Lot Essay
UN PRESENT DIPLOMATIQUE DE PORCELAINE
Le don des présents vases "enfants tritons" a joué un rôle modeste mais non négligeable dans les manœuvres politiques astucieuses de la République française naissante. Le groupe de pays européens qui s'étaient unis contre la France pour former la "Première Coalition" a été progressivement pacifié par une série de traités de paix. La coalition comprend l'Autriche, la Grande-Bretagne, le Piémont, la Prusse, le Landgraviat de Hesse-Kassel, l'Espagne et le Royaume de Naples et des Deux-Siciles. Ce dernier est alors dirigé par Ferdinand IV, dont l'épouse autrichienne, Marie-Caroline de Naples, est l'une des sœurs favorites de Marie-Antoinette, reine de France. Après l'exécution de Marie-Antoinette et de son mari Louis XVI en 1793, les relations entre les deux nations deviennent hostiles et le royaume de Naples rejoint la coalition.
La Prusse est la première à se retirer de la coalition, négociant la paix avec les Français et déclarant sa neutralité par le traité de Bâle en avril 1795. En juillet 1795, l'Espagne est le deuxième pays à se retirer de la coalition et, en août, le troisième traité de paix est signé entre la France et le Landgraviat de Hesse-Cassel. Ces traités permettent à la France de se hisser au rang de grande puissance en Europe en faisant la paix ses ennemis. L'année suivante, Ferdinand IV envoie son envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire à Paris pour négocier un traité de paix similaire avec les Français. Cet envoyé, le "prince de Belmonte", était Antonio Pignatelli Pinelli Ravaschieri, qui avait succédé à son père en tant que prince de Belmonte en 1794 (5). Les négociations ont lieu entre juillet et octobre 1796, et le traité qui en résulte met temporairement fin aux hostilités entre les deux nations (1), validant l’armistice conclu entre Pignatelli et Bonaparte le 5 juin 1796 à Brescia
En France, une pratique bien établie voulait que les émissaires qui menaient à bien les négociations soient récompensés par un service de Sèvres (2). Lorsque la Prusse a négocié son traité avec la France en 1795, Karl August Freiherr von Hardenberg, le ministre d'État prussien qui avait négocié et cosigné avec succès le traité de Bâle, a reçu le Service Arabesque. L'Ambassadeur du Roy D'Espagne - probablement Domingo de Iriarte -, qui conclut le traité franco-espagnol de Bâle en juillet 1795, reçut également un présent de porcelaine. Friedrich Sigismund, Freiherr (Baron) Waitz von Eschen, le ministre des Relations extérieures du Landgraviat de Hesse-Kassel qui négocia la paix avec la République française, reçut un service à dessert de 24 couverts avec d'autres porcelaines. En 1796, après la signature du traité le 10 octobre et sa ratification le 3 novembre, le prince de Belmonte est à son tour invité à la manufacture de Sèvres pour choisir un cadeau diplomatique du gouvernement français (3).
Une lettre adressée le 14 Nivôse an 5 (3 janvier 1797) à la manufacture de Sèvres par Pierre Bénézech, ministre de l’Intérieur y fait référence : Mr le Prince de Belmonte Pignatelly, Ministre Plénipotentiaire de sa majesté Sicilienne qui a traité de sa paix avec la République, devoit se rendre à Sèvres et y désigné les Porcelaines qui doivent composer une partie de présent qui lui est destiné par le Directoire Exécutif. Si ce choix a eu lieu, je vous autorise, Citoyen, à délivrer les objets choisis par ce Prince aux personnes qu’il aura chargées de les recevoir (…)
Le 21 Pluviôse an 5 (8 février 1797), le prince de Belmont Pignatelli choisit à Sèvres deux paires de vases dont la description de l’une correspond à la présente paire de vases : 2 vases Fond or violet miniature et oiseaux du Premier mérite pour 3600 francs. L’autre paire de vases est décrite : 2 vases Forme chinoise, Fond rouge Joncs en or à 400 francs chaque. Le cadeau comprend également un service de table à fond d’œil de perdrix bleu céleste décoré de roses, un surtout en sculpture composé de groupes, figures et vases en biscuit pour accompagner le service. La majeure partie se trouve aujourd'hui dans les Collections Royales Anglaises (4). L'ensemble du cadeau, y compris les vases et le service avec ses vases et figurines, s'élève à un total de 14.000 livres.
