Lot Essay
DU DOMAINE DE LA MAGIE
par Virginia-Lee Webb
Les artistes vivant dans l’île de Nouvelle-Guinée ont créé des chefs-d’oeuvre sculptés incomparables. Au sud-est de l’île, dans la région du Golfe papou, les sculptures traditionnelles appelées agiba ou agibe constituent un corpus original de formes que l’on ne trouvera nulle part ailleurs dans le monde. Même si le nombre précis d’agiba nous est inconnu, leur inventaire étant en cours d’établissement, il est restreint. Ils proviennent surtout des groupes de langue kerewa et de le l’île de Goaribari. Cette origine géographique a contribué à leur rareté, la région étant l’une plus isolées du Golfe. De même, les rituels des communautés, leur mode de monstration ou de stockage les gardaient loin des regards.
[…] Les agiba n’étaient pas exposés à la vue de tous, mais, bien au contraire, étaient préservés dans des maisons cérémonielles dont l’accès était réservé aux seuls hommes. Dès lors, les rituels liés aux sculptures associées aux magies et à la guerre étaient strictement préservés. Robert Welsch a consigné les premières observations sur les différentes formes d’agiba. En 1912, l’anthropologue américain, A.B. Lewis, le lieutenant-gouverneur Hubert Murray et le professeur William Patten - un zoologiste de Dartmouth College - visitèrent Goaribari et de nombreux villages aux alentours. Ensemble Lewis et Patten acquirent des objets et prirent des photographies qui furent distribuées dans divers musées américains (Welsch, 2006, p. 39 ; 1998, pp. 132-133). Ils visitèrent et photographièrent un dubu daima, notant que certains d’entre eux mesuraient entre 60 et 120 mètres de long et entre 6 et 8 mètres de large et qu’ils possédaient jusqu’à cinq autels avec des agiba. Lewis donne une description d’un des plus petits agiba dans la région de Kerewa : suspendu sur un des côtés à l’intérieur de l’entrée du dubu daima, on lui avait « attaché des crânes de poissons et d’oiseaux » afin d’attirer et de faciliter la capture de ces aliments. Il décrit le plus grand autel agiba qui se trouvait à l’arrière de la maison des hommes avec sa « planche sculptée représentant la tête et le corps d’un homme devant lequel étaient empilés de 10 à 50 crânes ». De même, l’anthropologue britannique A.C. Haddon décrit un grand agiba dont l’autel présentait un empilement similaire de crânes décorés. Les crânes des ancêtres et des ennemis étaient exposés sur la plateforme devant les grandes sculptures agiba. Seuls les hommes qui en avaient le droit pouvaient voir ces autels tout à la fois liés à la guerre, à la chasse aux têtes, aux ancêtres et à l’identité de la communauté. Tout ceci est précisé par Welsch : « ces objets d’art étaient au centre des rituels de Goaribari, rituels qui célébraient tout à la fois les crânes des ancêtres et des ennemis tombés lors des conflits intertribaux, ces deux sortes de crânes étant suspendues aux grands agiba. » (Welsch, 2006, p. 43)
Hors de tout contacts au XIXe siècle et au début du XXe siècle la forme unique tout comme les traits stylistiques des agiba furent sauvegardés pendant toute cette période. Ils prennent l’apparence d’une figure abstraite dont les parties curvilinéaires et découpées en deux dimensions sont indépendantes les unes des autres, la tête, s’inscrivant dans un ovale ou un cercle, étant proportionnellement plus grande. Parallèlement au torse, deux crochets - parfois plus - se dressent verticalement. Ils permettaient d’attacher les crânes avec des fibres de rotin. Une des caractéristiques de cet exemplaire est une symétrie légèrement biaisée par l’inclinaison de la tête, la position des « épaules » et des côtés de la figure ce qui suggère un mouvement. Les pigments noirs sur le front sont souvent associés aux marques foncées ou aux bandeaux de fourrures portés par les hommes. L’étroite saillie formée par la découpe du torse porte un signe de vie en son centre. Des cercles concentriques radient autour de ce nombril.
[…] La provenance de cet agiba est reliée respectivement à Roy James Hedlund et Douglas Newton.
FROM THE DOMAIN OF MAGIC
by Virginia-Lee Webb
The artists living on the island of New Guinea have produced unique sculptural masterpieces. In the southeastern part, the Papuan Gulf area, traditional carvings called agiba or agibe comprise a distinct corpus not found anywhere else in the world. While the exact number of agiba that existed are still being recorded, they are relatively few in number. To further add to their scarcity, they were only created in one more remote area of the Gulf, primarily among the Kerewa speaking region and Goaribari Island. As well, community rituals and how they were displayed and stored kept them mostly out of sight.
