Lot Essay
L’Angélus est une redécouverte importante dans l’histoire du réalisme dans la peinture française. Considérée comme perdue depuis plusieurs décennies, connue seulement par d’anciennes photographies, l’œuvre avait appartenu à Francis Seymour Haden, le beau-frère de Whistler et lui-même graveur réputé. Heureux propriétaire de l’œuvre, il fut à l’origine d’une initiative bien moins inspirée, relatée par L. Nochlin (éd. 1990, p. 127). Considérant comme fautive la perspective du tableau de Legros, Haden décida de la « corriger » de son propre-chef, repeignant le sol de l’église. Atterrés, Whistler et Legros parvinrent à récupérer l’œuvre et Legros dut restaurer le tableau lui-même.
Au-delà de cette anecdote, le tableau est le premier d’importance de Legros exposé au Salon. Marqué durablement par l’art de Courbet, le peintre y offre un exemple parfait du réalisme que son aîné a récemment imposé avec l’Enterrement à Ornans. Optant pour un sujet populaire, une assemblée de femmes jeunes et vieilles et de quelques enfants réunis dans une église pour la prière du matin, Legros propose une vision naturaliste et sincère de la piété populaire, influencée à la fois par l’art de ses contemporains, mais également par celui des maîtres plus anciens. Comme l’écrit T. Wilcox, l’œuvre « joint à l’observation privilégiée de l’individualité, l’expression visuelle des Primitifs, mais dans une atmosphère de spiritualité qui transcende ses sources. » (Wilcox dans cat. exp. Dijon, 1987-1988, p. 42).
C’est surtout vers Baudelaire qu’il faut se tourner pour avoir le compte-rendu le plus juste de l’œuvre, qu’il décrivit longuement dans son Salon de 1859 :
« J’ignore si MM. Legros et Amand Gautier possèdent la foi comme l’entend l’Eglise, mais très-certainement ils ont eu, en composant chacun un excellent ouvrage de piété, la foi suffisante pour l’objet en vue. Ils ont prouvé que, même au XIXe siècle, l’artiste peut produire un bon tableau de religion, pourvu que son imagination soit apte à s’élever jusque-là. (…)
(L’ami qui accompagne Baudelaire) ne pouvait pas nier les singuliers mérites (du tableau) ; mais cet aspect villageois, tout ce petit monde vêtu de velours, de coton, d’indienne et de cotonnade que l’Angelus rassemble le soir sous la voûte de l’église de nos grandes villes, avec ses sabots et ses parapluies, tout voûté par le travail, tout ridé par l’âge, tout parcheminé par la brûlure du chagrin, troublait un peu ses yeux, amoureux, comme ceux d’un bon connaisseur, des beautés élégantes et mondaines. Il obéissait évidemment à cette humeur française qui craint surtout d’être dupe, et qu’a si cruellement raillée l’écrivain français qui en était le plus singulièrement obsédé. (…)
Ce qui prouve que M. Legros est un esprit vigoureux, c’est que l’accoutrement vulgaire de son sujet ne nuit pas du tout à la grandeur morale du même sujet, mais qu’au contraire la trivialité est ici comme un assaisonnement dans la charité et la tendresse. (…) J’oubliais de dire que l’exécution de cette œuvre pieuse est d’une remarquable solidité ; la couleur un peu triste et la minutie des détails s’harmonisent avec le caractère éternellement précieux de la dévotion. M. C… me fit remarquer que les fonds ne fuyaient pas assez loin et que les personnages semblaient un peu plaqués sur la décoration qui les entoure. Mais ce défaut, je l’avoue, en me rappelant l’ardente naïveté des vieux tableaux, fut pour moi comme un charme de plus. Dans une œuvre moins intime et moins pénétrante, il n’eût pas été tolérable. »
Au-delà de cette anecdote, le tableau est le premier d’importance de Legros exposé au Salon. Marqué durablement par l’art de Courbet, le peintre y offre un exemple parfait du réalisme que son aîné a récemment imposé avec l’Enterrement à Ornans. Optant pour un sujet populaire, une assemblée de femmes jeunes et vieilles et de quelques enfants réunis dans une église pour la prière du matin, Legros propose une vision naturaliste et sincère de la piété populaire, influencée à la fois par l’art de ses contemporains, mais également par celui des maîtres plus anciens. Comme l’écrit T. Wilcox, l’œuvre « joint à l’observation privilégiée de l’individualité, l’expression visuelle des Primitifs, mais dans une atmosphère de spiritualité qui transcende ses sources. » (Wilcox dans cat. exp. Dijon, 1987-1988, p. 42).
C’est surtout vers Baudelaire qu’il faut se tourner pour avoir le compte-rendu le plus juste de l’œuvre, qu’il décrivit longuement dans son Salon de 1859 :
« J’ignore si MM. Legros et Amand Gautier possèdent la foi comme l’entend l’Eglise, mais très-certainement ils ont eu, en composant chacun un excellent ouvrage de piété, la foi suffisante pour l’objet en vue. Ils ont prouvé que, même au XIXe siècle, l’artiste peut produire un bon tableau de religion, pourvu que son imagination soit apte à s’élever jusque-là. (…)
(L’ami qui accompagne Baudelaire) ne pouvait pas nier les singuliers mérites (du tableau) ; mais cet aspect villageois, tout ce petit monde vêtu de velours, de coton, d’indienne et de cotonnade que l’Angelus rassemble le soir sous la voûte de l’église de nos grandes villes, avec ses sabots et ses parapluies, tout voûté par le travail, tout ridé par l’âge, tout parcheminé par la brûlure du chagrin, troublait un peu ses yeux, amoureux, comme ceux d’un bon connaisseur, des beautés élégantes et mondaines. Il obéissait évidemment à cette humeur française qui craint surtout d’être dupe, et qu’a si cruellement raillée l’écrivain français qui en était le plus singulièrement obsédé. (…)
Ce qui prouve que M. Legros est un esprit vigoureux, c’est que l’accoutrement vulgaire de son sujet ne nuit pas du tout à la grandeur morale du même sujet, mais qu’au contraire la trivialité est ici comme un assaisonnement dans la charité et la tendresse. (…) J’oubliais de dire que l’exécution de cette œuvre pieuse est d’une remarquable solidité ; la couleur un peu triste et la minutie des détails s’harmonisent avec le caractère éternellement précieux de la dévotion. M. C… me fit remarquer que les fonds ne fuyaient pas assez loin et que les personnages semblaient un peu plaqués sur la décoration qui les entoure. Mais ce défaut, je l’avoue, en me rappelant l’ardente naïveté des vieux tableaux, fut pour moi comme un charme de plus. Dans une œuvre moins intime et moins pénétrante, il n’eût pas été tolérable. »