Lot Essay
Dans la culture mundugumor, la flûte rituelle - en particulier celle mobilisée lors de l’initiation ashin - occupe une place éminente dans l’ordonnancement social et spirituel. Loin de se réduire à un simple instrument musical, dont l’usage pratique demeure d’ailleurs limité, elle se présente comme un vecteur de transition, un médium sacré assurant le lien entre le monde tangible des hommes et l’univers invisible des esprits ancestraux. Sa révélation aux jeunes initiés, orchestrée par une figure masculine de haut rang, constitue une étape capitale dans leur accession au statut d’adulte, tout en les inscrivant symboliquement dans une généalogie mythique, dont le crocodile - animal totémique et figure centrale de l’imaginaire rituel - est l’un des emblèmes les plus puissants.
Le rituel de l’ashin, auquel sont associés flûte, tambours et autres éléments sonores ou visuels, se déploie selon une mise en scène rigoureusement codifiée, où chaque composante revêt une signification particulière : les tambours prêtent leur voix aux entités maternelles, tandis que la flûte, incarnant l’enfant, devient le réceptacle des forces vitales et initiatiques. Par sa présence, elle concentre le sacré, agissant comme un catalyseur spirituel. Elle permet aux initiés de contempler, pour la première fois, les mystères cachés du culte, matérialisant une révélation progressive du savoir réservé aux adultes. Ainsi, sa fonction transcende le registre musical pour s’ériger en fondement de l’élévation spirituelle et de l’affirmation identitaire.
Sur le plan formel, la flûte se distingue par une exubérance plastique et un raffinement décoratif exceptionnels. Sertie de coquillages précieux, des oreilles aux yeux, et couronnée de plumes de casoar qui auréolent une large tête démesurée aux traits expressifs, elle s’apparente davantage à une sculpture votive qu’à un instrument de musique à proprement parler. Sa silhouette, soulignée de détails minutieusement exécutés, et son visage partiellement enduit de pigments et doté d’une barbe, captent irrésistiblement le regard, conférant à l’objet une force visuelle saisissante. Chaque détail - qu’il s’agisse des plumes suggérant une créature ailée ou du jeu subtil des volumes - témoigne d’une maîtrise artistique remarquable, au service d’un univers symbolique foisonnant. Le wusear se présente ainsi comme une véritable oeuvre d’art, condensant en lui la sensibilité, la mémoire vive et la vision du monde de son créateur.
Entre mars 1934 et juin 1936, le brick-goélette français La Korrigane, avec à son bord neuf marins, effectua un tour du monde qui fut largement relayé par la presse de l’époque et qui reste encore aujourd’hui un voyage mémorable.
Les cinq membres de l’expédition, Étienne et Monique de Ganay, Charles et Régine van den Broek d’Obrenan, ainsi que Jean Ratisbonne ramenèrent de ce périple exceptionnel une vaste documentation photographique, comptant plusieurs milliers de clichés ainsi qu’un ensemble de plus de 2 500 objets acquis au fil de leur itinéraire. Environ 2 200 de ces pièces furent mises en dépôt au musée de l’Homme, avant d’être dispersées lors d’une vente aux enchères organisée à l’Hôtel Drouot, les 4 et 5 décembre 1961. Aujourd’hui, près d’un tiers de cette collection est conservé au musée du quai Branly – Jacques Chirac (voir Coiffier, 2001 et 2014), tandis que de nombreuses autres oeuvres, à l’instar de notre lot, ont rejoint certaines des plus prestigieuses collections privées d’art océanien. Notre oeuvre fut acquise par Charles Ratton lors de cette vente, et vendue ensuite à Joyce Mansour, la grande prêtresse de la poésie surréaliste.
In Mundugumor culture, the ritual flute - most notably employed during the Ashin initiation - occupies a place of singular prominence within the social and spiritual order. Far from being a mere musical instrument, whose practical usage remains relatively limited, it emerges as a conduit of transformation, a sacred medium bridging the tangible world of men and the invisible realm of ancestral spirits. Its unveiling to young initiates, orchestrated by a high-ranking male figure, marks a pivotal moment in their passage to adulthood, while simultaneously inscribing them within a mythic genealogy, of which the crocodile - a totemic creature and central figure in ritual imagination - is one of the most potent emblems.