LA DOUCE IMPRESSION DE L’HARMONIE SUR PORCELAINE
La forme de ces vases est créée par la manufacture de Sèvres en 1793.
La première mention apparait dans le registre de paiement des peintres pour une paire de vases peints par Charles-Eloi Asselin décrit : « deux vases nouvelles formes, enfants formant les anses » (5).
Seuls six autres vases de cette forme sont aujourd’hui connus, deux conservés au château de Fontainebleau (6), une paire à fond écaille dans une collection privée (7) et une paire à fond bleu lapis lazuli au musée Jacquemart-André à Paris (8), deux d’entre eux portent l’inscription en creux sous la base : « enfent Triton ».
Les présents vases portent la marque du peintre de figures Nicolas-Pierre Pithou le jeune, actif à la manufacture entre 1763-1767 puis 1769-1795, également la marque du peintre de fleurs Nicolas Sinsson, actif à la manufacture entre 1773 et 1795 et la marque du doreur André-Joseph La France, actif entre 1776 et 1803. Ce dernier est également mentionné sous le nom de Foinet.
Si ces vases ne sont pas mentionnés parmi les paiements effectués à Pithou Jeune, en revanche, il faut sans doute les rapprocher de la mention dans le registre des paiements aux peintres sous le nom de Sinsson : 2 vases nouveaux peints par Pithou arabesque sur fond d’or le 28 brumaire an II (18 novembre 1793) (9). Le même registre fait référence le 10 septembre 1793 à un paiement effectué au peintre d’oiseaux Philippe Castel pour 2 vases nouveaux enfants formant les anses, oiseaux sur terrasses, puis le 24 octobre 1793 : 2 vases peints par Pithou, oiseaux sur terrasse. Bien que les présents vases ne portent pas la marque de Castel, la peinture des oiseaux peut lui être attribuée. Il est l’auteur d’oiseaux stylistiquement très similaires sur une paire de vases à fond violet conservé au Palais Ostankino à Moscou. Les registres d’enfournement à la date du 20 fructidor an III (7 septembre 1795) font également état du passage au four de 2 vases enfans fond violet miniature peints par Pithou et dorés par Foinet (La France) (10).
Le décor de la face principale de ces vases a pour source deux gravures par Friedrich Johann Wolff d’après Louis Léopold Boilly (1761-1845) intitulées La douce impression de l’harmonie et La suite de la douce impression de l’harmonie. Etienne Breton, auteur du catalogue raisonné de l’œuvre de Boilly, date les toiles entre 1789 et 1793 (11). La toile de la suite de la douce impression de l’harmonie était dans la collection de Claude Pierre Prousteau de Monlouis, (vente Paris, 5 mai 1851, n° 6), puis Charles d' Heucqueville (Hôtel Drouot, 24 & 25 mars 1936, n° 2 & 3) et plus récemment passée en vente publique à Paris (12)
1. Le traité est signé en octobre 1796 par le prince de Belmonte et Charles Delacroix de Constant (ministre français des Affaires étrangères du 4 novembre 1795 au 18 juillet 1797).
2. Cet usage a commencé en 1763, voir Sir Geoffrey de Bellaigue, French Porcelain in the Collection of Her Majesty The Queen, Londres, 2009, Vol. II, p. 722.
3. David Peters, Sèvres Plates and Services of the 18th century, Little Berkhamsted, 2005, Vol. V, p. 1181, n° 97-1
4. G. de Bellaigue, ibid. 2009, Vol. II, pp. 718-727, et p. 723 où l’auteur note les pièces manquantes du service, et p. 723 et p. 724, notes 38, 40 et 41, où il identifie des pièces provenant de ventes relativement récentes qui constituent probablement une partie du groupe manquant. Depuis la publication de son catalogue, dix assiettes de ce service ont été vendues par Christie's New York le 21 octobre 2010, lot 504.
