Lot Essay
Cette œuvre sera incluse au catalogue raisonné de l'œuvre de Maurice Denis actuellement en préparation par Claire Denis et Fabienne Stahl.
Gilles Genty, Historien de l'art, février 2016
Le thème des orphelin(e)s est très fréquent dans la littérature de la fin du XIXe siècle. Illustrations d’une réalité sociale, certaines versions sont misérabilistes, ainsi Hector Malot avec Sans famille (1878), tandis que d’autres se situent dans une perspective d’édifcation morale, telles Les Orphelines de Saint-Cloud de Sophie de Cantelou (1890). Jacques-Emile Lafon peignit quant à lui, dans un style académique, Les orphelines reproduit dans La France Illustrée (1889). C’est cette veine édificatrice qui intéresse au premier rang Maurice Denis, le Nabi «aux belles icônes» qui déroule sa scène en un format panoramique, depuis la coiffe de la soeur dont l’orientation guide l’oeil du spectateur. Denis recourt la même année à un identique dispositif en frise dans Les Deux soeurs sous la lampe (1891 ; collection particulière). L’utilisation d’un cadrage resserré, d’une vue rapprochée, l’absence de profondeur de champ, sont autant de solutions visuelles héritées des estampes japonaises que les Nabis découvraient alors dans le fameux Japon Artistique (1888-91) de Siegfried Bing. Avec ses touches pointillées, Les orphelines témoigne aussi de l’infuence du néo-impressionnisme de Georges Seurat sur les Nabis, style dans lequel Denis peindra parmi ses plus grands chefs-d’oeuvre, notamment Mystère de Pâques (1891 ; Chicago, Art Institute) et Avril (1891 ; collection particulière). Maurice Denis participa d’ailleurs en 1892, 1893 et 1894 aux expositions des Indépendants qui étaient depuis 1884 le lieu fétiche de l’éclosion du pointillisme.
Les orphelines est sans doute plus riche encore ; les personnages de l’arrière plan se découpent en de simples silhouettes, tels les formes du théâtre d’ombres que Rodolphe Salis avait installé dans son cabaret du «Chat Noir». Quant aux visages des orphelines, ils sont tous identiques, simplifés à l’extrême, comme s’il s’agissait d’une seule et même personne vue en diférents moments. Comme dans La procession (1891 ; collection particulière), Denis refuse l’individualisation de ces formes blanches qu’il nomme parfois des «figures d’âmes». Ces visages peints comme des abstractions, versions modernisées des personnages de Puvis de Chavannes, disent combien la spiritualité gomme les diférences et unife les destins.
The theme of orphans was very common in literature at the end of the 19th century. Some versions were extremely bleak, as in Hector Malot’s Sans famille (1878), while others aimed at moral education, as in Les orphelines de Saint-Cloud by Sophie de Cantelou (1890). Les orphelines by Jacques-Emile Lafon was painted in an academic style and reproduced in the magazine La France Illustrée (1889). It was the moral edifcation approach that most interested Maurice Denis, the nabi painter with “beautiful icons”, as he was called. Denis depicted this scene in a panoramic format, starting from the sister’s headdress, whose orientation guides the eye of the viewer. The same year he used the same frieze construction for Les deux soeurs sous la lampe (1891 ; private collection). A narrowed frame, a close-up view, the absence of depth of field are so many visual solutions inherited from the Japanese prints discovered by the Nabi artists in Siegfried Bing’s famous magazine Le Japon Artistique (1888-91). With its dotted strokes, Les orphelines also shows the influence of Seurat’s neo-impressionism on the Nabi artists, the style Maurice Denis used to paint some of his greatest masterpieces, notably Mystère de Pâques (1891 ; Art Institute of Chicago) and Avril (1891 ; private collection). As a matter of fact, Maurice Denis took part in the 1892, 1893 and 1894 Indépendants exhibitions, which had been central to the birth of pointillism since 1884.
