Lot Essay
Ces exceptionnels coffres formant paire (lots 21 A et 21 B), l’un en marqueterie dite « Boulle » sur fond d’écaille de tortue, l’autre sur fond d’ébène, sont un précieux et rare témoignage de l’évolution stylistique et artistique du début de la carrière d’André-Charles Boulle (1642-1732).
LE MODELE
D'un modèle appelé à l'époque « cassette » ou « coffre de toilette », la forme et les dimensions de ce type de coffre s’inspirent de ceux en laque du Japon alors largement importés en Europe au XVIIe siècle. André-Charles Boulle semble l’avoir adapté et mis au point dans ses ateliers avant 1700, les coffres étant alors généralement disposés sur un piètement.
Une première liste du stock de Boulle, le 7 avril 1700 (déclaration somptuaire) mentionne en effet « deux petits coffres avec leurs pieds ». Plus tard, dans l’Acte de Delaissement de Boulle en 1715 (publié par Jean-Pierre Samoyault, André-Charles Boulle et sa famille, Genève, 1979, pp. 69, 71 et 73) qui liste le stock de Boulle, on les voit mentionnés séparément de leurs bronzes et de leurs piétements : « Quatre gros coffres en bois blanc avec le modèle en sapin commencés pour M. Ponton et les deux scabellons qui les accompagnent, 800L Les modèles des coffres commencés pour M. de Ponton en cuivre et en plomb 300L Douze pieds de coffres ayant des gaines, ou de cabinets de bois blanc de sapin, 600L ».
Cinq ans plus tard, pendant l'été 1720, lors de l'incendie qui détruit l'atelier d'André-Charles Boulle dans la cour du Louvre, on liste parmi les meubles malheureusement disparus « douze coffres avec leurs pieds de différentes grandeurs et formes. »
Enfin, l'inventaire après décès de Boulle en 1732 mentionne dans la liste des modèles de bronze restant dans l'atelier « une boeste contenant les modèles des ornemens de coffres de nuit et de toilette pesant ensemble quarante-quatre livres, prisés à raison de vingt-quatre sols la livre, 52L, 16s. » (op. cit. Samoyault, p. 142).
Les présents coffres semblent être une réalisation précoce dans la carrière d’André-Charles Boulle. Ils sont en effet à rapprocher d’un coffre qui lui est attribué de même forme et de mêmes dimensions entièrement marqueté de bois dit « de fleurs », aujourd’hui au Getty Museum de Los Angeles (inv. 84.DA.97). Ce type de marqueterie, également présent sur le revers de nos couvercles, est caractéristique du début de sa production et semble ne plus avoir été utilisé dans les ateliers de Boulle à partir des années 1680-1690. Ainsi, combinant ce type de marqueterie avec celle dite « Boulle » en extérieur, ces coffres sont un rare témoignage dans l’évolution technique qu’opère l’ébéniste dans ces années. Un exemple célèbre de cette transition est l’armoire dite « aux Perroquets » du musée du Louvre datée vers 1690 (inv. OA 5516).
Deux coffrets presque identiques et de dimensions plus petites que ceux présentés ici sont répertoriés (vente Palais Galliera, 22 octobre 1968, lot 89). Attribués à André-Charles Boulle, ils combinent également une marqueterie de laiton en extérieur et florale, en bois de rapport, à l’intérieur. De plus, cet ensemble est lui aussi composé d’un coffre marqueté sur fond d’écaille de tortue, et d’un autre sur fond d’ébène, indiquant qu’il s’agit probablement là aussi d’une paire.
Les coffres plus tardifs dans l’œuvre de Boulle, datés du premier quart du XVIIIe siècle, sont plus richement montés : les agrafes simulées ici en marqueterie sont désormais remplacées par de larges montures de bronze doré, et la marqueterie de fleurs est désormais abandonnée. Un certain nombre de ces modèles sont répertoriés, citons notamment la paire provenant des collections de Sir Philip Sassoon « Works of Art from Houghton », vente Christie's, Londres, 8 décembre 1994, lot 22 ; ou encore la paire provenant des collections du baron James de Rothschild vendue plus récemment chez Christie’s, Paris, 5 novembre 2014, lot 53. Un coffre de ce type, également muni d’un abattant en façade, fait partie des collections des ducs de Devonshire au château de Chatsworth (ill. dans Douglas Cooper, Great Family Collections, Londres, 1965, p. 153).
UNE ICONOGRAPHIE COMPLEXE
L’iconographie riche et complexe de ces coffres s’explique par l’usage personnel et privé que l’on faisait de ce type d’objets, bien que le luxe de leur matériau revête un caractère ostentatoire certain.
