CLAUDE-JOSEPH VERNET (AVIGNON 1714 - 1789 PARIS)
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Un port de mer au clair de lune

Details
CLAUDE-JOSEPH VERNET (AVIGNON 1714 - 1789 PARIS)
Un port de mer au clair de lune
signé et daté 'J. Vernet F.1774' (en bas à droite)
huile sur toile
115 x 163 cm. (45.1./4 x 64 1/8 in.)
Provenance
Selon F. Ingersoll-Smouse (Paris, 1926), "très probablement" pour Monsieur Octave-Marie-Pie Giamboni, dit Giambone, conseiller honoraire du Roi (reçus n°171-175-178 du livre de Raison de l'artiste) du 7 décembre 1773 ;
Selon I. Compin (Revue du Louvre et des Musées de France, n°5-6, 1978) "commande de M. Winden milord d'Aigremont" (sic) [peut-être George O'Brien Wyndham, Earl of Egremont] (commande C262 du livre de Raison de l'artiste) ;
Collection baron Achille Seillière (administrateur du crédit foncier), Château de Mello, près de Creil ;
Sa vente, Paris, Galerie Georges Petit, 5-10 mai 1890 (expert Charles Manheim), n°658 (pendant du n°659), vente ajournée ;
Sa nouvelle vente, Paris, Galerie Georges Petit, 9 mars 1911 (expert Jules Féral), n°15 (vendu avec son pendant n°14 à Jules Féral) ;
Collection Monsieur de Villeroy, avant 1922 ;
Sa vente, Paris, Galerie Georges Petit, 28-29 avril 1922, n° 59 (acquis par M. Grumbach) ;
Peut-être collection Charles Kaufmann ;
Acquis à Paris auprès d'un collectionneur privé le 3 septembre 1943 (par Hildebrandt Gurlitt) ;
Destiné au musée de Linz (n° 3088) ;
Exporté par Gurlitt en Allemagne en 1943 (autorisation d'exportation n° 33.018, valeur déclarée 800.000 FF, selon une photo de la SED) ;
Enregistré au Central Collecting Point de Munich sous le n° 3643 ;
Attribué au musée du Louvre par l'Office des Biens et Intérêts Privés en 1951 ;
Déposé au musée d'Avignon par arrêté du ministère de l'Education nationale en 1953 (D 952-8, inv. 22410) ;
Réclamé par l'ayant droit de Maurice Lehmann à qui il est restitué le 1er février 2002 suite à la recommandation émise par la commission Drai du 20 avril 2001 et décision du Premier Ministre le 12 septembre 2001 ;
Radié des inventaires spéciaux provisoires par arrêté du 19 juin 2002.
Literature
L. Lagrange, Joseph Vernet et la peinture au XVIIIe siècle, Paris, 1864, p. 133, p. 351 (C262) ou p. 638 (reçus 171-175-178) ;
F. Ingersoll-Smouse, É. Bignou, Joseph Vernet, peintre de Marine 1714-1789, étude critique suivie d’un catalogue raisonné de l’œuvre peint, Paris, 1926, t.II, n°984 ;
J. Vergnet-Ruiz, M. Laclotte, Petits et grands musées de France, Paris, 1962, p. 255 ;
I. Compin, « La donation Hélène et Victoire Lyon », La Revue du Louvre et des musées de France, 1978, n°5-6, p. 392 ;
J. Foucart, É. Foucart-Walter, Catalogue sommaire illustré des peintures du musée du Louvre, École française, Annexes et Index, V. Paris, 1986, p. 353 ;
C. Lesné, A. Roquebert, Catalogue des peintures MNR (Musées nationaux Récupération), Paris, 2004, p. 496, MNR 821, reproduit.
Exhibited
Bruxelles, Palais des Beaux-Arts, 1975, De Watteau à David. Peintures et dessins des musées de province français, Bruxelles, n°122, reproduit ;
Avignon, musée Calvet, dépôt du musée du Louvre, 1951-2002.
Special notice
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Further details
CLAUDE-JOSEPH VERNET, A SEAPORT BY MOONLIGHT, OIL ON CANVAS, SIGNED AND DATED LOWER RIGHT

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Astrid Centner-d’Oultremont
Astrid Centner-d’Oultremont Director Christie’s Belgium, Old Masters Specialist

Lot Essay

Cette impressionnante et apaisante marine de Claude-Joseph Vernet figurant le calme d'un port à la nuit tombée est une reprise autographe d'une de ses compositions, exposée au Salon de 1773 et destinée à la comtesse du Barry pour son château de Louveciennes. Madame du Barry avait commandé pour son château une série de quatre marines évoquant quatre moments de la journée : Le Matin, les baigneuses (musée du Louvre) ; Le Midi (aujourd'hui disparu), Le Soir, coucher de soleil, retour de pêche (déposé par le musée du Louvre au Sénat, donation Victor et Hélène Lyon, 1961), et La nuit, un port de mer au clair de lune (musée du Louvre), dont le nôtre est une seconde version. Les quatre marines de la comtesse réalisées entre 1771 et 1773 avaient été saisies pendant la Révolution avant de gagner, pour certaines, les collections publiques.