5. Archives, Sèvres, registre Vj 5. Cette forme est également connue sous le nom de vase "Bolvry enfans triton".
6. L'un de ces vases est décoré de paysages sur un fond d'agate et l'autre d'un fond marbré. Le vase à paysages (inv. no. F 1224 C) porte l’inscription incisée Enfent Triton. En 1804, ce vase a été choisi pour l'ameublement du château de Fontainebleau. En 1805, il se trouvait dans la chambre à coucher de Napoléon, voir Bernard Chevallier, Les Sèvres de Fontainebleau, pièces entrées de 1804 à 1904, Paris, 1996, p. 43, n° 11.
7. Ces vases faisaient partie de la collection de James Watts Jr. (1769-1848) et étaient installés à Aston Hall. L'un de ces vases porte l’inscription incisée "Enfant Triton".
8. N° d’inventaire MJAP-OA 1362-1 et 2
9. Archives, Sèvres, registre Vj 5
10. Archives, Sèvres, registre Vi 3
11. Etienne Breton, Pascal Zuber, Boilly, Le peintre de la société parisienne de Louis XVI à Louis-Philippe, Paris, 2019, vol. II, p. 472, n°. 86P and 88P
12. Vente Paris, Hôtel Drouot, Etude Doutrebente, 10 juin 2011, n° 43.
THE VASES AS A DIPLOMATIC GIFT
The gift of the present vases ‘enfants tritons’ played a small but important role in the shrewd political manoeuvring of the nascent French Republic. The group of European countries which had joined forces against France to form the ‘First Coalition’ were gradually pacified with a series of peace treaties. The coalition included Austria, Britain, Piedmont, Prussia, the Landgraviate of Hesse-Kassel, Spain and the Kingdom of Naples and the Two Sicilies. The latter was ruled by Ferdinand IV, whose Austrian wife, Marie-Caroline of Naples, was one of the favourite sisters of Marie-Antoinette, Queen of France. After the execution of Marie Antoinette and her husband Louis XVI in 1793, relations between the two nations grew hostile, and the Kingdom of Naples joined the coalition.
Prussia was the first to opt out of the coalition, negotiating peace with the French and declaring its neutrality with the Treaty of Basel in April 1795. In July 1795, Spain became the second country to pull out of the Coalition, and in August the third peace treaty was signed between France and the Landgraviate of Hesse-Kassel. These treaties helped France to manoeuvre itself into a position of great power in Europe by pacifying its enemies one by one. In the following year, Ferdinand IV sent his Envoy Extraordinary and Minister Plenipotentiary to Paris to negotiate a similar peace treaty with the French. That envoy, the ‘Prince de Belmonte’, was presumably Antonio Pignatelli Pinelli Ravaschieri, who had succeeded his father as Principe di Belmonte in 1794 (5). Negotiations took place between July and October 1796, and the resulting treaty temporarily ended hostilities between the two nations (1), validating the armistice concluded between Pignatelli and Bonaparte on June 5, 1796 in Brescia
In France, it was a well-established practice for envoys who brought negotiations to a successful conclusion to be rewarded with a Sèvres service (2). When Prussia had negotiated its treaty with France in 1795, Karl August Freiherr von Hardenberg, the Prussian Minister of State who had successfully negotiated and co-signed the Treaty of Basel, was given the Service Arabesque. This was followed by an important gift of a large service and other porcelain to the L’embassadeur du Roy D’Espagne (probably Domingo de Iriarte), who concluded the Franco-Spanish Treaty of Basel in July 1795. Friedrich Sigismund, Freiherr (Baron) Waitz von Eschen, the Minister of Exterior Relations to the Landgraviate of Hesse-Kassel who negotiated peace with the French Republic received a 24-place dessert-service with other porcelain. In 1796, after the treaty had been signed on 10 October and then ratified on 3 November, the Prince di Belmonte was duly invited to Sèvres to choose a diplomatic gift from the French government (3)
In surviving letters at the Sèvres archive, di Belmonte’s gift is first mentioned in a letter of 14 nivôse V (3 January 1797) from Pierre Bénézech, Ministre de l’Intérieur, to the Sèvres Manufactory, notifying the factory that M le Prince de Belmonte Pignatelly, Ministre Plénipotentiaire de sa majesté Sicilienne would be coming to the factory to choose porcelain making up part of the gift which the Directoire Exécutif intended to give to him.
