Lot Essay
La collection Fiore Arts d’art taino est un exemple unique de collection privée constituée de trente-huit objets réalisés sur divers supports comprenant l’os de lamentin, le coquillage, le bois et la terre cuite, tous empreints d’une forte iconographie symbolique.
Les pièces les plus importantes ont été exposées sur le long terme au Museum of Fine Arts, Boston et au Metropolitan Museum of Art, ou dans des expositions spécifiques à la culture des Tainos organisées par les plus importantes institutions culturelles des États-Unis et d’Europe, telles que l'American Museum of Natural History, le Museo del Barrio ou encore le Petit Palais à Paris.
Ce type d’œuvres témoigne de la créativité des Tainos et tient une place unique dans l’histoire des premières rencontres entre les Amérindiens et Christophe Colomb, puis dans la mise en place postérieure des modèles coloniaux en Amérique latine.
The Fiore Arts Collection of Taino art is a unique private collection composed of thirty-eight works made in a variety of media including manatee bone, shell, wood and terracotta, layered with symbolically charged iconography.
The most important pieces have been on long term loan at the Museum of Fine Arts, Boston and the Metropolitan Museum of Art and in special exhibitions on Taino culture in the leading institutions of the United States and Europe including the American Museum of Natural History, the Museo del Barrio and the Petit Palais in Paris.
The works speak to the creativity of the Taino and hold a unique role in the story of the first encounter of Amerindians with Christopher Columbus and the subsequent development of Colonial patterns in Latin America.
PECTORAL
Un fameux pectoral en coquillage de la collection représente un décor complexe multiple. La partie supérieure présente deux êtres de profil collés dos à dos tel un Janus de la nature. Leurs membres, mains et pieds sont stylisés en plus petites proportions. L’essentiel de la surface, dans la moitié inférieure, est couverte par une large bande enroulée évoquant des jambes écartées et se finissant par une figuration classique de sexe féminin. Au centre, un cercle figurant un grand nombril et conservant des griffures était vraisemblablement destiné à recevoir une incrustation d’or, comme les orbites des yeux du Janus.
La désignation de pectoral doit toutefois être prise avec réserve car on a longtemps eu tendance à comparer les parures amérindiennes à nos joyaux. Un biais eurocentrique peut ainsi nous suggérer fortement l’usage majoritaire de colliers. Pourtant, dans le monde américain ancien, tout le corps servait de support au décor identitaire et rituel. Les bijoux pouvaient donc être appliqués à des endroits surprenants. Par exemple, certaines figurines montrent des personnages portant de petits masques humains attachés aux épaules. Par ailleurs, les Taïnos se mettaient des ceintures de coton ornées, en guise de boucle, d’un visage sculpté dans du coquillage, de la nacre ou de l’os, appelé « guaiza ». L’élégance taïno répondait à une esthétique autre.
Quel aspect physique avaient donc les Taïnos ? Christophe Colomb notait qu’ils « étaient entièrement nus, tels qu’ils vinrent au monde. Ils avaient les cheveux très gros, très noirs et courts […] Ils avaient un visage agréable et de jolis traits, bien que le front ne le fît pas apparaître très beau, à cause de sa largeur ». Ce dernier détail résultait de la déformation artificielle crânienne à l’aide de tablettes de bois appuyant sur le front des nouveau-nés. Comme ailleurs dans les îles et en Amazonie, les peintures corporelles étaient essentielles pour affirmer son identité et signaler le statut de chacun. De même, les parures de plumes colorées avaient une importance symbolique forte. Des amulettes de matériaux divers figurant des visages étaient attachées au front. Oreilles et cloison nasale étaient percées pour recevoir des pendentifs d’or et de plumes. Des bijoux ornaient toutes les parties possibles du corps : cou, épaules, bras, poignets, jambes. Toutefois, seuls les caciques portaient au cou le « guanin », ce disque fait d’un alliage d’or.
