Lot Essay
Cette exceptionnelle paire de bergères « à la Reine » fut livrée à Versailles en 1783 pour l’appartement de fonction du baron de Breteuil, Secrétaire d’Etat à la Maison du Roi. Elles portent l’estampille de Jean Boucault et la marque au feu « W » surmontée d’une couronne fermée, apposée sur tous les meubles acquis pour Versailles par le Garde-Meuble de la Couronne.
Grâce à l’étude exhaustive de M. Baulez (cat. Steinitz, Paris, 2016, pp.306-313) l’histoire de ces deux bergères a pu être parfaitement retracée. Ces deux sièges royaux font à l’origine partie d’un important ensemble fourni par le tapissier ordinaire du Roi Claude-François Capin destiné au nouveau ministre de Louis XVI: Louis-Charles-Auguste Le Tonnelier, baron de Breteuil. Nos bergères furent donc installées au premier étage de l’aile Nord du château, ou aile des Ministres, dans les appartements qu’avaient occupés et fait redécorer le duc de Choiseul vingt ans plus tôt. Il est plausible que le mobilier comprenant nos bergères ait été, comme le suggère M. Baulez, acquis à la demande de Breteuil auprès de Choiseul.
L’ensemble comprenait alors « un meuble de lampas composé d’une tapisserie avec bordure, d’un grand canapé en confident, d’un tête-à-tête à carreau, de deux bergères à la reine, de six fauteuils, de quatre chaises, de quatre rideaux en huit parties de lampas », le tout étant estimé 23 350 livres (Arch. Nat. O1 3534).
Il fut complété par la suite, comme nous l’indique l’inventaire du domaine de Versailles en 1793, puis vendu lors des ventes révolutionnaires. Le citoyen Gastinel se retrouve adjudicataire de ce lot, le 5672ème de la vacation du 25 novembre, pour 1610 livres (Arch. Yvelines, II Q 71). L’important ensemble est ensuite éclaté, et réapparaît au fil des ventes, notamment en mai 1885, quand est dispersée la collection du comte Jacques de la Béraudière. Sous le numéro de lot 902 figure un beau meuble de salon du temps de Louis XVI, en bois sculpté et doré, à feuilles et perles et à pieds cannelés en spirale. Il est couvert de lampas du temps à fleurs blanches sur fond ponceau et se compose d’un grand canapé cintré avec siège aux angles, de deux marquises et de quatre chaises. Chaque siège est formé d’un coussin rapporté et le canapé d’un rouleau et de deux coussins. Les bois portent comme marque le nom frappé de I. Boucault et un W surmonté d’une couronne brûlé au fer.
Aujourd’hui plusieurs éléments sont localisés et appartiennent aux grandes collections publiques et privées américaines et françaises :
- Une des marquises fut offerte par les Niel au château de Versailles (musées des châteaux de Versailles et de Trianon, inv. Vmb. 14357), une autre est la propriété de la fondation F. Bemberg.
- J. Paul Getty acquit en 1971 deux des quatre chaises, maintenant au musée qui porte son nom (vente Anna Thomson Dodge, Christie’s, 24 juin 1971, lot 65 ; Getty Museum inv. 71.DA.92). Une autre est au musée Nelson Atkins de Kansas City (inv. 32-191/10).
A la faveur de ces redécouvertes, nul doute que la totalité du mobilier de Boucault sera un jour retrouvé. Un temps dissociée, puisque l’une seulement a appartenu aux collections Rothschild, notre paire de bergères a elle été réunie par les Niel dans les années 1960.
