Lot Essay
« Bishop a toujours été un minimaliste, mais un minimaliste sensible : le dépouillement est manifestement une décision du cœur, et non de la tête. » - John Ashbery
James Bishop est l’un des nombreux artistes américains qui ont exposé à la galerie Jean Fournier, à Paris. Comme leurs homologues européens Simon Hantaï et Claude Viallat, ces artistes ont abordé la peinture à travers la question formelle de la matérialité et de la couleur, tout en menant des recherches poussées sur le fond. Jean Fournier considérait en outre les papiers découpés d’Henri Matisse comme des précurseurs de l’avenir de la peinture. Bishop a quant à lui découvert les papiers découpés de Matisse au musée des Arts Décoratifs en 1961.
Originaire du Missouri, l’artiste américain a étudié la peinture à l’université de Washington et au Black Mountain College. Il a également été élève en histoire de l’art à l’université de Columbia. Après avoir vécu à Paris de 1958 à 1973, il décide de s’installer dans l’ancien presbytère de Blévy, un petit village de l’Eure-et-Loire. Là, il jardine, écoute de la musique classique et lit beaucoup d’ouvrages de philosophie, d’histoire et de littérature. Il voyage également en Italie pour étudier in situ les peintures des XVe et XVIe siècles. Entre 1966 et 1987, l’artiste expose souvent aux États-Unis et en Europe et, s’il a conservé un atelier à New York, il s’y rend de moins en moins souvent au fil du temps. Au cours de son « exil normand », Bishop s’inspire de certains aspects du minimalisme, Colour Field et Pop Art, mais sans jamais se ranger à aucune école en particulier. Il développe son propre style, insaisissable et sobre, et se décrit lui-même comme un membre de « la branche la plus modérée » de l’expressionnisme abstrait.
Selon le poète et critique John Ashbery, les Américains de la trempe de Bishop étaient des sortes d’apatrides. Ils ne participaient pas pleinement à la vie culturelle parisienne, ni à celle de New York ; ainsi, ils pouvaient développer leur art sans entrave. « Contrairement à New York et à la plupart des autres capitales, [Paris] offre un climat encore neutre dans lequel on peut travailler à peu près comme on l’entend », note Ashbery. « Et c’est précisément cette absence d’interférence, même lorsqu’elle prend la forme légèrement désolante d’un abandon de la part des marchands et des collectionneurs, qui se révèle être une force dans la plupart des œuvres réalisées aujourd’hui par des Américains à l’étranger » (J. Ashbery, “An Expressionist in Paris”, ARTNews, avril 1965, p. 63).
Ashbery admire beaucoup Bishop – dont il décrira plus tard le style comme « Post-Painterly Quattrocento » – et regrette que la critique le néglige autant des deux côtés de l’Atlantique. Ce qui n’empêche pas Bishop de vouer une sorte de culte aux capitales françaises et américaines.
Dans les années 1960, son œuvre apparaît comme une référence centrale pour les peintres et les écrivains rassemblés autour de la revue littéraire de gauche Tel Quel, dirigée par le poète et critique Marcelin Pleynet, qui jouera plus tard un rôle important dans la promotion des artistes du groupe Supports/Surfaces.
« Dans les années 1960, explique Bishop, je voulais acquérir l’image d’un peintre relativement modeste, mais non dénué intérêt, voire d’étrangeté ; je souhaitais avant tout être un véhicule qui me permettrait de traiter tel ou tel un aspect de la peinture ». (J. Bishop cité dans Artists Should Never Be Seen nor Heard : James Bishop in Conversation with Dieter Schwarz, dans James Bishop : Paintings and Works on Paper, cat. ex. Kunstmuseum Winterthur, Winterthur 1993, p. 33).
Durant cette période, Bishop appliquait au pinceau de fines couches de peinture à l’huile très liquide sur une toile tendue et apprêtée, qu’il inclinait et faisait basculer afin de répartir la couleur sur toute la surface. Ses compositions de l’époque comportent souvent des bordures ou des formes géométriques : dans The Story of His Head, la peinture s’écoule doucement sur ces bords imparfaits, révélant une sous-couche lumineuse et orangée.
Bishop a toujours utilisé la peinture à l’huile, préférant la richesse de ses effets aux pigments acryliques alors privilégiés par de nombreux artistes de Colour Field et Supports/Surfaces. Si ses œuvres ont en commun avec ces mouvements une certaine austérité et une forme de minimalisme, le travail en strates, la luminosité des couleurs et leur sens de la nuance leur confèrent une chaleur quasi humaniste. Après une période durant laquelle il peint exclusivement des tableaux blancs puis gris, Bishop cesse totalement de travailler sur toile à partir de 1986, optant pour des petites études sur papier, carton fin ou sur des supports qu’il trouve çà et là. À l’apogée de sa pratique picturale, l’échelle et la structure de ses œuvres dialoguent étroitement avec le corps humain.
