Lot Essay
Commentaire à propos d’une statuette MABEA, provenant d’une ancienne collection suédoise
par Louis Perrois
Cette petite figure féminine d’ancêtre mabea, 30,5 cm, d’une facture et d’un modelé puissants, semble bien être le pendant féminin d’une autre œuvre connue par ailleurs, représentant un ancêtre masculin, 36 cm, apparue à Londres en 1982 (Sotheby’s, London, 6 July 1982, lot 196) et exposée tant à Bruxelles en 1988 qu’à Marseille en 1992 (cf. « Utotombo. Kunst uit Zwart-Afrika in Belgisch prive-bezit », by de Heusch (Luc) et al., Brussels, 1988 : 199, #152 ; Perrois (Louis), « Byeri Fang - Sculptures d’ancêtres en Afrique », Marseille : Musée d’Arts Africains, Océaniens, Amérindiens, 1992 : 176-177, coll. Mme Dora Jansen Bruxelles). Ces deux sculptures pourraient donc être un couple d’ancêtres (comme ceux publiés dès 1901 dans le catalogue Webster), sinon des œuvres d’un même sculpteur, réalisées dans la seconde moitié du XIXe siècle, compte tenu de l’époque de son premier propriétaire suédois. On y retrouve en effet une facture quasi identique au niveau du visage, notamment des yeux en amande, du nez épaté et de la bouche aux grosses lèvres (avec le philtrum marqué), dans une même attitude du corps debout aux bras allongés, les mains posées sur les cuisses. Un autre détail permet ce rapprochement, qui est une véritable découverte stylistique, à savoir la figuration des malléoles latérales externes des chevilles.
Cette statue féminine 30,5 cm, d’un modelé tendant au réalisme et d’une belle qualité de finition, provient donc des Mabea, un groupe qu’on intègre habituellement dans le vaste ensemble des Beti-Fang du Sud Cameroun. Au plan historique et surtout linguistique, les Mabea (ceux-ci ne comprenant que 3000 personnes vers 1950), qu’on peut estimer avoir été « pahouinisés » aux plans linguistique et culturel par les Beti (cf. Alexandre & Binet, 1958), sont de souche Maka, une ethnie du sud-est du Cameroun, localisée en limite de la Centrafrique. D’ailleurs, les Mabea parlent une langue que comprennent encore très bien les Maka et réciproquement (les deux peuples étant pourtant séparés de 700 km), distincte de celle des Fang Ntumu et des Béti-Bulu, les groupes majoritaires de la zone. Les Mabéa sont installés sur la côte sud-camerounaise, au sud de Kribi et jusqu’à Bata au Rio Muni. Lors de ces mouvements de migration, beaucoup d’échanges culturels eurent lieu, au fil de ces deux ou trois siècles de contacts. C’est ainsi que les rituels d’initiation du So et la symbolique qui va avec, se sont diffusés dans tous les groupes rencontrés, de même origine bantoue et de langues cousines. De même pour le culte des ancêtres du byeri avec la conservation des reliques des défunts importants (crânes notamment) et notamment la sculpture des statuettes de bois comme « gardiens » de ces reliquaires.
Des Mabéa, on connait surtout les grandes statues, telles que celles de l’ancienne collection Fénéon puis Kerchache (67 cm) et du musée Barbier-Mueller de Genève (70 cm) mais aussi quelques-unes, plus rares, de petite taille, d’environ 30 à 40 cm comme celle-ci. La plupart des statues Mabéa proviennent de collecteurs allemands ou scandinaves du fait que toute cette région côtière du Sud-Cameroun a été longtemps fréquentée par les navires des compagnies de commerce de produits tropicaux de la zone hanséatique et suédoises puis ensuite soumise à la domination germanique, à la fin du XIXè siècle jusqu’à 1916.