Les Taïnos vivaient donc parés de coquetterie, mais surtout de représentations physiques des esprits invisibles de la nature, entités tutélaires pleinement intégrées dans le quotidien.
Stéphen Rostain
Directeur de recherche au CNRS
Archéologue spécialiste de l’Amazonie et des Antilles
PECTORAL
A famous pectoral made of shell in the current collection bears a complex multiple décor. The top part represents two creatures in profile, back to back, like a natural Janus. Their limbs, hands and feet, are stylized in smaller proportions. Most of the surface, in the lower part, is covered by a wide rolled band that resembles spread legs and ends in a classic representation of the female sex organ. In the middle, a circle in the shape of a large navel showing scratch marks was apparently destined to receive an incrustation of gold, like the sockets of the Janus’ eyes.
The word “pectoral” should, however, be used with a certain reserve, as there was long a tendency to equate Amerindian ornaments with our jewelery. A Eurocentric bias can thus strongly suggest its principal use as a necklace ornament. However, in the ancient American world, the whole body was a surface for ritual decoration. Jewels could thus be worn in an atypical fashion. For instance, certain anthropomorphic figurines are adorned with little human masks attached to their shoulders. Furthermore, the Tainos wore cotton belts with buckles called guaiza, decorated with a face carved in shell, mother of pearl or bone. Tainos conception of elegance had a distinctive aesthetic.
As to the question of the physical appearance of the Taino, Christopher Columbus recounted that “they were completely naked as the day they were born. They had very thick, black, short hair […] attractive faces with nice features, although the forehead was not very flattering because of its breadth”. This last detail was the result of an artificial deformation of the skull by pressing boards on the forehead of newborns. As was the case elsewhere in Amazonia, body paint was essential to affirm one’s identity and show each individual’s status. Colorful feather ornaments also had a strong symbolic importance. Amulets of various media carved with anthropomorphic faces were attached to the forehead. Ears and the nasal septum were pierced to receive golden pendants and feathers. Jewels decorated every possible part of the body: the neck, the shoulders, the arms, the wrists, and the legs. However, only the caciques wore around their neck the “guanin”, the disk made of a gold alloy.
The Tainos lived bedecked in adornments, but above all, physical representations of the invisible spirits of nature, guardian entities were fully integrated into daily lives.
Stéphen Rostain
Director of Research at CNRS
Archaeologist specialising on the Amazon region and Caribbean islands
Pendentif peu épais percé à deux reprises pour suspension et décoré dans le style géométrique et curviligne horror vacui avec des motifs incisés et enroulés représentant des ailes de chauve-souris, un creux en son centre peut-être autrefois incrusté d’or, des pattes ressemblant à celles des grenouilles, et un rétrécissement au sommet comportant deux têtes stylisées opposées avec une dentition en ligne profondément en retrait et des yeux ronds encore autrefois incrustés d’or.
Les amulettes sophistiquées de ce type étaient réservées chez les Tainos aux seules élites et aux caciques. L’imagerie synthétique de ce pendentif pourrait suggérer une rare représentation de la déesse Taino de l’ouragan qui contrôle les inondations et les ouragans telle que longuement décrite par Frère Ramón Pané dans son célèbre récit sur les traditions culturelles, Relación acerca de las antigüedades de los indios, en tant que représentation feminine de Zemi, Guabancex, qui déclenche avec fureur la présence du vent et de l’eau lorsqu’elle est en colère.
L’attention portée au choix des représentations figuratives et géométriques sur cette amulette témoigne du vocabulaire visuel qui transcrit un code symbolique associant la perception religieuse des élites dirigeantes à une mythologie complexe.
Très peu d’exemples de ce type de pendentifs très élaborés sont parvenus jusqu’à nous et celui-ci est unique en raison de son parfait état de conservation.
Pour un autre modèle de ce type, voir le Metropolitan Museum of Art, inv. n° 1997.35.1 (cf. Doyle, J.A., Arte del Mar. Art of the Early Caribbean, New York, hiver 2020, vol. 77, n° 3, p. 43, pl. 49).