[…] Agiba were not displayed out in the open, rather they were kept deep inside gender restricted ceremonial houses called dubu daima. In this domain of men, magic, and warfare the sculptures and their associated rituals were closely guarded. Robert Welsch notes the earliest observations of various agiba forms. In 1912, the American anthropologist A.B. Lewis, Lieutenant-Governor Hubert Murray and Professor William Patten a zoologist from Dartmouth College, visited Goaribari and several neighboring villages. Both Lewis and Patten acquired objects and took photographs that were distributed among several American museums. (Welsch, 2006, p. 39 ; 1998, pp. 132-133) They visited and photographed the dubu daima noting that some were 200-400 feet long and 20-25 feet wide with as many as five agiba shrines. Lewis offered a description of the smaller agiba that hung inside the side entrances of the dubu daima in the Kerewa area “with fish and bird skulls attached” that were associated with acquiring those staples. He describes the larger agiba shrines in the back of the men’s houses with “a carved board representing [the] head and body of a man, and in front of this […] were piled from 10-50 skulls.” (Welsch, 1998, p. 462) As well, British anthropologist A.C. Haddon also described the larger agiba and the shrines similarly piled with numerous decorated craniums. The skulls of ancestors and enemies were displayed with large agiba on a platform. The agiba’s association with warfare, headhunting, ancestral and community identity were visually conspicuous to those permitted access. As Welsch has described “these art objects were central to Goaribari ritual that celebrated the skulls of ancestors while simultaneously celebrating the skulls of their enemies who fell during intertribal conflict, both sorts of skulls being hung from the large agiba.” (Welsch, 2006, p. 43)
While unique in form, the agiba have stylistic characteristics that are consistent throughout this period of late nineteenth and early twentieth-century non-local contact. The form is an abstracted figure, two-dimensional, openwork, and self-contained curvilinear elements with a proportionately large head usually oval or circular in shape. Two or more upward pointing hooks or prongs parallel the central torso facilitate attaching the skulls with woven rattan hoops. A signature feature seen in this example is the symmetry which is slightly skewed to imply movement, either in the tilt of the head or the position of the “shoulders” and sides of the figure. The black pigment on the forehead is often associated with darked pigment or fur bands worn by men. The narrow cut-out torso bulges with a life force at the center and concentric circles radiate from the navel.
[…] The provenance of this agiba leads directly to Roy James Hedlund and Douglas Newton, respectively.
par Virginia-Lee Webb
Les artistes vivant dans l’île de Nouvelle-Guinée ont créé des chefs-d’oeuvre sculptés incomparables. Au sud-est de l’île, dans la région du Golfe papou, les sculptures traditionnelles appelées agiba ou agibe constituent un corpus original de formes que l’on ne trouvera nulle part ailleurs dans le monde. Même si le nombre précis d’agiba nous est inconnu, leur inventaire étant en cours d’établissement, il est restreint. Ils proviennent surtout des groupes de langue kerewa et de le l’île de Goaribari. Cette origine géographique a contribué à leur rareté, la région étant l’une plus isolées du Golfe. De même, les rituels des communautés, leur mode de monstration ou de stockage les gardaient loin des regards.
[…] Les agiba n’étaient pas exposés à la vue de tous, mais, bien au contraire, étaient préservés dans des maisons cérémonielles dont l’accès était réservé aux seuls hommes. Dès lors, les rituels liés aux sculptures associées aux magies et à la guerre étaient strictement préservés. Robert Welsch a consigné les premières observations sur les différentes formes d’agiba. En 1912, l’anthropologue américain, A.B. Lewis, le lieutenant-gouverneur Hubert Murray et le professeur William Patten - un zoologiste de Dartmouth College - visitèrent Goaribari et de nombreux villages aux alentours. Ensemble Lewis et Patten acquirent des objets et prirent des photographies qui furent distribuées dans divers musées américains (Welsch, 2006, p. 39 ; 1998, pp. 132-133). Ils visitèrent et photographièrent un dubu daima, notant que certains d’entre eux mesuraient entre 60 et 120 mètres de long et entre 6 et 8 mètres de large et qu’ils possédaient jusqu’à cinq autels avec des agiba. Lewis donne une description d’un des plus petits agiba dans la région de Kerewa : suspendu sur un des côtés à l’intérieur de l’entrée du dubu daima, on lui avait « attaché des crânes de poissons et d’oiseaux » afin d’attirer et de faciliter la capture de ces aliments. Il décrit le plus grand autel agiba qui se trouvait à l’arrière de la maison des hommes avec sa « planche sculptée représentant la tête et le corps d’un homme devant lequel étaient empilés de 10 à 50 crânes ». De même, l’anthropologue britannique A.C. Haddon décrit un grand agiba dont l’autel présentait un empilement similaire de crânes décorés. Les crânes des ancêtres et des ennemis étaient exposés sur la plateforme devant les grandes sculptures agiba. Seuls les hommes qui en avaient le droit pouvaient voir ces autels tout à la fois liés à la guerre, à la chasse aux têtes, aux ancêtres et à l’identité de la communauté. Tout ceci est précisé par Welsch : « ces objets d’art étaient au centre des rituels de Goaribari, rituels qui célébraient tout à la fois les crânes des ancêtres et des ennemis tombés lors des conflits intertribaux, ces deux sortes de crânes étant suspendues aux grands agiba. » (Welsch, 2006, p. 43)