Une sculpture d’un naturalisme idéalisé
Au plan morphologique, la structure des volumes de cette statue est d’un naturalisme idéalisé qui rompt avec la stylisation habituelle de la sculpture Fang des groupes du sud, plus porté à une stylisation radicale des formes. Les épaules sont larges et arrondies avec les reliefs musculeux des pectoraux pour les représentations masculines et des seins pour les représentations féminines (juvéniles ou, comme ici, de vieille femme ayant allaité), ainsi que les creux claviculaires à la base du cou (un détail très caractéristique).
La tête est en projection antérieure par rapport à l’axe du corps, avec un front en quart de sphère, une face déterminée par les arcades sourcilières en creux et des joues aux pommettes hautes, des yeux en amande en léger relief, une masse sous-mentonnière arrondie et une bouche prognathe. La bouche est entrouverte avec des lèvres très épaisses. Quant à l’ample coiffe, à deux coques rembourrées, elle est projetée vers l’arrière, faisant le pendant avec la courbure du front. Plusieurs trous transverses servaient à fixer une touffe de plumes.
Le torse de diamètre relativement étroit, est mince par rapport à l’épaisseur des bras. Les avant-bras sont un peu surdimensionnés, les mains étant soigneusement traitées avec les doigts écartés, posées sur les genoux. Les seins sont allongés en cylindres avec des extrémités en cône (seins de vieille femme ayant allaité, évoquant le symbole de la mère nourricière du groupe). Sur l’abdomen, un nombril proéminent en forme de cylindre, est un détail typiquement fang, comme on sait.
Les membres inférieurs sont en position semi-assise, avec des cuisses et un fessier massifs, sans rostre postérieur, ce qui induit que la sculpture devait être installée sur le couvercle du coffre-reliquaire (peut-être en compagnie de son compagnon masculin ?).
Conclusion
Cette petite statue féminine, 30,5 cm, de provenance fort ancienne, rapprochée de son alter ego masculin de l’ancienne collection Dora Jansen, constitue une redécouverte du style des Mabéa, dans une configuration exceptionnelle et rare, celle d’un couple de petite taille, pourtant de facture soigneusement traitée, tant au plan des volumes que des surfaces.
par Louis Perrois
Cette petite figure féminine d’ancêtre mabea, 30,5 cm, d’une facture et d’un modelé puissants, semble bien être le pendant féminin d’une autre œuvre connue par ailleurs, représentant un ancêtre masculin, 36 cm, apparue à Londres en 1982 (Sotheby’s, London, 6 July 1982, lot 196) et exposée tant à Bruxelles en 1988 qu’à Marseille en 1992 (cf. « Utotombo. Kunst uit Zwart-Afrika in Belgisch prive-bezit », by de Heusch (Luc) et al., Brussels, 1988 : 199, #152 ; Perrois (Louis), « Byeri Fang - Sculptures d’ancêtres en Afrique », Marseille : Musée d’Arts Africains, Océaniens, Amérindiens, 1992 : 176-177, coll. Mme Dora Jansen Bruxelles). Ces deux sculptures pourraient donc être un couple d’ancêtres (comme ceux publiés dès 1901 dans le catalogue Webster), sinon des œuvres d’un même sculpteur, réalisées dans la seconde moitié du XIXe siècle, compte tenu de l’époque de son premier propriétaire suédois. On y retrouve en effet une facture quasi identique au niveau du visage, notamment des yeux en amande, du nez épaté et de la bouche aux grosses lèvres (avec le philtrum marqué), dans une même attitude du corps debout aux bras allongés, les mains posées sur les cuisses. Un autre détail permet ce rapprochement, qui est une véritable découverte stylistique, à savoir la figuration des malléoles latérales externes des chevilles.
