Lot Essay
« Des spécialistes des symboles demanderont tout de suite que l’on établisse une distinction entre les mises en croix et les crucifixions, considérant qu’ainsi on fait mieux le partage entre un symbolisme général et le symbolisme propre au christianisme. Mais la force évocatrice et l’impact psychique que produit le crucifix peut également être un symbole universel qui va bien au-delà du christianisme. »
“Symbol specialists will ask that we establish a distinction between crosses and crucifixions, the in order to better differentiate general symbolism and christian symbolism. But the evocative strengh of the psychic impact of the crucifix can also be a universal symbol reaching far beyond christianism.”
Antoni Tàpies
Provenant d’une importante collection privée allemande, cet exceptionnel ensemble d’œuvres d’Antoni Tàpies sont le reflet de l’intime passion qui a animé leur propriétaire pendant plus d’un demi-siècle. Cette profonde amitié entre l’artiste et le collectionneur prend naissance dans les années 1950 lors de réunions annuelles à la Fondation Maeght où les deux hommes se rencontrent pour la première fois. La nouveauté, la radicalité apportée par Tàpies dans le paysage artistique de l’époque détonne et le fascine. L’emploi de matériaux naturels et simples, la vérité de ses compositions qui le frappe profondément. Collectionneur passionné donc, mais également engagé, il va être l’un des principaux artisans de l’introduction de l’œuvre de Tàpies en Allemagne et un farouche défenseur de son travail. Ces trois œuvres seront d’ailleurs prêtées au Landesmuseum de Mainz, puis au Neues Museum de Nüremberg, de 1998 à ce jour, afin qu’elles puissent être accessibles au public. Proches des artistes, il noua tout au long de sa vie des relations suivies avec nombre de ceux qu’il admirait aux rangs desquels on compte notamment Marino Marini, Vasarely, Chillida, Saura, Hartung, Dali ou encore Beuys. C’est donc avec un très grand honneur que Christie’s dévoile pour la première fois aux enchères ces trois œuvres fondamentales dans l’œuvre de l’artiste catalan.
En 1959, année où Tàpies réalise Forma de Crucificat et Verticale sur blanc, l’artiste bénéficie déjà d’une certaine notoriété internationale. Ayant participé à la Biennale de Venise l’année précédente, il a également obtenu le prix de peinture du Carnegie Institute de Pittsburgh, aux côtés de Calder récompensé pour la sculpture, ainsi que le prix de l’UNESCO. Il expose d’ailleurs à la Martha Jackson Gallery et profite de son séjour à New York pour rencontrer entre autres Motherwell, Hofmann ou encore Kline. Le MoMA et le Guggenheim Museum font d’ailleurs l’acquisition de deux de ses toiles cette année-là. Son travail repose désormais entièrement dans cette exploration de la matière qui lui est propre et qui l’amène à définir ses propres matériaux, en particulier en introduisant le sable ou la poudre de marbre afin de donner cette épaisseur et cette surface si propre à ses toiles. Contrairement à la plupart de ses contemporains qui déroulent les différents aspects d’une peinture résolument abstraite, Tàpies, lui, ne tend pas à choisir entre figuration et abstraction, mais au contraire ouvre une voie médiane et totalement nouvelle dans la scène artistique internationale. Sa peinture tend à réintroduire la trace de l’homme et de son temps dans la surface même de ses toiles. Tel un archéologue de sa propre époque, il instille des éléments issus d’une réalité quotidienne tout en les isolant pour mieux leur accorder une signification nouvelle. Comme les murs de nos villes, ses œuvres portent les stigmates du temps : griffures, craquelures, manques, graffitis, inscriptions aux seins desquels il révèle par moment cette trace humaine, que ce soit par une empreinte de pas dans Verticale sur blanc ou par le détournement d’un ancien manuscrit dans Missel II.