Couple passionné par les arts décoratifs du XVIIIe siècle, le couple Niel est intimement lié à l’histoire récente du mobilier royal de Versailles. Adolphe Niel (1879-1966), petit-fils du Maréchal Niel, épouse Victoire de Gasquet-James, riche héritière américaine, en 1921. Une série de pièces emblématiques viendront meubler leur maison du Lubéron et l’appartement parisien du 44 avenue Gabriel. De nombreux meubles royaux accompagnaient nos sièges, comme un tabouret de Jean-Baptiste Boulard livré pour Madame Victoire au château de Bellevue ou une bergère livrée à Madame Elisabeth pour ses appartements au château de Compiègne. Le couple s’est aussi illustré par sa générosité en offrant aux musées un bon nombre de ces pièces. Trois au moins rejoignirent Versailles où ils étaient nés, dont un guéridon en acier, bois pétrifié et bronze doré, de Marie-Antoinette (inv. Vmb 14799), et la marquise de Boucault.
D’autres toutefois furent vendus, comme notre paire de bergères que le couple céda à Juan de Beistegui. Aucun amateur éclairé ne s’étonnera à la vue de ces deux sièges, de l’engouement qu’ils ont suscité et du prestige de leur pedigree.
Jean Boucault signe en effet ici une réalisation magistrale. Ce menuisier en meubles, né vers 1705 et mort à Paris en 1786 fut reçu maître le 8 avril 1728. Etabli rue de Cléry il se distingue par des ouvrages d’excellente facture, à la sculpture particulièrement soignée et au dessin agréable et nerveux.
Cette paire de bergères ne fait pas exception à la règle. Dans cette époque de transition entre l’exubérance rocaille et la sévérité d’une antiquité retrouvée, Boucault parvient à concilier avec grâce deux esthétiques contradictoires. Les pieds ne sont plus cambrés mais les cannelures torses leur permettent de garder cette souplesse des sièges de l’époque Louis XV. Et si le répertoire décoratif adopté pour orner nos bergères est résolument Louis XVI : feuilles d’acanthe, frises de perles et de feuillages ; les supports d’accotoir en coup de fouet et la ligne ondulée du dossier leur conservent le charme du style précédent. A l’harmonie générale qui s’en dégage, aucun détail n’a été sacrifié ; a contrario : le léger épaulement du dossier, la subtile jonction des pieds à la ceinture, le sens de torsion des cannelures inversé d’un pied à l’autre, chaque raffinement a été mûrement réfléchi et parfaitement exécuté pour donner à ces bergères l’allure et l’unicité des chefs-d’œuvre.
Grâce à l’étude exhaustive de M. Baulez (cat. Steinitz, Paris, 2016, pp.306-313) l’histoire de ces deux bergères a pu être parfaitement retracée. Ces deux sièges royaux font à l’origine partie d’un important ensemble fourni par le tapissier ordinaire du Roi Claude-François Capin destiné au nouveau ministre de Louis XVI: Louis-Charles-Auguste Le Tonnelier, baron de Breteuil. Nos bergères furent donc installées au premier étage de l’aile Nord du château, ou aile des Ministres, dans les appartements qu’avaient occupés et fait redécorer le duc de Choiseul vingt ans plus tôt. Il est plausible que le mobilier comprenant nos bergères ait été, comme le suggère M. Baulez, acquis à la demande de Breteuil auprès de Choiseul.
L’ensemble comprenait alors « un meuble de lampas composé d’une tapisserie avec bordure, d’un grand canapé en confident, d’un tête-à-tête à carreau, de deux bergères à la reine, de six fauteuils, de quatre chaises, de quatre rideaux en huit parties de lampas », le tout étant estimé 23 350 livres (Arch. Nat. O1 3534).
Il fut complété par la suite, comme nous l’indique l’inventaire du domaine de Versailles en 1793, puis vendu lors des ventes révolutionnaires. Le citoyen Gastinel se retrouve adjudicataire de ce lot, le 5672ème de la vacation du 25 novembre, pour 1610 livres (Arch. Yvelines, II Q 71). L’important ensemble est ensuite éclaté, et réapparaît au fil des ventes, notamment en mai 1885, quand est dispersée la collection du comte Jacques de la Béraudière. Sous le numéro de lot 902 figure un beau meuble de salon du temps de Louis XVI, en bois sculpté et doré, à feuilles et perles et à pieds cannelés en spirale. Il est couvert de lampas du temps à fleurs blanches sur fond ponceau et se compose d’un grand canapé cintré avec siège aux angles, de deux marquises et de quatre chaises. Chaque siège est formé d’un coussin rapporté et le canapé d’un rouleau et de deux coussins. Les bois portent comme marque le nom frappé de I. Boucault et un W surmonté d’une couronne brûlé au fer.