Cette statue féminine 30,5 cm, d’un modelé tendant au réalisme et d’une belle qualité de finition, provient donc des Mabea, un groupe qu’on intègre habituellement dans le vaste ensemble des Beti-Fang du Sud Cameroun. Au plan historique et surtout linguistique, les Mabea (ceux-ci ne comprenant que 3000 personnes vers 1950), qu’on peut estimer avoir été « pahouinisés » aux plans linguistique et culturel par les Beti (cf. Alexandre & Binet, 1958), sont de souche Maka, une ethnie du sud-est du Cameroun, localisée en limite de la Centrafrique. D’ailleurs, les Mabea parlent une langue que comprennent encore très bien les Maka et réciproquement (les deux peuples étant pourtant séparés de 700 km), distincte de celle des Fang Ntumu et des Béti-Bulu, les groupes majoritaires de la zone. Les Mabéa sont installés sur la côte sud-camerounaise, au sud de Kribi et jusqu’à Bata au Rio Muni. Lors de ces mouvements de migration, beaucoup d’échanges culturels eurent lieu, au fil de ces deux ou trois siècles de contacts. C’est ainsi que les rituels d’initiation du So et la symbolique qui va avec, se sont diffusés dans tous les groupes rencontrés, de même origine bantoue et de langues cousines. De même pour le culte des ancêtres du byeri avec la conservation des reliques des défunts importants (crânes notamment) et notamment la sculpture des statuettes de bois comme « gardiens » de ces reliquaires.
Des Mabéa, on connait surtout les grandes statues, telles que celles de l’ancienne collection Fénéon puis Kerchache (67 cm) et du musée Barbier-Mueller de Genève (70 cm) mais aussi quelques-unes, plus rares, de petite taille, d’environ 30 à 40 cm comme celle-ci. La plupart des statues Mabéa proviennent de collecteurs allemands ou scandinaves du fait que toute cette région côtière du Sud-Cameroun a été longtemps fréquentée par les navires des compagnies de commerce de produits tropicaux de la zone hanséatique et suédoises puis ensuite soumise à la domination germanique, à la fin du XIXè siècle jusqu’à 1916.
Une sculpture d’un naturalisme idéalisé
Au plan morphologique, la structure des volumes de cette statue est d’un naturalisme idéalisé qui rompt avec la stylisation habituelle de la sculpture Fang des groupes du sud, plus porté à une stylisation radicale des formes. Les épaules sont larges et arrondies avec les reliefs musculeux des pectoraux pour les représentations masculines et des seins pour les représentations féminines (juvéniles ou, comme ici, de vieille femme ayant allaité), ainsi que les creux claviculaires à la base du cou (un détail très caractéristique).
La tête est en projection antérieure par rapport à l’axe du corps, avec un front en quart de sphère, une face déterminée par les arcades sourcilières en creux et des joues aux pommettes hautes, des yeux en amande en léger relief, une masse sous-mentonnière arrondie et une bouche prognathe. La bouche est entrouverte avec des lèvres très épaisses. Quant à l’ample coiffe, à deux coques rembourrées, elle est projetée vers l’arrière, faisant le pendant avec la courbure du front. Plusieurs trous transverses servaient à fixer une touffe de plumes.
Le torse de diamètre relativement étroit, est mince par rapport à l’épaisseur des bras. Les avant-bras sont un peu surdimensionnés, les mains étant soigneusement traitées avec les doigts écartés, posées sur les genoux. Les seins sont allongés en cylindres avec des extrémités en cône (seins de vieille femme ayant allaité, évoquant le symbole de la mère nourricière du groupe). Sur l’abdomen, un nombril proéminent en forme de cylindre, est un détail typiquement fang, comme on sait.
Les membres inférieurs sont en position semi-assise, avec des cuisses et un fessier massifs, sans rostre postérieur, ce qui induit que la sculpture devait être installée sur le couvercle du coffre-reliquaire (peut-être en compagnie de son compagnon masculin ?).
Conclusion
Cette petite statue féminine, 30,5 cm, de provenance fort ancienne, rapprochée de son alter ego masculin de l’ancienne collection Dora Jansen, constitue une redécouverte du style des Mabéa, dans une configuration exceptionnelle et rare, celle d’un couple de petite taille, pourtant de facture soigneusement traitée, tant au plan des volumes que des surfaces.