Les pièces les plus importantes ont été exposées sur le long terme au Museum of Fine Arts, Boston et au Metropolitan Museum of Art, ou dans des expositions spécifiques à la culture des Tainos organisées par les plus importantes institutions culturelles des États-Unis et d’Europe, telles que l'American Museum of Natural History, le Museo del Barrio ou encore le Petit Palais à Paris.
Ce type d’œuvres témoigne de la créativité des Tainos et tient une place unique dans l’histoire des premières rencontres entre les Amérindiens et Christophe Colomb, puis dans la mise en place postérieure des modèles coloniaux en Amérique latine.
The Fiore Arts Collection of Taino art is a unique private collection composed of thirty-eight works made in a variety of media including manatee bone, shell, wood and terracotta, layered with symbolically charged iconography.
The most important pieces have been on long term loan at the Museum of Fine Arts, Boston and the Metropolitan Museum of Art and in special exhibitions on Taino culture in the leading institutions of the United States and Europe including the American Museum of Natural History, the Museo del Barrio and the Petit Palais in Paris.
The works speak to the creativity of the Taino and hold a unique role in the story of the first encounter of Amerindians with Christopher Columbus and the subsequent development of Colonial patterns in Latin America.
PECTORAL
Un fameux pectoral en coquillage de la collection représente un décor complexe multiple. La partie supérieure présente deux êtres de profil collés dos à dos tel un Janus de la nature. Leurs membres, mains et pieds sont stylisés en plus petites proportions. L’essentiel de la surface, dans la moitié inférieure, est couverte par une large bande enroulée évoquant des jambes écartées et se finissant par une figuration classique de sexe féminin. Au centre, un cercle figurant un grand nombril et conservant des griffures était vraisemblablement destiné à recevoir une incrustation d’or, comme les orbites des yeux du Janus.
La désignation de pectoral doit toutefois être prise avec réserve car on a longtemps eu tendance à comparer les parures amérindiennes à nos joyaux. Un biais eurocentrique peut ainsi nous suggérer fortement l’usage majoritaire de colliers. Pourtant, dans le monde américain ancien, tout le corps servait de support au décor identitaire et rituel. Les bijoux pouvaient donc être appliqués à des endroits surprenants. Par exemple, certaines figurines montrent des personnages portant de petits masques humains attachés aux épaules. Par ailleurs, les Taïnos se mettaient des ceintures de coton ornées, en guise de boucle, d’un visage sculpté dans du coquillage, de la nacre ou de l’os, appelé « guaiza ». L’élégance taïno répondait à une esthétique autre.
Quel aspect physique avaient donc les Taïnos ? Christophe Colomb notait qu’ils « étaient entièrement nus, tels qu’ils vinrent au monde. Ils avaient les cheveux très gros, très noirs et courts […] Ils avaient un visage agréable et de jolis traits, bien que le front ne le fît pas apparaître très beau, à cause de sa largeur ». Ce dernier détail résultait de la déformation artificielle crânienne à l’aide de tablettes de bois appuyant sur le front des nouveau-nés. Comme ailleurs dans les îles et en Amazonie, les peintures corporelles étaient essentielles pour affirmer son identité et signaler le statut de chacun. De même, les parures de plumes colorées avaient une importance symbolique forte. Des amulettes de matériaux divers figurant des visages étaient attachées au front. Oreilles et cloison nasale étaient percées pour recevoir des pendentifs d’or et de plumes. Des bijoux ornaient toutes les parties possibles du corps : cou, épaules, bras, poignets, jambes. Toutefois, seuls les caciques portaient au cou le « guanin », ce disque fait d’un alliage d’or.
Les Taïnos vivaient donc parés de coquetterie, mais surtout de représentations physiques des esprits invisibles de la nature, entités tutélaires pleinement intégrées dans le quotidien.