Notre version, datée 1774, s'accompagnait d'un pendant, seconde version du Soir, coucher de soleil, retour de pêche. Ces deux peintures témoignent de l'engouement accru pour les marines de Vernet dans les années 1770 où le peintre redoubla d'effort pour répondre aux nombreuses sollicitations. Exprimant au mieux son talent dans le rendu des embruns, des vaisseaux, des atmosphères, il a été suggéré que certains plans secondaires puissent avoir été exécutés en collaboration avec l'atelier. Deux hypothèses ont été émises quant au commanditaire de notre toile et de son pendant. Florence Ingersoll-Smouse suggérait dans sa monographie du peintre parue en 1926 qu'ils avaient, "très probablement", été réalisés pour un certain M. Giamboni. L'hypothèse est séduisante, car Monsieur Giamboni, de son nom francisé Octave-Marie-Pie Giambione, banquier d'origine génoise, anobli par une charge de conseiller honoraire du roi, avait épousé une certaine Marie-Louise de Marny (autre nom transformé pour Maria-Luisa Marini) qui avait, comme la comtesse du Barry, séjourné dans la résidence du Parc-aux-Cerfs (voir C. Vatel, Histoire de madame du Barry [...], Versailles, 1885, p. XXVI). Ce lieu mystérieux, et fortement fantasmé, était un lieu secret de Versailles où le roi Louis XV aurait hébergé futures maîtresses et dames de compagnie pour d'autres personnalités de la Cour. La promise de Giambone se serait-elle liée à la du Barry lors de son passage au Parc-aux-Cerfs, et son mari aurait-il commandé au peintre la même décoration que celle-ci? Difficile d'affirmer que ce fut le cas. Les biens ont été saisis à la Révolution lors de la mise sous séquestre de son hôtel particulier au 26 rue Bondy (actuelle rue René Boulanger) à Paris (voir F. Lenormand, La pension Belhomme : Une prison de luxe sous la Terreur, Paris, 2002). Enfin, Vernet écrivait dans son Livre de Raison que les marines pour Giambone devaient être expédiées à Varsovie (voir Lagrange, 1864, p. 368) sans donner d'autres détails… Livre de transactions pour lui, sans autre ambition que d’éclaircir ses comptes, le Livre de Raison de l'artiste comporte malheureusement bien des imprécisions pour les historiens, rendant toute traçabilité délicate.

Pour Isabelle Compin, notre tableau n'aurait d’ailleurs pas été exécuté pour Giambone, mais correspondrait à la commande C262 du Livre de Raison, celle exécutée pour un « monsieur M. Windem milord Aigremont » (voir Compin, 1978, p. 392). Francisant une nouvelle fois un patronyme étranger, Vernet évoquait-il George O'Brien Wyndham, Earl of Egremont (1751-1837) ? Léon Lagragne affirmait que Vernet avait travaillé pour un Lord anglais. Ce troisième comte d’une prestigieuse famille était un grand amateur d’art et soutenait en Angleterre un autre peintre de marines célèbre, William Turner, dont il possédait différents tableaux. Il vécut à Petworth dès l’année 1794 et amassa plus de six cents œuvres d’art dans sa résidence anglaise (voir The Collected Works of Gerard Manley Hopkins: Diaries, Journals, and Notebooks, Oxford, 2015, p. 380).

Banquier italien ou Lord Anglais, les premiers propriétaires du XVIIIe siècle sont incertains, en revanche, les ventes du XXe siècle sont plus précises et témoignent qu’après avoir intégré un château d'aristocrates français (ill. 1), puis, séparé de son pendant, quelques collections parisiennes, notre tableau affronta la Seconde Guerre mondiale de plein fouet et porte encore sur son châssis le numéro de dépôt du futur musée d’Adolf Hitler, à Linz (ill.2). Projet fou et inassouvi du Führer, le musée de Linz ne vit jamais le jour alors que l'enlèvement de tableaux dans toute l’Europe continuait d'enrichir la collection jusqu’aux derniers soubresauts de la guerre. Parti pour l’Allemagne, notre tableau reprit le chemin de la France à la fin des conflits et fut conservé pendant plus de cinquante ans au musée Calvet à Avignon, ville natale de Vernet. Le cachet du musée témoigne de l’intervention de l’Etat français sur cette peinture déclarée si longtemps sans propriétaire.

Fort de son histoire, notre tableau révèle avec une certaine magie tout le talent de Vernet comme peintre de marines. On y retrouve son habileté à juxtaposer l'éclairage froid d’une lune haut-perchée offrant une percée sur la mer calme, avec la lumière plus chaude d’un bivouac après une journée de pêche. Le génie du peintre s'exprime encore par ces figures repoussoirs au premier plan qui se répondent comme dans un jeu d'ombres chinoises et confèrent à la scène une dimension poétique.

Note sur le cadre d’origine par Monsieur François Gilles, sculpteur ornemaniste.
Joseph Vernet entretenait des rapports privilégiés avec son beau-frère, le sculpteur Honoré Guibert (1724-1791), pour lequel il a notamment réalisé les « bordures » de la série des Ports de France. Auteur des boiseries du Petit Trianon, Guibert est, de ce fait, l’un des instigateurs du renouveau néo-classique en France. Avec sa mouluration sobrement ornée de rais-de-cœur, lauriers et perles, le cadre de ce tableau incarne pleinement ce nouvel état d’esprit qui innerve les arts décoratifs français de la seconde moitié du XVIIIe siècle. L’austérité mêlée de sensibilité de la sculpture n’est pas sans évoquer la facture de Guibert à qui ce cadre est attribuable, quoiqu’aucun document ne puisse le prouver. Au demeurant, il s’agit sans aucun doute du cadre d’origine ; c’est d’ailleurs le parfait jumeau du cadre de la Marine, Soleil couchant du Musée du Louvre (son pendant de la donnation Victor et Hélène Lyon).

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