Lot Essay
Les masques yup’ik, œuvres hybrides entre sculpture et ready-made, sont issus d’un assemblage insolite de matériaux hétérogènes et aléatoires (bois flotté, plumes etc.). Ils témoignent ainsi d’une grande liberté formelle et d’une inventivité artistique éblouissante. Cette multiplicité formelle correspond de facto à la grande variété d’êtres qu’ils évoquent.
Fabriqués à l’occasion des cérémonies associées aux activités de subsistance, telle la chasse ou la pêche, les masques yup’ik incarnent des esprits animaliers, des phénomènes naturels ou encore des êtres mythologiques. Même si certains masques relatent également des voyages chamaniques, tous témoignent de la même conception : il n’existe aucune séparation fondamentale entre l’univers humain et non-humain. Cette dualité des esprits est véhiculée par deux types de masques. Les masques tunghat qui incarnent les esprits errant dont s’emparent les chamans pour communiquer avec le monde surnaturel et les masques yua qui représentent l’âme de l’animal que le chaman voit en rêve.
C’est grâce à cette primauté du Rêve, tellement centrale dans la genèse des masques yup’ik, que les surréalistes sont subjugués par cet art dont ils font l’un de leur domaine de prédilection à partir de l’exil new-yorkais. Pendant cette période, qui dure de 1941 à 1946, les surréalistes et leurs amis se regroupent dans le quartier de Manhattan à New York. C’est un cercle hétérogène dont les membres les plus célèbres sont Max Ernst, André Breton, Roberto Matta, Enrico Donati, Wilfredo Lam, Robert Lebel, George Duthuit et Claude Lévy-Strauss. A ce moment, ils découvrent, grâce à Max Ernst, la boutique du marchand Jullius Carlebach située au 943 de la Troisième Avenue. Par l’intermédiaire de Carlebach survient le contact avec George Gustave Heye, fondateur et directeur du National Museum of the American Indian, grâce à qui les surréalistes acquièrent, de manière frénétique pendant toute la période de leur exil, une multitude d’objets, surtout des masques yup’ik, pour constituer ainsi ce qui allait devenir les plus importantes collections privées européennes d’art yup’ik.
De par son aspect onirique, cette œuvre remarquable réunit tous les éléments plastiques susceptibles de nous expliquer la fascination exercée par l’art yup’ik sur les surréalistes. Elle rejoint l’univers surréaliste grâce à Robert Lebel, membre du cercle surréaliste, grand critique et ami de Marcel Duchamp. Personnalité aux multiples facettes, Robert Lebel est « un de ceux qui, à l’instar de Breton, a vécu son existence entière au mépris de la notion même de frontière, surtout entre les arts et les civilisations, en nomadisant en toute liberté, par travaux interposés de Léonard de Vinci à Marcel Duchhamp ; de Géricault à Max Ernst, de Monsù Desiderio à Yves Tanguy, de l’art eskimo à la sculpture contemporaine. » (cité depuis Lebel, J.-J., Des masques à l’homme, essai publié dans le catalogue de la vente Collection Robert Lebel, Calmels & Cohen, 4 décembre 2006, p. 9). La dispersion en 2006 de l’ensemble Robert Lebel est marquée par l’entrée au Musée du quai Branly - Jacques Chirac de plusieurs masques yup’ik provenant de cette collection fabuleuse. De ce groupe historique, ceci est le dernier conservé encore en mains privées.
Le masque Lebel, objet-poème surréaliste, fascine comme œuvre-témoin de la régénération des cultures anciennes et nouvelles, et persiste aujourd’hui comme le symbole incarné d’une génération mythique, celle des surréalistes.
Yup’ik masks - hybrid works between sculpture and ready made - are composed of improbable assemblies of random, heterogeneous materials (driftwood, feathers, and so on). They show a great formal liberty and a breath-taking artistic inventiveness. De facto, this formal multiplicity corresponds with the great variety of beings that they represent.
