Lot Essay
Le fétiche à clous Yombé de la Collection Wielgus
Par Charles-Wesley Hourdé
Un chef-d'oeuvre intemporel
Le fétiche à clous des collections Wielgus-Brody est l’un des rares témoignages encore en mains privées de la grande statuaire Kongo. Sa silhouette puissante, son regard expressif et sa surface attestant de sa longue utilisation rituelle en font une pièce de choix.
Les statues de cette dimension sont particulièrement rares, la plupart d’entre-elles étant à présent conservées dans des institutions muséales. Citons par exemple le puissant nkonde récemment acquis et mis en valeur par le Metropolitan Museum de New York (inv. 2008. 30). Les musées belges en conservent également de célèbres exemplaires. L’exemplaire le plus proche du fétiche étudié, est la sculpture Yombé conservée au Fowler Museum de Los Angeles (inv.x65-5837), provenant de l’ancienne collection de Sir Henry Wellcome (1853-1936). Ces deux œuvres, de dimension et de patine comparables, sont d’un style particulièrement ancien, voir archaïque. La réalisation de ces œuvres pourrait remonter à une époque proto-Yombé.
Selon un schéma classique, le fétiche de la collection Wielgus est représenté debout, le corps bien droit, la tête et surtout le tronc semblent surdimensionnés, l’expression du visage est intense, les bras traités géométriquement longent le corps et se rejoignent sur l’abdomen, les jambes sont courtes et puissantes. L’allongement du buste s’explique certainement par l’utilisation de cette partie du corps, destinée à recevoir des clous et charges magiques. Notons d’ailleurs la forme des lames, certaines consistant en une plaque de fer découpée, de forme triangulaire ou rectangulaire, réputées être les plus anciennes, et de clous en fer de facture occidentale, obtenus par échange. Des restes de charges magiques sont visibles par endroits.
Les fétiches à clous ont fascinés les occidentaux depuis la fin du XIXe siècle lorsque les premiers exemplaires furent rapportés en Europe. Leurs expressions suggestives, la puissance de leurs corps volumineux tourmentés par l’implantation de lames métalliques et l’aura magique se dégageant de l’ensemble ne peuvent laisser indifférent. Parmi les personnalités s’étant intéressées aux fétiches à clous, citons l’artiste Arman qui fut séduit par l’accumulation de matières tant magiques que métalliques sur la surface de ces figures de bois. Il en possédait plusieurs exemplaires.
De son origine
La vie de l’homme Kongo, comprenant l’ensemble des ethnies assimilées, est régie tout au long de son existence par un ensemble de forces naturelles, influençant tant son environnement que lui-même. Il tachera donc de les rendre favorables à l’aide de multiples rituels et prières relevant de sa compétence personnelle, celle-ci étant directement liés au savoir-faire du nganga (sorcier). Ce dernier a reçu dès son plus jeune âge un enseignement l’ayant préparé à réaliser et à manipuler des bilongo (charges médicinales), constitués de matières diverses telles que l’argile, l’écorce, ou des racines. Séparément ces éléments n’ont aucun pouvoir, mais une fois assemblés selon un rituel précis, ils sont investis d’un pouvoir magique. Les bilongo peuvent être utilisés directement ou bien être associés à une sculpture en bois. Insufflant la vie à cette figure de bois ou nkonde, le nganga pourra ainsi entrer en communication avec celle-ci (in Lehuard, 1989).
C’est ici que les lames métalliques et les clous interviennent. L’interaction du nganga avec sa sculpture se déroule en deux étapes. Il commence par réciter une prière à haute voix, destinée à expliquer la raison de sa démarche, puis cette parole devient « action » lorsque le nganga introduit une lame métallique à l’endroit adéquat (in Lehuard, 1980).
L’implantation des clous et la position des charges ne sont en effet pas dues au hasard, Lehuard précise que « le manipulateur ordonne généralement les masses selon un rythme, un équilibre qui sont la symbiose de principes et de méthodes sacrées ». Le nkonde était l’œuvre magique la plus importante du village ou du clan, et n’était visible que d’un cercle particulièrement restreint.
Un trésor caché en provenance des Amériques
De 1955 à 1968, Raymond Wielgus constitua une collection d’exception en se concentrant sur la qualité et non sur la quantité. Ce rare ensemble fut célébré à deux reprises au Chicago Arts Club (1957) et au Museum of Primitive Art de New York (1960). Comme il l’écrivait lui-même dans l’introduction au catalogue de l’exposition de New York (1960) : « Mon objectif en collectionnant n’est pas d’amasser le plus grand nombre d’objet, mais d’acquérir un petit groupe d’œuvres combinant ces trois critères intangibles : l’excellente esthétique, l’importance ethnographique ou archéologique et la qualité que l’on peut définir comme « bonne ». L’excellence esthétique signifie pour moi que l’objet soit mémorable quelque soit son type ou son âge ». Il suffit de feuilleter le catalogue de ces deux expositions et d’admirer chacune des pièces photographiées, peu importe leur origine (Amérique du Nord et précolombienne, Afrique, Mélanésie, Polynésie), pour se rendre compte de l’excellence du goût de Raymond Wielgus.
Julian et Irma Brody ont quant à eux commencé à collectionner l’art africain au début des années 1950. Deux expositions au Des Moines Art Center, accompagnées de leurs catalogues, ont été dédiées à leur collection : African Art from the Collection of Julian and Irma Brody, du 18 mars au 20 avril 1975, et Selections from the Julian & Irma Brody Collection, du 5 mars au 24 avril 1988.
