvelle passion, celle de l’antiquité ; on parle alors de « style à la grecque » initié par Cochin et Soufflot.
Le chef-d’œuvre d’ébénisterie de la Transition est incontestablement le célèbre secrétaire à cylindre de Louis XV, commencé par Jean-François Oeben en 1760 et achevé par Jean-Henri Riesener neuf ans plus tard (conservé à Versailles, inv. V 3750).


Par tradition familiale de l’ancien propriétaire, notre canapé et donc par extension le mobilier de salon, aurait appartenu à Madame Geoffrin pour son Salon, puis à sa fille la marquise de La Ferté-Imbault, puis à Louis d’Estampes, marquis de Mauny, neveu de son mari, puis à l’arrière-grand-père de l’ancien propriétaire.
Vers 1760, Madame Geoffrin adopte le style « à la grecque » ; la fréquentation de son Salon suit en parallèle cette évolution. Svend Eriksen atténue cette légendaire frénésie dans le tout-Paris considérant que le règne du style « à la grecque » se réduit en 1763 surtout « au royaume de la rue Saint-Honoré » (Louis Delanois menuisier en siège, F. de Nobele, Paris, 1968, p. 46). La commande et la livraison du mobilier de salon exécuté par Bauve dont fait partie le présent canapé s’inscrivent ainsi dans ce contexte.
De ses carnets rédigés vers 1768-1774, on apprend que Madame Geoffrin commande ses sièges à Georges Jacob après la mort de Jean-Baptiste Lerouge en 1760, après avoir pendant deux ans continué à se fournir auprès de sa veuve et son fils : « Je me servais avant d’un nommé Lerouge au Faubourg Saint-Antoine. Il est mort. J’avais pris son fils, il a quitté. Je me sers à présent d’un nommé Jacob qui demeure à la Ville Neuve. » Georges Jacob est en effet dès 1756 placé en apprentissage dans l’atelier de Jean-Baptiste Lerouge, gendre de sa tante Madeleine Jacob. Signalons que Louis Delanois aurait pu y être compagnon quelques mois entre 1759 et 1760, avant sa réception à la maîtrise en 1761. La même année Jacob rejoint son atelier en tant que compagnon, avant d’être lui-même reçu maître menuisier en 1765. On ignore à partir de quelle année Georges Jacob travaille pour Madame Geoffrin.
Se pose alors les questions de savoir qui d’autre que Mathieu Bauve pour ce mobilier de salon a fourni en sièges Madame Geoffrin entre 1762 et 1765/68 ? A-t-il participé seul à la réalisation du mobilier de salon ou s’agit-il d’un partenariat / sous-traitance comme pour le mobilier du marquis de Voyer réalisé par Bauve et Boulard ? On connaît également trois sièges d’un mobilier de salon exécuté par Jacob et Bauve. L’un est estampillé par le premier (vente Fraysse, Paris, 5 décembre 2007, lot 158), les deux autres sont estampillés par le second (vente Fraysse, Paris, 2 décembre 2009, lot 145).