La couronne ducale, les colliers de l’ordre du Saint-Esprit et de Saint-Michel visibles sur l’un révèlent l’importance du statut de leur commanditaire. Les casques, massues et peaux du lion de Némée visibles sur l’autre se réfèrent quant à eux à une fonction militaire que celui-ci pouvait occuper. La licorne (une restauration ayant supprimé la corne, encore visible dans la marqueterie) et le chien supportant l’un des cartouches centraux reflètent, pour leur part, un goût probable pour les loisirs de la chasse et sont à relier avec les tenants héraldiques.
Il est intéressant de noter que la paire de coffrets de la vente de 1968, possiblement réalisés en suite avec les présents coffres, sont également riches en symboles, la présence du lion associé à l’aigle et au coq étant généralement lue comme une allégorie de la paix de Nimègue signée en 1678.
Les chiffres ducaux, visibles de part et d’autre du coffre en écaille, se réfèrent quant à eux aux initiales du commanditaire et possiblement de son épouse. Bien que l’identité de ceux-ci reste aujourd’hui inconnue, la traçabilité de ces deux coffres peut remonter à l’année 1903, où ils apparaissent dans la vente des célèbres collections de Madame Camille Lelong, avant de rejoindre les collections de Boniface de Castellane et Anna Gould au Palais Rose. C’est d’ailleurs dans cette prestigieuse collection qu’étaient conservés les coffres dits du Grand Dauphin attribués à André-Charles Boulle qui avaient fait partie des collections du Palais de San Donato à Florence. On trouve ainsi décrits, après nos deux coffrets, dans l’inventaire du Palais Rose après le décès d’Anna Gould : « 700 - Paire d'importants coffres de mariage […] Commandés à André-Charles Boulle sur ordre de Louis XIV pour le Grand Dauphin. Ces coffres sont restés au château de Versailles jusqu'au départ du Dauphin, pour le château de sa retraite. […] Ancienne Collection du Marquis de Foz à Lisbonne. Ancienne Collection San Donato vente à Londres chez Christie's en Juin 1938 n°68 du catalogue (80,000 francs) ». Anna Gould conservera ainsi les coffres dits du Dauphin qui passeront par descendance à sa fille Violette. Ils sont aujourd’hui conservés au Getty Museum (inv. 82.DA.109.1.a-.b et .2.a-.b).
LE MODELE
D'un modèle appelé à l'époque « cassette » ou « coffre de toilette », la forme et les dimensions de ce type de coffre s’inspirent de ceux en laque du Japon alors largement importés en Europe au XVIIe siècle. André-Charles Boulle semble l’avoir adapté et mis au point dans ses ateliers avant 1700, les coffres étant alors généralement disposés sur un piètement.
Une première liste du stock de Boulle, le 7 avril 1700 (déclaration somptuaire) mentionne en effet « deux petits coffres avec leurs pieds ». Plus tard, dans l’Acte de Delaissement de Boulle en 1715 (publié par Jean-Pierre Samoyault, André-Charles Boulle et sa famille, Genève, 1979, pp. 69, 71 et 73) qui liste le stock de Boulle, on les voit mentionnés séparément de leurs bronzes et de leurs piétements : « Quatre gros coffres en bois blanc avec le modèle en sapin commencés pour M. Ponton et les deux scabellons qui les accompagnent, 800L Les modèles des coffres commencés pour M. de Ponton en cuivre et en plomb 300L Douze pieds de coffres ayant des gaines, ou de cabinets de bois blanc de sapin, 600L ».
Cinq ans plus tard, pendant l'été 1720, lors de l'incendie qui détruit l'atelier d'André-Charles Boulle dans la cour du Louvre, on liste parmi les meubles malheureusement disparus « douze coffres avec leurs pieds de différentes grandeurs et formes. »
Enfin, l'inventaire après décès de Boulle en 1732 mentionne dans la liste des modèles de bronze restant dans l'atelier « une boeste contenant les modèles des ornemens de coffres de nuit et de toilette pesant ensemble quarante-quatre livres, prisés à raison de vingt-quatre sols la livre, 52L, 16s. » (op. cit. Samoyault, p. 142).
