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L'ART DECORATIF IVOIRIEN
Par Charles-Wesley Hourdé
Bien qu’appréciés et considérés depuis l’enfance du marché de l’art africain, les objets du quotidien sont habituellement rangés dans la catégorie « ethnographie » ou art mineur et servent de faire-valoir aux véritables arts de l’Afrique, trop souvent limités à la statuaire et aux masques de danse. Ces ustensiles, parfois rustiques, il faut également l’avouer, créés à la sueur du front et à l’huile de coude, constituaient un bien des plus précieux pour leurs propriétaires, puisqu’ils leurs permettaient d’interagir avec leur environnement, tangible et parfois mystique. Ainsi la moindre petite cuillère était considérée comme un trésor, compte tenu du temps passé à la réaliser. L’homme modeste la sculptait probablement lui-même, tandis que le notable, voir le chef en personne, avait les moyens de commanditer la réalisation de ces couverts à un sculpteur de renom. Les sociétés africaines, n’étant finalement pas si éloignées des nôtres à certains égards, valorisaient le bel ouvrage et la dimension esthétique des objets, d’autant plus en pays ivoirien. Le chef ou le sorcier, désirant se démarquer, se distinguer, ou même jalouser son entourage, encourageait le sculpteur à se surpasser.
C’est ainsi que naquirent les arts décoratifs en Afrique, puisque tel est le sujet ici, mais également dans la plupart des pays du monde. Puisqu’issue de tradition orale, l’Afrique conserve cependant une particularité bien à elle : l’iconographie utilisée par les sculpteurs est riche de signification. Elle renvoie aux multiples légendes et aux rituels complexes sur lesquels la société a bâti ses fondations. Inutile de lire ou d’écrire, puisque l’image porte un message bien plus direct et plus puissant. Comme l’écrit Bertrand Goy (Poulies, 2005), « les sifflets de chasse des Vili et les boîtes à fard des Kuba du Congo, les peignes des Tchokwé d’Angola, les appuis-nuque des Shona nous lisent leur poésie ». Le décor imagé est parfois même indispensable au bon fonctionnement de l’outil. Ce n’est pas un hasard si les marteaux de devins baoulé sont généralement sculptés de tête de bovidés, et si les cuillères dan se courbent sous des allures féminines. L’image sacralise l’ustensile et lui confère un pouvoir mystique.
Parmi les populations africaines s’étant rendues maîtres dans l’art du décor, les Baoulé, les Gouro et les Sénoufo tiennent une place de choix. Les sculpteurs ivoiriens affectionnaient particulièrement les poulies - certainement parce qu’ils étaient également d’excellents tisserands, mais les lois de l’histoire de l’art, et du marché, ont trop souvent négligé leur travail. La collection de Pierre et Claude Vérité dévoilée ici rassemble une extraordinaire variété de formes et de matières, issues de l’imaginaire et du quotidien ivoirien. Leur œil, aiguisé à collectionner durant deux générations, a su sélectionner des modèles rares, parfois uniques. Marteaux de devin, poulies de métier à tisser et cuillère décorée rivalisent de charme par leurs sculptures maîtrisées, leurs thèmes atypiques, et leurs surfaces lustrées par l’usage et le temps.