Crafted for ceremonies associated with activities of subsistence such as hunting or fishing, Yup’ik masks embody animal spirits, natural phenomena or mythical beings. Even though certain masks also evoke shamanistic voyages, all express the same conception, which is that there is no fundamental separation between the human world and the non-human world. This spirit duality is conveyed by two types of masks. Tunghat masks embody wandering spirits which shamans seize in order to communicate with the supernatural world. Yua masks represent the soul of the animal that the shaman sees in his dreams.
It is because of the primacy of the dream - so central to the origins of Yup’ik masks - that the Surrealists were captivated by this art, which became one of their favourite fields beginning with their exile in New York City. During that period, which lasted from 1941 to 1946, the Surrealists and their friends gathered in the Manhattan borough of New York City. The most famous members of this heterogeneous circle were Max Ernst, André Breton, Roberto Matta, Enrico Donati, Wilfredo Lam, Robert Lebel, George Duthuit and Claude Levi-Strauss. During this time, Max Ernst introduced them to the gallery of the art dealer Julius Carlebach, located on 943 Third Avenue. Carlebach put them into contact with George Gustave Heye, founder and director of the National Museum of the American Indian. Throughout the entire period of their exile, the Surrealists procured a number of objects through him at a frenzied rate - especially Yup’ik masks - to constitute what would become the greatest private European collections of Yup’ik art.
With its dreamlike appearance, this remarkable work asserts all the plastic elements that could explain why the Surrealists were so fascinated with Yup’ik art. It joined the Surrealist world thanks to Robert Lebel, a member of the circle who was a great art critic and a friend of Marcel Duchamp. With his multifaceted personality, Robert Lebel was ‘one of those who, like Breton, lived his entire life with a loathing for the very notion of borders, especially between arts and civilisations. His focus freely meandered among works ranging from Leonardo de Vinci to Marcel Duchhamp, from Géricault to Max Ernst, from Monsù Desiderio to Yves Tanguy, and from Eskimo art to contemporary sculpture.’ (cited from Lebel, J.-J., Des masques à l’homme, essay published in the sales catalogue of the Collection Robert Lebel, Calmels & Cohen, 4 December 2006, p. 9).
The Lebel mask, a Surrealist poem-object, is a fascinating testimonial of the regeneration of ancient and new cultures, and it continues today to represent the legendary Surrealist generation.
Fabriqués à l’occasion des cérémonies associées aux activités de subsistance, telle la chasse ou la pêche, les masques yup’ik incarnent des esprits animaliers, des phénomènes naturels ou encore des êtres mythologiques. Même si certains masques relatent également des voyages chamaniques, tous témoignent de la même conception : il n’existe aucune séparation fondamentale entre l’univers humain et non-humain. Cette dualité des esprits est véhiculée par deux types de masques. Les masques tunghat qui incarnent les esprits errant dont s’emparent les chamans pour communiquer avec le monde surnaturel et les masques yua qui représentent l’âme de l’animal que le chaman voit en rêve.
C’est grâce à cette primauté du Rêve, tellement centrale dans la genèse des masques yup’ik, que les surréalistes sont subjugués par cet art dont ils font l’un de leur domaine de prédilection à partir de l’exil new-yorkais. Pendant cette période, qui dure de 1941 à 1946, les surréalistes et leurs amis se regroupent dans le quartier de Manhattan à New York. C’est un cercle hétérogène dont les membres les plus célèbres sont Max Ernst, André Breton, Roberto Matta, Enrico Donati, Wilfredo Lam, Robert Lebel, George Duthuit et Claude Lévy-Strauss. A ce moment, ils découvrent, grâce à Max Ernst, la boutique du marchand Jullius Carlebach située au 943 de la Troisième Avenue. Par l’intermédiaire de Carlebach survient le contact avec George Gustave Heye, fondateur et directeur du National Museum of the American Indian, grâce à qui les surréalistes acquièrent, de manière frénétique pendant toute la période de leur exil, une multitude d’objets, surtout des masques yup’ik, pour constituer ainsi ce qui allait devenir les plus importantes collections privées européennes d’art yup’ik.