A ce titre, il faut prendre en compte toute l’importance que représente Forma de Crucificat au sein de l’œuvre de Tàpies. Si l’héritage de la peinture religieuse est évidemment présent dans l’œuvre, à l’image des Christ de Velasquez ou Zurbaran, son travail ne peut être simplement réduit à la relecture d’une mythologie catholique. En effet, pour Tàpies, « La force évocatrice et l’impact psychique que produit le crucifix peut également être un symbole universel qui va bien au-delà du Christianisme. […] Il n’est pas nécessaire de recourir aux constructions des traités de symbolique pour comprendre que la contemplation d’un homme nu cloué sur une croix, le sexe vulnérable, agonisant, nous conduit aux limites les plus mystérieuses de notre condition, l’amour et la mort, Eros et Thanatos. ». Cette croix devient ainsi un champ d’investigation pour l’artiste. Le buste, par son traitement, revêt la matière des murs qu’il explore dans sa peinture. Ce traitement du corps le place également dans la lignée des Corps de dame de Dubuffet ou des Otages de Fautrier. Tous deux, comme Tàpies, en repoussant les limites de la matière picturale, cherchent à retranscrire une certaine idée de la condition humaine. Forma de Crucificat interroge intensément le spectateur sur sa propre perception du sujet. « Ce sont les marques du temps humain révélé dans sa profondeur et sa simplicité, ce sont les nôtres dans un autre monde, dans un monde où nous sommes seulement attendus. » analyse alors le poète Jacques Dupin. En transcendant la matière, Tàpies révèle une œuvre qui résiste au regard et qu’on peut ici également mettre en parallèle des recherches menées par Francis Bacon à la même époque. C’est d’ailleurs ainsi que le résumait parfaitement le critique Pierre Restany déjà en 1959 : « Proche et lointaine, secrète, toujours aussi rebelle à l’investigation directe et aux approches immédiates, cette œuvre garde son essentiel mystère. »
This outstanding group of works by Antoni Tàpies from a major private German collection reflect the intimate passion that motivated their owner for over half a century. The unique friendship between the Catalan artist and the collector began in the 1950s during the Maeght Foundation’s annual meetings, where they met for the first time. Fascinated by the painter’s clean break with the artistic landscape of the time, he was deeply struck by the truthfulness of his compositions and his use of natural, simple materials. A passionate, committed collector, he was a key figure in introducing the artist’s work to Germany and fiercely defended it. All three paintings were on loan to the Landesmuseum Mainz, and the Neues Museum Nürnberg, from 1998 until today so that they could be accessible to the public. The collector was close to artists and forged lasting relationships throughout his life with many of those he admired, including Marino Marini, Vasarely, Chillida, Saura, Hartung, Dali and Beuys. It is therefore a very great honour for Christie’s to present these three paintings, which are fundamental in the artist’s body of work, at auction for the first time.
Tàpies had already achieved a certain amount of international recognition by the time he painted Forma de Crucificat and Verticale sur blanc in 1959. The year before, he had taken part in the Venice Biennale, won the Carnegie Institute’s Prize for Painting in Pittsburgh, alongside Calder for sculpture, and received the UNESCO Prize. He exhibited at the Martha Jackson Gallery in New York, where he met Motherwell, Hofmann and Kline, among others. MoMA and the Guggenheim Museum bought two of his paintings that year. By then his work was entirely based on a deeply personal exploration of the material, which led him to introduce his own, in particular sand and marble powder, to give his paintings their characteristic thickness and texture. Unlike most of his contemporaries, who explored the various aspects of resolutely abstract painting, Tàpies was reluctant to choose between figuration and abstraction. On the contrary, he blazed a totally new middle way on the international art scene. His paintings tended to reintroduce the trace of man and his time onto the very surface of the canvas. Like an archaeologist excavating his own period, he instilled bits of everyday life while isolating these elements to give them a new meaning. Like the walls of our cities, his works bear the stigmata of time: scratches, cracks, voids, graffiti and inscriptions in which he sometimes reveals this human trace, whether with a footprint in Verticale sur blanc or an old manuscript in Missel II.
In this regard, all the importance that Forma de Crucificat represents in the artist’s body of work must be taken into account. The legacy of religious painting, such as Velasquez and Zurbaran’s depictions of Christ, is obvious in his oeuvre, but it cannot be boiled down to a mere rereading of Catholic mythology. “The crucifix is a symbol that can produce a universal evocative power and an emotional impact reaching far beyond Christianity,” Tàpies said. “It is not necessary to read treatises on symbolism to understand that contemplating a dying, naked man nailed to a cross, his sex vulnerable, leads us to the most mysterious limits of our condition, love and death, Eros and Thanatos.” The cross thus becomes a field of inquiry for the artist. The bust, by its treatment, covers the material of the walls that he explores in his painting. This treatment of the body also places it in the lineage of Dubuffet's Corps de dame or Fautrier's Otages. Both, like Tàpies, seek to transcribe a certain idea of the human condition by pushing back the limits of paint. Forma de Crucificat intensely questions the viewer’s own perception of the subject. "These are the marks of human time revealed in its depth and simplicity,” said poet Jacques Dupin. “They are ours in another world, a world where we are simply awaited." By transcending the material, Tàpies reveals work that resists the gaze and can be compared here to Francis Bacon’s contemporaneous explorations. Critic Pierre Restany already perfectly summed it up in 1959. "Near and far,” he wrote, “secretive, always avoiding direct investigation and immediate approaches, this work keeps its essential mystery.”