After the visit, the prince’s choices were entered in the sales’ ledger on 21 pluviôse an V (9 February 1797). He chose two pair of vases, the first of which match the present pair in their description; 2 Vases Fond or Violet miniature et Oiseaux du Premier mérite ('2 gold and violet ground vases decorated with birds and small scenes of the highest quality'). These vases cost 3,600 livres. The other pair of vases chosen were described as 2 Vases forme Chinoise, Fond rouge Joncs en or, which came to a total of 800 livres. As well as these four vases, the gift included a 24-place bleu céleste-ground dessert-service with accompanying vases and biscuit figures, the majority of which is now in the British Royal Collection (4). The entire gift, including the vases and the service with its accompanying vases and figures came to a total of 14,000 livres.
THE DECORATION
The shape of these vases was created by the Sèvres factory in 1793.
The first mention appears in the painters' payment register for a pair of vases painted by Charles-Eloi Asselin, described as "deux vases nouvelles formes, enfants formant les anses" (5).
Only six other examples of this rare form of vase are known to have survived:
two in the Château de Fontainebleau (6), a pair of tortoiseshell-ground vases in a private collection (7) and a pair of lapis lazuli-ground vases in the Musée Jacquemart-André, Paris (8). Two of them bear the engraved inscription "enfent Triton".
The present vases bear the mark of the figure painter Nicolas-Pierre Pithou le jeune, active at the factory between 1763-1767 and 1769-1795, also the mark of the flower painter Nicolas Sinsson, active at the factory between 1773 and 1795, and the mark of the gilder André-Joseph La France, active between 1776 and 1803. The latter is also mentioned under the name Foinet.
The figural scenes on the present vases were painted by Nicholas-Pierre Pithou, le jeune, who was a painter specialising in flowers and figures, and who is recorded as having worked at Sèvres between 1763 and 1767, and again from 1769 to 1795. In the payments to the painter Sinsson listed in the factory sales registers, one entry is for 2 vases nouveaux peints par Pithou arabesque sur fond d’or on 28 brumaire an II (18 November 1793) (9), and slightly earlier, on 24 October 1793, there is an entry for 2 vases peints par Pithou, oiseaux sur terrasse. It is very probable that the bird panels on the present vases were painted by a painter whose mark does not appear on the vases, Philippe Castel, who was primarily a painter of birds and landscapes recorded at Sèvres between 1771 and 1772 and between 1796 and 1797. Under payments to Philippe Castel in the same register, there is an entry for 2 Vases nouveaux enfants formant les anses, oiseaux sur terrasses. An entry in the factory kiln register on 20 fructidor an III (7 September 1795) almost certainly refers to the present vases, where they are recorded as 2 Vases enfant fond violet miniature peints par Pithou et dorés par Foinet (La France) (10). Stylistically the birds on the present vases are very similar to those on a pair of vases in the Ostankino Palace, Moscow, which were painted by Castel.
The romantic scenes on the front of the vases were derived from two engravings by Friedrich Johann Wolff, which had been taken from two paintings by Louis Léopold Boilly (1761-1845), entitled 'La Douce Impression de l’harmonie' and 'Suite de la douce impression de l’harmonie' (21). Etienne Breton, author of the catalogue raisonné of Boilly's work, dates the paintings to between 1789 and 1793 (11). The suite de la douce impression de l'harmonie was in the collection of Claude Pierre Prousteau de Monlouis, (Paris sale, May 5, 1851, no. 6), then Charles d'Heucqueville (Hôtel Drouot, March 24 & 25, 1936, nos. 2 & 3) and more recently at public sale in Paris (12).