The Ashin rite, in which the flute joins drums and other sonic and visual elements, unfolds according to a rigorously codified mise-en-scène, wherein each component bears distinct symbolic weight: the drums give voice to maternal entities, while the flute, embodying the child, becomes the vessel of vital and initiatory forces. In its presence, the sacred is concentrated, and the instrument acts as a spiritual catalyst. It grants the initiates their first glimpse into the hidden mysteries of the cult, materializing a gradual revelation of knowledge reserved for adults. In this way, its function transcends the musical register, rising to the stature of a cornerstone of spiritual elevation and identity affirmation.
From a formal perspective, the flute distinguishes itself through an exuberant aesthetic and exceptional decorative refinement. Adorned with precious shells from ears to eyes, and crowned with cassowary feathers that halo an exaggerated, expressively carved head, it resembles more a votive sculpture than a conventional musical instrument. Its silhouette, accented with meticulously executed details, and its partially pigmented, bearded visage irresistibly command attention, endowing the object with striking visual force. Every element - be it the feathers evoking a winged being or the subtle interplay of volumes - attests to remarkable artistic mastery, placed in the service of a rich symbolic cosmos. The wusear thus stands as a genuine work of art, encapsulating the sensibility, living memory, and worldview of its creator.
Between March 1934 and June 1936, the French yacht La Korrigane, with nine sailors on board, undertook a world tour that was widely covered by the press of the time and remains a memorable journey even today.
The five members of the expedition, Étienne and Monique de Ganay, Charles and Régine van den Broek d’Obrenan, and Jean Ratisbonne, brought back from this exceptional journey a vast photographic documentation, comprising several thousand shots,as well as a collection of more than 2,500 objects acquired along their route. About 2,200 of these pieces were deposited at theMusée de l'Homme, before being dispersed at an auction held at the Hôtel Drouot on December 4 and 5, 1961. Today, nearly a third of this collection is preserved at the Musée du quai Branly – Jacques Chirac (see Coiffier, 2001 and 2014), while many other works, like our lot, have joined some of the most prestigious private collections of Oceanian art. Our piece was acquired by Charles Ratton at this sale, and later sold to Joyce Mansour, the high priestess of surrealist poetry.
Le rituel de l’ashin, auquel sont associés flûte, tambours et autres éléments sonores ou visuels, se déploie selon une mise en scène rigoureusement codifiée, où chaque composante revêt une signification particulière : les tambours prêtent leur voix aux entités maternelles, tandis que la flûte, incarnant l’enfant, devient le réceptacle des forces vitales et initiatiques. Par sa présence, elle concentre le sacré, agissant comme un catalyseur spirituel. Elle permet aux initiés de contempler, pour la première fois, les mystères cachés du culte, matérialisant une révélation progressive du savoir réservé aux adultes. Ainsi, sa fonction transcende le registre musical pour s’ériger en fondement de l’élévation spirituelle et de l’affirmation identitaire.
Sur le plan formel, la flûte se distingue par une exubérance plastique et un raffinement décoratif exceptionnels. Sertie de coquillages précieux, des oreilles aux yeux, et couronnée de plumes de casoar qui auréolent une large tête démesurée aux traits expressifs, elle s’apparente davantage à une sculpture votive qu’à un instrument de musique à proprement parler. Sa silhouette, soulignée de détails minutieusement exécutés, et son visage partiellement enduit de pigments et doté d’une barbe, captent irrésistiblement le regard, conférant à l’objet une force visuelle saisissante. Chaque détail - qu’il s’agisse des plumes suggérant une créature ailée ou du jeu subtil des volumes - témoigne d’une maîtrise artistique remarquable, au service d’un univers symbolique foisonnant. Le wusear se présente ainsi comme une véritable oeuvre d’art, condensant en lui la sensibilité, la mémoire vive et la vision du monde de son créateur.