Par Charles-Wesley Hourdé
Un chef-d'oeuvre intemporel
Le fétiche à clous des collections Wielgus-Brody est l’un des rares témoignages encore en mains privées de la grande statuaire Kongo. Sa silhouette puissante, son regard expressif et sa surface attestant de sa longue utilisation rituelle en font une pièce de choix.
Les statues de cette dimension sont particulièrement rares, la plupart d’entre-elles étant à présent conservées dans des institutions muséales. Citons par exemple le puissant nkonde récemment acquis et mis en valeur par le Metropolitan Museum de New York (inv. 2008. 30). Les musées belges en conservent également de célèbres exemplaires. L’exemplaire le plus proche du fétiche étudié, est la sculpture Yombé conservée au Fowler Museum de Los Angeles (inv.x65-5837), provenant de l’ancienne collection de Sir Henry Wellcome (1853-1936). Ces deux œuvres, de dimension et de patine comparables, sont d’un style particulièrement ancien, voir archaïque. La réalisation de ces œuvres pourrait remonter à une époque proto-Yombé.
Selon un schéma classique, le fétiche de la collection Wielgus est représenté debout, le corps bien droit, la tête et surtout le tronc semblent surdimensionnés, l’expression du visage est intense, les bras traités géométriquement longent le corps et se rejoignent sur l’abdomen, les jambes sont courtes et puissantes. L’allongement du buste s’explique certainement par l’utilisation de cette partie du corps, destinée à recevoir des clous et charges magiques. Notons d’ailleurs la forme des lames, certaines consistant en une plaque de fer découpée, de forme triangulaire ou rectangulaire, réputées être les plus anciennes, et de clous en fer de facture occidentale, obtenus par échange. Des restes de charges magiques sont visibles par endroits.
Les fétiches à clous ont fascinés les occidentaux depuis la fin du XIXe siècle lorsque les premiers exemplaires furent rapportés en Europe. Leurs expressions suggestives, la puissance de leurs corps volumineux tourmentés par l’implantation de lames métalliques et l’aura magique se dégageant de l’ensemble ne peuvent laisser indifférent. Parmi les personnalités s’étant intéressées aux fétiches à clous, citons l’artiste Arman qui fut séduit par l’accumulation de matières tant magiques que métalliques sur la surface de ces figures de bois. Il en possédait plusieurs exemplaires.
De son origine
La vie de l’homme Kongo, comprenant l’ensemble des ethnies assimilées, est régie tout au long de son existence par un ensemble de forces naturelles, influençant tant son environnement que lui-même. Il tachera donc de les rendre favorables à l’aide de multiples rituels et prières relevant de sa compétence personnelle, celle-ci étant directement liés au savoir-faire du nganga (sorcier). Ce dernier a reçu dès son plus jeune âge un enseignement l’ayant préparé à réaliser et à manipuler des bilongo (charges médicinales), constitués de matières diverses telles que l’argile, l’écorce, ou des racines. Séparément ces éléments n’ont aucun pouvoir, mais une fois assemblés selon un rituel précis, ils sont investis d’un pouvoir magique. Les bilongo peuvent être utilisés directement ou bien être associés à une sculpture en bois. Insufflant la vie à cette figure de bois ou nkonde, le nganga pourra ainsi entrer en communication avec celle-ci (in Lehuard, 1989).
C’est ici que les lames métalliques et les clous interviennent. L’interaction du nganga avec sa sculpture se déroule en deux étapes. Il commence par réciter une prière à haute voix, destinée à expliquer la raison de sa démarche, puis cette parole devient « action » lorsque le nganga introduit une lame métallique à l’endroit adéquat (in Lehuard, 1980).
L’implantation des clous et la position des charges ne sont en effet pas dues au hasard, Lehuard précise que « le manipulateur ordonne généralement les masses selon un rythme, un équilibre qui sont la symbiose de principes et de méthodes sacrées ». Le nkonde était l’œuvre magique la plus importante du village ou du clan, et n’était visible que d’un cercle particulièrement restreint.
Un trésor caché en provenance des Amériques
De 1955 à 1968, Raymond Wielgus constitua une collection d’exception en se concentrant sur la qualité et non sur la quantité. Ce rare ensemble fut célébré à deux reprises au Chicago Arts Club (1957) et au Museum of Primitive Art de New York (1960). Comme il l’écrivait lui-même dans l’introduction au catalogue de l’exposition de New York (1960) : « Mon objectif en collectionnant n’est pas d’amasser le plus grand nombre d’objet, mais d’acquérir un petit groupe d’œuvres combinant ces trois critères intangibles : l’excellente esthétique, l’importance ethnographique ou archéologique et la qualité que l’on peut définir comme « bonne ». L’excellence esthétique signifie pour moi que l’objet soit mémorable quelque soit son type ou son âge ». Il suffit de feuilleter le catalogue de ces deux expositions et d’admirer chacune des pièces photographiées, peu importe leur origine (Amérique du Nord et précolombienne, Afrique, Mélanésie, Polynésie), pour se rendre compte de l’excellence du goût de Raymond Wielgus.
Julian et Irma Brody ont quant à eux commencé à collectionner l’art africain au début des années 1950. Deux expositions au Des Moines Art Center, accompagnées de leurs catalogues, ont été dédiées à leur collection : African Art from the Collection of Julian and Irma Brody, du 18 mars au 20 avril 1975, et Selections from the Julian & Irma Brody Collection, du 5 mars au 24 avril 1988.