Lot Essay
Cette commode se singularise par sa remarquable marqueterie. Ses réserves polylobées sont entrelacées de façon à dessiner d'autres réserves aux formes octogonales pour les unes et elliptiques pour les autres. Le placage des réserves principales est appliqué en diagonale afin que les veines coïncident et dessinent des losanges, créant ainsi une harmonieuse opposition entre lignes courbes et lignes droites. Quant aux réserves séparant les formes polylobées, elles sont soulignées par des quartefeuilles délicatement nervurés. Raffinement extrême, les formes polylobées sont soulignées par des filets de houx encadrant un ruban d'amarante de façon à accentuer leur dessin géométrique. Cette somptueuse commode fait partie d'un groupe réduit de commodes créées par Mathieu-Guillaume Cramer dans les années 1770-1780 ; nombre de ces meubles sont désormais conservés dans des collections publiques.
Dans ce corpus, on peut citer en premier la commode conservée au Victoria and Albert Museum à Londres (Inv. W. 3:1. 8-1940). Cette commode, offerte en 1840 au musée londonien, proviendrait de la collection de Sir Henry Williams Kinn, un aristocrate britannique ayant bâti, comme de nombreux autres, une collection de mobilier français au lendemain de la Révolution française.
Citons également celle conservée au musée Nissim de Camondo (Inv. CAM 636). Elle fût achetée en 1892 par Moïse de Camondo chez Jacques Seligmann.
Il ne faut pas oublier la paire de commodes de la collection de Lady Glenconner (vente Christie's, Londres, 18 mai 1922, lot 89) ; elle fût revendue, (vente Christie's, New York, 5 novembre 1986, lot 202). Ces commodes se singularisent par leur -rarissime- plateau de marqueterie dont le motif reprend celui de la façade et des côtés. Le fait que les plateaux soient marquetés et non pas de marbre pourrait s'expliquer, selon Theodore Dell, par une création destinée au marché anglais, les amateurs outre-Manche étant habitués, en particulier pour leur mobilier, à des plateaux plaqués ou marquetés.
Une autre commode figurait dans les collections Rosebery au château de Mentmore ; elle y fut vendue le 19 mai 1977 (vente Sotheby's, in situ, lot 522).
Par tradition familiale, cette commode proviendrait des collections russes dispersées dés la naissance de l'URSS. Cette provenance présumée nous plonge dans l'URSS du milieu des années 1920. En quelques années, le pays a consommé -ou consumé- son stock d'or et de devises. Or les besoins sont énormes, notamment pour financer l'importation de machines-outils destinées à l'industrialisation forcée. Il décide donc de céder des oeuvres d'art et, en 1928, crée le Bureau principal pour l'achat et la vente d'antiquités, l'Antikvariat. L'objectif, exposé brutalement, est simple: "obtenir une colonne de tracteurs en échange de chaque Rembrandt". Partisans de la sauvegarde des collections nationales et défenseurs des exportations s'affrontent. Mais le pays a fait son choix ; une Commission gouvernementale souligne, en juin 1929 : "Il y a des gens, communistes et marxistes, qui sont contaminés par cette idée que nous avons besoin des Rembrandt et des Raphaël et qu'on ne peut pas les vendre. Quant à moi, j'attache plus de prix à la Gosbank et aux valeurs or, et Rembrandt, que le diable l'emporte !". Les cessions ne vont pas concerner que Rembrandt et Raphaël et les arts décoratifs vont constituer une partie très significative des oeuvres vendues. Comme le souligne Elena A. Osokina ("De l'or pour l'industrialisation", Cahiers du monde russe, No. 41/1, Janvier - mars 2000, pp. 5-40), "L'histoire a parfois des plaisanteries cruelles : les membres de l'aristocratie et de la famille régnante ne pouvaient imaginer, quand ils embellissaient leurs palais, qu'ils constituaient ainsi un fonds de devises pour l'industrialisation soviétique".
La France joue un rôle majeur dans ces transactions. Dès l'automne 1927, une délégation soviétique rend visite à Germain Seligmann, un des antiquaires parisiens les plus réputés. Ironie de l'histoire, il est certainement retenu par les soviétiques car tant son père Jacques Seligmann que lui-même avaient effectué un certain nombre de transactions avec la Russie des tsars. Il doit affronter des difficultés : on lui propose longtemps des oeuvres d'importance mineure alors qu'il souhaite accéder à des pièces maîtresses, les questions juridiques relatives à la propriété des oeuvres spoliées restent nombreuses etc.
Deux collectionneurs, l'un européen, l'autre américain, sont des acquéreurs majeurs pour les pièces cédées par les russes. De nationalité arménienne, sujet turc de naissance, devenu ensuite citoyen britannique mais possédant un passeport diplomatique iranien, Calouste Gulbenkian est indubitablement le plus grand acheteur des chefs-d'oeuvre provenant de Moscou. Le Crésus arménien du pétrole, comme il est surnommé, dispose de moyens illimités. En outre, les soviétiques souhaitent qu'il soit pour eux un partenaire pour leurs exportations de pétrole. Il a pour rival Andrew Mellon dont les achats soviétiques enrichiront la National Gallery of Art de Washington.