Entre mars 1934 et juin 1936, le brick-goélette français La Korrigane, avec à son bord neuf marins, effectua un tour du monde qui fut largement relayé par la presse de l’époque et qui reste encore aujourd’hui un voyage mémorable.
Les cinq membres de l’expédition, Étienne et Monique de Ganay, Charles et Régine van den Broek d’Obrenan, ainsi que Jean Ratisbonne ramenèrent de ce périple exceptionnel une vaste documentation photographique, comptant plusieurs milliers de clichés ainsi qu’un ensemble de plus de 2 500 objets acquis au fil de leur itinéraire. Environ 2 200 de ces pièces furent mises en dépôt au musée de l’Homme, avant d’être dispersées lors d’une vente aux enchères organisée à l’Hôtel Drouot, les 4 et 5 décembre 1961. Aujourd’hui, près d’un tiers de cette collection est conservé au musée du quai Branly – Jacques Chirac (voir Coiffier, 2001 et 2014), tandis que de nombreuses autres oeuvres, à l’instar de notre lot, ont rejoint certaines des plus prestigieuses collections privées d’art océanien. Notre oeuvre fut acquise par Charles Ratton lors de cette vente, et vendue ensuite à Joyce Mansour, la grande prêtresse de la poésie surréaliste.
In Mundugumor culture, the ritual flute - most notably employed during the Ashin initiation - occupies a place of singular prominence within the social and spiritual order. Far from being a mere musical instrument, whose practical usage remains relatively limited, it emerges as a conduit of transformation, a sacred medium bridging the tangible world of men and the invisible realm of ancestral spirits. Its unveiling to young initiates, orchestrated by a high-ranking male figure, marks a pivotal moment in their passage to adulthood, while simultaneously inscribing them within a mythic genealogy, of which the crocodile - a totemic creature and central figure in ritual imagination - is one of the most potent emblems.
The Ashin rite, in which the flute joins drums and other sonic and visual elements, unfolds according to a rigorously codified mise-en-scène, wherein each component bears distinct symbolic weight: the drums give voice to maternal entities, while the flute, embodying the child, becomes the vessel of vital and initiatory forces. In its presence, the sacred is concentrated, and the instrument acts as a spiritual catalyst. It grants the initiates their first glimpse into the hidden mysteries of the cult, materializing a gradual revelation of knowledge reserved for adults. In this way, its function transcends the musical register, rising to the stature of a cornerstone of spiritual elevation and identity affirmation.
From a formal perspective, the flute distinguishes itself through an exuberant aesthetic and exceptional decorative refinement. Adorned with precious shells from ears to eyes, and crowned with cassowary feathers that halo an exaggerated, expressively carved head, it resembles more a votive sculpture than a conventional musical instrument. Its silhouette, accented with meticulously executed details, and its partially pigmented, bearded visage irresistibly command attention, endowing the object with striking visual force. Every element - be it the feathers evoking a winged being or the subtle interplay of volumes - attests to remarkable artistic mastery, placed in the service of a rich symbolic cosmos. The wusear thus stands as a genuine work of art, encapsulating the sensibility, living memory, and worldview of its creator.
Between March 1934 and June 1936, the French yacht La Korrigane, with nine sailors on board, undertook a world tour that was widely covered by the press of the time and remains a memorable journey even today.
The five members of the expedition, Étienne and Monique de Ganay, Charles and Régine van den Broek d’Obrenan, and Jean Ratisbonne, brought back from this exceptional journey a vast photographic documentation, comprising several thousand shots,as well as a collection of more than 2,500 objects acquired along their route. About 2,200 of these pieces were deposited at theMusée de l'Homme, before being dispersed at an auction held at the Hôtel Drouot on December 4 and 5, 1961. Today, nearly a third of this collection is preserved at the Musée du quai Branly – Jacques Chirac (see Coiffier, 2001 and 2014), while many other works, like our lot, have joined some of the most prestigious private collections of Oceanian art. Our piece was acquired by Charles Ratton at this sale, and later sold to Joyce Mansour, the high priestess of surrealist poetry.