Le don des présents vases "enfants tritons" a joué un rôle modeste mais non négligeable dans les manœuvres politiques astucieuses de la République française naissante. Le groupe de pays européens qui s'étaient unis contre la France pour former la "Première Coalition" a été progressivement pacifié par une série de traités de paix. La coalition comprend l'Autriche, la Grande-Bretagne, le Piémont, la Prusse, le Landgraviat de Hesse-Kassel, l'Espagne et le Royaume de Naples et des Deux-Siciles. Ce dernier est alors dirigé par Ferdinand IV, dont l'épouse autrichienne, Marie-Caroline de Naples, est l'une des sœurs favorites de Marie-Antoinette, reine de France. Après l'exécution de Marie-Antoinette et de son mari Louis XVI en 1793, les relations entre les deux nations deviennent hostiles et le royaume de Naples rejoint la coalition.
La Prusse est la première à se retirer de la coalition, négociant la paix avec les Français et déclarant sa neutralité par le traité de Bâle en avril 1795. En juillet 1795, l'Espagne est le deuxième pays à se retirer de la coalition et, en août, le troisième traité de paix est signé entre la France et le Landgraviat de Hesse-Cassel. Ces traités permettent à la France de se hisser au rang de grande puissance en Europe en faisant la paix ses ennemis. L'année suivante, Ferdinand IV envoie son envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire à Paris pour négocier un traité de paix similaire avec les Français. Cet envoyé, le "prince de Belmonte", était Antonio Pignatelli Pinelli Ravaschieri, qui avait succédé à son père en tant que prince de Belmonte en 1794 (5). Les négociations ont lieu entre juillet et octobre 1796, et le traité qui en résulte met temporairement fin aux hostilités entre les deux nations (1), validant l’armistice conclu entre Pignatelli et Bonaparte le 5 juin 1796 à Brescia
En France, une pratique bien établie voulait que les émissaires qui menaient à bien les négociations soient récompensés par un service de Sèvres (2). Lorsque la Prusse a négocié son traité avec la France en 1795, Karl August Freiherr von Hardenberg, le ministre d'État prussien qui avait négocié et cosigné avec succès le traité de Bâle, a reçu le Service Arabesque. L'Ambassadeur du Roy D'Espagne - probablement Domingo de Iriarte -, qui conclut le traité franco-espagnol de Bâle en juillet 1795, reçut également un présent de porcelaine. Friedrich Sigismund, Freiherr (Baron) Waitz von Eschen, le ministre des Relations extérieures du Landgraviat de Hesse-Kassel qui négocia la paix avec la République française, reçut un service à dessert de 24 couverts avec d'autres porcelaines. En 1796, après la signature du traité le 10 octobre et sa ratification le 3 novembre, le prince de Belmonte est à son tour invité à la manufacture de Sèvres pour choisir un cadeau diplomatique du gouvernement français (3).
Une lettre adressée le 14 Nivôse an 5 (3 janvier 1797) à la manufacture de Sèvres par Pierre Bénézech, ministre de l’Intérieur y fait référence : Mr le Prince de Belmonte Pignatelly, Ministre Plénipotentiaire de sa majesté Sicilienne qui a traité de sa paix avec la République, devoit se rendre à Sèvres et y désigné les Porcelaines qui doivent composer une partie de présent qui lui est destiné par le Directoire Exécutif. Si ce choix a eu lieu, je vous autorise, Citoyen, à délivrer les objets choisis par ce Prince aux personnes qu’il aura chargées de les recevoir (…)
Le 21 Pluviôse an 5 (8 février 1797), le prince de Belmont Pignatelli choisit à Sèvres deux paires de vases dont la description de l’une correspond à la présente paire de vases : 2 vases Fond or violet miniature et oiseaux du Premier mérite pour 3600 francs. L’autre paire de vases est décrite : 2 vases Forme chinoise, Fond rouge Joncs en or à 400 francs chaque. Le cadeau comprend également un service de table à fond d’œil de perdrix bleu céleste décoré de roses, un surtout en sculpture composé de groupes, figures et vases en biscuit pour accompagner le service. La majeure partie se trouve aujourd'hui dans les Collections Royales Anglaises (4). L'ensemble du cadeau, y compris les vases et le service avec ses vases et figurines, s'élève à un total de 14.000 livres.