“Symbol specialists will ask that we establish a distinction between crosses and crucifixions, the in order to better differentiate general symbolism and christian symbolism. But the evocative strengh of the psychic impact of the crucifix can also be a universal symbol reaching far beyond christianism.”
Antoni Tàpies
Provenant d’une importante collection privée allemande, cet exceptionnel ensemble d’œuvres d’Antoni Tàpies sont le reflet de l’intime passion qui a animé leur propriétaire pendant plus d’un demi-siècle. Cette profonde amitié entre l’artiste et le collectionneur prend naissance dans les années 1950 lors de réunions annuelles à la Fondation Maeght où les deux hommes se rencontrent pour la première fois. La nouveauté, la radicalité apportée par Tàpies dans le paysage artistique de l’époque détonne et le fascine. L’emploi de matériaux naturels et simples, la vérité de ses compositions qui le frappe profondément. Collectionneur passionné donc, mais également engagé, il va être l’un des principaux artisans de l’introduction de l’œuvre de Tàpies en Allemagne et un farouche défenseur de son travail. Ces trois œuvres seront d’ailleurs prêtées au Landesmuseum de Mainz, puis au Neues Museum de Nüremberg, de 1998 à ce jour, afin qu’elles puissent être accessibles au public. Proches des artistes, il noua tout au long de sa vie des relations suivies avec nombre de ceux qu’il admirait aux rangs desquels on compte notamment Marino Marini, Vasarely, Chillida, Saura, Hartung, Dali ou encore Beuys. C’est donc avec un très grand honneur que Christie’s dévoile pour la première fois aux enchères ces trois œuvres fondamentales dans l’œuvre de l’artiste catalan.
En 1959, année où Tàpies réalise Forma de Crucificat et Verticale sur blanc, l’artiste bénéficie déjà d’une certaine notoriété internationale. Ayant participé à la Biennale de Venise l’année précédente, il a également obtenu le prix de peinture du Carnegie Institute de Pittsburgh, aux côtés de Calder récompensé pour la sculpture, ainsi que le prix de l’UNESCO. Il expose d’ailleurs à la Martha Jackson Gallery et profite de son séjour à New York pour rencontrer entre autres Motherwell, Hofmann ou encore Kline. Le MoMA et le Guggenheim Museum font d’ailleurs l’acquisition de deux de ses toiles cette année-là. Son travail repose désormais entièrement dans cette exploration de la matière qui lui est propre et qui l’amène à définir ses propres matériaux, en particulier en introduisant le sable ou la poudre de marbre afin de donner cette épaisseur et cette surface si propre à ses toiles. Contrairement à la plupart de ses contemporains qui déroulent les différents aspects d’une peinture résolument abstraite, Tàpies, lui, ne tend pas à choisir entre figuration et abstraction, mais au contraire ouvre une voie médiane et totalement nouvelle dans la scène artistique internationale. Sa peinture tend à réintroduire la trace de l’homme et de son temps dans la surface même de ses toiles. Tel un archéologue de sa propre époque, il instille des éléments issus d’une réalité quotidienne tout en les isolant pour mieux leur accorder une signification nouvelle. Comme les murs de nos villes, ses œuvres portent les stigmates du temps : griffures, craquelures, manques, graffitis, inscriptions aux seins desquels il révèle par moment cette trace humaine, que ce soit par une empreinte de pas dans Verticale sur blanc ou par le détournement d’un ancien manuscrit dans Missel II.