Stéphen Rostain
Directeur de recherche au CNRS
Archéologue spécialiste de l’Amazonie et des Antilles
PECTORAL
A famous pectoral made of shell in the current collection bears a complex multiple décor. The top part represents two creatures in profile, back to back, like a natural Janus. Their limbs, hands and feet, are stylized in smaller proportions. Most of the surface, in the lower part, is covered by a wide rolled band that resembles spread legs and ends in a classic representation of the female sex organ. In the middle, a circle in the shape of a large navel showing scratch marks was apparently destined to receive an incrustation of gold, like the sockets of the Janus’ eyes.
The word “pectoral” should, however, be used with a certain reserve, as there was long a tendency to equate Amerindian ornaments with our jewelery. A Eurocentric bias can thus strongly suggest its principal use as a necklace ornament. However, in the ancient American world, the whole body was a surface for ritual decoration. Jewels could thus be worn in an atypical fashion. For instance, certain anthropomorphic figurines are adorned with little human masks attached to their shoulders. Furthermore, the Tainos wore cotton belts with buckles called guaiza, decorated with a face carved in shell, mother of pearl or bone. Tainos conception of elegance had a distinctive aesthetic.
As to the question of the physical appearance of the Taino, Christopher Columbus recounted that “they were completely naked as the day they were born. They had very thick, black, short hair […] attractive faces with nice features, although the forehead was not very flattering because of its breadth”. This last detail was the result of an artificial deformation of the skull by pressing boards on the forehead of newborns. As was the case elsewhere in Amazonia, body paint was essential to affirm one’s identity and show each individual’s status. Colorful feather ornaments also had a strong symbolic importance. Amulets of various media carved with anthropomorphic faces were attached to the forehead. Ears and the nasal septum were pierced to receive golden pendants and feathers. Jewels decorated every possible part of the body: the neck, the shoulders, the arms, the wrists, and the legs. However, only the caciques wore around their neck the “guanin”, the disk made of a gold alloy.
The Tainos lived bedecked in adornments, but above all, physical representations of the invisible spirits of nature, guardian entities were fully integrated into daily lives.
Stéphen Rostain
Director of Research at CNRS
Archaeologist specialising on the Amazon region and Caribbean islands
Pendentif peu épais percé à deux reprises pour suspension et décoré dans le style géométrique et curviligne horror vacui avec des motifs incisés et enroulés représentant des ailes de chauve-souris, un creux en son centre peut-être autrefois incrusté d’or, des pattes ressemblant à celles des grenouilles, et un rétrécissement au sommet comportant deux têtes stylisées opposées avec une dentition en ligne profondément en retrait et des yeux ronds encore autrefois incrustés d’or.
Les amulettes sophistiquées de ce type étaient réservées chez les Tainos aux seules élites et aux caciques. L’imagerie synthétique de ce pendentif pourrait suggérer une rare représentation de la déesse Taino de l’ouragan qui contrôle les inondations et les ouragans telle que longuement décrite par Frère Ramón Pané dans son célèbre récit sur les traditions culturelles, Relación acerca de las antigüedades de los indios, en tant que représentation feminine de Zemi, Guabancex, qui déclenche avec fureur la présence du vent et de l’eau lorsqu’elle est en colère.
L’attention portée au choix des représentations figuratives et géométriques sur cette amulette témoigne du vocabulaire visuel qui transcrit un code symbolique associant la perception religieuse des élites dirigeantes à une mythologie complexe.
Très peu d’exemples de ce type de pendentifs très élaborés sont parvenus jusqu’à nous et celui-ci est unique en raison de son parfait état de conservation.
Pour un autre modèle de ce type, voir le Metropolitan Museum of Art, inv. n° 1997.35.1 (cf. Doyle, J.A., Arte del Mar. Art of the Early Caribbean, New York, hiver 2020, vol. 77, n° 3, p. 43, pl. 49).