Hors de tout contacts au XIXe siècle et au début du XXe siècle la forme unique tout comme les traits stylistiques des agiba furent sauvegardés pendant toute cette période. Ils prennent l’apparence d’une figure abstraite dont les parties curvilinéaires et découpées en deux dimensions sont indépendantes les unes des autres, la tête, s’inscrivant dans un ovale ou un cercle, étant proportionnellement plus grande. Parallèlement au torse, deux crochets - parfois plus - se dressent verticalement. Ils permettaient d’attacher les crânes avec des fibres de rotin. Une des caractéristiques de cet exemplaire est une symétrie légèrement biaisée par l’inclinaison de la tête, la position des « épaules » et des côtés de la figure ce qui suggère un mouvement. Les pigments noirs sur le front sont souvent associés aux marques foncées ou aux bandeaux de fourrures portés par les hommes. L’étroite saillie formée par la découpe du torse porte un signe de vie en son centre. Des cercles concentriques radient autour de ce nombril.
[…] La provenance de cet agiba est reliée respectivement à Roy James Hedlund et Douglas Newton.
FROM THE DOMAIN OF MAGIC
by Virginia-Lee Webb
The artists living on the island of New Guinea have produced unique sculptural masterpieces. In the southeastern part, the Papuan Gulf area, traditional carvings called agiba or agibe comprise a distinct corpus not found anywhere else in the world. While the exact number of agiba that existed are still being recorded, they are relatively few in number. To further add to their scarcity, they were only created in one more remote area of the Gulf, primarily among the Kerewa speaking region and Goaribari Island. As well, community rituals and how they were displayed and stored kept them mostly out of sight.
[…] Agiba were not displayed out in the open, rather they were kept deep inside gender restricted ceremonial houses called dubu daima. In this domain of men, magic, and warfare the sculptures and their associated rituals were closely guarded. Robert Welsch notes the earliest observations of various agiba forms. In 1912, the American anthropologist A.B. Lewis, Lieutenant-Governor Hubert Murray and Professor William Patten a zoologist from Dartmouth College, visited Goaribari and several neighboring villages. Both Lewis and Patten acquired objects and took photographs that were distributed among several American museums. (Welsch, 2006, p. 39 ; 1998, pp. 132-133) They visited and photographed the dubu daima noting that some were 200-400 feet long and 20-25 feet wide with as many as five agiba shrines. Lewis offered a description of the smaller agiba that hung inside the side entrances of the dubu daima in the Kerewa area “with fish and bird skulls attached” that were associated with acquiring those staples. He describes the larger agiba shrines in the back of the men’s houses with “a carved board representing [the] head and body of a man, and in front of this […] were piled from 10-50 skulls.” (Welsch, 1998, p. 462) As well, British anthropologist A.C. Haddon also described the larger agiba and the shrines similarly piled with numerous decorated craniums. The skulls of ancestors and enemies were displayed with large agiba on a platform. The agiba’s association with warfare, headhunting, ancestral and community identity were visually conspicuous to those permitted access. As Welsch has described “these art objects were central to Goaribari ritual that celebrated the skulls of ancestors while simultaneously celebrating the skulls of their enemies who fell during intertribal conflict, both sorts of skulls being hung from the large agiba.” (Welsch, 2006, p. 43)
While unique in form, the agiba have stylistic characteristics that are consistent throughout this period of late nineteenth and early twentieth-century non-local contact. The form is an abstracted figure, two-dimensional, openwork, and self-contained curvilinear elements with a proportionately large head usually oval or circular in shape. Two or more upward pointing hooks or prongs parallel the central torso facilitate attaching the skulls with woven rattan hoops. A signature feature seen in this example is the symmetry which is slightly skewed to imply movement, either in the tilt of the head or the position of the “shoulders” and sides of the figure. The black pigment on the forehead is often associated with darked pigment or fur bands worn by men. The narrow cut-out torso bulges with a life force at the center and concentric circles radiate from the navel.
[…] The provenance of this agiba leads directly to Roy James Hedlund and Douglas Newton, respectively.