LA DOUCE IMPRESSION DE L’HARMONIE SUR PORCELAINE
La forme de ces vases est créée par la manufacture de Sèvres en 1793.
La première mention apparait dans le registre de paiement des peintres pour une paire de vases peints par Charles-Eloi Asselin décrit : « deux vases nouvelles formes, enfants formant les anses » (5).
Seuls six autres vases de cette forme sont aujourd’hui connus, deux conservés au château de Fontainebleau (6), une paire à fond écaille dans une collection privée (7) et une paire à fond bleu lapis lazuli au musée Jacquemart-André à Paris (8), deux d’entre eux portent l’inscription en creux sous la base : « enfent Triton ».
Les présents vases portent la marque du peintre de figures Nicolas-Pierre Pithou le jeune, actif à la manufacture entre 1763-1767 puis 1769-1795, également la marque du peintre de fleurs Nicolas Sinsson, actif à la manufacture entre 1773 et 1795 et la marque du doreur André-Joseph La France, actif entre 1776 et 1803. Ce dernier est également mentionné sous le nom de Foinet.
Si ces vases ne sont pas mentionnés parmi les paiements effectués à Pithou Jeune, en revanche, il faut sans doute les rapprocher de la mention dans le registre des paiements aux peintres sous le nom de Sinsson : 2 vases nouveaux peints par Pithou arabesque sur fond d’or le 28 brumaire an II (18 novembre 1793) (9). Le même registre fait référence le 10 septembre 1793 à un paiement effectué au peintre d’oiseaux Philippe Castel pour 2 vases nouveaux enfants formant les anses, oiseaux sur terrasses, puis le 24 octobre 1793 : 2 vases peints par Pithou, oiseaux sur terrasse. Bien que les présents vases ne portent pas la marque de Castel, la peinture des oiseaux peut lui être attribuée. Il est l’auteur d’oiseaux stylistiquement très similaires sur une paire de vases à fond violet conservé au Palais Ostankino à Moscou. Les registres d’enfournement à la date du 20 fructidor an III (7 septembre 1795) font également état du passage au four de 2 vases enfans fond violet miniature peints par Pithou et dorés par Foinet (La France) (10).
Le décor de la face principale de ces vases a pour source deux gravures par Friedrich Johann Wolff d’après Louis Léopold Boilly (1761-1845) intitulées La douce impression de l’harmonie et La suite de la douce impression de l’harmonie. Etienne Breton, auteur du catalogue raisonné de l’œuvre de Boilly, date les toiles entre 1789 et 1793 (11). La toile de la suite de la douce impression de l’harmonie était dans la collection de Claude Pierre Prousteau de Monlouis, (vente Paris, 5 mai 1851, n° 6), puis Charles d' Heucqueville (Hôtel Drouot, 24 & 25 mars 1936, n° 2 & 3) et plus récemment passée en vente publique à Paris (12)
1. Le traité est signé en octobre 1796 par le prince de Belmonte et Charles Delacroix de Constant (ministre français des Affaires étrangères du 4 novembre 1795 au 18 juillet 1797).
2. Cet usage a commencé en 1763, voir Sir Geoffrey de Bellaigue, French Porcelain in the Collection of Her Majesty The Queen, Londres, 2009, Vol. II, p. 722.
3. David Peters, Sèvres Plates and Services of the 18th century, Little Berkhamsted, 2005, Vol. V, p. 1181, n° 97-1
4. G. de Bellaigue, ibid. 2009, Vol. II, pp. 718-727, et p. 723 où l’auteur note les pièces manquantes du service, et p. 723 et p. 724, notes 38, 40 et 41, où il identifie des pièces provenant de ventes relativement récentes qui constituent probablement une partie du groupe manquant. Depuis la publication de son catalogue, dix assiettes de ce service ont été vendues par Christie's New York le 21 octobre 2010, lot 504.
