拍品專文
The White Goddess / La Femme brune (1963-1964) est un exemple particulièrement éloquent des premiers assemblages de Niki de Saint Phalle. Composés de plâtre, de peinture, de tissu et d'objets récupérés, ces effigies de bric et de broc sont un pont essentiel entre les tableaux-tirs que l'artiste réalise à partir de 1961 (en tirant à la carabine sur des sacs de peinture disposés sur des supports blancs, souvent ornés de jouets et de figurines) et ses plantureuses Nanas, éclatantes de féminité et de couleurs, qui voient le jour en 1965. Avec son visage pétrifié, sa corpulence monstrueuse et son port solennel, la créature représentée ici évoque à bien des égards une icône de fertilité. Le corps et la chevelure de laine sont constellés de fleurs en plastique et de jouets, parmi lesquels on distingue des animaux de la ferme, des poupées, des têtes de mort et un motocycliste. Initialement intitulée La Femme brune, cette œuvre était bariolée de couleurs jusqu'à ce que l'artiste la recouvre intégralement de peinture blanche et la rebaptise The White Goddess. Constituée des débris de la vie moderne, cette improbable divinité, sorte de monument sans âge à la gloire du pouvoir féminin, soulève certains des sujets de prédilection de l'artiste : maternité, genre, sexualité, puissance créatrice... Plusieurs œuvres de cette période charnière, très ressemblantes, sont actuellement conservées dans des collections majeures, notamment La Mariée (1964, Centre Pompidou, Paris), L’Accouchement rose (1964, Moderna Museet, Stockholm) ou Autel des Femmes (1964, Sprengel Museum Hannover).
Hantée par le souvenir d'une enfance privilégiée mais douloureuse, Niki de Saint Phalle se lance à corps perdu dans l'art à la suite d'une dépression nerveuse dont elle est victime au début des années 1950. « Je serais probablement en prison, ou encore dans un hôpital psychiatrique, si l'art ne m'avait pas permis d'extérioriser la colère profonde que j'éprouvais envers mes parents, envers la société », confiera-t-elle par la suite (citée in A. Levy, ‘Beautiful Monsters’, The New Yorker, 11 avril 2016). Partageant sa vie entre Paris, Nice et Deià (à Majorque), elle sillonne l'Europe durant le restant des années 1950 avec son premier mari Harry Matthews et leurs jeunes enfants. Cette époque formatrice est notamment marquée par sa découverte bouleversante de l'œuvre d'Antoni Gaudí dans les environs de Barcelone, ainsi que sa rencontre avec l'écrivain anglais Robert Graves, qui la surnomme la déesse blanche (« the white goddess »), en écho à son ouvrage de 1948, The White Goddess: a Historical Grammar of Poetic Myth. Dans cet essai, Graves soutient que poésie, mythes et religion dérivent tous de cultes primitifs à la divinité féminine. Ici, l'artiste emprunte à son tour la formule de Graves pour souligner les vertus créatrices et le caractère archétypal de sa figure. Malgré cette portée universelle, exaltée par sa blancheur immaculée, on pourrait aussi y voir un semblant d'autoportrait.