Par ailleurs, ce fabuleux canapé n’est pas sans rappeler plusieurs sièges ou projets connus :
Le projet de mobilier (1765-1766) de Jean-Louis Prieur pour le boudoir du palais royal de Varsovie réalisé par Louis Delanois et sculpté par Denis Coulonjon (illustré dans S. Eriksen, Early neo-classicism in France, Londres, 1974, pl . 411) montre pour le canapé une agrafe au centre de la traverse supérieure du dossier à rapprocher de l’agrafe du canapé de Bauve. Par ailleurs, Madame Geoffrin, alors très proche de Stanislas II, souffle le nom de l’architecte Victor Louis au souverain pour la rénovation de son palais qui l’emploie dès 1765 ;
Citons également le mobilier de salon – composé de deux canapés et douze fauteuils – de Nicolas Heurtaut commandé en 1768 par la duchesse d’Anville pour le château de La Roche-Guyon conservé au Louvre (inv. OA 10290-10296) et à l’hôtel de La Vaupalière dans les collections du groupe Axa. Il est illustré dans B. G.B. Pallot, Le Mobilier du musée du Louvre, sièges et consoles (menuiserie) XVIIe et XVIIIe siècles, Dijon, 1993, pp. 111-113 et dans le Hors-série de Connaissance des Arts, « Hôtel de La Vaupalière », ed. N. Beytout, 2008, p. 43. La ligne mouvementée de la ceinture et de la traverse supérieure du dossier, toutes deux parcourues d’une frise d’entrelacs, est en effet très proche de celle de notre canapé. Notons cependant l’originalité des pieds extérieurs antérieurs issus d’une volute du canapé de Bauve. La paternité de ce modèle innovant est toujours inconnue. S’agit-il d’Heurtaut (menuisier et sculpteur) ou encore de Soufflot comme s’interroge Monsieur Bill G.B. Pallot ?
Le mobilier exécuté par Jean Boucault vers 1770 comprenant trois chaises, deux marquises et une bergère (une chaise et la bergère illustrées dans B. G.P. Pallot, L’Art du siège au XVIIIe siècle en France, Tours, 1987, p. 192) est également très proche du fauteuil en suite avec notre canapé par l’épaulement du dossier, la ligne de la ceinture interrompue par le ressaut des pieds.


MATHIEU BAUVE ET SES CHEFS-D’ŒUVRE
Après un apprentissage auprès de Nicolas Foliot, on sait, grâce à Monsieur Laurent Condamy (Jean-Baptiste Boulard menuisier du roi, Dijon, 2008, p.39), que Mathieu Bauve est reçu à la maîtrise comme apprentis et par chef-d’œuvre le 8 février 1755, le même jour que Boulard, RVLC ou encore Fromageau; l’enregistrement est effectué au Châtelet le 5 novembre 1755.
Il s’installe ensuite sous la devanture Au Saint Esprit, rue de Cléry. Passons son difficile caractère rapporté de ces nombreux et houleux différents avec ses pairs qui tient plus de l’anecdote aujourd’hui au vu de son talent. Chercheur et novateur, on peut en effet considérer que Mathieu Bauve se hisse au niveau des plus grands de son époque précédemment cités : Delanois, Heurtaut ou même un Jacob. En effet, à partir de la Transition, l’œuvre de Bauve se définit par l’emploi d’un répertoire atypique de formes et de lignes exacerbées, conjugué à un vocabulaire ornemental classique que sont, pour ne citer qu’eux, la feuille d’acanthe, la volute, les entrelacs, les piastres et autres guirlandes de laurier.
Parmi les sièges remarquables qu’il a exécutés, citons :
L’ostentatoire fauteuil d’apparat Transition en bois doré (vente Christie’s, Paris, 6 novembre 2014, lot 410) ;
Le mobilier de salon Louis XVI en bois doré de la collection Champalimaud (vente Christie’s, Londres, 6-7 juillet 2005, lot 120) comprenant une paire de bergères, quatre fauteuils et un canapé. Soulignons ici la similitude avec notre canapé, dans l’emploi de la large et épaisse feuille d’acanthe recouvrant la console d’accotoir ;
L’extraordinaire paire de bergères Louis XVI à châssis en bois doré récemment préemptées par les Archives Nationales (vente Aguttes, Paris, 11 juin 2012, lot 148). Ces deux bergères appartiennent à un ensemble exécuté vers 1766-1768 par Bauve et Boulard d’après un dessin empreint d’antiquité par Charles de Wailly (1730-1793), acteur majeur dans la diffusion du néo-classicisme en France. Le commanditaire, Marc-René de Voyer de Paulmy d’Argenson, marquis de Voyer, destinait ce mobilier au grand salon de son hôtel parisien, l’hôtel de Voyer. Deux bergères exécutées par Boulard sont illustrées dans P. Kjellberg, Le Mobilier français du XVIIIe siècle, Paris, 1989, p. 105, ill. C ;
L’élégante paire de bergères « à la grecque » laquées blanc figurant dans la collection de la duchesse de Windsor, conservées au château de Versailles (inv. V 4965-4966) et illustrées dans P. Arizzoli-Clémentel, Le Mobilier de Versailles. XVIIe et XVIIIe siècles, T. II, Dijon, 2002, p. 231. Les pieds antérieurs en console (visible seulement sur les côtés) soulignés d’une course de ruban en partie recouverte d’une feuille d’acanthe rappellent la recherche opérée dans les pieds extérieurs avant de notre canapé. Les consoles d’accotoir sont également feuillagées et le large dossier en médaillon est lui aussi ceint d’une élégante frise d’entrelacs se répétant en ceinture.