5. Archives, Sèvres, registre Vj 5. Cette forme est également connue sous le nom de vase "Bolvry enfans triton".
6. L'un de ces vases est décoré de paysages sur un fond d'agate et l'autre d'un fond marbré. Le vase à paysages (inv. no. F 1224 C) porte l’inscription incisée Enfent Triton. En 1804, ce vase a été choisi pour l'ameublement du château de Fontainebleau. En 1805, il se trouvait dans la chambre à coucher de Napoléon, voir Bernard Chevallier, Les Sèvres de Fontainebleau, pièces entrées de 1804 à 1904, Paris, 1996, p. 43, n° 11.
7. Ces vases faisaient partie de la collection de James Watts Jr. (1769-1848) et étaient installés à Aston Hall. L'un de ces vases porte l’inscription incisée "Enfant Triton".
8. N° d’inventaire MJAP-OA 1362-1 et 2
9. Archives, Sèvres, registre Vj 5
10. Archives, Sèvres, registre Vi 3
11. Etienne Breton, Pascal Zuber, Boilly, Le peintre de la société parisienne de Louis XVI à Louis-Philippe, Paris, 2019, vol. II, p. 472, n°. 86P and 88P
12. Vente Paris, Hôtel Drouot, Etude Doutrebente, 10 juin 2011, n° 43.
THE VASES AS A DIPLOMATIC GIFT
The gift of the present vases ‘enfants tritons’ played a small but important role in the shrewd political manoeuvring of the nascent French Republic. The group of European countries which had joined forces against France to form the ‘First Coalition’ were gradually pacified with a series of peace treaties. The coalition included Austria, Britain, Piedmont, Prussia, the Landgraviate of Hesse-Kassel, Spain and the Kingdom of Naples and the Two Sicilies. The latter was ruled by Ferdinand IV, whose Austrian wife, Marie-Caroline of Naples, was one of the favourite sisters of Marie-Antoinette, Queen of France. After the execution of Marie Antoinette and her husband Louis XVI in 1793, relations between the two nations grew hostile, and the Kingdom of Naples joined the coalition.
Prussia was the first to opt out of the coalition, negotiating peace with the French and declaring its neutrality with the Treaty of Basel in April 1795. In July 1795, Spain became the second country to pull out of the Coalition, and in August the third peace treaty was signed between France and the Landgraviate of Hesse-Kassel. These treaties helped France to manoeuvre itself into a position of great power in Europe by pacifying its enemies one by one. In the following year, Ferdinand IV sent his Envoy Extraordinary and Minister Plenipotentiary to Paris to negotiate a similar peace treaty with the French. That envoy, the ‘Prince de Belmonte’, was presumably Antonio Pignatelli Pinelli Ravaschieri, who had succeeded his father as Principe di Belmonte in 1794 (5). Negotiations took place between July and October 1796, and the resulting treaty temporarily ended hostilities between the two nations (1), validating the armistice concluded between Pignatelli and Bonaparte on June 5, 1796 in Brescia
In France, it was a well-established practice for envoys who brought negotiations to a successful conclusion to be rewarded with a Sèvres service (2). When Prussia had negotiated its treaty with France in 1795, Karl August Freiherr von Hardenberg, the Prussian Minister of State who had successfully negotiated and co-signed the Treaty of Basel, was given the Service Arabesque. This was followed by an important gift of a large service and other porcelain to the L’embassadeur du Roy D’Espagne (probably Domingo de Iriarte), who concluded the Franco-Spanish Treaty of Basel in July 1795. Friedrich Sigismund, Freiherr (Baron) Waitz von Eschen, the Minister of Exterior Relations to the Landgraviate of Hesse-Kassel who negotiated peace with the French Republic received a 24-place dessert-service with other porcelain. In 1796, after the treaty had been signed on 10 October and then ratified on 3 November, the Prince di Belmonte was duly invited to Sèvres to choose a diplomatic gift from the French government (3)
In surviving letters at the Sèvres archive, di Belmonte’s gift is first mentioned in a letter of 14 nivôse V (3 January 1797) from Pierre Bénézech, Ministre de l’Intérieur, to the Sèvres Manufactory, notifying the factory that M le Prince de Belmonte Pignatelly, Ministre Plénipotentiaire de sa majesté Sicilienne would be coming to the factory to choose porcelain making up part of the gift which the Directoire Exécutif intended to give to him.