Ce sont ses Tirs (ces tableaux nés de performances radicales qui lui permettent d'exorciser toute sa rage contre la société patriarcale) qui amènent Saint Phalle à devenir l'unique membre féminin du cercle des Nouveaux Réalistes, fondé à Paris en 1960 par Pierre Restany. D'autres représentants du mouvement tels que Raymond Hains, Arman, Martial Raysse, Yves Klein ou Jean Tinguely (son second époux) mettent, comme elle, les objets les plus ordinaires au service d'une critique socio-culturelle féroce. Dans la série d'assemblages dont relève The White Goddess / La femme brune, les questions liées à l'identité féminine sont traitées de façon plus figurative, plus explicite que dans les travaux antérieurs de Saint Phalle : notamment celles du mariage et de l'accouchement. Par leur manière outrancière de mettre l'accent sur la fécondité, ces créatures hybrides ne sont d'ailleurs pas sans rappeler les très primitivistes Corps de Dames de Jean Dubuffet. Nées du bricolage d'objets domestiques, elles interrogent les différents rôles assignés à la femme : épouse, génitrice, mère ou objet sexualisé, préfigurant certains pans des courants féministes qui émergeront par la suite. Avec ses Nanas voluptueuses et colorées, son discours glissera vers quelque chose de plus allègre sans pour autant perdre de sa verve : la célébration d'une joie de vivre purement féminine, et le rêve d'un matriarcat délivré de toute oppression. À l'heure où elle produit The White Goddess / La Femme brune, en revanche, Saint Phalle puise encore dans la fougue entremêlée de souffrance qui se trouve à la source-même de son art.
Hantée par le souvenir d'une enfance privilégiée mais douloureuse, Niki de Saint Phalle se lance à corps perdu dans l'art à la suite d'une dépression nerveuse dont elle est victime au début des années 1950. « Je serais probablement en prison, ou encore dans un hôpital psychiatrique, si l'art ne m'avait pas permis d'extérioriser la colère profonde que j'éprouvais envers mes parents, envers la société », confiera-t-elle par la suite (citée in A. Levy, ‘Beautiful Monsters’, The New Yorker, 11 avril 2016). Partageant sa vie entre Paris, Nice et Deià (à Majorque), elle sillonne l'Europe durant le restant des années 1950 avec son premier mari Harry Matthews et leurs jeunes enfants. Cette époque formatrice est notamment marquée par sa découverte bouleversante de l'œuvre d'Antoni Gaudí dans les environs de Barcelone, ainsi que sa rencontre avec l'écrivain anglais Robert Graves, qui la surnomme la déesse blanche (« the white goddess »), en écho à son ouvrage de 1948, The White Goddess: a Historical Grammar of Poetic Myth. Dans cet essai, Graves soutient que poésie, mythes et religion dérivent tous de cultes primitifs à la divinité féminine. Ici, l'artiste emprunte à son tour la formule de Graves pour souligner les vertus créatrices et le caractère archétypal de sa figure. Malgré cette portée universelle, exaltée par sa blancheur immaculée, on pourrait aussi y voir un semblant d'autoportrait.
Ce sont ses Tirs (ces tableaux nés de performances radicales qui lui permettent d'exorciser toute sa rage contre la société patriarcale) qui amènent Saint Phalle à devenir l'unique membre féminin du cercle des Nouveaux Réalistes, fondé à Paris en 1960 par Pierre Restany. D'autres représentants du mouvement tels que Raymond Hains, Arman, Martial Raysse, Yves Klein ou Jean Tinguely (son second époux) mettent, comme elle, les objets les plus ordinaires au service d'une critique socio-culturelle féroce. Dans la série d'assemblages dont relève The White Goddess / La femme brune, les questions liées à l'identité féminine sont traitées de façon plus figurative, plus explicite que dans les travaux antérieurs de Saint Phalle : notamment celles du mariage et de l'accouchement. Par leur manière outrancière de mettre l'accent sur la fécondité, ces créatures hybrides ne sont d'ailleurs pas sans rappeler les très primitivistes Corps de Dames de Jean Dubuffet. Nées du bricolage d'objets domestiques, elles interrogent les différents rôles assignés à la femme : épouse, génitrice, mère ou objet sexualisé, préfigurant certains pans des courants féministes qui émergeront par la suite. Avec ses Nanas voluptueuses et colorées, son discours glissera vers quelque chose de plus allègre sans pour autant perdre de sa verve : la célébration d'une joie de vivre purement féminine, et le rêve d'un matriarcat délivré de toute oppression. À l'heure où elle produit The White Goddess / La Femme brune, en revanche, Saint Phalle puise encore dans la fougue entremêlée de souffrance qui se trouve à la source-même de son art.