Aujourd’hui plusieurs éléments sont localisés et appartiennent aux grandes collections publiques et privées américaines et françaises :
- Une des marquises fut offerte par les Niel au château de Versailles (musées des châteaux de Versailles et de Trianon, inv. Vmb. 14357), une autre est la propriété de la fondation F. Bemberg.
- J. Paul Getty acquit en 1971 deux des quatre chaises, maintenant au musée qui porte son nom (vente Anna Thomson Dodge, Christie’s, 24 juin 1971, lot 65 ; Getty Museum inv. 71.DA.92). Une autre est au musée Nelson Atkins de Kansas City (inv. 32-191/10).
A la faveur de ces redécouvertes, nul doute que la totalité du mobilier de Boucault sera un jour retrouvé. Un temps dissociée, puisque l’une seulement a appartenu aux collections Rothschild, notre paire de bergères a elle été réunie par les Niel dans les années 1960.
Couple passionné par les arts décoratifs du XVIIIe siècle, le couple Niel est intimement lié à l’histoire récente du mobilier royal de Versailles. Adolphe Niel (1879-1966), petit-fils du Maréchal Niel, épouse Victoire de Gasquet-James, riche héritière américaine, en 1921. Une série de pièces emblématiques viendront meubler leur maison du Lubéron et l’appartement parisien du 44 avenue Gabriel. De nombreux meubles royaux accompagnaient nos sièges, comme un tabouret de Jean-Baptiste Boulard livré pour Madame Victoire au château de Bellevue ou une bergère livrée à Madame Elisabeth pour ses appartements au château de Compiègne. Le couple s’est aussi illustré par sa générosité en offrant aux musées un bon nombre de ces pièces. Trois au moins rejoignirent Versailles où ils étaient nés, dont un guéridon en acier, bois pétrifié et bronze doré, de Marie-Antoinette (inv. Vmb 14799), et la marquise de Boucault.
D’autres toutefois furent vendus, comme notre paire de bergères que le couple céda à Juan de Beistegui. Aucun amateur éclairé ne s’étonnera à la vue de ces deux sièges, de l’engouement qu’ils ont suscité et du prestige de leur pedigree.
Jean Boucault signe en effet ici une réalisation magistrale. Ce menuisier en meubles, né vers 1705 et mort à Paris en 1786 fut reçu maître le 8 avril 1728. Etabli rue de Cléry il se distingue par des ouvrages d’excellente facture, à la sculpture particulièrement soignée et au dessin agréable et nerveux.
Cette paire de bergères ne fait pas exception à la règle. Dans cette époque de transition entre l’exubérance rocaille et la sévérité d’une antiquité retrouvée, Boucault parvient à concilier avec grâce deux esthétiques contradictoires. Les pieds ne sont plus cambrés mais les cannelures torses leur permettent de garder cette souplesse des sièges de l’époque Louis XV. Et si le répertoire décoratif adopté pour orner nos bergères est résolument Louis XVI : feuilles d’acanthe, frises de perles et de feuillages ; les supports d’accotoir en coup de fouet et la ligne ondulée du dossier leur conservent le charme du style précédent. A l’harmonie générale qui s’en dégage, aucun détail n’a été sacrifié ; a contrario : le léger épaulement du dossier, la subtile jonction des pieds à la ceinture, le sens de torsion des cannelures inversé d’un pied à l’autre, chaque raffinement a été mûrement réfléchi et parfaitement exécuté pour donner à ces bergères l’allure et l’unicité des chefs-d’œuvre.