A ce titre, il faut prendre en compte toute l’importance que représente Forma de Crucificat au sein de l’œuvre de Tàpies. Si l’héritage de la peinture religieuse est évidemment présent dans l’œuvre, à l’image des Christ de Velasquez ou Zurbaran, son travail ne peut être simplement réduit à la relecture d’une mythologie catholique. En effet, pour Tàpies, « La force évocatrice et l’impact psychique que produit le crucifix peut également être un symbole universel qui va bien au-delà du Christianisme. […] Il n’est pas nécessaire de recourir aux constructions des traités de symbolique pour comprendre que la contemplation d’un homme nu cloué sur une croix, le sexe vulnérable, agonisant, nous conduit aux limites les plus mystérieuses de notre condition, l’amour et la mort, Eros et Thanatos. ». Cette croix devient ainsi un champ d’investigation pour l’artiste. Le buste, par son traitement, revêt la matière des murs qu’il explore dans sa peinture. Ce traitement du corps le place également dans la lignée des Corps de dame de Dubuffet ou des Otages de Fautrier. Tous deux, comme Tàpies, en repoussant les limites de la matière picturale, cherchent à retranscrire une certaine idée de la condition humaine. Forma de Crucificat interroge intensément le spectateur sur sa propre perception du sujet. « Ce sont les marques du temps humain révélé dans sa profondeur et sa simplicité, ce sont les nôtres dans un autre monde, dans un monde où nous sommes seulement attendus. » analyse alors le poète Jacques Dupin. En transcendant la matière, Tàpies révèle une œuvre qui résiste au regard et qu’on peut ici également mettre en parallèle des recherches menées par Francis Bacon à la même époque. C’est d’ailleurs ainsi que le résumait parfaitement le critique Pierre Restany déjà en 1959 : « Proche et lointaine, secrète, toujours aussi rebelle à l’investigation directe et aux approches immédiates, cette œuvre garde son essentiel mystère. »
This outstanding group of works by Antoni Tàpies from a major private German collection reflect the intimate passion that motivated their owner for over half a century. The unique friendship between the Catalan artist and the collector began in the 1950s during the Maeght Foundation’s annual meetings, where they met for the first time. Fascinated by the painter’s clean break with the artistic landscape of the time, he was deeply struck by the truthfulness of his compositions and his use of natural, simple materials. A passionate, committed collector, he was a key figure in introducing the artist’s work to Germany and fiercely defended it. All three paintings were on loan to the Landesmuseum Mainz, and the Neues Museum Nürnberg, from 1998 until today so that they could be accessible to the public. The collector was close to artists and forged lasting relationships throughout his life with many of those he admired, including Marino Marini, Vasarely, Chillida, Saura, Hartung, Dali and Beuys. It is therefore a very great honour for Christie’s to present these three paintings, which are fundamental in the artist’s body of work, at auction for the first time.
Tàpies had already achieved a certain amount of international recognition by the time he painted Forma de Crucificat and Verticale sur blanc in 1959. The year before, he had taken part in the Venice Biennale, won the Carnegie Institute’s Prize for Painting in Pittsburgh, alongside Calder for sculpture, and received the UNESCO Prize. He exhibited at the Martha Jackson Gallery in New York, where he met Motherwell, Hofmann and Kline, among others. MoMA and the Guggenheim Museum bought two of his paintings that year. By then his work was entirely based on a deeply personal exploration of the material, which led him to introduce his own, in particular sand and marble powder, to give his paintings their characteristic thickness and texture. Unlike most of his contemporaries, who explored the various aspects of resolutely abstract painting, Tàpies was reluctant to choose between figuration and abstraction. On the contrary, he blazed a totally new middle way on the international art scene. His paintings tended to reintroduce the trace of man and his time onto the very surface of the canvas. Like an archaeologist excavating his own period, he instilled bits of everyday life while isolating these elements to give them a new meaning. Like the walls of our cities, his works bear the stigmata of time: scratches, cracks, voids, graffiti and inscriptions in which he sometimes reveals this human trace, whether with a footprint in Verticale sur blanc or an old manuscript in Missel II.
In this regard, all the importance that Forma de Crucificat represents in the artist’s body of work must be taken into account. The legacy of religious painting, such as Velasquez and Zurbaran’s depictions of Christ, is obvious in his oeuvre, but it cannot be boiled down to a mere rereading of Catholic mythology. “The crucifix is a symbol that can produce a universal evocative power and an emotional impact reaching far beyond Christianity,” Tàpies said. “It is not necessary to read treatises on symbolism to understand that contemplating a dying, naked man nailed to a cross, his sex vulnerable, leads us to the most mysterious limits of our condition, love and death, Eros and Thanatos.” The cross thus becomes a field of inquiry for the artist. The bust, by its treatment, covers the material of the walls that he explores in his painting. This treatment of the body also places it in the lineage of Dubuffet's Corps de dame or Fautrier's Otages. Both, like Tàpies, seek to transcribe a certain idea of the human condition by pushing back the limits of paint. Forma de Crucificat intensely questions the viewer’s own perception of the subject. "These are the marks of human time revealed in its depth and simplicity,” said poet Jacques Dupin. “They are ours in another world, a world where we are simply awaited." By transcending the material, Tàpies reveals work that resists the gaze and can be compared here to Francis Bacon’s contemporaneous explorations. Critic Pierre Restany already perfectly summed it up in 1959. "Near and far,” he wrote, “secretive, always avoiding direct investigation and immediate approaches, this work keeps its essential mystery.”