After the visit, the prince’s choices were entered in the sales’ ledger on 21 pluviôse an V (9 February 1797). He chose two pair of vases, the first of which match the present pair in their description; 2 Vases Fond or Violet miniature et Oiseaux du Premier mérite ('2 gold and violet ground vases decorated with birds and small scenes of the highest quality'). These vases cost 3,600 livres. The other pair of vases chosen were described as 2 Vases forme Chinoise, Fond rouge Joncs en or, which came to a total of 800 livres. As well as these four vases, the gift included a 24-place bleu céleste-ground dessert-service with accompanying vases and biscuit figures, the majority of which is now in the British Royal Collection (4). The entire gift, including the vases and the service with its accompanying vases and figures came to a total of 14,000 livres.
THE DECORATION
The shape of these vases was created by the Sèvres factory in 1793.
The first mention appears in the painters' payment register for a pair of vases painted by Charles-Eloi Asselin, described as "deux vases nouvelles formes, enfants formant les anses" (5).
Only six other examples of this rare form of vase are known to have survived:
two in the Château de Fontainebleau (6), a pair of tortoiseshell-ground vases in a private collection (7) and a pair of lapis lazuli-ground vases in the Musée Jacquemart-André, Paris (8). Two of them bear the engraved inscription "enfent Triton".
The present vases bear the mark of the figure painter Nicolas-Pierre Pithou le jeune, active at the factory between 1763-1767 and 1769-1795, also the mark of the flower painter Nicolas Sinsson, active at the factory between 1773 and 1795, and the mark of the gilder André-Joseph La France, active between 1776 and 1803. The latter is also mentioned under the name Foinet.
The figural scenes on the present vases were painted by Nicholas-Pierre Pithou, le jeune, who was a painter specialising in flowers and figures, and who is recorded as having worked at Sèvres between 1763 and 1767, and again from 1769 to 1795. In the payments to the painter Sinsson listed in the factory sales registers, one entry is for 2 vases nouveaux peints par Pithou arabesque sur fond d’or on 28 brumaire an II (18 November 1793) (9), and slightly earlier, on 24 October 1793, there is an entry for 2 vases peints par Pithou, oiseaux sur terrasse. It is very probable that the bird panels on the present vases were painted by a painter whose mark does not appear on the vases, Philippe Castel, who was primarily a painter of birds and landscapes recorded at Sèvres between 1771 and 1772 and between 1796 and 1797. Under payments to Philippe Castel in the same register, there is an entry for 2 Vases nouveaux enfants formant les anses, oiseaux sur terrasses. An entry in the factory kiln register on 20 fructidor an III (7 September 1795) almost certainly refers to the present vases, where they are recorded as 2 Vases enfant fond violet miniature peints par Pithou et dorés par Foinet (La France) (10). Stylistically the birds on the present vases are very similar to those on a pair of vases in the Ostankino Palace, Moscow, which were painted by Castel.
The romantic scenes on the front of the vases were derived from two engravings by Friedrich Johann Wolff, which had been taken from two paintings by Louis Léopold Boilly (1761-1845), entitled 'La Douce Impression de l’harmonie' and 'Suite de la douce impression de l’harmonie' (21). Etienne Breton, author of the catalogue raisonné of Boilly's work, dates the paintings to between 1789 and 1793 (11). The suite de la douce impression de l'harmonie was in the collection of Claude Pierre Prousteau de Monlouis, (Paris sale, May 5, 1851, no. 6), then Charles d'Heucqueville (Hôtel Drouot, March 24 & 25, 1936, nos. 2 & 3) and more recently at public sale in Paris (12).