De par son aspect onirique, cette œuvre remarquable réunit tous les éléments plastiques susceptibles de nous expliquer la fascination exercée par l’art yup’ik sur les surréalistes. Elle rejoint l’univers surréaliste grâce à Robert Lebel, membre du cercle surréaliste, grand critique et ami de Marcel Duchamp. Personnalité aux multiples facettes, Robert Lebel est « un de ceux qui, à l’instar de Breton, a vécu son existence entière au mépris de la notion même de frontière, surtout entre les arts et les civilisations, en nomadisant en toute liberté, par travaux interposés de Léonard de Vinci à Marcel Duchhamp ; de Géricault à Max Ernst, de Monsù Desiderio à Yves Tanguy, de l’art eskimo à la sculpture contemporaine. » (cité depuis Lebel, J.-J., Des masques à l’homme, essai publié dans le catalogue de la vente Collection Robert Lebel, Calmels & Cohen, 4 décembre 2006, p. 9). La dispersion en 2006 de l’ensemble Robert Lebel est marquée par l’entrée au Musée du quai Branly - Jacques Chirac de plusieurs masques yup’ik provenant de cette collection fabuleuse. De ce groupe historique, ceci est le dernier conservé encore en mains privées.
Le masque Lebel, objet-poème surréaliste, fascine comme œuvre-témoin de la régénération des cultures anciennes et nouvelles, et persiste aujourd’hui comme le symbole incarné d’une génération mythique, celle des surréalistes.
Yup’ik masks - hybrid works between sculpture and ready made - are composed of improbable assemblies of random, heterogeneous materials (driftwood, feathers, and so on). They show a great formal liberty and a breath-taking artistic inventiveness. De facto, this formal multiplicity corresponds with the great variety of beings that they represent.
Crafted for ceremonies associated with activities of subsistence such as hunting or fishing, Yup’ik masks embody animal spirits, natural phenomena or mythical beings. Even though certain masks also evoke shamanistic voyages, all express the same conception, which is that there is no fundamental separation between the human world and the non-human world. This spirit duality is conveyed by two types of masks. Tunghat masks embody wandering spirits which shamans seize in order to communicate with the supernatural world. Yua masks represent the soul of the animal that the shaman sees in his dreams.
It is because of the primacy of the dream - so central to the origins of Yup’ik masks - that the Surrealists were captivated by this art, which became one of their favourite fields beginning with their exile in New York City. During that period, which lasted from 1941 to 1946, the Surrealists and their friends gathered in the Manhattan borough of New York City. The most famous members of this heterogeneous circle were Max Ernst, André Breton, Roberto Matta, Enrico Donati, Wilfredo Lam, Robert Lebel, George Duthuit and Claude Levi-Strauss. During this time, Max Ernst introduced them to the gallery of the art dealer Julius Carlebach, located on 943 Third Avenue. Carlebach put them into contact with George Gustave Heye, founder and director of the National Museum of the American Indian. Throughout the entire period of their exile, the Surrealists procured a number of objects through him at a frenzied rate - especially Yup’ik masks - to constitute what would become the greatest private European collections of Yup’ik art.
With its dreamlike appearance, this remarkable work asserts all the plastic elements that could explain why the Surrealists were so fascinated with Yup’ik art. It joined the Surrealist world thanks to Robert Lebel, a member of the circle who was a great art critic and a friend of Marcel Duchamp. With his multifaceted personality, Robert Lebel was ‘one of those who, like Breton, lived his entire life with a loathing for the very notion of borders, especially between arts and civilisations. His focus freely meandered among works ranging from Leonardo de Vinci to Marcel Duchhamp, from Géricault to Max Ernst, from Monsù Desiderio to Yves Tanguy, and from Eskimo art to contemporary sculpture.’ (cited from Lebel, J.-J., Des masques à l’homme, essay published in the sales catalogue of the Collection Robert Lebel, Calmels & Cohen, 4 December 2006, p. 9).
The Lebel mask, a Surrealist poem-object, is a fascinating testimonial of the regeneration of ancient and new cultures, and it continues today to represent the legendary Surrealist generation.