Indépendamment des ventes de gré à gré, un certain nombre de ventes aux enchères furent organisées, en Allemagne et en Autriche. La présente commode ne semble pas figurer dans ces ventes. Soulignons néanmoins que les acquisitions d'Arthur Georges Veil-Picard sont effectuées au moment où les oeuvres vendues par les Soviets sont disponibles sur le marché.
Le bilan des cessions soviétiques est, quant à lui, effroyable : alors que les rentrées de devises restent somme toute assez insignifiantes, le préjudice porté aux collections russes, et en particulier à l'Ermitage, est considérable.
Dans ce corpus, on peut citer en premier la commode conservée au Victoria and Albert Museum à Londres (Inv. W. 3:1. 8-1940). Cette commode, offerte en 1840 au musée londonien, proviendrait de la collection de Sir Henry Williams Kinn, un aristocrate britannique ayant bâti, comme de nombreux autres, une collection de mobilier français au lendemain de la Révolution française.
Citons également celle conservée au musée Nissim de Camondo (Inv. CAM 636). Elle fût achetée en 1892 par Moïse de Camondo chez Jacques Seligmann.
Il ne faut pas oublier la paire de commodes de la collection de Lady Glenconner (vente Christie's, Londres, 18 mai 1922, lot 89) ; elle fût revendue, (vente Christie's, New York, 5 novembre 1986, lot 202). Ces commodes se singularisent par leur -rarissime- plateau de marqueterie dont le motif reprend celui de la façade et des côtés. Le fait que les plateaux soient marquetés et non pas de marbre pourrait s'expliquer, selon Theodore Dell, par une création destinée au marché anglais, les amateurs outre-Manche étant habitués, en particulier pour leur mobilier, à des plateaux plaqués ou marquetés.
Une autre commode figurait dans les collections Rosebery au château de Mentmore ; elle y fut vendue le 19 mai 1977 (vente Sotheby's, in situ, lot 522).
Par tradition familiale, cette commode proviendrait des collections russes dispersées dés la naissance de l'URSS. Cette provenance présumée nous plonge dans l'URSS du milieu des années 1920. En quelques années, le pays a consommé -ou consumé- son stock d'or et de devises. Or les besoins sont énormes, notamment pour financer l'importation de machines-outils destinées à l'industrialisation forcée. Il décide donc de céder des oeuvres d'art et, en 1928, crée le Bureau principal pour l'achat et la vente d'antiquités, l'Antikvariat. L'objectif, exposé brutalement, est simple: "obtenir une colonne de tracteurs en échange de chaque Rembrandt". Partisans de la sauvegarde des collections nationales et défenseurs des exportations s'affrontent. Mais le pays a fait son choix ; une Commission gouvernementale souligne, en juin 1929 : "Il y a des gens, communistes et marxistes, qui sont contaminés par cette idée que nous avons besoin des Rembrandt et des Raphaël et qu'on ne peut pas les vendre. Quant à moi, j'attache plus de prix à la Gosbank et aux valeurs or, et Rembrandt, que le diable l'emporte !". Les cessions ne vont pas concerner que Rembrandt et Raphaël et les arts décoratifs vont constituer une partie très significative des oeuvres vendues. Comme le souligne Elena A. Osokina ("De l'or pour l'industrialisation", Cahiers du monde russe, No. 41/1, Janvier - mars 2000, pp. 5-40), "L'histoire a parfois des plaisanteries cruelles : les membres de l'aristocratie et de la famille régnante ne pouvaient imaginer, quand ils embellissaient leurs palais, qu'ils constituaient ainsi un fonds de devises pour l'industrialisation soviétique".
La France joue un rôle majeur dans ces transactions. Dès l'automne 1927, une délégation soviétique rend visite à Germain Seligmann, un des antiquaires parisiens les plus réputés. Ironie de l'histoire, il est certainement retenu par les soviétiques car tant son père Jacques Seligmann que lui-même avaient effectué un certain nombre de transactions avec la Russie des tsars. Il doit affronter des difficultés : on lui propose longtemps des oeuvres d'importance mineure alors qu'il souhaite accéder à des pièces maîtresses, les questions juridiques relatives à la propriété des oeuvres spoliées restent nombreuses etc.
Deux collectionneurs, l'un européen, l'autre américain, sont des acquéreurs majeurs pour les pièces cédées par les russes. De nationalité arménienne, sujet turc de naissance, devenu ensuite citoyen britannique mais possédant un passeport diplomatique iranien, Calouste Gulbenkian est indubitablement le plus grand acheteur des chefs-d'oeuvre provenant de Moscou. Le Crésus arménien du pétrole, comme il est surnommé, dispose de moyens illimités. En outre, les soviétiques souhaitent qu'il soit pour eux un partenaire pour leurs exportations de pétrole. Il a pour rival Andrew Mellon dont les achats soviétiques enrichiront la National Gallery of Art de Washington.
Indépendamment des ventes de gré à gré, un certain nombre de ventes aux enchères furent organisées, en Allemagne et en Autriche. La présente commode ne semble pas figurer dans ces ventes. Soulignons néanmoins que les acquisitions d'Arthur Georges Veil-Picard sont effectuées au moment où les oeuvres vendues par les Soviets sont disponibles sur le marché.
Le bilan des cessions soviétiques est, quant à lui, effroyable : alors que les rentrées de devises restent somme toute assez insignifiantes, le préjudice porté aux collections russes, et en particulier à l'Ermitage, est considérable.