Les présents coffres semblent être une réalisation précoce dans la carrière d’André-Charles Boulle. Ils sont en effet à rapprocher d’un coffre qui lui est attribué de même forme et de mêmes dimensions entièrement marqueté de bois dit « de fleurs », aujourd’hui au Getty Museum de Los Angeles (inv. 84.DA.97). Ce type de marqueterie, également présent sur le revers de nos couvercles, est caractéristique du début de sa production et semble ne plus avoir été utilisé dans les ateliers de Boulle à partir des années 1680-1690. Ainsi, combinant ce type de marqueterie avec celle dite « Boulle » en extérieur, ces coffres sont un rare témoignage dans l’évolution technique qu’opère l’ébéniste dans ces années. Un exemple célèbre de cette transition est l’armoire dite « aux Perroquets » du musée du Louvre datée vers 1690 (inv. OA 5516).
Deux coffrets presque identiques et de dimensions plus petites que ceux présentés ici sont répertoriés (vente Palais Galliera, 22 octobre 1968, lot 89). Attribués à André-Charles Boulle, ils combinent également une marqueterie de laiton en extérieur et florale, en bois de rapport, à l’intérieur. De plus, cet ensemble est lui aussi composé d’un coffre marqueté sur fond d’écaille de tortue, et d’un autre sur fond d’ébène, indiquant qu’il s’agit probablement là aussi d’une paire.
Les coffres plus tardifs dans l’œuvre de Boulle, datés du premier quart du XVIIIe siècle, sont plus richement montés : les agrafes simulées ici en marqueterie sont désormais remplacées par de larges montures de bronze doré, et la marqueterie de fleurs est désormais abandonnée. Un certain nombre de ces modèles sont répertoriés, citons notamment la paire provenant des collections de Sir Philip Sassoon « Works of Art from Houghton », vente Christie's, Londres, 8 décembre 1994, lot 22 ; ou encore la paire provenant des collections du baron James de Rothschild vendue plus récemment chez Christie’s, Paris, 5 novembre 2014, lot 53. Un coffre de ce type, également muni d’un abattant en façade, fait partie des collections des ducs de Devonshire au château de Chatsworth (ill. dans Douglas Cooper, Great Family Collections, Londres, 1965, p. 153).
UNE ICONOGRAPHIE COMPLEXE
L’iconographie riche et complexe de ces coffres s’explique par l’usage personnel et privé que l’on faisait de ce type d’objets, bien que le luxe de leur matériau revête un caractère ostentatoire certain.
La couronne ducale, les colliers de l’ordre du Saint-Esprit et de Saint-Michel visibles sur l’un révèlent l’importance du statut de leur commanditaire. Les casques, massues et peaux du lion de Némée visibles sur l’autre se réfèrent quant à eux à une fonction militaire que celui-ci pouvait occuper. La licorne (une restauration ayant supprimé la corne, encore visible dans la marqueterie) et le chien supportant l’un des cartouches centraux reflètent, pour leur part, un goût probable pour les loisirs de la chasse et sont à relier avec les tenants héraldiques.
Il est intéressant de noter que la paire de coffrets de la vente de 1968, possiblement réalisés en suite avec les présents coffres, sont également riches en symboles, la présence du lion associé à l’aigle et au coq étant généralement lue comme une allégorie de la paix de Nimègue signée en 1678.
Les chiffres ducaux, visibles de part et d’autre du coffre en écaille, se réfèrent quant à eux aux initiales du commanditaire et possiblement de son épouse. Bien que l’identité de ceux-ci reste aujourd’hui inconnue, la traçabilité de ces deux coffres peut remonter à l’année 1903, où ils apparaissent dans la vente des célèbres collections de Madame Camille Lelong, avant de rejoindre les collections de Boniface de Castellane et Anna Gould au Palais Rose. C’est d’ailleurs dans cette prestigieuse collection qu’étaient conservés les coffres dits du Grand Dauphin attribués à André-Charles Boulle qui avaient fait partie des collections du Palais de San Donato à Florence. On trouve ainsi décrits, après nos deux coffrets, dans l’inventaire du Palais Rose après le décès d’Anna Gould : « 700 - Paire d'importants coffres de mariage […] Commandés à André-Charles Boulle sur ordre de Louis XIV pour le Grand Dauphin. Ces coffres sont restés au château de Versailles jusqu'au départ du Dauphin, pour le château de sa retraite. […] Ancienne Collection du Marquis de Foz à Lisbonne. Ancienne Collection San Donato vente à Londres chez Christie's en Juin 1938 n°68 du catalogue (80,000 francs) ». Anna Gould conservera ainsi les coffres dits du Dauphin qui passeront par descendance à sa fille Violette. Ils sont aujourd’hui conservés au Getty Museum (inv. 82.DA.109.1.a-.b et .2.a-.b).