Selon la critique d’art Molly Warnock, dans le travail de Bishop, « les formes sont presque redoublées sur un axe central, horizontal ou vertical ; l’axe lui-même est alternativement et légèrement déplacé, parfois presque imperceptiblement, à gauche ou à droite, vers le haut ou le bas. C’est à travers ces déplacements que l’on perçoit l’expressivité singulière des peintures de Bishop. Ces changements sont à lire comme une clé de la forme humaine réelle, érodant la stricte symétrie bilatérale en faveur d’une différenciation subtile entre la gauche et la droite, ou ce que l’on pourrait appeler la “main”, tout en produisant une hiérarchie implicite entre le haut et le bas, ou la tête (cette dernière analogie est particulièrement saillante dans The Story of His Head, où une languette bleue située dans le milieu supérieur est marquée d’une plus grande emphase que la forme placée symétriquement en dessous) » (M. Warnock, Field Agent : The Art of James Bishop, ArtForum, janvier 2014, p. 186).
L’artiste Pierre Buraglio, représenté par Jean Fournier à partir de 1978, découvre les œuvres de Bishop exposées à la galerie Jean Fournier en 1963 et 1968. Les tableaux, écrira-t-il plus tard, « offraient à l’œil, à l’intelligence, à la sensibilité, des surfaces vibrantes, organisées selon une géométrie silencieuse et sensuelle. Ces surfaces, ce vibrato, sont l’effet de la méthode qu’il utilise : une légère et discrète inclinaison du châssis. La peinture est alors plus étalée que appliquée, mais sa planéité est assurée ; l’espace est centripète, retenu aux quatre coins… Bishop renverse la relation entre le peintre et son produit : la peinture à l’œuvre. Ce fut pour moi une révélation. » (P. Buraglio, Body and Soul, dans M. Warnock (ed.), James Bishop : Transatlantique, Paris 2021, pp. 17-18). Les œuvres de Bishop agissent comme des révélateurs pour ceux qui les observent, leurs richesses subtiles se dévoilant un peu plus à chaque rencontre.
James Bishop est l’un des nombreux artistes américains qui ont exposé à la galerie Jean Fournier, à Paris. Comme leurs homologues européens Simon Hantaï et Claude Viallat, ces artistes ont abordé la peinture à travers la question formelle de la matérialité et de la couleur, tout en menant des recherches poussées sur le fond. Jean Fournier considérait en outre les papiers découpés d’Henri Matisse comme des précurseurs de l’avenir de la peinture. Bishop a quant à lui découvert les papiers découpés de Matisse au musée des Arts Décoratifs en 1961.
Originaire du Missouri, l’artiste américain a étudié la peinture à l’université de Washington et au Black Mountain College. Il a également été élève en histoire de l’art à l’université de Columbia. Après avoir vécu à Paris de 1958 à 1973, il décide de s’installer dans l’ancien presbytère de Blévy, un petit village de l’Eure-et-Loire. Là, il jardine, écoute de la musique classique et lit beaucoup d’ouvrages de philosophie, d’histoire et de littérature. Il voyage également en Italie pour étudier in situ les peintures des XVe et XVIe siècles. Entre 1966 et 1987, l’artiste expose souvent aux États-Unis et en Europe et, s’il a conservé un atelier à New York, il s’y rend de moins en moins souvent au fil du temps. Au cours de son « exil normand », Bishop s’inspire de certains aspects du minimalisme, Colour Field et Pop Art, mais sans jamais se ranger à aucune école en particulier. Il développe son propre style, insaisissable et sobre, et se décrit lui-même comme un membre de « la branche la plus modérée » de l’expressionnisme abstrait.
Selon le poète et critique John Ashbery, les Américains de la trempe de Bishop étaient des sortes d’apatrides. Ils ne participaient pas pleinement à la vie culturelle parisienne, ni à celle de New York ; ainsi, ils pouvaient développer leur art sans entrave. « Contrairement à New York et à la plupart des autres capitales, [Paris] offre un climat encore neutre dans lequel on peut travailler à peu près comme on l’entend », note Ashbery. « Et c’est précisément cette absence d’interférence, même lorsqu’elle prend la forme légèrement désolante d’un abandon de la part des marchands et des collectionneurs, qui se révèle être une force dans la plupart des œuvres réalisées aujourd’hui par des Américains à l’étranger » (J. Ashbery, “An Expressionist in Paris”, ARTNews, avril 1965, p. 63).