MADAME GEOFFRIN (1699-1777)
Née Rodet, Marie-Thérèse épouse à 14 ans l’une des relations de ses grands-parents banquiers de trente-quatre ans son aîné, François-Louis Geoffrin, alors caissier général de la manufacture royale des glaces en 1713.
Le couple s’installe en son hôtel parisien au 374, rue Saint-Honoré où Madame Geoffrin tient quelques années plus tard son très célèbre Salon. En effet, femme ambitieuse et mondaine, elle monte sa propre « société » dans la lignée de celles de Madame de Lambert et Madame de Tencin – laquelle lui a fait découvrir le monde des lettres en l’accueillant dans son cercle d’érudits - dans les années 1730 et ce jusqu’à sa mort. Sa société comprend écrivains, philosophes et scientifiques comme Voltaire et Montesquieu – elle écarte son ami Diderot de par leurs divergences en matière de religion. A partir de 1750, très probablement sur les conseils du comte de Caylus, le bureau d’esprit s’oriente davantage sur les questions de l’Art. Se réunissent alors le lundi des personnalités incontournables comme le marquis de Marigny - directeur des Bâtiments du roi – des amateurs d’art, des collectionneurs, des peintres comme Boucher, La Tour, Carle van Loo, Roslin, Vernet et Vien, des sculpteurs comme Pigalle, Bouchardon et Le Moyne et des architectes comme Soufflot et Louis. La renommée du Salon s’étendant à toute l’Europe, Madame Geoffrin y reçoit le collectionneur Horace Walpole et August Stanislas Poniatowski, le futur roi de Pologne, Stanislas II, qu’elle prend sous sa protection dès 1754. Au contact de toutes ces personnalités, le goût de Madame Geoffrin se façonne, promeut le goût « à la grecque » dès 1760, devient « dénicheuse » de talents et mécène de Carle van Loo et Joseph-Marie Vien si représentatif de la Transition, bien que Monsieur Maurice Hamon rappelle (Catalogue d’exposition Madame Geoffrin. Une femme d’affaires et d’esprit, 2011, pp. 22-23) que le rayonnement de Madame Geoffrin tient plus de la très forte influence de Charles-Nicolas Cochin et de Soufflot auprès d’elle que de ses connaissances générales en matière artistique.
Au 374, rue Saint-Honoré, on pouvait admirer un portrait par Hubert Robert de l’hôtesse dans un âge déjà avancé ou encore dans le boudoir six tableaux de Boucher. Parmi les objets d’art lui ayant appartenu, citons une aiguière et son bassin en argent qui lui auraient été offerts par l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche (vente Christie’s, Paris, 17 novembre 2010, lot 43) ; l’incontournable pendule dite « à la Geoffrin » appelée aussi « à l’Emploi du Temps » ou encore « à l’étude » est un modèle très connu (cf. C. Baulez, « La Pendule à la Geoffrin, un modèle à succès », in L’Estampille-L’Objet d’Art, avril 1989, n° 224, pp. 34-41), créé spécialement pour elle par Laurent Guiard, élève de Bouchardon et sous la double protection du comte de Caylus et Madame Geoffrin dont elle posséda l’original. Elle apprécie la porcelaine tendre de Vincennes et acquiert plusieurs pièces par le biais du marchand mercier Lazare Duvaux qui lui livre également de la porcelaine de Meissen et de Chine. Quant aux meubles, le même marchand lui livre « deux armoires d’encoignure bâties en chêne, plaquées en ancien lacq, ornées en bronze doré d’or moulu, 550 l. » illustrant son goût pour les meubles en laque et les objets en vernis européen.

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