Les orphelines is yet more complex : the fgures in the background are traced as simple silhouettes, as in the theatre of shadows created by Rodolphe Salis in his cabaret, the “Chat Noir”. As for the orphans’ faces they are all identical, extremely simplifed, as if they were the same person seen at different moments. As in La procession (1891 ; private collection), Denis refused to give an individual character to the white shapes he sometimes called “faces of souls”. These abstract faces, modernised versions of Puvis de Chavannes’s characters, express the efect of spirituality, which erases diferences and unifes destinies
Gilles Genty, Historien de l'art, février 2016
Le thème des orphelin(e)s est très fréquent dans la littérature de la fin du XIXe siècle. Illustrations d’une réalité sociale, certaines versions sont misérabilistes, ainsi Hector Malot avec Sans famille (1878), tandis que d’autres se situent dans une perspective d’édifcation morale, telles Les Orphelines de Saint-Cloud de Sophie de Cantelou (1890). Jacques-Emile Lafon peignit quant à lui, dans un style académique, Les orphelines reproduit dans La France Illustrée (1889). C’est cette veine édificatrice qui intéresse au premier rang Maurice Denis, le Nabi «aux belles icônes» qui déroule sa scène en un format panoramique, depuis la coiffe de la soeur dont l’orientation guide l’oeil du spectateur. Denis recourt la même année à un identique dispositif en frise dans Les Deux soeurs sous la lampe (1891 ; collection particulière). L’utilisation d’un cadrage resserré, d’une vue rapprochée, l’absence de profondeur de champ, sont autant de solutions visuelles héritées des estampes japonaises que les Nabis découvraient alors dans le fameux Japon Artistique (1888-91) de Siegfried Bing. Avec ses touches pointillées, Les orphelines témoigne aussi de l’infuence du néo-impressionnisme de Georges Seurat sur les Nabis, style dans lequel Denis peindra parmi ses plus grands chefs-d’oeuvre, notamment Mystère de Pâques (1891 ; Chicago, Art Institute) et Avril (1891 ; collection particulière). Maurice Denis participa d’ailleurs en 1892, 1893 et 1894 aux expositions des Indépendants qui étaient depuis 1884 le lieu fétiche de l’éclosion du pointillisme.
Les orphelines est sans doute plus riche encore ; les personnages de l’arrière plan se découpent en de simples silhouettes, tels les formes du théâtre d’ombres que Rodolphe Salis avait installé dans son cabaret du «Chat Noir». Quant aux visages des orphelines, ils sont tous identiques, simplifés à l’extrême, comme s’il s’agissait d’une seule et même personne vue en diférents moments. Comme dans La procession (1891 ; collection particulière), Denis refuse l’individualisation de ces formes blanches qu’il nomme parfois des «figures d’âmes». Ces visages peints comme des abstractions, versions modernisées des personnages de Puvis de Chavannes, disent combien la spiritualité gomme les diférences et unife les destins.
The theme of orphans was very common in literature at the end of the 19th century. Some versions were extremely bleak, as in Hector Malot’s Sans famille (1878), while others aimed at moral education, as in Les orphelines de Saint-Cloud by Sophie de Cantelou (1890). Les orphelines by Jacques-Emile Lafon was painted in an academic style and reproduced in the magazine La France Illustrée (1889). It was the moral edifcation approach that most interested Maurice Denis, the nabi painter with “beautiful icons”, as he was called. Denis depicted this scene in a panoramic format, starting from the sister’s headdress, whose orientation guides the eye of the viewer. The same year he used the same frieze construction for Les deux soeurs sous la lampe (1891 ; private collection). A narrowed frame, a close-up view, the absence of depth of field are so many visual solutions inherited from the Japanese prints discovered by the Nabi artists in Siegfried Bing’s famous magazine Le Japon Artistique (1888-91). With its dotted strokes, Les orphelines also shows the influence of Seurat’s neo-impressionism on the Nabi artists, the style Maurice Denis used to paint some of his greatest masterpieces, notably Mystère de Pâques (1891 ; Art Institute of Chicago) and Avril (1891 ; private collection). As a matter of fact, Maurice Denis took part in the 1892, 1893 and 1894 Indépendants exhibitions, which had been central to the birth of pointillism since 1884.
Les orphelines is yet more complex : the fgures in the background are traced as simple silhouettes, as in the theatre of shadows created by Rodolphe Salis in his cabaret, the “Chat Noir”. As for the orphans’ faces they are all identical, extremely simplifed, as if they were the same person seen at different moments. As in La procession (1891 ; private collection), Denis refused to give an individual character to the white shapes he sometimes called “faces of souls”. These abstract faces, modernised versions of Puvis de Chavannes’s characters, express the efect of spirituality, which erases diferences and unifes destinies