Ashbery admire beaucoup Bishop – dont il décrira plus tard le style comme « Post-Painterly Quattrocento » – et regrette que la critique le néglige autant des deux côtés de l’Atlantique. Ce qui n’empêche pas Bishop de vouer une sorte de culte aux capitales françaises et américaines.
Dans les années 1960, son œuvre apparaît comme une référence centrale pour les peintres et les écrivains rassemblés autour de la revue littéraire de gauche Tel Quel, dirigée par le poète et critique Marcelin Pleynet, qui jouera plus tard un rôle important dans la promotion des artistes du groupe Supports/Surfaces.
« Dans les années 1960, explique Bishop, je voulais acquérir l’image d’un peintre relativement modeste, mais non dénué intérêt, voire d’étrangeté ; je souhaitais avant tout être un véhicule qui me permettrait de traiter tel ou tel un aspect de la peinture ». (J. Bishop cité dans Artists Should Never Be Seen nor Heard : James Bishop in Conversation with Dieter Schwarz, dans James Bishop : Paintings and Works on Paper, cat. ex. Kunstmuseum Winterthur, Winterthur 1993, p. 33).
Durant cette période, Bishop appliquait au pinceau de fines couches de peinture à l’huile très liquide sur une toile tendue et apprêtée, qu’il inclinait et faisait basculer afin de répartir la couleur sur toute la surface. Ses compositions de l’époque comportent souvent des bordures ou des formes géométriques : dans The Story of His Head, la peinture s’écoule doucement sur ces bords imparfaits, révélant une sous-couche lumineuse et orangée.
Bishop a toujours utilisé la peinture à l’huile, préférant la richesse de ses effets aux pigments acryliques alors privilégiés par de nombreux artistes de Colour Field et Supports/Surfaces. Si ses œuvres ont en commun avec ces mouvements une certaine austérité et une forme de minimalisme, le travail en strates, la luminosité des couleurs et leur sens de la nuance leur confèrent une chaleur quasi humaniste. Après une période durant laquelle il peint exclusivement des tableaux blancs puis gris, Bishop cesse totalement de travailler sur toile à partir de 1986, optant pour des petites études sur papier, carton fin ou sur des supports qu’il trouve çà et là. À l’apogée de sa pratique picturale, l’échelle et la structure de ses œuvres dialoguent étroitement avec le corps humain.
Selon la critique d’art Molly Warnock, dans le travail de Bishop, « les formes sont presque redoublées sur un axe central, horizontal ou vertical ; l’axe lui-même est alternativement et légèrement déplacé, parfois presque imperceptiblement, à gauche ou à droite, vers le haut ou le bas. C’est à travers ces déplacements que l’on perçoit l’expressivité singulière des peintures de Bishop. Ces changements sont à lire comme une clé de la forme humaine réelle, érodant la stricte symétrie bilatérale en faveur d’une différenciation subtile entre la gauche et la droite, ou ce que l’on pourrait appeler la “main”, tout en produisant une hiérarchie implicite entre le haut et le bas, ou la tête (cette dernière analogie est particulièrement saillante dans The Story of His Head, où une languette bleue située dans le milieu supérieur est marquée d’une plus grande emphase que la forme placée symétriquement en dessous) » (M. Warnock, Field Agent : The Art of James Bishop, ArtForum, janvier 2014, p. 186).
L’artiste Pierre Buraglio, représenté par Jean Fournier à partir de 1978, découvre les œuvres de Bishop exposées à la galerie Jean Fournier en 1963 et 1968. Les tableaux, écrira-t-il plus tard, « offraient à l’œil, à l’intelligence, à la sensibilité, des surfaces vibrantes, organisées selon une géométrie silencieuse et sensuelle. Ces surfaces, ce vibrato, sont l’effet de la méthode qu’il utilise : une légère et discrète inclinaison du châssis. La peinture est alors plus étalée que appliquée, mais sa planéité est assurée ; l’espace est centripète, retenu aux quatre coins… Bishop renverse la relation entre le peintre et son produit : la peinture à l’œuvre. Ce fut pour moi une révélation. » (P. Buraglio, Body and Soul, dans M. Warnock (ed.), James Bishop : Transatlantique, Paris 2021, pp. 17-18). Les œuvres de Bishop agissent comme des révélateurs pour ceux qui les observent, leurs richesses subtiles se dévoilant un peu plus à chaque rencontre.